Sondages III-IV
La parcelle qui entoure le choeur de la cathédrale à l'est du chemin de Saint-Jean, et constitue l'actuel « site archéologique », domine nettement les parties de la « Vieille ville » qui s'étendent plus à l'est et vers le sud : au pied de la pente assez raide qui marque la dénivellation, Honoré Bernard avait mis au jour un tronçon de mur qu'il interprétait comme un fragment de l'enceinte du castrum édifié dans l'Antiquité tardive (Bernard 1986b). Deux sondages ont été ouverts au cours de la campagne 1999 afin de recouper l'axe de ce mur que le plan publié en 1985 (Bernard 1985a) montrait grosso modo parallèle à la limite méridionale de la parcelle. Le sondage III en a révélé une partie : la présence à cet endroit d'une profonde tranchée de spoliation, qui avait fait disparaître le sommet de la maçonnerie, a permis d'en atteindre rapidement les fondations et d'étudier la superposition des structures voisines, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du castrum. À quelques mètres vers l'est, le sondage IV, par un heureux hasard stratigraphique, occupait l'emplacement d'une aire de travail du métal, installée hors les murs au IVe siècle de notre ère.
Implantation
L'emplacement exact du tronçon de mur découvert par H. Bernard restait imprécis, à cause d'une erreur d'échelle dans la publication de 1985. Il a cependant pu être replacé sur le plan GIS du site, dressé en 2004, en utilisant comme références topographiques la limite sud de la parcelle cadastrale correspondant aux vestiges de la cathédrale et le préfabriqué utilisé comme base archéologique dans les années 1970-1980. Une tranchée est / ouest, large de 4 m et longue de 13 m, a été implantée en contrebas du tertre, au pied de la base archéologique. La terre arable et une épaisse couche de matériaux compacts et presque stériles (US 301 et 401) y recouvraient la crête, presque horizontale, de deux structures parallèles orientées, comme le tronçon de rempart découvert par H. Bernard, du sud-ouest vers le nord-est (M 306 A et M 402). Espacées de 3,25 m environ, elles encadraient, au centre de l'aire explorée, un radier de silex et de pierres calcaires tassés (US 304/407), qui constituait la chaussée d'un chemin et était recouvert d'une fine couche de fréquentation composée de petites pierres noires tassées dans de la terre. Il a donc été décidé de fouiller deux carrés de 5 m de côté, respectivement situés à l'ouest (sondage III) et à l'est (sondage IV) de cet axe.
Données stratigraphiques
Sondage III
La couche stérile 301 s’épaississait au centre du sondage III, où elle avait achevé de combler une vaste fosse de spoliation qui traversait toute la surface explorée en oblique du sud-ouest vers le nord-est (F 315). Évasée dans sa partie supérieure, où elle était large de près de 3 m, cette cavité avait écrêté deux tronçons de maçonnerie parallèles, larges de 70 cm, qui se prolongeaient sous le mur 306 A, auquel ils étaient perpendiculaires (M 306 B6 au nord et M 306 B2 au sud). Elle se rétrécissait vers le bas (1 m), prenant la forme d’une tranchée aux flancs abrupts qui semblait correspondre à l'empreinte d'un mur récupéré dans son entier (M 306 B). Au sud-ouest, elle avait abîmé l'extrémité orientale de plusieurs autres murs, qui se superposaient, en se chevauchant plus ou moins, et devaient appartenir, pour les plus récents, à une maison (maison III) s'ouvrant à l'opposé sur le parvis de la cathédrale.
L’homogénéité du remplissage de la fosse, et sa pauvreté en mobilier, autorisaient une fouille rapide : la cavité fut donc vidée dans la moitié sud du sondage, pour en atteindre le fond dans le peu de temps imparti ; celui-ci était indiqué, à une profondeur de 2,40 m sous le sol actuel, par la présence d'une couche de mortier sableux jaune (US 312) qui recouvrait un lit de craie extrêmement dur (US 314). Dans sa partie inférieure, la paroi orientale de la tranchée était formée, sur 80 cm de hauteur, par une maçonnerie entaillée verticalement qui présentait des traces d'arrachement correspondant à de grands moellons équarris (M 306 C) : il s'agissait de fondations partiellement récupérées, qui reposaient sur le lit de craie et dont la largeur totale restait donc inconnue. Au-dessus ne subsistait plus qu'un enduit blanc qui était plaqué, sans y adhérer vraiment, contre les couches de terre s'étendant vers l'est (M 306 B7) et a été, pour cette raison, interprété comme l'empreinte d'une maçonnerie volée (M 306 B). Ce revêtement, comme les fondations, était découvert dans le sondage sur une longueur de 5 m environ et se prolongeait vers le nord-est, au-delà de l'aire explorée. Situé dans l'exacte continuité du rempart mis au jour par H. Bernard et dans la même position stratigraphique, présentant, de plus, la même technique de construction, l'ensemble maçonné 306 BC confirmait donc l'existence d'une enceinte qui courait à l'est, au pied du tertre occupé par l'actuel « site archéologique », et avait été largement spoliée. Le mortier jaune marquant le fond de la tranchée était resté en place après la récupération des pierres ; il recouvrait à l'ouest trois blocs de calcaire taillés abandonnés sur place par les pilleurs (M 330). Quant au lit de craie 314, qui portait par endroits un mince niveau de cendres et de charbon de bois, il correspondait soit à un sol d'occupation antérieur, soit plus probablement au socle du mur où subsistaient les traces d'une fréquentation liée au chantier de construction.
