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[p. 25] Typologie diplomatique des actes royaux français (XIIIe-XVe siècles)

Actes de la chancellerie royale et actes commandés par le roi hors chancellerie

Avant de dresser une typologie générale des actes royaux français, il convient de procéder à un très bref rappel de l’historique de la chancellerie elle-même, dont l’évolution conditionne évidemment les caractères des actes par elle expédiés. Il sera, d’autre part, tenu compte ici, non seulement des actes expédiés par la chancellerie ou scellés par le sceau tenu par le chancelier ou le garde des sceaux, mais aussi des actes, de plus en plus nombreux et diversifiés commandés directement par le roi (ou éventuellement par son entourage) en dehors de la procédure de la chancellerie et scellés par des petits sceaux à la disposition personnelle du roi. On laissera de côté, en revanche, les actes de caractère administratif, financier ou judiciaire, expédiés sous leurs sceaux propres par les diverses institutions centrales (Conseil du roi, Parlement, Chambre des comptes, Trésor royal, Cour des monnaies, Requêtes du Palais etc.) ou par des officiers royaux (trésoriers des guerres, connétable, etc.).

[p. 26] La chancellerie royale

La chancellerie royale française, sous la dynastie des Capétiens directs (987-1328) comme sous celle des Valois qui leur ont succédé (1328-1498), est issue directement de la chancellerie carolingienne. Mais celle-ci s’était dégradée progressivement dès la fin du IXe siècle ou le début du Xe siècle à mesure que se restreignait l’autorité royale et qu’avec l’amoindrissement des services du Palais, on recourait de plus en plus aux destinataires eux-mêmes pour la préparation de leurs actes : le chancelier se contentait dès lors, le plus souvent, de valider les diplômes royaux par la simple apposition du sceau et par la formule de la souscription royale accompagnée du monogramme et d’une récognition de chancellerie. N’oublions pas que la dignité d’archichancelier s’est trouvée confondue, d’une manière d’ailleurs purement fictive, avec la fonction d’archevêque de Reims jusqu’au début de la seconde moitié du XIe siècle, la chancellerie elle-même étant confiée à un fidèle de l’entourage royal, et ceux des actes qui étaient écrits sous son autorité, l’étaient par un chapelain du roi ou par quelque clerc occasionnel. Un redressement s’opéra sous le règne de Louis VI, quand le cancellariat fut confié à Etienne de Garlande, mais la place, désormais tenue par le chancelier royal qui devient rapidement la véritable cheville ouvrière du gouvernement, devint vite si importante que Louis VII décida de se passer d’un chancelier et de contrôler par lui-même le scellement des actes. La situation devait se renouveler sous Philippe Auguste qui laissa définitivement vacante la charge de chancelier : la direction de la chancellerie et du petit groupe des clercs qui, depuis le règne de Louis VI, lui étaient affectés fut dès lors confiée à un « garde des sceaux » vacante cancellaria. Cette situation allait durer jusqu’à ce que la charge de chancelier fut de nouveau pourvue sous Philippe V en 1316. L’organisation qui fut dès lors donnée à la chancellerie devait se maintenir par la suite jusqu’à ce qu’au milieu du XVe siècle des petites chancelleries fussent instituées, comme nous le verrons dans diverses institutions habilitées à délivrer des actes royaux, les Parlements créés dans les provinces. Quant aux notaires affectés aux écritures royales, leur nombre crût vite : d’une dizaine au début du règne de Philippe le Bel, Philippe VI en 1342 dut réduire leur nombre à 30. Peu après, leur nombre dépassait la centaine et on dut à nouveau les réduire, en 1350, [p. 27] au nombre de 60, affectés les uns à la chancellerie elle-même, les autres aux divers greffes ou services centraux et certains, en outre, en qualité de « secrétaires », au service personnel du roi. Tous, d’ailleurs, prirent alors la qualification de « notaires et secrétaires du roi ». Au milieu du XVe siècle on distingua deux modes de rétribution, les uns recevant des gages, les autres des rétributions sur les « bourses » résultant du travail accompli, cela amena en 1482 le doublement officiel du corps des notaires et secrétaires du roi, les VIXX, qui reçurent alors leur charte définitive. C’est que le travail n’avait cessé de croire : de la centaine d’actes par an qui pouvaient être expédiés par la chancellerie au temps de Philippe Auguste, on en était venu à une soixantaine de mille au milieu du XIVe siècle, à la centaine de milliers sous Louis XI.

Évolution générale des actes royaux du XIe au XVe siècle

Les actes royaux, qu’ils soient préparés en chancellerie ou par le destinataire, présentent, dès la fin du Xe siècle et spécialement sous le règne de Henri Ier (1031-1060), un polymorphisme général qui en rend parfois difficile la critique. Le seul type d’actes qui se soit conservé est alors le diplôme, écrit sur parchemin et validé du grand sceau de cire brune, au type du roi en majesté, plaqué au bas de la pièce. L’acte commence généralement, comme à l’époque carolingienne, par une invocation en caractères allongés, suivie de la suscription royale. A la fin, le signum royal, accompagné ou non du monogramme (ou bien même celui-ci seul), est parfois remplacé par une croix autographe du roi et le chancelier y appose soit une formule, soit une souscription, voire son nom seul. S’y ajoutent souvent les signa ou les croix des témoins ou encore une liste de ceux-ci : membres de la famille royale, officiers de la Cour ou personnages divers (évêques, vassaux, abbés, châtelains et, parfois, des gens de l’entourage du destinataire) dont les noms sont disposés à longues lignes ou en colonnes. Quant à la date (quand elle figure dans l’acte), elle est exprimée avec la plus grande fantaisie : le jour de la semaine sans quantième ni mois, l’année du règne ou bien de l’Incarnation etc. Quand il s’agissait de confirmer un acte privé, plutôt que de préparer un acte nouveau, on se contentait souvent de porter simplement au bas de la pièce une phrase de confirmation ou même simplement d’écrire la souscription royale et d’y plaquer le sceau du roi.

[p. 28] Après un siècle d’anarchie où l’on peut discerner seulement un petit nombre d’actes préparés par des notaires qui étaient en même temps chapelains du roi — et cela dans des conditions tout à fait comparable à l’usage suivi dans les chancelleries des princes territoriaux de l’époque — un redressement s’opère au temps de Philippe Ier (1060-1108), plus précisément vers la fin de ce règne, dans les premières années du XIIe siècle. C’est alors qu’on voit apparaître, à la fin du texte, les premières listes des grands officiers, ce qui deviendra un des caractères distinctifs du diplôme. Mais c’est alors que, pour la première fois, surgit également à ce moment un acte d’un type nouveau, sous la forme d’un mandement royal. Il s’agit, en l’espèce, d’un ordre du roi adressé au doyen et au chapitre de Paris pour interdire qu’un certain particulier ose construire une maison dominant le cloître, avec injonction d’excommunier les contrevenants : c’est un billet de très petite dimension, large de 14 cm et haut de 45 cm, qui, par conséquent, ne pouvait être validé par le grand sceau : celui-ci était donc, par une innovation singulière, attaché à la pièce par une mince double queue de parchemin, large de 4 mm. Ce type d’acte demeura cependant très rare jusque sous le règne de Louis VII, au milieu du XIIe siècle.

Sous Louis VI (1108-1137), une modification fondamentale intervient dans le scellage des actes royaux : au sceau plaqué est substitué un sceau pendant, et cela a été considéré comme assez important par la chancellerie elle-même pour qu’elle fasse resceller en 1113 sous la nouvelle forme le très solennel diplôme de la fondation de l’abbaye de Saint-Victor de Paris qui avait été scellé d’un sceau plaqué l’année précédente. D’autre part, cette même année 1113, un acte portant donation de deux serfs royaux à Saint-Denis et leur affranchissement prend une forme moins solennelle que le diplôme classique : l’acte ne comporte pas le monogramme devenu normal pour un diplôme, mais un signum du roi. Vers le même temps, la lettre patente fait son apparition à la chancellerie de Louis VI, sous la forme d’une petit parchemin de 165 mm sur 91 mm, scellé de cire sur une mince double queue de parchemin : il s’agit de la confirmation par le roi de la donation que le doyen de Melun avait faite de sa propre personne à l’abbaye de Saint-Victor.

