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LASSUS Jean-Baptiste

1807-1857.

Jean-Baptiste Lassus interrompit ses études à l'école des Beaux-Arts commencées en 1828 pour entrer chez Labrouste. Il fut parmi les premiers de sa génération à s'opposer à l'emprise de l'Académie et au contenu de l'enseignement de l'architecture fondé sur la tradition gréco-romaine. Après s'être fait connaître par l'exposition de quelques projets au salon : Palais des Tuileries de Philibert de l'Orme, 1833, Projet de restauration de la Sainte-Chapelle, 1835, Réfectoire de Saint-Martin des Champs, 1836, il se consacra à une carrière d'archéologue-restaurateur. Il se situe aux origines du mouvement néo-gothique dont il constitue le courant archéologique et chrétien.

Diamétralement opposé à Quatremère de Quincy, il développa une réflexion théorique qui était axée autour des principes suivants :

- le premier âge gothique a produit une architecture rationnelle et fonctionnelle qui constitue l'apogée de l'architecture nationale. Le gothique ultérieur a dégénéré et la Renaissance a introduit des influences étrangères et païennes.

- la restauration des édifices gothiques doit respecter l'authenticité formelle et structurelle des oeuvres.

- le XIXe siècle doit mettre en application des préceptes du premier âge gothique pour découvrir les voies d'une architecture nouvelle.

En 1836, Lassus est désigné collaborateur de Duban sur le chantier de restauration de la Sainte-Chapelle ; jusqu'à sa mort, il se consacra plus particulièrement à la réédification de la flèche, la décoration intérieure et l'isolement de l'édifice. En 1843, il est chargé avec Viollet-le-Duc de la restauration de Notre-Dame de Paris qui constitue le point de départ d'un changement radical dans les méthodes de restauration. À partir de 1848, il fut chargé de la restauration de la cathédrale de Chartres, dont il établit la monographie avec Amaury-Duval, du Mans et de Moulins dont il entreprit la construction de la nef, oeuvre achevée par Millet. Il travailla également à Saint-Germain l'Auxerrois et à Saint-Séverin à Paris, à Saint-Géraud d'Aurillac dont il projeta la flèche, à Notre-Dame en Vaux de Châlons-sur-Marne dont il construisit les deux flèches et à Saint-Aignan (Loir-et-Cher).

Dans l'histoire de la déontologie de la restauration, Lassus occupa une place éminente. Il se distingue de ses prédécesseurs Alavoine, Debret et Godde par son refus des techniques nouvelles (fonte, mortiers de ragréage, etc.) inadaptés, selon lui, aux bâtiments anciens et par sa volonté de restituer scrupuleusement un parti archéologiquement fondé. À cet égard, il faisait cause commune avec Viollet-le-Duc, mais ce dernier développa par la suite des a priori qui se montrent fort éloignés, à l'exécution (Bayeux, Amiens par exemple), des conceptions pragmatiques, scrupuleuses, érudites et volontairement moins ambitieuses de son aîné.

L'activité créatrice de Lassus est presque entièrement tournée vers l'architecture religieuse avec cinq constructions d'église : Saint-Nicolas de Nantes 1840, Sacré-Coeur de Moulins 1849, Saint-Pierre de Dijon 1850, Saint-Jean-Baptiste de Belleville 1853, l'église de Cusset 1855, deux projets non réalisés (Sainte-Eugénie à Paris et Notre-Dame de la Treille à Lille, concours de 1855), les agrandissements de bâtiments de l'époque classique au séminaire de Chartres et du Mans, des couvents dont celui de la Visitation, rue Denfert-Rochereau à Paris et celui, détruit, des dames de Saint-Maur à Montluçon.

Les constructions civiles sont peu nombreuses : hôtel du prince Soltikoff (détruit à Paris), hôtel de Prosper Tourneux à Maisons-Laffitte, un immeuble de rapport, rue Taitbout à Paris, des travaux dans divers châteaux.

Les oeuvres architecturales de Lassus font montre d'une double orientation. Lassus se montre capable de construire dans les styles à la mode : immeuble Louis-Philippe, rue Taitbout, hôtel néo-Louis XIII à Maisons-Laffitte, inspiration passablement troubadour pour l'hôtel Soltikoff ; il sait aussi se limiter à des architectures d'accompagnement lorsqu'il s'agit d'agrandir les séminaires de Chartres et du Mans. Mais à ces concessions faites au commanditaire ou à l'espace architectural environnant, s'oppose le véritable dessein de Lassus qui est de re-concevoir le style idéal des années 1150--1250 de l'Île-de-France : tel est le but de ses grands projets pour Nantes, Belleville, Moulins et Lille. Au terme de cette recherche, Lassus a conçu des formes, proches sans doute de ses modèles médiévaux, mais transposées dans une optique finalement assez peu éloignée du néo-classicisme : goût de la symétrie, horreur du pittoresque, subordination du détail à la logique du parti architectural.

À ces productions s'ajoutent de nombreuses expériences dans le domaine des arts décoratifs, peintures murales, orfèvrerie, ornements liturgiques, buffets d'orgue, art du livre (Imitation de Jésus-Christ, 1855), etc.

Lassus conçut ces expériences de la manière dont Didron, dans les Annales archéologiques, voulait faire de l'archéologie pratique ; en proposant des modèles, il faisait oeuvre de militant. Tantôt, il s'adonnait à l'archéologie expérimentale ; c'est ainsi qu'il fit peindre temporairement la nef de Notre-Dame pour mettre en application des recherches sur la polychromie architecturale du Moyen-Âge ; tantôt, il faisait reproduire, selon les méthodes semi-industrielles, des objets médiévaux, tel le reliquaire d'Arras pour répondre aux besoins des fabriques et du clergé.

De cette oeuvre, extrêmement diversifiée, il ressort que Lassus ne peut pas être considéré comme un simple épigone de Viollet-le-Duc : il constitue un maillon indispensable à la compréhension de l'évolution de l'architecture dans la première moitié du XIXe siècle. Il a été formé aux conceptions rationalistes de l'école des Beaux-Arts, adopte les principes fonctionnalistes de Labrouste et substitue à l'historicisme gréco-romain l'historicisme médiéval dans le but de fonder un nouveau style. Mais il ajoute une réflexion religieuse et sociale dans la lignée de Lamennais qui colore d'une certaine poésie, notamment dans les espaces intérieurs, le rationalisme « néo-classique » de son néo-gothique.

Voir aussi : ALAVOINE Jean-Antoine ; GODDE Étienne, Hippolyte ; LABROUSTE Henri ; MILLET Eugène ; VIOLLET-LE-DUC Eugène, Emmanuel.

Autres architectes concernés : AIGUESPARSE Étienne ; BALTARD Victor ; BOESWILLWALD Émile ; BUQUET Achille ; DARCY Denis ; ESMONNOT Louis, Gabriel ; FERRAND Léon, Louis ; LANCE Adolphe, Étienne ; LISCH Jean, Juste, Gustave ; MOREAU Jean-Bélisaire ; MOUTONNET ; TRUCHY, Casimir.