Le lit de craie 314 portant encore des plaques de mortier jaune 312 et, en haut, l'arrachement des fondations du mur 306 C, vus depuis l'ouest
La tranchée de spoliation, si elle avait supprimé tout contact entre le rempart et le reste du sondage, présentait l'avantage de fournir une stratigraphie complète des couches et des structures qui s'étaient appuyées à l'origine contre la face externe du mur. Un niveau formé de matériaux brûlés et tassés (US 323) séparait l'enduit en deux bandes horizontales de hauteur sensiblement égale, dont seule la partie inférieure couvrait la paroi sur toute sa longueur (M 306 B7) : recoupé par le tronçon de maçonnerie 306 B3, qui semblait posséder lui-même de hautes fondations, ce niveau était recouvert par son pendant M 306 B4, qui devait être un peu plus tardif et le sommet en était marqué par une ligne de mortier matérialisant probablement la base des structures en élévation. L'incendie, dont l'épaisseur de cendres, de charbon de bois et de terres cuites rubéfiées, atteignant plus de 25 cm par endroits, attestait la gravité, s'était donc produit peu de temps avant le chantier du rempart. Les murs perpendiculaires, montés en blocs de calcaire taillés semblables à ceux des fondations 306 C, appartenaient sans doute à un bâtiment qui venait s'appuyer au rempart, probablement une tour de flanquement ; ils encadraient un espace large d'un mètre, une porte peut-être, où se distinguait un sol recouvert d'une couche de fréquentation. Au nord de cette structure, et sur la même hauteur, la paroi de la tranchée était recouverte par la partie supérieure de l'enduit (M 306 B5).
En bas, les fondations 306 C et l'enduit 306 B, avec, à mi-hauteur, la couche d'incendie 323 ;
les murs parallèles 306 B1/B3/B6 (à gauche) et 306 B2/B4 (à droite) ;
en haut, le mur 306 A ; vus depuis le nord-ouest
Le chantier fut ensuite interrompu à trois reprises, et il est possible que les constructeurs aient dû parfois relever des murs qu'ils venaient à peine de monter. On remarque d'abord que le sommet de l'enduit 306 B5 est aligné avec un premier coup de sabre horizontal séparant M 306 B3 de B1 au nord, et M 306 B4 de B2 au sud. Les murs de la tour furent ensuite relevés, ou surhaussés, avec une technique très semblable à la précédente (M 306 B1 au nord et M 306 B2 au sud) ; le profil de la fosse de spoliation montre qu'il en fut de même pour le rempart, dont on ignore cependant tout dans cette phase. Le terrain fut remblayé entre les murs parallèles, de même qu'à l'extérieur, où le niveau surhaussé est matérialisé par une ligne de mortier correspondant sans doute au second chantier (US 324). Un éboulis se produisit ensuite, dont les traces sont cette fois circonscrites à l'intérieur de la tour, où il fut laissé en place ; une tranchée large de 60 cm fut creusée contre la paroi interne du mur nord, dont l'état nécessitait certainement des réparations. Une couche de matériaux brûlés vint cependant rapidement recouvrir le tout : elle correspond à un incendie à la suite duquel le mur 306 B1, dont la crête avait été nivelée, fut encore restauré, mais cette fois avec une technique beaucoup plus rudimentaire (M 306 B6) ; un mince lit de mortier blanc fut alors mis en place à l'intérieur comme à l'extérieur du bâtiment vers le nord. Enfin un dernier incendie semble marquer l’abandon définitif de cette structure de flanquement, dont un éboulis recouvrit le sommet.