Enfin vers le milieu du XIIe siècle, la chancellerie allait pouvoir disposer des trois types d’actes qui vont devenir classiques pendant plus d’un siècle et demi. On trouve, en effet, sous le règne de Louis VII (1137-1180), à une époque où la chancellerie est désormais parfaitement [p. 29] organisée, trois sortes d’actes : 1° le diplôme traditionnel, scellé du sceau de cire pendant, la cire étant d’abord de couleur indifférente, brune ou rouge, et finalement vers la fin du règne, verte ; 2° la lettre patente, scellée de cire jaune sur double queue, où le texte commence directement par la suscription royale suivie d’un salut ; 3° le mandement, scellé sur simple queue de parchemin, et qui transmet à des officiers royaux l’expression de la volonté royale. La différenciation de l’emploi de ces types d’actes apparaît nettement dans le cas suivant : simultanément le roi octroie par un acte en forme de diplôme solennel une foire à l’abbaye de Saint-Victor de Paris, et c’est par un simple mandement qu’il enjoint à ses prévôts de faire crier en tous lieux le sauf-conduit royal pour tous ceux qui se rendront à cette foire.

Avec Philippe Auguste (1180-1214), la chancellerie s’organise sous l’autorité du garde de sceaux, Frère Guérin, qui fait établir les fameux « registres de Philippe Auguste », formés de la copie ou de l’enregistrement d’actes importants pour la politique et l’administration du domaine et du royaume, et surtout des éléments de travail pour son propre service. Simultanément la typologie des actes royaux se précise : dès avant le milieu du règne, les diplômes seront définitivement scellés de cire verte sur lacs de soie rouge et verte, tandis que les lettres patentes sur double queue le seront désormais de cire jaune, d’abord apposée sur des lanières de cuir blanc (comme le plus souvent sous ses prédécesseurs), puis sur une double queue de parchemin.

Sous saint Louis enfin (1223-1270), les lettres patentes seront à leur tour scellées à la façon des diplômes. D’autre part, des missives du roi ont été, semble-t-il, expédiées sous son petit signet personnel. Le Parlement, organe judiciaire central, est organisé vers 1255 et est évidemment amené à commander des actes au nom du roi, mais sans l’intervention personnelle de celui-ci, et il en este de même des gens des Comptes. Ainsi l’administration du Moyen Âge classique prend forme et la chancellerie, en enregistrant les actes royaux dans des registres qui malheureusement ne se sont point conservés jusqu’à nous, contribue à donner plus de rigueur à la forme des actes.

Sous Philippe le Bel (1285-1314), l’emploi du diplôme se raréfie et finit pratiquement par disparaître, ce qui se produira effectivement sous ses fils, avec une très éphémère résurgence dans l’année 1330 sous le règne de Philippe VI. D’autre part, le roi use dans certaines circonstances d’un petit sceau, ainsi que d’un signet personnel. Dans les [p. 30] registres de la chancellerie, désormais conservés depuis 1300, seules sont enregistrées les lettres patentes scellées de cire verte sur lacs de soie rouge et verte qui ont l’exclusivité de la valeur perpétuelle. La forme des actes obéit maintenant à des règles strictes, ce que vient sans doute renforcer, au début du XIVe siècle, le premier formulaire de la chancellerie royale dont nous avons malheureusement connaissance seulement par sa table. Si le garde du sceau est absent, ou bien si le roi voyage loin du chancelier et de la capitale, se met en place tout un système de sceaux de substitution, tant pour le roi lui-même qui scelle alors de son sceau du secret que pour les cours installées à Paris qui usent du sceau de la juridiction parisienne, le Châtelet.

Cette organisation prend définitivement forme sous Philippe VI (1328-1350). En effet, avec les débuts de la guerre de Cent ans et les déplacements distincts et permanents du roi ou du chancelier, on en arrive à parler d’une chancellerie du sceau privé du roi, tandis que s’établit près des cours parisiennes une véritable petite chancellerie sous le sceau de substitution « en l’absence du grand ».

Charles V (1364-1380) redresse la situation : il limite l’usage de son sceau privé et l’ensemble des actes royaux sont durant son règne expédiés sous la forme la plus classique. Toutefois, pour les actes les plus solennels, s’instaure une forme particulièrement élaborée et même luxueuse de chartes ad perpétuant rei memoriam, tandis qu’un sceau de substitution, dit sceau ordonné est régulièrement installé auprès du Parlement à Paris pour sceller les actes royaux commandés par les institutions centrales parisiennes en l’absence du grand sceau.

La situation persiste dans l’ensemble sous Charles VI (1380-1422), mais elle se complique, d’abord, du fait de la régence au début du règne quand le duc d’Anjou, oncle du roi, est amené à apposer son signet personnel sur certains actes. Elle devient ensuite extrêmement complexe avec la crise générale du royaume lorsque, le roi fou ayant confié des pouvoirs de régence à la reine Isabeau de Bavière, celle-ci est pourvue d’un sceau pour les actes expédiés sous son autorité, et que, à la mort du roi, le duc de Bourgogne, prend partie pour le roi d’Angleterre et de France dont la chancellerie fonctionne à Paris. De son côté, le jeune dauphin Charles, qui a fui Paris, organise, en tant que lieutenant général du roi, avec d’autres officiers royaux qui l’ont rejoint, une nouvelle chancellerie et bientôt d’autres cours, à Poitiers (1418) et en Languedoc (1420), lesquelles disposent d’un sceau ordonné pour l’expédition des [p. 31] actes qu’elles commandent : de là la création de « petites chancelleries ». En 1435, après le retour de Charles VII à Paris déserté par l’administration anglo-bourguignonne, se reconstitue à Paris, auprès du Parlement, une « petite chancellerie » qui expédie des actes exactement dans les mêmes formes que la « Grande chancellerie », mais sous un autre sceau, le « sceau ordonné ». Elle procède de même à l’enregistrement des actes ainsi commandés, dans des cahiers identiques à ceux de la Grande chancellerie, si bien qu’ultérieurement on en viendra à relier ensemble, d’ailleurs dans le désordre, dans les mêmes registres factices, dits du Trésor des chartes (la série JJ des Archives nationales), des cahiers d’actes — notamment des lettres de rémission — expédiés les uns par la chancellerie royale et les autres par la petite chancellerie du Parlement. Progressivement, dans la seconde partie du XVe siècle, d’autres petites chancelleries furent instituées auprès des autres Parlements, à Toulouse (1443), à Bordeaux (1462), en Bourgogne (Dijon, Beaune ou Dole en 1482 et définitivement à Dijon en 1494), Rennes (1494), à Rouen (1499), à Aix (1501) et à Grenoble : toutes expédiant des actes royaux d’une forme analogue mais sous un autre sceau ordonné, et au moyen d’une procédure d’expédition et de contrôle différente. Ce bref rappel de l’évolution de la chancellerie royale française devait être fait pour comprendre la typologie des actes qui furent expédiés au cours de la période considérée.

Nous examinerons successivement, en nous plaçant principalement à l’époque classique de leur usage :

  • les actes de chancellerie : le diplôme, acte solennel par excellence, traditionnel, mais qui disparaît pratiquement dès les premières années du XIVe siècle ; la « charte », lettre patente scellée de cire verte sur lacs de soie, acte de valeur perpétuelle, et la charte solennelle ad perpétuant memoriam, qui en est issue ; la lettre patente, scellée de cire jaune sur double queue de parchemin ; le mandement patent, scellé de cire jaune sur simple queue, et le mandement clos ;

  • les actes issus directement du roi ou de son entourage propre, scellés du sceau du secret de cire rouge : les lettres closes dites « de par le roy » ; les lettres dites de sceau plaqué ; les missives et autres pièces scellées du sceau du secret ou, éventuellement, du signet royal.

[p. 32] I. Les actes de chancellerie

Le diplôme (Fig. 1)

Issu originellement du précepte royal carolingien, mais progressivement déstructuré, le diplôme capétien a vu sa forme se fixer au cours du règne de Louis VII. Il présente toujours un caractère de solennité. Son écriture est tantôt de gros module, tantôt plus fine, mais toujours à main posée et avec des éléments ornementaux. On y note des influences de la chancellerie pontificale, notamment dans l’emploi des tildes d’abréviation et dans l’écartement des lettres c-t et s-t. Le première ligne ou tout au moins l’invocation initiale est normalement écrite en lettres allongées ou grasses, de même que la mention de chancellerie.

La couleur verte du sceau est apparue avec une certaine fréquence dans la dernière partie du règne de Louis VII et elle s’impose sous celui de Philippe Auguste. Les derniers diplômes dont le sceau soit appendu à une courroie de cuir blanchi — système fréquent sous Louis VI et Louis VII — sont de 1191-1192. Les attaches seront dès lors des écheveaux ou lacs de soie, passés par deux trous percés dans le parchemin ; elles sont normalement de couleur rouge et verte, bien que saint Louis ait aussi utilisé des lacs pourpres ou rouges brique, surtout pour les diplômes un peu solennels.

Le texte est, sans exception, toujours en latin.

