Sondage II
Implantation
Le sondage II, dont la forme était celle d'un carré mesurant 5 m de côté, a été implanté en 1997 à 15,50 m au sud du sondage I, légèrement en contrebas de ce dernier. Il était destiné à obtenir des informations sur l'îlot de maisons situé entre la cathédrale et la grand'place de la ville, qui est représentée sur la vue cavalière de 1539 avec sa fontaine ornementale, non loin du palais épiscopal. L'aire explorée correspondait au rez-de-chaussée d'un bâtiment, dont un tronçon de mur a été intercepté : les couches d'éboulis et d'incendie qui y ont été fouillées ont livré de nombreux éléments architecturaux représentatifs du décor extérieur et de l'aménagement interne d'une maison de la « haute ville ».
Données stratigraphiques
Section sud du sondage II, avec les vestiges calcinés d'un meuble en bois
L’humus et l'éboulis sous-jacent recouvraient deux couches d’incendie également riches en matériaux de démolition (mortier de couleur jaune foncé, moellons de silex et grosses pierres de calcaire taillées) et en carreaux de pavement. La première, essentiellement constituée de mortier décomposé, mêlé de terre brulée avec une forte densité de charbon de bois, contenait de nombreux débris architecturaux – claveaux de voûte, fragments de colonnettes, dalles de pierre, etc. –, ainsi que des tuiles glaçurées, des fragments d’enduit mural et une grande quantité de mobilier où dominaient les scories et les objets de métal, dont une pointe de flèche. La seconde se caractérisait par l'abondance des éléments brûlés (torchis, bois calciné...) ; une corniche moulurée y a été retrouvée.
Fragment de corniche moulurée provenant du sondage II
Le mur 201-202 vu depuis l'intérieur de la maison : la base en moellons de silex supporte la fourrure et les blocs de calcaire taillés du parement externe.
Le sondage était donc implanté à l’intérieur d’une maison d’orientation sud-est / nord-ouest, large d’au moins 7 m. Une porte située hors de l’aire explorée devait s’ouvrir dans le mur partiellement découvert : le vantail de celle-ci, emportant gonds et plaques de ferrure dans sa chute, s’était couché et consumé au pied du mur. L’épaisseur du panneau de bois, fournie par l’écartement des ferrures (une dizaine de centimètres), et la largeur de ces dernières attestaient des dimensions imposantes de la porte.
Ferrure de porte terminée par un motif de fleur de lys provenant du sondage II, vue de face et de profil
Les couches d'incendie et d'effondrement des murs recouvraient les vestiges d'un toit de tuiles, concentrés au centre du sondage avec de nombreux carreaux glaçurés. Au-dessous une nouvelle épaisseur de matériaux brûlés (US 206) s’étendait sur toute la surface explorée : tuiles et poutres carbonisées provenant de la charpente et de l’armature d’une structure à pans de bois y étaient associées à quelques planches calcinées, ainsi qu'à des éléments de ferronnerie, des clous et des armes (notamment un couteau et un fer de lance).
La couche de démolition 206 vue depuis le sud
Des morceaux de torchis brûlé étaient pris par endroits dans de la terre charbonneuse, avec un peu de mortier et des fragments d’enduit peint. Les vestiges d’un sol peu épais mais riche en traces d’occupation couvraient çà et là le torchis ; sans doute s’agissait-il du premier étage, qui était problablement pavé des carreaux de terre cuite, presque tous retrouvés dans les couches supérieures. Le sol du rez-de-chaussée était quant à lui formé d’une épaisseur d’argile à la surface très lisse et homogène qui ne semblait pas avoir jamais reçu d’autre revêtement. Un lit de terre foncée et compactée, riche en objets métalliques et en morceaux de bois calciné dont certains appartenaient à un petit coffre, le recouvrait par endroits.
La maison patricienne
Le sondage II fut implanté dans une maison voisine de la seule véritable place figurée sur le dessin de 1539. Cet espace, sur lequel s’ouvrait l’entrée principale de la cathédrale, située à l'extrémité du croisillon sud du transept, et qui était agrémenté de l’une des deux fontaines connues de la ville, semble avoir constitué le cœur de l'agglomération.