Coiffant l'ensemble, un nouveau mur (306 A), large d'environ 50 cm, qui conservait le même axe que les précédents, bien que situé un peu en retrait vers l’est, présentait cependant une maçonnerie très différente, puisqu’elle mettait en œuvre des moellons à peine dégrossis, associés, sans ordre précis, à des éléments de taille plus réduite. Cette structure, qui semblait installée dans une cavité dont le niveau de départ avait disparu, était bordée à l'extérieur par une couche composée de pierres calcaire et de mortier pris dans une argile verte contenant une grande quantité d’objets métalliques. Une phase de construction, intermédiaire entre la disparition de la tour et le mur 306 A, et qui n'a pu être entièrement dégagée, était représentée au-dessus : il s'agissait d'un sol horizontal de mortier de chaux, recouvert par une deuxième couche de terre de couleur brun-vert, elle-même liée à un angle de mur qui émergeait à peine hors de la section sud du sondage (M 328). L'ensemble se trouvait au niveau de la rue 304/407, qui suivait la même direction et se prolongeait dans le sondage IV.
L’exploration s’est arrêtée au fond de la tranchée de fondation ; on a alors repris la fouille des matériaux de démolition qui remplissaient la partie occidentale du sondage et avaient été recoupés eux aussi par la fosse 315. Une couche de mortier jaune contenant des moellons calcaires, des briques et des tuiles fragmentaires ainsi que des carreaux de pavement, recouvrait, dans l'angle sud-ouest de la surface explorée, un blocage de silex et de pierres pris dans un mortier jaune friable, qui semblait constituer la fourrure d'un mur au parement détruit (M 329). Ce massif était bordé à la base par une étroite maçonnerie irrégulière, conservée sur 20 centimètres de hauteur, qui était formée de petits éléments de silex et de calcaire avec quelques morceaux de briques, et se caractérisait par un liant auquel une chaux abondante conférait sa teinte claire (M 307). Cette maçonnerie ne subsistait pour le reste que sous la forme d'un éboulis, plus dense et surtout plus homogène que le précédent, qui recouvrait lui-même, à l'ouest, un amas de terre meuble mêlée de mortier et de nombreux éclats de calcaire.
Du haut vers le bas, la fourrure du mur médiéval 329, la base du mur 307, la reprise en galets 335,
les murs romains 345 et 355 et les blocs 330, vus depuis le nord-est
La maçonnerie 307 était appuyée sur une structure en saillie d'une quinzaine de centimètres, partiellement recouverte au sommet par le mortier clair ; cette dernière était elle-même formée de trois segments de murs superposés. Le plus récent, entièrement constitué de rognons de silex liés d'un mortier très dur de couleur jaune foncé, était conservé sur 20 à 30 cm de hauteur seulement (M 335) ; il recouvrait un mur de facture très différente, monté en moellons calcaires équarris de moyenne dimension, associés à quelques éléments de plus grande taille (M 345). Au-dessous se trouvait une structure plus ancienne, caractérisée par un appareil régulier de petit module (M 355), semblable à celui des murs découverts à peu de distance vers l'est par Honoré Bernard et Roland Delmaire, qui les dataient de l’époque flavienne (Bernard 1980b ; Delmaire 1994). Les murs 345 et 355 étaient revêtus par endroits de plaques de mortier gris clair à grains grossiers, et l'on distinguait, au sud-ouest, l'amorce d'un retour en équerre vers le nord-est, parallèle donc au mur 306 C. Cette disposition suggérait que le bâtiment correspondant n'avait sans doute pas été appuyé au rempart, mais partiellement détruit lors de la construction de celui-ci. Un gros remblai de terre brune et de briques, souvent entières, contenant un mobilier abondant était appuyé aux trois maçonneries superposées et pouvait être interprété comme un dépotoir installé dans une pièce abandonnée (une cave ?), qui se serait ensuite mélangé à l'éboulis de la maison.
Sondage IV
Le sondage IV, bien qu'ouvert à 3 m seulement du sondage III vers l’est, présentait une stratigraphie notablement différente. Sous une épaisseur de terre meuble, riche en fragments de terre cuite et en inclusions lithiques, apparut, à une trentaine de centimètres de profondeur, l’arase parfaitement nivelée d’une maçonnerie homogène qui se caractérisait par un petit appareil de moellons équarris ou simplement dégrossis, liés d'un mortier orangé et disposés, sur la hauteur découverte, en deux assises horizontales régulières (M 402). Il s’agissait de l'angle nord d’un bâtiment orienté selon le même axe sud-ouest / nord-est que les précédents et dont la technique de construction évoquait celle du mur 355. Au pied de la maçonnerie vers l'ouest se trouvait un élargissement de la chaussée, réalisé après l'aménagement de cette dernière avec des matériaux semblables, incluant cependant des éclats de terre cuite et présentant, encastrés à la surface, des os, des scories de métal et une fibule (US 409).