Si l’invocation cruciforme ou monogrammatique a disparu au cours du XIIe siècle, l’invocation verbale est de règle : In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Après la suscription royale, il n’y a point d’adresse. La formule de corroboration fait état de la finalité perpétuelle (souvent : Quod ut perpetuum robur obtineat ou une formule analogue) et elle annonce l’apposition du sceau et du monogramme, appelé karacter. De plus, fréquemment liée à cette clause est, à partir du règne de Philippe Auguste, une formule générale de réserve : salvo jure nostro ou salvo jure alieno, ou les deux.

Fig. 1 - Diplôme royal scellé de cire verte, sur lacs de soie. Philippe III le Hardi, 1273 (Arch. nat., AE II 280)

A la formule de date, comportant l’indication du lieu du commandement de l’acte, l’année de l’Incarnation (en style de Pâques) et le mois (sans le quantième), se rattache la présence fictive des grands officiers, [p. 34] dont la mention a fait son apparition à l’aube du XIIe siècle, au moins épisodiquement. Elle est annoncée par les mots Astantibus de palatio nostro quorum nomina subtitulata sunt et signa. La liste comporte : le sénéchal (dapifer), le bouteiller, le chambrier et le connétable, la vacance d’une charge étant rappelée par une formule telle que dapifero nullo ; chaque nom est précédé du mot Signum. La présence personnelle de ces officiers étant exceptionnelle, il s’agit là, en fait, d’un élément qu’on peut assimiler à un élément de datation.

Au pied de l’acte est la mention de chancellerie, précédée de Data per manus et le nom du chancelier, formule visiblement empruntée à la chancellerie pontificale. En cas de vacance de la charge de chancelier, situation fréquente, sinon normale depuis le règne de Louis VII, la formule devient Data vacante cancellaria, le monogramme royal (souvent fort orné) prenant place, au milieu de la ligne, entre les mots vacante et cancellaria. Ce seul élément permet, au premier coup d’œil, de reconnaître qu’on est en présence d’un diplôme.

La charte : lettre patente scellée de cire verte sur lacs de soie (Fig. 2)

Sous Louis VII étaient apparus — un peu comme le privilège mineur de la chancellerie pontificale — quelques diplômes simplifiés, sans invocation, sans monogramme, sans liste de grands officiers, mais avec la mention de chancellerie et le scellement sur double queue. D’autre part, vers le même temps, apparaissaient des lettres patentes, les unes pourvues d’une adresse générale et plus solennelles, et d’autres avec une adresse particulière, cela rappelant un peu sous Philippe Auguste la distinction qui s’est établie à la chancellerie pontificale entre les lettres scellées cum filo serico et d’autres cum filo canapis. Ce polymorphisme des débuts se prolongea jusque vers le milieu du XIIIe siècle, quand une différence formelle s’établit entre des lettres patentes de valeur perpétuelle, scellées sur lacs de soie d’un sceau de cire verte, et d’autres scellées sur double queue de parchemin. Aux premières on donne le nom de « lettres patentes en forme de charte » ou, plus simplement de « charte », dont les caractères sont définitivement établis de façon rigide sous le règne de Philippe le Bel.

Fig. 2 - Lettre patente scellée de cire verte sur lacs de soie rouge et verte, avec trace du sceau du secret du roi plaqué sur le repli. - Philippe IV le Bel, 1299. (Arch. nat., J 178, n° 56)

[p. 36] La présentation matérielle de la charte est soignée. L’écriture, à main posée, tend à se rapprocher, au cours du XIVe siècle, de la libraria et de ce qu’on appellera la « lettre de forme », non sans de fréquents éléments décoratifs dans la suscription royale. De part et d’autre du texte, les marges sont marquées verticalement à la mine de plomb, ainsi que la réglure horizontale. Le repli inférieur, d’assez grande dimension (et qui tendra encore à s’agrandir au XVe siècle) vient affleurer la dernière ligne du texte.

Le latin l’emporte très nettement, au moins jusqu’au milieu du XIVe siècle, et il se maintiendra, au moins dans certains types d’actes (anoblissements, légitimations, concessions ou confirmations de privilèges notamment) jusqu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539.

Normalement la charte ne comporte pas d’invocation. Elle commence donc par la suscription royale. Adresse et salut, toujours rares, disparaissent définitivement dès la première moitié du XIVe siècle. La charte présente toujours une notification universelle et perpétuelle : Notum facimus universis, presentibus et futuris et, en français, « Savoir faisons à tous, presens et a venir ». Le préambule n’existe que dans certains type d’actes, notamment dans des ordonnances et des traités et dans des sauvegardes accordées à des établissements ecclésiastiques.

Le dispositif comporte généralement un verbe de volonté qui, à partir du XIVe siècle, est le plus souvent renouvelé au passé et au présent : « avons voulu, ordonné et déclaré et par les présentes voulons, ordonnons et déclarons ». Dès le milieu ou le dernier quart du XIIIe siècle, ce verbe est le plus souvent accompagné de la clausule auctoritate nostra regia et, dans les lettres de grâce, des mots de gratia speciali, « de nostre grâce especiale », ou bien ex certa scientia, gratia speciali et auctoritate regia. Quelques chartes offrent aussi une mention de motu proprio.

Une clause de réserve est à peu près constante : salvo in aliis jure nostro et in omnibus alieno, « sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes ».

Une clause dérogative se rencontre fréquemment : non obstantibus quibuscumque ordinationibus, qui peut même être développée.

Enfin devient de règle au cours du XIVe siècle une formule exécutoire, sous forme de clause injonctive : « Si donnons en mandement… », que complète l’indication des autorités chargées de l’exécution et, [p. 37] éventuellement, une invitation à vérifier, publier ou enregistrer la décision royale.

Le trait le plus apparent de la charte, celui qui permet de reconnaître à coup sûr ce type d’acte — tout au moins à partir du règne de saint Louis et surtout de Philippe III le Hardi — est la formule de corroboration. Celle-ci est, en effet, toujours perpétuelle, la notion de perpétuité étant attachée en France à la couleur verte de la cire du sceau : Quod ut firmum et stabile perpetuo permaneat, ou plus rarement perseveret in futurum, « Et pour que ce soit ferme et estable… », cette proposition est suivie de l’annonce du sceau : nostrum presentibus litteris fecimus apponi sigilum ou bien sigillum nostrum… duximus apponendum.

L’acte s’achève par la formule de datation, normalement introduite par Datum, « Donné », et comportant l’année de l’Incarnation (anno Domini) et le mois sans indication du quantième, cette dernière absence constituant un des caractères constants de la charte (sauf, exceptionnellement, dans quelques chartes de Philippe VI). La mention de l’année du règne s’y ajoute en 1366, comme dans les autres types d’actes royaux.

Sur le repli, à droite, figure depuis le milieu du XIVe siècle, le mot Visa apposé sur les chartes par le chancelier au cours de l’audience du sceau.

La charte solennelle ad perpetuam memoriam (Fig. 3)

Sans doute à l’imitation de la chancellerie pontificale se détache du type commun de la charte un rameau de chartes solennelles qui tendent à prendre la place du diplôme disparu.

Les premières apparaissent sous Philippe le Bel. La plus ancienne, à ma connaissance, est celle par laquelle, ad perpetuam rei geste memoriam, le roi fait un don votif à Notre-Dame de Paris en commémoration de sa victoire de Mons-en-Pévèle en septembre 1304 (Arch. nat. JJ 49, n° 74), puis en mars 1305 ce fut la déclaration solennelle par laquelle le roi, après d’amples conflits, soumettait le vicomte de Narbonne à faire hommage et aveu à l’archevêque de cette cité (Bibl. nat., Mél. Colbert, 105). Nous connaissons aussi plusieurs actes de cette même nature de Philippe V, mais seulement par leur enregistrement et non par des originaux. Cet ainsi qu’en février 1321 le roi faisait délivrer [p. 39] plusieurs châteaux à son conseiller Henri de Sully, après délibération du Conseil dont — fait exceptionnel — les noms sont indiqués, et le clerc a ajouté : « Seigniee dou petit signet le roy au griffon et de sa propre main subscrite : Ph. C’est passée par nostre commandement ». Si l’apposition du signet privé du roi est classique dans un acte de donation de cette nature pour attester de l’expresse volonté du roi, cette charte est la plus ancienne que je connaisse pour avoir comporté la signature royale.

