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Cartulaires d'Île-de-France

Dans le cadre des projets de numérisation soutenus par la sous-direction des bibliothèques et de la documentation à la direction de l'Enseignement supérieur du ministère de l'Education nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et dans une logique de mise à disposition des ressources de la bibliothèque de l'École nationale des chartes à un large public de chercheurs excédant le cercle restreint des élèves de l'École et des archivistes paléographes, nous avons proposé un premier choix de documents numérisés qui visent à compléter l'offre de la bibliothèque.

Ce projet de numérisation a pour objectif de :

La spécificité de la bibliothèque de l'École des chartes, que reflètent les enseignements de l'École depuis son origine, est d'être axée sur les éditions de sources, en particulier les sources concernant l'histoire de France.

A cet égard, l'ensemble que forment les éditions de cartulaires est particulièrement remarquable ; les collections de la bibliothèque tendent depuis toujours à l'exhaustivité dans ce domaine.

Au reste, c'est sur cette série que portent un grand nombre des demandes de consultation sur place par les chercheurs français ou étrangers. Il nous a donc paru important et urgent de donner à ces cartulaires un accès facilité et une plus grande visibilité, d'autant plus que nous ne pouvons que rarement satisfaire les demandes de prêt pour des éditions souvent anciennes (datant du XIXe siècle pour la plupart) et fragilisées en raison de leur fréquente manipulation, ainsi que de leur date d'édition (à un moment où des papiers de mauvaise qualité sont massivement utilisés pour l'édition).

Un corpus géographiquement homogène

Aussitôt arrêtés le principe et les modalités générales de la numérisation, le parti de la cohérence géographique du corpus retenu s'imposa de lui-même. Et presque aussitôt le choix se porta sur Paris et l'Ile-de-France : d'abord parce que l'entreprise permettait de couvrir une région, très paradoxalement, délaissée par les éditeurs de chartes ; ensuite parce que l'ouverture parallèle du chantier d'édition du chartrier de l'abbaye de Saint-Denis permettait de prolonger et d'enrichir les potentialités de consultation.

Paris, pourtant, était bien parti dans la course à l'édition, avec la publication monumentale, foisonnante de trésors, juste un peu hâtive et, surtout, négligeant les originaux, que Benjamin Guérard donnait, en 1850, des cartulaires du chapitre cathédral, augmentés de pièces extraites du cartulaire de l'évêché, dans quatre volumes de la prestigieuse, et jeune encore, collection des Document inédits. L'évolution fut pourtant des plus contrastées. D'un côté, des érudits locaux de modèle « provincial » avaient lancé dès les années 1840, avec non moins d'entrain, de désordre et parfois de maladresse, une série d'éditions illustrant l'histoire de leur petite patrie, autour de Rambouillet ou de Pontoise, et notre entreprise, par-delà les appréciations critiques, rend aussi hommage à leurs efforts, à leur connaissance des lieux et à leurs reconstitutions généalogiques commodes et précises dès que les documents abondent. D'un autre côté, les érudits et historiens « parisiens », mal armés en temps face à de gigantesques chartriers démembrés, dominés par l'urgence d'une histoire nationale, négligèrent très largement les établissements de la ville et de ses faubourgs.

On délaissa donc vite les grands cartulaires parisiens. Alors que Robert de Lasteyrie renonçait à poursuivre au-delà de 1180 un solide recueil factice (Cartulaire général de Paris, ou recueil de documents relatifs à l'histoire et à la topographie de Paris, 1887), s'ouvrit, mais très péniblement, une autre veine qui, selon les exigences nouvelles de la diplomatique, prenait en compte tous les éléments de la tradition et non plus les seuls cartulaires. Mêmes causes, mêmes effets, sans doute : à Paris et en Ile-de-France, les résultats restent encore faibles numériquement, et rares sont les éditions disponibles pour de grands chartriers : le riche corpus des Archives de l'Hôtel-Dieu, 1157-1300 réuni par Léon Brièle et achevé par Ernest Coyecque (1894) ; les deux volumes du Recueil des chartes de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés des origines au début du XIIIe siècle par René Poupardin (1909-1932) ; plus remarquables encore par leur soin et par leur souci de pousser dans le temps, les trois volumes des Chartes et documents de l'abbaye de Saint-Magloire que Anne Terroine et Lucie Fossier ont menés de la fin du Xe au début du XVe siècle (1966-1998).