Le mur 402 vu depuis l’est
Dans tout le reste, ou presque, du sondage, un niveau de sable jaune pâle (US 404) recouvrait directement une épaisseur de terre noire charbonneuse et cendreuse (US 403), caractérisée par son extrême richesse en mobilier osseux et surtout métallique (seize monnaies, datées du IVe siècle pour la plupart, ainsi que des scories et des petits éléments de cuivre, du plomb et de nombreux clous) et par la présence de quelques fragments de verre, dont l'un de couleur bleutée était orné d'un décor en relief et un autre peint. Un petit vase bilobé, presque entier, était aisément datable lui aussi du IVe siècle, comme la sigillée d'Argonne décorée à la molette, la céramique à surface sablée ou lissée, et le reste de la production à pâte grise ou noire qui leur était associée. Cette couche de terre brûlée achevait de remplir, dans l'angle nord-est de l'aire fouillée, une large cavité de forme arrondie qui se poursuivait au-delà des limites du sondage et dont le pourtour semblait avoir été aménagé et renforcé au moyen de gros fragments de briques et de tuiles liés de terre argileuse (US 424) ; au fond se trouvait une strate semblable, mais plus pauvre en matériel (US 417-426).
Au sud, deux couches similaires, tout aussi riches en scories, se distinguaient cependant par la densité des inclusions de terre cuite et de craie et, surtout aux abords du mur 402, par l'abondance des fragments osseux animaux, souvent de grande taille, à l'instar des ossements de bœuf retrouvés dans la couche du IVe siècle sous la cathédrale (Delmaire 1976). Ces strates recouvraient des matériaux de même type, noircis par le charbon de bois et les traces de feu, et qui renfermaient eux aussi des parties de squelettes animaux, avec une corne de cerf.
Sous l’US 403 est apparue une installation artisanale dédiée au travail du métal : il s'agissait d'un niveau composé d'une terre noire analogue, mais plus argileuse et tassée par une fréquentation intense (US 408). Sa surface, uniforme, renforcée par endroits à l'aide de pierres plates, était marbrée de nuances vertes en raison d'innombrables inclusions de cuivre, et portait en outre çà et là des concentrations de charbon de bois. Au milieu s’était conservé un lambeau de pavement constitué de fragments de briques ou de briques entières, juxtaposés de manière plus ou moins ordonnée (US 415) ; d’autres plaques semblables étaient visibles tout autour, notamment au nord-ouest et au sud, où le mur 402 était flanqué d'un lit de petites pierres. Ce niveau composite était fonctionnellement lié à un ensemble de quatre cavités, larges de 20 cm ou un peu plus, qui étaient délimitées par de grosses pierres et des briques placées de champ ; celles-ci correspondaient pour certaines à des trous de poteau, et, pour la plus importante d’entre elles, à un petit bas-fourneau.
L'US 408 et les vestiges de pavement 415 ; en haut à droite, le mur 402 et de gros fragments de squelettes animaux ; vue d’ensemble depuis le nord
La chaussée 407 recouvrait un niveau identique à l'US 408, mais plus homogène et compacté (US 421-422) : elle avait donc été aménagée après l'installation artisanale, qui avait ensuite continué à fonctionner. En épaisseur, le niveau 408 contenait des ossements animaux, dont l'analyse a montré que le gibier constituait, comme dans les autres couches, une large part.
Le rempart du Bas-Empire
L’analyse des sondages III et IV s’est avérée indissociable. La découverte, immédiatement sous la terre arable, de niveaux des IVe-Ve siècles a évidemment suscité une grande perplexité. La première hypothèse a été celle de matériaux déplacés, les déblais par exemple de la fosse de spoliation 315 ou d’une autre cavité similaire qui aurait été ouverte dans le voisinage immédiat. Cette possibilité fut assez vite écartée, l’ensemble stratigraphique 403-408 constituant de toute évidence une couche en place, qui était liée au mur 402 et au chemin 407 et qu'aucun mobilier plus récent n'était venu contaminer. Deux autres phénomènes remarquables étaient la cohésion des niveaux liés à cette phase chronologique, qui se traduisait notamment par des collages entre les différentes unités stratigraphiques, et les dimensions importantes tout comme le bon état de conservation de tous les fragments de céramique et d'os qui y avaient été retrouvés. Il fallait donc se résoudre à voir dans le sondage IV un espace organisé au IVe siècle en rapport avec une activité métallurgique ; l'ensemble avait été découvert, et sans doute endommagé, au XXe siècle par des travaux de terrassements, peut-être liés à la construction de la base archéologique, pour laquelle avait dû être aménagée une plate-forme horizontale garantissant une certaine stabilité. Les opérations de nivèlement, dont les traces ont été aussi observées dans le sondage III, avaient fait appel à de puissants engins mécaniques, seuls capables d'expliquer l'horizontalité des maçonneries qui avaient été ainsi arasées. Le chemin de l'Antiquité tardive et sa couche de fréquentation étaient d'ailleurs recouverts par un mince lit de sable conservé en plaques discontinues (US 404), qui était sans doute contemporain de la destruction du mur 402. À en croire la fouille des années 1980, les couches qui avaient pu recouvrir ce secteur entre l'Antiquité tardive et le XXe siècle, pouvaient atteindre 2 m de hauteur par endroits : on peut supposer que la pente naturelle du site de la « Vieille ville » avait déjà entraîné au cours du temps le glissement de nombreux matériaux vers l'est et le sud, contribuant ainsi à mettre à découvert les vestiges du IVe siècle.