Fig. 3 - Charte solennelle « ad perpetuam rei memoriam » - Charles V, 1374. (Arch. nat., AE II, n° 396c)

Ces chartes atteignirent leur maximum de solennité sous Charles V et Charles VI. Leur présentation devient alors somptueuse, rappelant les « Prunkurkunden » de la chancellerie impériale. Non seulement le parchemin est de très grande dimension et l’écriture extrêmement soignée, mais le nom du roi ou la formule de perpétuité, ainsi que le mot Universis de la notification, sont écrits en caractères éminemment ornementaux, avec des fioritures, des jours, des réseaux, des mascarons, des grotesques, et les grandes initiales sont dessinées en grisaille ou à l’encre rouge. Certaines prennent la forme d’une grande vignette ou s’ornent d’une miniature, devenant ainsi de véritables œuvres d’art. A titre d’exemple, on peut signaler les trois exemplaires de l’ordonnance par laquelle Charles V fixait à 14 ans l’âge de la majorité des rois de France : chacun d’eux présente un décor différent et tout à fait remarquable.

Ces chartes, toujours rédigées en latin, comportent, après la suscription, une formule de perpétuité : in perpetuam (ou futuram) rei memoriam.

Dans ce type d’acte, se retrouve le préambule, désormais absent de tous les autres. Parfois assez long, il est rédigé dans un style très étudié, voire ampoulé, et le verbe du dispositif s’accompagne généralement d’une formule qui souligne que la mesure a été prise ex certa scientia, de gratta speciali et cum plenitudine regiae auctoritatis. La formule de datation est introduite par Datum et actum ou bien par Acta fuerunt haec. Certaines comportent la signature du roi ou bien la souscription autographe du chancelier.

[p. 41] La lettre patente, scellée de cire jaune sur double queue (Fig. 4)

Fig. 4 - Lettres patentes, scellées sur double queue du grand sceau de cire jaune. - Charles VI, 1388 (Arch. nat., J 603, n° 66)

Le type de la lettre patente s’est progressivement détachée de la charte sous Philippe Auguste. Elle en a gardé l’allure épistolaire, avec une adresse universelle, suivie d’un salut, mais sans jamais l’expression d’une notion de perpétuité : Universis présentes litteras inspecturis, salutem, « A tous ceus qui ces présentes lettres verront, salut ». Toutefois dans certaines lettres, comme celles de non-préjudice, se rencontre une adresse particulière, le souverain notifiant à l’intéressé qu’une mesure donnée ne saurait constituer un précédent et faire naître un droit.

Dans ces lettres se retrouvent des clauses analogues à celles des chartes, notamment la clause injonctive relative à l’exécution : « Si donnons en mandement… », mais rarement la clause de réserve.

Deux éléments, fort apparents, permettent de les distinguer de la charte. D’abord, la formule de corroboration, constamment de forme simplement probatoire : In cujus rei testimonium presentibus litteris nostrum fecimus apponi sigillum, « En tesmoin de ce… », sans mention de perpétuité. D’autre part, la date comporte — outre le lieu, l’an du Seigneur et le mois — le quantième qui n’apparaît qu’exceptionnellement dans les chartes.

Le mandement : lettre scellée de cire jaune sur simple queue (Figs. 5 et 6)

Le mandement dérive de la lettre missive. Le type en remonte au règne de Philippe Ier, à l’extrême fin du XIe siècle, et les plus anciens présentent encore le salut final, habituel aux missives (Vale, Valete), qui disparaît un milieu du XIIe siècle, mais à cette époque encore le mandement ne comportait ni formule de corroboration, ni date. Il prend sa forme définitive au milieu du XIIIe siècle. Dès le règne de Philippe le Bel, le mandement est devenu l’acte le plus communément expédié par la chancellerie : c’est, en effet, sous cette forme que le roi et tous les organes du gouvernement royal communiquent avec les officiers. La très grande majorité en est rédigée en français.

Fig. 5 - Mandement, scellé sur simple queue du sceau du secret en l'absence du grand sceau. - Philippe VI, 1328 (Arch. nat., J 476, n° 2-17)
Fig. 6 - Mandement sur simple queue, « scellé de l'exprès commandement du roi ». - Charles VI, 1396 (Arch. nat., K 54, n° 35)

[p. 44] Il s’agit, en général, d’un morceau de parchemin de dimension restreinte, au bas duquel on a détaché d’un coup de ciseaux, aux deux tiers de sa longueur, une mince languette destinée à recevoir le sceau royal. L’écriture est relativement cursive et elle est poussée à droite jusqu’au bord du parchemin, sans laisser de marge verticale.

L’adresse en est particulière (« A nostre amé et féal X ») ou bien collective (Baillivo Trecensi omnibusque justiciariis nostris), et elle est suivie d’un salut (Salutem, « Salut et dilection »). Il n’y a pas de notification. L’exposé, souvent très long, rappelle les précédents ou les circonstances de l’affaire, ce qui rend cette sorte de document fort intéressante au point de vue historique. En revanche, le dispositif, très concis, se borne à notifier en conséquence l’ordre du roi : il comporte généralement le mot mandamus, « mandons », souvent complété par un redoublement de l’injonction : mandamus tibi et injungendoprecipimus, « te mandons, commandons et espressement enjoingnons… », l’emploi du tu ou du vos selon la qualité du destinataire.

Le mandement ne comporte jamais de formule de corroboration, et c’est là un des caractères qui permet d’en identifier immédiatement le type. Le sceau n’est éventuellement annoncé que si l’acte a été scellé d’un sceau de substitution et cette mention suit alors la date : « Donné… soubs le seel de nostre secret en l’absence de nostre grant ».

La formule de datation comprend : le lieu, l’année, le mois et le quantième ; ce dernier est régulièrement exprimé en fonction des fêtes religieuses jusqu’à la fin du XIIIe siècle, mais il se laïcise ensuite en adoptant sous le règne de Philippe le Bel notre mode actuel du compte progressif des jours du mois.

Le mandement clos

Pour certaines lettres de caractère politique ou diplomatique, la chancellerie a adopté une forme très proche du mandement, à cette réserve que le verbe mandamus est remplacé par un autre : requirimus, exhortamus, obsecramus et qu’il était (ou pouvait être) expédié clos.

Adresse et salut, répondant à des préoccupations protocolaires, le destinataire était désigné par ses titres et qualités et éventuellement par ses liens de parenté avec le roi (consanguineo nostro), et le salut était alors remplacé par une protestation de « bonne amour ». De même, à [p. 45] la fin, pouvait se rencontrer une formule de souhait, ce qui pourrait amener une confusion avec le type de la lettre missive normalement scellée de cire rouge.

La clôture pouvait s’opérer selon deux procédés : ou bien, au-dessous de la queue on détachait une très mince bande qui servait à entourer la pièce une fois pliée ; ou bien une bandelette extérieure était passée dans des incisions pratiquées après pliage dans l’épaisseur du support, le sceau étant plaqué à cheval sur cette bandelette et sur le parchemin. C’est ainsi, par exemple, que des lettres de Philippe Auguste au justicier d’Angleterre Hugues du Bourg furent expédiées closes du grand sceau de cire jaune plaqué au dos.

Au cours du XIVe siècle, plus précisément — semble-t-il — au cours du deuxième quart de ce siècle, ce type d’acte disparaît, éliminé par la lettre missive scellée hors chancellerie du sceau du secret.

La décision royale

Du mandement on peut rapprocher des actes relatifs à certaines décisions royales découlant de la pure volonté du roi, et en particulier des nominations d’officiers. Leur forme est analogue à celle du mandement, mais le dispositif commence par les mots Placet nobis et volumus quod… Nous connaissons le texte de tels actes remontant à la seconde décennie du XIVe siècle, mais aucun ne nous a été conservé en original, ce type d’acte ne nous étant parvenu que par leur enregistrements par la Chambre des comptes.

***

Bien que tous ces actes — qu’ils fussent patents ou clos, scellés de cire verte ou de cire jaune, sur lacs ou sur double ou simple queue — fussent intitulés au nom du roi, il est évident que cette expression écrite de la volonté royale répondait dans bien des cas à une fiction. La majorité d’entre eux était, en fait, commandée par des autorités qui agissaient ainsi, soit en raison de leur compétence, soit par délégation du roi. Pour assurer l’indispensable contrôle au moment du scellement, l’usage s’établit peu à peu d’indiquer expressément le nom de l’institution [p. 46] ou de la personne qui avait donné la jussio et qui prenait donc la responsabilité de l’expédition. Cette mention prenait place, soit sur le repli en ce qui concerne les actes scellés d’un sceau pendant, soit au pied de la pièce pour les autres. Cette mention dite hors teneur était signée du notaire qui avait écrit l’acte.