Cette relative atonie n'a pas interdit aux historiens de donner un spectaculaire développement aux études de topographie urbaine, d'entamer une histoire sociale et économique de la ville à compter du XIIIe siècle. Elle est à coup sûr responsable des grands vides de notre information sur le dense réseau des seigneuries et des familles nobiliaires et chevaleresques, sur l'histoire de l'occupation du sol dans la région parisienne au Moyen Âge central, voire sur les précoces relations entre la ville et son « pays », thèmes qui eussent pu intéresser même l'historien national, pour former la toile de fond du « miracle capétien ».

Si la relance des entreprises d'édition se justifie d'elle-même, on reste frappé de l'immensité du travail qui reste à accomplir, depuis la reprise du chantier ouvert par Guérard à Notre-Dame de Paris (chapitre et mense épiscopale), jusqu'à la prospection des terres inconnues (aussi illustres que le Temple ou Saint-Victor, plus modestes comme Sainte-Opportune, Saint-Étienne-des-Grés, Saint-Germain-l'Auxerrois, les Mathurins), parcourues par des éditions très partielles (Saint-Martin-des-Champs), ou explorées par des thèses inédites (Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Antoine-des-Champs)… Le travail à accomplir reste gigantesque, même si les initiatives ne manquent pas (édition des actes de Saint-Lazare par Simone Lefèvre en 2006, thèse d'École des Chartes de Noémie Escher sur le chartrier de Sainte-Geneviève...).

Une lecture critique et croisée

Les anciennes éditions ici proposées sont appelées, par le miracle de la technique, à une nouvelle vie qui, peut-être, contribuera à relancer les efforts. Elles n'en accusent pas moins leur âge ; pionnières, et parfois excellentes, elles sont aussi victimes de conceptions souvent dépassées de l'édition : elles donnent la prime au cartulaire sur le chartrier, voire aux copies sur les originaux ; leurs bibliographies sont inévitablement dépassées.

À terme, et pourquoi pas très vite, la version « texte » des éditions pourra être le support d'une entreprise de révision, corrigeant lecture et datation, enregistrant de nouveaux témoins de la tradition. Dans l'immédiat, la volonté d'épauler la recherche a amené à assortir la reproduction de ces ouvrages anciens de notices critiques, donnant quelques clefs pour une utilisation plus judicieuse des travaux de nos prédécesseurs. Ces notices sont elles-mêmes rapides et inachevées. Tout le mérite de leur éventuelle utilité reviendra aux étudiants de l'École des chartes qui, avec enthousiasme, les ont préparées de façon quasi définitive dans le cadre du cours de diplomatique médiévale de l'École des chartes. On y trouvera une rapide présentation de l'établissement concerné et de ses ressources archivistiques, comme de l'éditeur, du contenu et des limites de l'édition.

Nous n'offrons ici qu'une première tranche, que nous espérons rapidement compléter d'un second volet. D'ores et déjà plus de 4000 actes, principalement des XIIe et XIIIe siècles, se voient offerts à une consultation élargie et rationalisée. En complément souvent appréciable des actes, viennent souvent de longues mises au point historiques, généalogiques, architecturales. Dans le même temps, se dévoile une tranche d'historiographie du XIXe siècle, des éditeurs de l'âge romantique à ceux de l'ère méthodique. Notre projet, en ce sens, montre la finesse et la solidité des liens qui courent entre histoire et sciences auxiliaires, entre pratique de l'histoire et historiographie, entre histoire et conservation du patrimoine, au plus près des vocations fondamentales de l'École des chartes.