Les sondages de 1999 ont permis de confirmer, préciser ou corriger les données archéologiques recueillies antérieurement. Les sections publiées par H. Bernard affichent des invraisemblances et des manques (Bernard 1980b, 1985a et 1986b) : seules les phases antiques y sont précisément figurées et datées, grâce au modèle fourni par R. Delmaire d'après les fouilles qu'il avait lui-même dirigées sous le chœur de la cathédrale (Delmaire 1994). Deux d'entre elles peuvent cependant être utilisées, celle du « puits 44 », au nord-ouest de la base (que nous appellerons ouest) et celle des secteurs 803-812, ouverts à l'est dans la pente (que nous appellerons est). Quelques données semblent acquises : le côté oriental du rempart a été édifié sur une aire occupée par des bâtiments d'époque flavienne, que caractérise un petit appareil régulier et dont certains avaient été reconstruits suite à un incendie survenu au tournant des Ier et IIe siècles (M 21 dans la section ouest, M 355 dans le sondage III) ; la nouvelle technique de maçonnerie est plus irrégulière, incluant des éléments de dimensions variées.
La ville est de nouveau ravagée par le feu après les années 163-165, lors d'une invasion qui anéantit également la ville de Bavay : les toits de tuiles et les murs s'écroulent, un certain nombre d'habitants sont tués et, cette fois, quelques structures sont abandonnées (M 21 et M 345). Un épais remblai vient ensuite recouvrir les ruines dans la section ouest. Cette catastrophe semble avoir justifié, dans cette région proche du limes, la décision de fortifier tôt une partie réduite de l'agglomération. La tranchée qu'H. Bernard considère comme liée à l'édification du rempart n'est en effet qu'une fosse de spoliation ouverte depuis un niveau stratigraphique correspondant à la première moitié du XVIe siècle, et son profil est en tout point semblable à celui de la tranchée 315. Le départ d'une cavité plus ancienne, liée elle aussi à la fortification, est en revanche bien visible sur la section est : elle part du niveau de destruction de la fin du IIe siècle, semble avoir été remplie par des matériaux de la même époque ou antérieurs, et recoupée plus tard par la tranchée de spoliation. La construction de cette partie de l'enceinte pourrait donc avoir été entreprise dans la première moitié du IIIe siècle, ce qui expliquerait l'importance des matériaux qui se sont accumulés à la base de la maçonnerie jusqu'au début du siècle suivant, atteigant 1,50 m d'après le sondage IV, chiffre qui correspond aux dépôts figurant sur les sections d'H. Bernard. Plusieurs villes de Gaule commencent d'ailleurs à se fortifier dès cette époque : Tours (Galinié 2007) et surtout Bavay.
Les fondations, qui reposent sans doute sur un rudus, épaisseur de craie concassée installée dans une tranchée et durcie avec de l'eau (Bernard 1986b), étaient encastrées, sur 1 m de hauteur, dans les couches archéologiques antérieures à la fin du IIe siècle, puis dans la craie en place ; hautes de 1,30 m à plus de 2 m selon les endroits, elles étaient constituées de grands blocs récupérés sur des monuments déjà abandonnés, associés à d'autres éléments de remploi. L'élévation, large de 1,40 m, était revêtue, sur la paroi externe, d'un enduit de protection très résistant, resté seul en place dans le sondage III après la récupération de la maçonnerie elle-même, mais qui a disparu sur le tronçon des années 1980, avec l'arrachement de la moitié orientale du mur. Il s'agit d'une construction soignée, bien que modeste si on la compare aux castra de Paris et de Tours : les fondations y sont semblables, mais mesurent respectivement 10 et 4,50 m de large (Construire à Lutèce 2007 ; Galinié 2007). Le rempart est pourvu dès l'origine d'un dispositif incluant le mur perpendiculaire 306 B3, peut-être une entrée en chicane, qui est tôt remplacée par une tour de flanquement semi-circulaire, seule forme pouvant s'ouvrir de plain-pied sur l'intérieur de l'enceinte par une porte aussi étroite : c'est aussi la forme adoptée à Tours et à Bavay (Galinié 2007 ; Collart et al. 2004 ; Hanoune 2007). Certaines structures sont déjà enterrées lorsque s'ouvre le chantier de la fortification, mais il est possible que les silex 335 aient servi à niveler le mur détruit 345/355, pour y asseoir une nouvelle élévation ; le mur 307 se trouve en effet à la hauteur du mur sud de la tour, et pourrait donc appartenir à un bâtiment appuyé à la face interne de l'enceinte. C'est aussi avec des silex qu'est consolidée au IIIe siècle la domus située sous le chœur de la cathédrale, où apparaissent au même moment des maçonneries réalisées en pierres de petite taille alternant avec des briques, selon une technique caractéristique de l'Antiquité tardive (Delmaire 1976).