La première mention hors teneur apparaît, à notre connaissance, sur une lettre sur simple queue de saint Louis en 1269, annonçant un envoi de reliques : sur la queue est écrit per fratrem G. de Carnoto, ce chapelain qui écrira la Vie du saint roi. En 1282, un autre original porte, de même, la mention per Joh. Poussin et prepositum Parisiensem. Sous le règne de Philippe le Bel, de telles mentions se font plus fréquentes à partir de 1300 et on peut les considérer comme à peu près régulières après 1309. En effet, des 1303 actes, presque tous de cire verte, enregistrés de 1309 à la mort du roi en novembre 1314, 778 portent une mention du service d’origine, dont 320 émanant du roi, 104 du garde des sceaux, 40 de la Chambre des comptes, mais on relève encore la trace de 30 autres services ou personnes ayant ainsi commandé des actes (conseillers du roi, maîtres des Requêtes, aumônier etc.) On constate par ailleurs que la très grande masse des lettres patentes et des mandements, de nature administrative, judiciaire ou financière portent évidemment la mention d’origine des différents services concernés. Même pour les actes de cire verte, la proportion des pièces portant la mention du commandement royal va en s’affaiblissant. Des ordonnances de Philippe V en 1320 et 1321 rendirent obligatoires la mention de qui a commandé l’acte afin d’assurer les contrôles appropriés.

L’ordre royal per dominum regem pouvait être donné verbalement au secrétaire royal qui écrivait l’acte ou bien à un maître des Requêtes de l’Hôtel du roi ou encore au garde des sceaux. Elle pouvait aussi être donnée sous forme d’un billet adressé au garde des sceaux et scellé du sceau du secret ou du signet royal. La décision d’expédition pouvait être prise par le roi en son Conseil ou en une séance des Requêtes : Per regem in Consilio, Per regem in Consilio in quo erant N, N et N. « Par le roi en son Conseil ouquel vous estiez », Per regem presentibus N et N, Per regem in Requestis. La formule Per Consilium indique un commandement hors de la présence du roi, Per Consilium existens Parisius, un commandement par l’échelon du Conseil se tenant à Paris quand le roi ou le chancelier étaient hors de la ville. Per Curiam, Per Cameram Parlamenti, Per presidentes in Camera etc. répondent à des [p. 47] actes commandés en Parlement ; Per Cameram compotorum, Per gentes Compotorum etc., à des actes de la Chambre des comptes ; Per regem ad relationem N, Per regem a vostre relation s’appliquent à des actes commandés par simple délégation conférée à une personne donnée ou bien au chancelier.

Le commandement des actes par telle ou telle autorité ou personne n’influe pas sur la nature diplomatique de la pièce, autrement dit sur ses caractères diplomatiques. C’est ainsi que, par exemple, les innombrables lettres de rémission, amnistiant un coupable ou un condamné, sont dressées exactement dans les mêmes formes, qu’il s’agisse d’une lettre de pure grâce octroyée par le roi en personne ou bien par lui sur le conseil d’un maître des Requêtes ou encore par le Parlement après reconsidération de la personne du condamné ou des circonstances dans lesquelles le crime avait été commis.

N’influe pas davantage sur les caractères diplomatiques de l’acte le fait que celui-ci s’est trouvé scellé d’un sceau de substitution en l’absence du grand sceau. L’acte aura donc la même forme si, en l’absence du chancelier et du grand sceau qu’il détenait, il a été scellé du sceau secret du roi ou de son signet in absentia magni, ou bien s’il a été validé du sceau dont se servaient alors les autorités fixées à Paris — notamment Parlement et Chambre des comptes — c’est-à-dire, selon les époques, le sceau du Châtelet de Paris ou bien, quand il fut créé, le sigillum ordinatum in absentia magni, géré par le Parlement. Il en fut de même lorsque les Parlements de province furent pourvus de leur propre sceau ordonné.

II. les actes dits « émanés directement du roi » ou expédiés « hors chancellerie »

A côté des actes passant au contrôle de la chancellerie, le roi commandait aussi des actes et des lettres qui n’étaient point destinés à être soumis à l’audience du sceau pour y être scellés du grand sceau tenu par le chancelier ou le garde des sceaux. Ces actes sont dits « émanés directement du roi » ou bien « expédiés hors chancellerie ». Ils peuvent se répartir en cinq types diplomatiques distincts, dont le seul caractère commun est d’être validé par le sceau du secret. Ce sont : — les lettres [p. 48] closes dites « de par le roy » ; — certains mandements ; — les lettres de sceau plaqué ; — des règlements et les instructions diplomatiques ; — des lettres missives. Mais quand ces dernières étaient de caractère strictement privé, elles pouvaient également être expédiées sous le signet personnel du roi.

Toutes ces pièces étaient, en principe, rédigées et écrites par un « clerc du secret », appelé par la suite « secrétaire du roi », mais le roi pouvait également faire appel, en cas de besoin, à un autre notaire. De fait, tous les notaires prirent au cours du XIVe siècle le titre de « notaire et secrétaire du roi », et tous, quelle que fut leur spécialisation, formèrent une unique communauté, bien que certains d’entre eux fussent affectés au service personnel du roi, et aussi de la reine.

Il n’est pas impossible que dès le temps de saint Louis, le roi ait usé d’un sceau secret ou d’un signet pour l’expédition de certaines pièces : on conserve au Musée du Louvre un anneau portant les lettres S.L. (= secretum Ludovici), qui fut toujours considéré comme une relique du roi, et cette attestation a été gravée dans l’anneau lui-même au temps de Charles V. Cela serait d’ailleurs confirmé par le fait qu’on a signalé dans les archives anglaises des lettres de saint Louis à Henri III et au chancelier d’Angleterre, où se verrait la trace d’une petit sceau de cire rouge. De plus un tarif de la chancellerie de février 1255 prévoit un tarif différent pour l’écriture des lettres patentes et pour celle des lettres closes, ce qui pourrait signifier que dès cette époque le roi a pu utiliser ce mode de validation pour des mesures en faveur de particuliers. Mais ce n’est que sous Philippe le Bel que prit vraiment naissance une catégorie d’actes passés hors chancellerie, sous le sceau du secret, pratique qui se développa sous Philippe VI et plus encore sous Charles V.

Ce « petit seel » était porté par un chambellan du roi, soit le principalis cambellanus, soit beaucoup plus vraisemblablement le chambellan de service. Le fait est attesté par la chronique de Bardin, lorsqu’elle affirme que l’acte de la suppression du Parlement de Toulouse en 1312 était scellé à la fois par le grand sceau, le signet royal et le sigillum secretum cujus custodiam habebat cambellanus. D’autre part, l’ordonnance de Saint-Germain-en-Laye de juillet 1316, réglant les conditions d’exercice de la régence de Philippe V et énumérant les trois chambellans, précisait « li quai porteront le petit seel ». Ainsi le roi avait la possibilité d’avoir constamment ce sceau à sa disposition puisque les [p. 49] ordonnances de l’Hôtel prévoyaient que chaque fois que le roi ne ferait pas chambre commune avec la reine, l’un des trois chambellans « gerra aus piez du lit le roy ».

1. Les lettres closes « de par le roy » (Figs. 7 et 7 bis)

La simple expression de « lettres closes » en usage pour désigner les « lettres de par le roy » est amphibologique, car des lettres expédiées par la chancellerie pouvaient aussi être expédiées fermées, de même que les missives, pour empêcher que des tiers prissent connaissance de leur contenu. Techniquement nous désignerons du terme « lettres closes de par le roy », une lettre du roi exprimant un ordre, expédiée fermée du sceau du secret de cire rouge et présentant certains caractères diplomatiques nettement caractérisés.

Il s’agit d’une petite feuille de parchemin, de format généralement allongé et de faible hauteur — le papier n’apparaissant que dans la seconde moitié du XIVe siècle — destinée à être repliée plusieurs fois sur elle-même, portant l’adresse soit au dos, soit sur une bandelette de fermeture passant à travers des incisions percées, après pliage, dans toute l’épaisseur du support. Le sceau y est plaqué au dos de façon à assurer la clôture de la pièce, l’adhésion étant facilitée par un frottis de cire rouge tracé en croix.

Si, à l’origine, certaines furent en latin, le français l’emporta très rapidement. Sous Philippe le Bel et parfois encore sous Philippe VI, certaines comportent encore une suscription royale et une forme assez analogue à celle du mandement dont elles sont issues. A partir du règne de Louis X, les lettres closes portent en vedette, au-dessus de la première ligne du texte, la formule « De par le roy ». Le texte lui-même commence par une apostrophe : « Genz de nostre Parlement… », « Maistre Pierre Julien… ». S’il y a parfois un exposé extrêmement bref, le plus souvent le roi se contente des mots : « Nous vous mandons… ». La pièce s’achève très fréquemment par une clause comminatoire : « Et ce ne lessiez pas », « Et ce faites de telle manière que par vous n’y ait faulte… » etc., sans souhait final (à la différence des missives).