La place, avec sa fontaine, située au sud-ouest de la cathédrale (détail de la vue cavalière de 1539)
Toutes les sources s’accordent pour distinguer nettement la maison patricienne de la maison commune, et les deux termes employés par les textes, maison et masure (en latin domus et masura), tantôt accolés, tantôt seuls, pourraient dans certains cas traduire cette différence de qualité. On sait l’importance que revêtait pour leurs propriétaires la position des habitations à l’intérieur des murs de la ville, les bourgeois aisés manifestant une préférence pour les quartiers les plus anciens et les rues principales : ainsi de Thérouanne où les sources écrites permettent de situer leurs résidences le long de la Grand rue et où les découvertes matérielles indiquent que les deux maisons fouillées dans la « haute ville », non loin de la cathédrale, étaient nettement plus luxueuses que celles de la « basse ville » (sondages VI et VII) ; l’inégalité qui se traduit dans l’architecture, les dimensions et l'aménagement interne, a du reste aussi été observée dans la culture matérielle et l’alimentation. Sur la vue de 1539 en revanche, les demeures patriciennes apparaissent disséminées dans toute l'agglomération : une certaine discordance apparaît donc ici entre iconographie, textes et archéologie.
La maison II ne semble pas posséder de cave, au moins dans la zone explorée, mais on sait que, souvent, celle-ci n'occupe pas toute la superficie du bâtiment qui la recouvre. Le mur du rez-de-chaussée présente à la base, sur 60 cm de hauteur, des assises de silex destinées à empêcher la remontée de l’humidité dans la paroi. Au-dessus s’élève une maçonnerie dont les parements de moellons calcaires taillés de dimensions régulières, très semblables à ceux qui subsistaient autour du chœur de la cathédrale, ne sauraient appartenir à un simple solin. La composition des éboulis témoigne en outre de l’existence d’un étage construit à pans de bois : ce dispositif, également attesté sur le dessin de 1539, est caractéristique de l’urbanisme des XVe et XVIe siècles. La qualité de l'ensemble se démarque nettement des techniques mises en œuvre dans les maisons à un seul niveau de la « basse ville », où dominent la brique pour la base des murs et, pour l'élévation, le torchis, bien attesté dans les couches de destruction des sondages V et VI. La charpente, enfin, dont des éléments calcinés ont été retrouvés, supportait une couverture de tuiles, dont certaines étaient ornées de glaçure.
Exemples de construction à pans de bois (détail de la vue cavalière de 1539)
La maison II n’a été que très partiellement découverte, mais sa largeur (d'au moins 7 m) et l’épaisseur du mur (de plus d'un mètre) témoignent de dimensions conséquentes. Le rez-de-chaussée était probablement peu éclairé, par un petit nombre d'ouvertures situées en hauteur comme le suggère la vue cavalière de 1539 où seules quelques maisons en possèdent une rangée à ce niveau. Le sol, constitué d’une simple couche d’argile damée, paraît trop simple pour correspondre à une pièce d’habitation : sans doute l'espace était-il utilisé comme vestibule et comme cuisine, ce qu'indiquent d'ailleurs les traces d’occupation. Le premier étage devait abriter au moins une salle, pavée de carreaux colorés et glaçurés dont quelques uns portent un décor figuré incisé (femmes avec coiffe, homme guidant un cheval). Il était éclairé, comme le palais épiscopal, par des baies géminées à colonnettes, ouvertures également bien attestées sur la vue de 1539 où les fenêtres forment de véritables alignements aux étages, tandis qu'on en observe toujours une ou deux sur le pignon, juste sous les combles, qui doivent correspondre au grenier ; on remarque en outre quelques exemples de lucarnes.
L’importance du décor sculpté des demeures patriciennes croît avec le temps et constitue sur les façades un élément de prestige social. La porte de la maison explorée, qui était peut-être surmontée de la corniche moulurée découverte en fouilles, était large de plus d'un mètre et robuste, à en croire l’importance de ses ferrures dont l’élément central se terminait par une fleur de lys. Apparemment, le décor peint, comme à Nice (M.-C. Grasse et al., « Nice, fouilles d'une maison du XIVe siècle (Alpes-Maritimes) », Archéologie du Midi médiéval, 6, 1988, p. 153-160) ou à Montpellier (B. Sournia et J.-L. Vayssettes, Montpellier : la demeure médiévale, Paris, 1991), était réservé à l’étage : les parois de torchis étaient revêtues d’un lit de chaux orné d’un décor réalisé au pochoir, qui représentait en l’occurrence une fleur de lys et des motifs géométriques. Enfin l’abondance des objets de métal, et surtout des scories de fer, laisse supposer l’existence, aux alentours, d’une forge et peut-être même d’un bas-fourneau, qui auraient fonctionné juste avant que la ville ne soit détruite.
Fragment de torchis décoré d'une fleur de lys provenant du sondage II