L'enduit du mur 306 B et la section des parois de la tour montrent clairement l'existence, dans les maçonneries, de trois reprises qui se succèdent assez rapidement. Les fouilles précédentes avaient elles-mêmes révélé les traces de deux épisodes de destruction entre la fin du IIe siècle et le IVe siècle. On ne sait si le nouveau système défensif fonctionne un temps avant d'être arasé presque au niveau du sol, ou si les travaux ne peuvent être menés à bien en une seule phase, qui correspond à l'enduit 306 B5 et à la base des murs de la tour. Il faudra plus tard, de la même façon, plus d'un demi-siècle pour que soit achevée l'enceinte médiévale de la ville, dont l'édification avait commencé vers 1340, car le chantier fut interrompu à plusieurs reprises au cours de la guerre de Cent ans. Or Thérouanne, comme toutes les villes du nord-ouest de la Gaule, connaît de graves difficultés après l'incendie qui a suivi les années 160 : l'aire de la cathédrale n'est réoccupée que vers le milieu du IIIe siècle, et pour peu de temps. Du reste, il est possible que l'argent ou la main d'œuvre soit venu à manquer sur le chantier. Les travaux se poursuivent ensuite, bon an mal an, avec une technique très semblable à la précédente, et le sol de la tour est refait, mais la paroi nord s'écroule, peut-être à cause d'une simple malfaçon.
La ville est encore victime de plusieurs incendies : celui des années 260 est, selon R. Delmaire, particulièrement grave à Thérouanne, où il laisse sur le terrain une grosse épaisseur (50 cm environ) de terre rubéfiée ou noircie, de bois carbonisé, de cendres et de débris de toutes sortes ; sous la cathédrale, l'aile nord de la domus est alors détruite et abandonnée (Delmaire 1994). Des deux couches brûlées qui apparaissent sur la section ouest entre le IIe et le IVe siècle, la première pourrait correspondre à cet épisode, et la seconde plutôt au raid franco-alaman qui ravage Boulogne, Amiens et Bavay dans les années 275-276. En effet, H. Bernard n'interprète sa fouille que sur la foi des ressemblance formelles qu'il observe avec les données de R. Delmaire : à ce point, et même s'il est très risqué de tenter une datation précise des unités stratigraphiques hors de toute référence au mobilier archéologique, l'ordre de superposition des couches est donc un repère tout aussi fiable pour l'établissement d'une chronologie relative. Dans la section est, on distingue d'autre part l'existence de deux tranchées intermédiaires entre la fondation et la spoliation, qui partent toutes deux des niveaux du IIIe-IVe siècles et ne peuvent indiquer que des travaux de surhaussement ou de réfection du rempart. Dans le sondage III enfin, deux couches brûlées datables du IIIe siècle, apparaissent aussi à l'intérieur de la tour. La première est suivie d'un début de reconstruction (M 306 B6) qui met en œuvre une technique beaucoup plus rudimentaire ; un mince lit de mortier, qui repose au nord sur un remblai, est partout mis en place. Mais cette tentative échoue à cause d'un nouvel incendie, suivi d'un éboulis qui recouvre, définitivement cette fois, les vestiges de la tour.