Fig. 7 - Lettre close « De par le roy », cachetée au dos du sceau du secret. - Charles V, 1375 (Arch. nat., J 458, n° 1 bis)
Fig. 7 bis - Verso de la lettre close (ci-dessus) avec adresse et sceau de clôture

La date s’exprime sous la forme « Donné à…, le… », comportant donc le lieu, le mois et le quantième, et même au temps de Charles VIII, spécialement dans les lettres de nature militaire, l’heure, mais jamais [p. 52] l'année, ce qui rend parfois délicate la datation de ces documents. Point non plus de formule de corroboration, ni d’annonce de sceau.

Ces lettres constituent le mode normal d’expression des ordres du roi. Le premier exemple rencontré, avec la vedette « De par le roy de France et de Navarre », date du règne de Louis X en 1315 ; mais il comporte encore adresse et salut et pas encore l’apostrophe initiale, qui n’apparut que sous le règne de Philippe V. Avec Philippe VI qui, déjà avant son avènement, usait de lettres « De par le conte de Valois », ces lettres prirent un très net essor pour exprimer la volonté royale dans les domaines politique, militaire et administratif.

L’origine pourrait sans doute être cherchée dans une pratique en usage dans le comté d’Artois, laquelle serait elle-même dérivée du « writ », le bref anglais sous le « privy seal ». Elle se répandit très vite parmi les hauts officiers du roi, dont les lettres de ce type abondent à partir de 1330 environ ; « De par le connétable », « De par les maréchaux », et même — ce qui est aberrant — « De par le chancellier ». L’usage se répandit vite dans la grande noblesse, puis se diffusa rapidement de la France vers les différentes cours d’Europe, à commencer par le Luxembourg et la région rhénane, et on pourrait aisément en suivre sur la carte la progression.

La signature d’un secrétaire du roi apparaît au pied de ces lettres au cours du règne de Philippe VI. Bien que censées émanées du roi lui-même, elles étaient souvent, en fait, commandées par un chambellan (ce qui est normal), mais aussi par des conseillers du roi (ainsi Miles de Noyers) et même exceptionnellement — ce qui semble ahurissant — par le chancelier. Les mentions de commandement se multiplient donc au pied de ces lettres censées émanées « de par le roy », au point que dès la fin du règne de Philippe VI on en vint à indiquer (comme pour les lettres passées sous le grand sceau) que la lettre a été commandée « Par le roy » et à mentionner les personnes présentes au commandement.

La signature du roi fait son apparition, à titre exceptionnel, sous Jean le Bon ; elle est plus fréquente sous Charles V qui y ajoute parfois de sa propre main une apostille en vue de renforcer la crédibilité de l’ordre donné. Cette signature devient pratiquement de règle sous Charles VII, avec le contre-seing d’un secrétaire. Sous Louis XI, dans bien des cas, cette signature semble bien être l’œuvre d’un « secrétaire de la main » signant pour le roi.

[p. 53] 2. Les lettres de sceau plaqué « De par le roy » (Fig. 8)

Parallèlement aux lettres closes « De par le roy », s’est développée une autre espèce diplomatique, formée de lettres patentes, destinées à faire connaître à quiconque la volonté du roi, celle-ci étant attestée par l’apposition de son sceau du secret plaqué au recto de la pièce. Cela a été une grave erreur du point de vue de la diplomatique que la complète méconnaissance de ces différents types d’actes royaux, qui s’est manifestée dans l’édition qu’à donnée Raymond Gazelles de ces diverses lettres de Philippe VI.

Ces lettres patentes sont toujours en parchemin ; généralement deux petite incisions horizontales pratiquées dans le support retiennent la cire et facilitent son adhérence. Elles sont normalement rédigées en français et, comme les lettres closes, présentent en vedette au-dessus de la première ligne, les mots « De par le roy ». Le texte commence, de même, par une apostrophe, mais parfois aussi par une adresse. A la différence des lettres closes, leur date comporte, outre le lieu, le quantième et le mois, l’indication de l’année. Le texte se limite pratiquement à l’expression sèche de l’ordre du roi, telle que celle-ci : « De par le roy ». — Jean du Change, Nous vous mandons et commandons estroitement que… »

Sous cette forme diplomatique se présentent deux types de lettres :

  • des mandats de paiement, le plus souvent concernant l’Hôtel du roi. L’acte est adressé, soit à un comptable du Trésor pour qu’il paie comptant la somme indiquée dans l’acte, soit aux gens des Comptes pour qu’ils rabattent cette somme du compte du comptable qui en a fait l’avance. C’est l’origine des « ordonnances de comptant » qui fleuriront à partir du XVIe siècle.

  • des sauf-conduits et passeports, ainsi que des sauvegardes pour des personnes morales, établissements ecclésiastiques ou communautés d’habitants. D’autres concernent des interdictions de réquisitions militaires, des convocations etc. A la différence des précédentes, leur adresse est collective ou universelle.

Sans doute pourrait-on voir l’origine des « lettres a seel plaqué » ou sigilla placata dans une pratique déjà répandue dans la seconde moitié [p. 55] du XIIIe siècle dans les chancelleries d’Aragon et de Castille, les mandata munis du sello de plaça. Peut-être la diffusion s’en est-elle faite par l’intermédiaire du royaume franco-navarrais. En tout cas nous les voyons apparaître à la Cour de Philippe VI vers 1335. Mais leur emploi était certainement antérieur, puisque dès 1339 un faussaire du Limousin était condamné pour avoir forgé de fausses lettres de ce type, l’une pour convoquer au Parlement des parties en litige, et une autre accordant une sauvegarde à un particulier.

Fig. 8 - Lettre de sceau plaqué (au recto). - Jean II de Bon, 1363 (Arch. nat., J 641, n° 13, 9)

3. Les mandements scellés du sceau du secret sur simple queue (Fig. 9)

A côté des mandements classiques scellés du grand sceau de cire jaune sur simple queue, le roi et son entourage ont également expédiés, dans des formes pratiquement identiques, des mandements scellés du sceau du secret. Certes ils en ont usé, comme il était normal, à titre de substituts en l’absence du grand sceau, mais, sous le couvert de cette absence ou en raison de l’urgence, bien des actes furent ainsi expédiées hors de tout contrôle de la chancellerie, ce qui n’est point sans rappeler la pratique anglaise de l’emploi du « privy seal ». Parfois le notaire a précisé l’intention royale que ce petit sceau soit tenu pour l’équivalent du grand : « sub signo nostri secreti, cui in bac parte tanquam majori fidem volumus adhiberi, mais le plus souvent on ne relève dans les actes aucune mention particulière.

Les abus durent, très tôt, être fréquents puisque dès 1316, en organisant la régence, Philippe V interdisait à ses chambellans de signer « lettres de justice, d’office ou de bénéfice », en leur réservant la seule signature des « lettres de prières », et des « lettres d’état, de répit, de convocation et de chasse ». Mais sous Philippe VI, l’abus en vint au point qu’on a pu parler, dans des documents financiers de l’époque, d’une « chancellerie du scel du secret du roi », parallèle à la grande chancellerie : l’imitation du « Privy seal » anglais est dès lors visible, et — comme je l’ai étudié ailleurs — il fallut la grande remise en ordre de 1349 pour mettre fin à un véritable abus.

Fig. 9 - Mandement sous le sceau du secret sur simple queue. - Philippe VI, 1343 (Arch. nat., AE II, n° 353)

[p. 57] 4. Les règlements et les instructions diplomatiques (Fig. 10)

On a conservé un certain nombre de règlements, d’instructions remises à des ambassadeurs et autres envoyés du roi auprès du pape ou de princes, et quelques rares procès-verbaux du Conseil du roi. Ces documents se présentent généralement, aux XIVe et XVe siècles, sous un titre indiquant la nature de la pièce (ainsi « Instructions pour N envoyé de par le roy… »), souvent suivi de la liste des personnes présentes au Conseil, et le texte se divise en articles.

Au pied, sans aucune formule de corroboration, on remarque soit le sceau du secret de cire rouge posé en placard, soit la signature autographe du roi (ou exceptionnellement du régent le duc d’Anjou pendant la minorité de Charles VI), soit encore ces deux signes de validation.

Fig. 10 - Acte du Conseil du roi : instruction diplomatique. Scellé au recto du sceau de cire et signé par le roi Charles VI, 1387 (Arch. nat., J 603, n° 65)

5. Les lettres missives du roi (Fig. 11)

Si on laisse de côté les lettres missives de caractère strictement personnel, on rencontre à toutes les époques des lettres missives de caractère officiel, notamment les correspondances échangées avec les souverains étrangers. Ainsi pour le seul règne de Philippe VI (1328-1350), 39 de ses missives adressées au roi d’Aragon sont conservées à Barcelone : aucune n’est signée ni du roi ni d’un secrétaire.

Ces lettres étaient évidemment expédiées pliées et closes du sceau du secret, placé au dos et brisé lors de l’ouverture de la pièce. Elles sont normalement écrites sur papier, avec l’adresse au dos. Rédigées soit en latin, soit en français selon le destinataire, elles ne portent pas la vedette « De par le roy » qui, dans les autres lettres closes, évoquent un ordre royal ; mais elles commencent, directement, soit par l’adresse exprimée en termes protocolaires, soit par une apostrophe, et elles s’achèvent par un souhait, tel que « Nostre Seigneur vous ait en sa garde » ou « Li Saint Esperiz soit garde de l’ame de vous ». Elles sont datées du lieu, du quantième et du mois, mais point de l’année, ce en quoi elles rappellent les lettres « De par le roy » avec lesquelles R. Cazelles les a confondues.

Fig. 11 - Missive autographe du roi, signée. - Charles V, [1367 ?] (Arch. nat., AE II, n° 386)

[p. 60] La plus ancienne mention de signature royale remonte au règne de Philippe V, de même que pour ses chartes solennelles. Le pape Jean XXII lui écrit, en effet, qu’il a reçu ses lettres rédigées en français et souscrites à la fin de sa propre main : propria manu tua in fine subscriptas. A partir du règne de Charles V, la signature du roi — et parfois un post-scriptum autographe — ainsi que le contre-seing d’un secrétaire, figurent plus ou moins fréquemment au pied de ses missives. Certaines des lettres de ce roi sont, d’ailleurs, entièrement autographes.

Par la suite, elles purent être écrites ou, en tout cas signées, de la plume du « secrétaire de la main ». On en a la preuve pour Louis XI, quand dans la fameuse lettre de ce roi à son chambellan, Imbert de Batarnay sieur du Bouchage, on lit : « Escripvez la lettre de ma main, ainsi que vous avez accoustumé de faire ».

III. Actes et lettres sous le signet royal

Plus personnel encore que le sceau du secret, confié à un chambellan et devenu sceau de gouvernement, était le signet royal que le roi ne confiait, en principe, à personne.

Sous ce signet furent expédiés :

  • des missives de caractère personnel, notamment des lettres familiales et, sur le plan diplomatique, des missives d’une nature plus confidentielle que les autres. Par l’inventaire du Trésor de Charles V, nous savons que ce roi disposait de plusieurs signets ou « annels » dont il entendait sans doute se servir dans ses correspondances avec des destinataires différents ;

  • des lettres de sceau plaqué « De par le roy », qui faisaient une dérogation exceptionnelle aux règles en vigueur en matière financière. Elles comportent également la signature royale, et leur validation est ainsi annoncée : « Et afin que vous sachez que ce part de nostre conscience, nous avons signé ces lettres de nostre main et seellees de nostre annel » (ou « de nostre seigniet »).

[p. 61] En outre, des lettres de don ou de paiement pouvaient, à titre de certification de la volonté expresse du roi, recevoir le signet royal, outre le grand sceau ou le sceau du secret. La pratique en remontait au règne de Philippe le Bel où le quittus général donné par le roi à son frère Charles de Valois pour toutes les sommes qu’il pouvait lui devoir, porte deux fois le signet royal : l’un est appendu sur double queue (ce qui est un cas unique), avec la formule de corroboration : « En tesmoing de ce, avons fait mettre nostre plus secret seignet en ces lettres, auquel nous voulons que foi soit adjoustee en ce cas comme a nostre plus grant seel » ; et l’autre est plaqué au pied du texte. Dans des cas analogues, Philippe V usa aussi de signets dits « au griffon » ou « au lion ».

Quant à Philippe V, son ordonnance du 16 juin 1349, lors de la remise en ordre de l’administration financière, dénie toute valeur à des lettres qui pourraient être délivrées par dérogation aux nouvelles mesures « se nostre petit signet que nous portons n’y estoit plaquié et apparent », et on a, d’ailleurs, conservé les traces du signet royal plaqué en ce cas. Cette prescription fut reprise par Jean le Bon et encore par Charles V qui par son ordonnance du 13 novembre 1372 exigeait définitivement que toutes lettres de don fussent « signées d’aucun des secrétaires et aussy du signet du roy ».

Allant plus loin encore, le roi prescrivit le 28 février 1379 l’emploi d’un signet royal spécial pour toutes lettres de don, aliénation de terre, vente et échange, paiement de rentes ou de gages à des gens des Comptes. Dès lors, l’apposition du signet fut tenue pour une garantie nécessaire « sans lequel nul denier de nostre domaine ne sera payé ». Ce signet destiné aux lettres écrites par les « secrétaires aux finances » et qualifié de « signet duquel le roy signoit les lettres de generaulx » [des finances] était donc désormais distinct du signet du roi « de quoy le roy seelle les lettres qu’il escript de sa main ».

A la différence des royaumes méridionaux, la cour de France ne recourut qu’exceptionnellement à la forme de l’instrument public. Quelquefois cependant il en fut dressé en présence du roi. Établi par un notaire du roi agissant en sa qualité de notaire apostolique et sous son seing manuel, un tel instrument se borne à dresser éventuellement le procès-verbal d’une Assemblée, d’un Conseil, ou encore, fait exceptionnel, le serment prononcé par le roi à son entrée solennelle dans la Cité. Un bon exemple est donné par le procès-verbal de l’assemblée [p. 62] tenue au Louvre le 12 mars 1303 en présence de Philippe le Bel pour entendre le réquisitoire de Philippe de Nogaret contre Boniface VIII. Ces actes aberrants dans la diplomatique royale française pouvaient être validés du grand sceau.

Actes conjoints du roi et d'autres personnages

Le principe général était que les actes du roi n’étaient validés que par l’apposition de son propre sceau. Il est toutefois arrivé que certains actes furent pourvus, outre le sien, de sceaux d’une ou de plusieurs personnes. Ce sont quelques ordonnances et des actes privés du roi.

Ordonnances

Au XIIIe siècle, et encore sous Philippe le Bel, en un temps où le pouvoir royal n’était point encore assez fort pour contraindre tous les barons et prélats à respecter une ordonnance du roi et à en étendre les effets dans toutes les limites du royaume, il est arrivé que des mesures de caractère général, après avoir fait l’objet d’une délibération des grands avec le roi et d’un serment par eux prêté de les respecter et de les faire appliquer par leurs sujets, donnèrent lieu à un acte solennel qui reçut non seulement le grand sceau royal, mais aussi les sceaux des princes, barons et prélats présents.

Un bon exemple est fournit par l’ordonnance de Louis VIII sur les Juifs du royaume, dont l’original se conserve au Trésor des chartes et qui porte encore les sceaux intacts d’une vingtaine de ducs et évêques. De même, la célèbre ordonnance « prise en commun conseil » à Château-Thierry le 5 octobre 1303 et décidant la levée générale d’un subside pour l’ost de Flandre après la défaire de Courtrai, est scellée du grand sceau de Philippe le Bel et des sceaux de neuf de ses barons, sans compter que le texte mentionne encore le consentement du grand bouteiller de France Gui de Saint-Pol et de Mahaut d’Artois comtesse de Bourgogne.

Actes privés du roi

Les actes privés du roi, c’est-à-dire les contrats de mariage des princes, les conventions successorales, des pièces relatives aux remises de don ou de constitution de douaire, furent le [p. 63] plus souvent scellés aux XIIIe et XIVe siècles conjointement par le roi et les membres de sa famille ainsi que par l’autre partie intéressée. Nous disposons ainsi d’un certain nombre d’actes scellés, d’une part, par le roi et, de l’autre, par Charles de Valois, par le duc de Bourgogne et autres grands. Un bon exemple est fourni par l’accord conclu entre Philippe V et sa belle-sœur, la reine Clémence de Hongrie, veuve de son frère et prédécesseur Louis X, cet acte comportant l’échange entre le château de Vincennes et le Temple de Paris et un complément d’assiette du douaire. L’acte est intitulé au nom des deux contractants et scellé de leurs grands sceaux respectifs sur lacs de soie rouges et verts, le 15 août 1317, et il porte, en outre — ce qui est en tout autre cas totalement inhabituel — une liste des témoins.

En revanche s’il existe des traités portant les sceaux des deux souverains contractants, le fait semble exceptionnel : les traités entre souverains faisaient normalement l’objet de deux actes distincts, d’une même teneur, expédiés par chacun des contractants, ou bien d’une lettre et d’une contre-lettre, chacune scellée par l’auteur de l’acte.