La renaissance du IVe siècle est bien perceptible à Thérouanne, où elle s'accompagne d'une véritable campagne édilitaire qui est attestée en plusieurs points du site, sous la cathédrale notamment (Delmaire 1994). Le mur 306 A remonte sans doute à cette époque, puisque sa construction s'insère entre des couches riches en débris métalliques de toutes sortes et très semblables à celles qui sont associées à l'activité artisanale dans le sondage IV. Si sa largeur atteignait 1,20 m avant que la tranchée du XVIe siècle ne le recoupe, ce mur pourrait représenter un redoublement du rempart, venu se substituer à la tour de flanquement. L'enceinte de Bavay, édifiée dans le dernier quart du IIIe siècle à la faveur de la paix revenue, fut ainsi renforcée par un second mur sous Constantin. H. Bernard mit d'autre part au jour, à 1,20 m sous le sol actuel, une semelle maçonnée qu'il interpréta, sur la foi de ce modèle, comme une adjonction externe à la fortification (SE 1) ; mais il prêtait, apparemment sans aucune preuve, à cette structure, afin qu'elle puisse côtoyer le rempart, une largeur supérieure à 2 m, soit plus du double de ce qui apparaît dans la section est ; il l'imaginait d'autre part elle-même doublée d'un autre mur de dimensions équivalentes (SE 2). L'enceinte du castrum de Thérouanne, au terme de ces diverses campagnes, aurait alors atteint l'épaisseur de 7 m, soit 2 m de plus que celle de Bavay, ce qui paraît peu probable. Peut-être la semelle maçonnée SE 1 est-elle la base d'une sorte d'avant-mur, qui se trouverait dans la prolongement du mur 606 A ? A moins qu'il ne s'agisse, comme le suggère H. Bernard, de la « rue Nostre-Dame », qui ceinturait effectivement le rempart (Bernard 1985a). On assiste en tout cas, au IVe siècle, à un important remaniement du système défensif du castrum.
La couche d'occupation, partout riche en monnaies, céramiques, petits objets de fer, bronze, cuivre et même plomb, atteste, comme les vestiges d'alimentation carnée retrouvés dans le sondage IV, le bien-être économique d'une partie au moins de la population urbaine. C'est à cette époque qu'apparaissent les premières attestations de verre à vitre coulé et que sont importés des verres ornés de décor en relief, ce qui est relativement commun, et des verres ornés de peinture. La ville montre un certain dynamisme économique puisqu'on y travaille le bronze et peut-être le cuivre, artisanat qui prévoyait probablement la refonte de monnaies. Celles-ci, retrouvées avec de petits vases jusqu'ici connus dans la région comme appartenant au mobilier funéraire de l'Antiquité tardive, avaient peut-être été récupérées dans des tombes, dont on ignore la localisation. Cette aire industrielle utilisant des feux était, comme de coutume, située immédiatement à l’extérieur de l’enceinte, à cause des dangers d’incendie : elle bénéficiait de la présence d'un chemin longeant la base du rempart, qui fut aménagé alors qu'elle fonctionnait déjà pour la desservir, et occupait peut-être la cour d'un bâtiment plus ancien. Un petit bas-fourneau y fonctionnait, protégé par une structure légère (couverture soutenue par des poteaux) ; le sol y était consolidé à certains endroits par un pavement de briques et de pierres assez grossier. Au nord-est, une vaste fosse remplie de terre charbonneuse et cendreuse peut correspondre à un dépôt où se seraient peu à peu accumulés les matériaux brûlés provenant de nettoyages périodiques du bas-fourneau. Enfin le secteur a aussi été utilisé comme dépotoir, celui d'un faubourg lié à l'artisanat ou celui du castrum lui-même. La quantité et la taille des fragments osseux indiquent à tout le moins une alimentation largement carnée, avec toutefois aussi de nombreux squelettes de poissons ; on ne peut exclure, en raison de l'abondance des parties plates du squelette animal retrouvées (appartenant notamment à des chevaux) l'hypothèse d'un travail de l'os. Au total, cet ensemble artisanal porte les marques d'un fonctionnement intensif, phénomène qui contribue encore à consolider l'image d'une économie florissante au IVe siècle, comme tant de fouilles récentes l'ont démontré, en Gaule comme en Italie.
Cette période de prospérité subit un coup d'arrêt après 388, lorsque Thérouanne est la proie d'un incendie dévastateur, mentionné par une lettre de saint Jérôme à propos du passage des barbares dans la région en 406 (Delmaire 1976). À l'emplacement de la future cathédrale, le bâti est recouvert par une épaisseur de « terres noires », caractéristiques de l'occupation des villes au cours du haut Moyen Âge. Ces couches postérieures au IVe siècle, qui avaient disparu du sondage IV, étaient conservées au nord-est, mais elles n'ont pas été étudiées par H. Bernard. Dès cette époque apparaissent il est vrai au cœur de la ville, à côté des maçonneries de pierre, des structures en matériaux périssables, plus difficiles à identifier. Il s'agit de maisons sur poteaux plantés, avec simples solins et parois de terre crue qui, malgré l'utilisation de silex pour le calage, sont moins bien ancrées dans des sols qui sont par ailleurs souvent constitués eux-mêmes d'argile (Delmaire 1976). Le chiffre de la population urbaine s'abaisse alors probablement ; il semble d'ailleurs que l'incendie de 406 ait fait de nombreuses victimes. Mais la fonction défensive du castrum se maintient : Thérouanne est en effet appelée oppidum dans trois hagiographies mérovingiennes (Delmaire 1976) ; et le fait que Mérovée, avant d'être assassiné, ait été enfermé, selon Grégoire de Tours, hors de la ville ne signifie pas nécessairement que cette dernière n'était pas fortifiée : il faut plutôt y voir un exemple de la ruralisation des lieux de pouvoir aux Ve-VIe siècles (Krusch et Levison 1937).
La fuite de l'évêque, qui se réfugie à Boulogne dans la seconde moitié du IXe siècle sous le coup des invasions normandes, laisse en revanche supposer que les défenses du castrum ont désormais perdu toute efficacité ; la cathédrale carolingienne tombe d'ailleurs plus ou moins en ruines (Héliot 1951-1953). Cette situation se prolonge jusqu'au tournant des Xe-XIe siècles, quand l'évêque Baudouin (995-1030) regagne sa ville (Héliot 1951-1953 ; Bernard 1980b), mais si la rénovation de l'église est rapidement entreprise, l'enceinte ne semble pas avoir été réparée. Thérouanne n'est en effet qualifiée, au début du XIIe siècle que de parocchia ou civitas, termes qui désignent plutôt un établissement ouvert. Un acte de 1122 interdit d'autre part rigoureusement d'élever un castellum à Thérouanne, « dans les limites de la ville », précise le texte, et non « dans l'enceinte » de cette dernière (Bled 1902-1907, n° 472).
Les fouilles des années 1980 ont montré que les couches archéologiques qui se sont accumulées jusqu'au sol actuel depuis le IVe siècle sont beaucoup plus hautes vers la cathédrale qu'au sud-est du site archéologique (1 m de différence) : le rempart a donc servi, jusqu'au milieu du XVIe siècle, de soutènement aux matériaux qui ont formé au cours du temps, le terre-plein encore visible de nos jours ; la cathédrale et le grand édifice à tourelles qui la flanque au nord-ouest dominent d'ailleurs nettement le reste de l'agglomération sur la gravure d'Anthoniszoon. Comme on l'observe parfois dans les villes médiévales situées sur une hauteur, l'enceinte de Thérouanne, une fois démantelée, doit servir de rambarde à une terrasse, et les terres ne commencent à glisser au-delà vers l'est que lorsque les derniers vestiges de la fortification disparaissent à leur tour avec l'abandon de la ville.
Une cave, dont le sol atteint en profondeur le niveau du Ier siècle, est encore appuyée à la base de l'enceinte en plein Moyen Âge : sa maçonnerie, qui associe une fourrure de silex à des parements de briques ou de moellons calcaires taillés, l'apparente étroitement à la maison II. Le dépotoir qu'elle abrite s'est formé au XIVe siècle : il contenait en effet deux verres à tige pleine, presque entiers, dont la morphologie, caractérisée par une coupe en forme de tulipe ornée de côtes en relief, renvoie à un modèle caractéristique de cette époque.
Le rempart reste donc visible au sud-est jusqu'à la destruction de la ville puisque de vastes tranchées sont alors creusées en plusieurs points de son tracé pour en récupérer les précieux blocs de calcaire, et sa présence marque durablement le paysage urbain médiéval, qu'il s'agisse de l'axe des structures voisines ou du réseau de rues. Ainsi la rue Notre-Dame en suit le tracé méridional : elle entoure la couronne de maisons qui bordent le parvis de la cathédrale, en face du grand portail situé à l'extrémité du croisillon sud du transept, puis le vicus qui longe le chœur, avant de rejoindre au nord l'enclos canonial. Certaines maisons possèdent à l'arrière un jardin qui doit occuper la terrasse portée par le vieux rempart. Celui-ci n'est cependant pas cité comme élément de référence topographique dans les listes de cens du bas Moyen Âge et ne figure pas non plus en tant que tel sur la vue cavalière de 1539 ou sur le plan de 1560 : la mémoire de sa fonction première s'est donc perdue.
L'accès au terre-plein de la cathédrale depuis la ville basse se fait sans doute au débouché de la « Grand rue », là où celle-ci croise, sur le plan de 1560, l'axe transversal formé par la « rue Nostre-Dame » et la « rue de Saint-Omer ». C'est le passage que devait emprunter le cortège des « joyeuses entrées épiscopales », qui arrivait de l'est par la « rue de Saint-Omer » et devait ensuite contourner le chœur du sanctuaire pour rejoindre celui-ci par l'enclos canonial.