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Il ne faudrait pas exagérer l’importance de ces derniers cas particuliers : actes scellés du signet, instruments publics, actes co-scellés par le roi ne constituent qu’une infime minorité dans la masse des écritures royales. Les deux catégories essentielles sont bien les actes de chancellerie scellés du grand sceau et les actes émanés du roi sous le sceau du secret, qui répondent les uns et les autres à des finalités particulières.

Il faut, d’autre part, souligner que, si le plus grand nombre d’actes conservés aujourd’hui dans nos archives sont des pièces scellées du grand sceau (ou de son substitut en l’absence), c’est que, en raison de leur objet, le actes scellés du sceau du secret n’ont guère été conservés par les destinataires. En fait, le plus grand nombre d’actes expédiés l’étaient sous la forme de mandements, lettres scellées de cire jaune sur simple queue, instrument classique de l’administration ; mais aujourd’hui nous connaissons surtout les chartes scellées de cire verte parce qu’elles étaient de valeur perpétuelle et qu’elles formaient un titre entre les mains des destinataires qui entendaient les conserver avec grand soin. De plus, ces actes faisaient seuls l’objet d’un enregistrement systématique dans les [p. 64] registres de la chancellerie, nos registres dits du Trésor des chartes. N’oublions pas qu’en dépit de cette circonstance, ces « chartes » ne constituaient qu’une très petite minorité des actes royaux et, il faut bien le reconnaître, pas toujours la plus intéressante du point de vue historique.

Nous avons fait des recherches dans les comptes conservés de la chancellerie. Le nombre des actes expédiés sous un sceau apposé par le chancelier est demeuré à peu près fixe au long du XIVe et du XVe siècles. D’après le poids de la cire achetée pendant six années du règne de Philippe VI — soit de 972 à 1293 kg par an (avec une chute à 730 kg en 1332-3), on obtient un total de 20 à 30 000 actes par an. D’après un compte de taxes perçues pendant un semestre de 1305, soit 16 500, on obtient un total de 33 000 dans l’année, et en 1440 d’environ 35 000. Or le poids de la cire pour le sceau du secret ou le signet royal de cire rouge pour un semestre de 1337 correspond à environ de 12 à 18 000 lettres émanées du roi expédiées annuellement hors chancellerie, soit environ la moitié de ce qui l’était par la chancellerie, ce qui apparaît considérable et que ne reflète absolument pas la masse des archives aujourd’hui conservées : moins de 250 lettres pour tout le règne de Philippe VI !

D’autre part, une répartition de l’activité de la chancellerie royale faite par nature d’actes pour un semestre de 1395 nous donne les chiffres suivants : 14 000 pièces ont été scellées sur simple queue, contre 730 lettres patentes sur double queue et seulement 426 chartes scellées de cire verte, celles qui précisément étaient normalement enregistrées dans le registres du Trésor des chartes. D’après d’autres relevés, nous constatons de même que la proportion des chartes de cire verte en 1395, 1440, 1468 et 1512 a varié entre 1,7 %, 2 % et 2,4 % de l’ensemble des pièces scellées par la chancellerie, et les lettres patentes scellées sur double queue n’étaient pas beaucoup plus nombreuses.

Enfin, il ne faut pas oublier qu’à partir du milieu du XIVe siècle, un nombre toujours de plus en plus considérable d’actes de nature administrative, judiciaire ou financière était établi par les cours, les conseils, les officiers responsables de chacun des services de la royauté : même le Conseil du roi, après la Chambre du Parlement et les Requêtes du Palais, se donna dès le règne de Philippe VI un petit sceau particulier pour l’expédition de ses propres actes.

[p. 65] Dès lors il est évident que la notion de « diplomatique royale », comme celle même d’« actes royaux », doit s’élargir. On ne peut plus se limiter à la seule catégorie des pièces que la tradition juridique voulait qu’elles fussent scellées des sceaux d’un roi dont, le plus souvent, par suite de délégations d’attributions ou de responsabilités, l’ordre donné en son nom n’était plus guère qu’une fiction.

Il serait enfin une autre typologie des actes royaux que le diplomatiste se devrait d’étudier, celle des très nombreuses catégories de pièces expédiées, autrement dit : une typologie juridique des actes qui tiendrait compte de leur contenu intrinsèque et des clauses s’y rapportant. Les formulaires, depuis le XIVe siècle, distinguaient parfaitement les « lettres de grâce », les « lettres de justice », les « lettres de finance » et ils y joignaient les « lettres de sang, d’office, de bénéfice » etc. Descendant plus bas, ils considéraient de façon distincte la rédaction des lettres de don de terre ou de rente, d’inféodation ou d’investiture, d’échange et d’engagement, de rémission et d’abolition etc.. Dans cette perspective, à vrai dire trop négligée, diplomatistes et juristes auront le devoir de s’apporter une coopération indispensable aux uns et aux autres dans l’étude précise de l’évolution des clauses, mais il est évident qu’une telle étude, même menée sur un plan très ponctuel à titre d’exemple, mériterait un autre exposé qui ne saurait avoir sa place au cours de ce Colloque.

[p. 66] Légendes des illustrations

Fig. 1 : Diplôme de Philippe III le Hardi (1270-1285) : vidimus confirmatif de lettres de Geoffroy de Rochefort, chevalier, et de sa femme Isabelle, relatives à l’achat d’une rente sur La Rochelle par le chambellan [et favori] du roi, Pierre de la Broce — 1273, mai, Senlis.
Parchemin de 545 × 555 mm (dont repli de 45 mm), scellé d’un très épais sceau de cire verte sur lacs de soie verte rouge. Première ligne et mention de chancellerie (avec le monogramme royal) en beaux caractères décoratifs. — Arch. nat., J728, n° 119.
Fig. 2 : Charte de Philippe IV le Bel (1285-1314), annulant ses lettres précédentes par lesquelles, en autorisant son frère Charles de Valois à tenir La Roche-sur-Yon et ses dépendances à seuls foi et hommage avec le comté d’Anjou, il exigeait de lui la compensation de la valeur de ce château : il n’y aura pas lieu à compensation. — 1299, août, Abbaye de l’Aumône de Cîteaux.
Parchemin de 270 × 220 mm (dont 30 mm de repli), scellé d’un sceau de cire verte sur lacs de soie verte et rouge. Sur le repli, à gauche, trace du sceau du secret du roi, confirmant son expresse volonté ; à droite : « Per dominum Chambiliaci ». — Arch. nat., J 178 B, n° 56.
Fig. 3 : Charte ad perpétuant memoriam de Charles V (1364-1380) : ordonnance royale fixant à quatorze ans la majorité des rois de France. — 1374, août, château du Bois de Vincennes.
Parchemin de 660 × 610 mm (dont 145 mm de repli), scellé d’un sceau de cire verte sur lacs de soie verte et rouge. — Toute la première ligne et spécialement les initiales (K, A[d] et F[ilios], premier mot du préambule), ont un décor dessiné en camaïeu. — Sur le repli : « Per regem in Consilio suo. Blanchet ». — Arch. nat., J401, n° 60.
Fig. 4 : Lettre patente sur double queue de Charles VI (1380-1422) : Pouvoir donné à Moreau de Montmor, son chambellan, envoyé comme ambassadeur auprès du roi de Castille et Portugal et chargé d’obtenir de celui-ci remboursement d’une somme de cent mille francs. — 1388, 2 septembre, Châlons-sur-Marne.
Parchemin de 352 × 225 mm (dont 52 mm de repli), scellé de cire jaune sur double queue. Sur le repli, à gauche : « Par le roy, mess, les ducs de Berry et de Bourgogne, le cardinal de Laon et vous presens. P. Manhac ». — Arch. nat., J603, n° 66.
Fig. 5 : Mandement sur simple queue de Philippe VI (1328-1350) : le roi mande à Pierre Julien, garde de ses chartes, de rechercher dans [p. 67] les archives les lettres concernant Charles de Navarre et d’en faire copie. — 1328, 22 octobre, Saint-Germain-en-Laye.
Parchemin de 275 × 75 mm scellé (selon la formule de corroboration) « soubz le seel de nostre secret [du 1er type], en l’absence de nostre grant ». Signé, à gauche : « Par le roy. Nicol ». — Arch. nat., J 476, n° 2 (17).
Fig. 6 : Mandement sur simple queue de Charles VI (1380-1422) : le roi mande aux trésoriers à Paris de payer 500 francs à Jean de Villiers, fils mineur du feu sire du Hommet, plusieurs fois blessé et fait prisonnier pendant les guerres et, en conséquence, fort obligé envers diverses personnes ; la somme sera prise la terre même du Hommet, mise en la main du roi pour cause de minorité. — 1396, 21 septembre, Paris.
Parchemin de 303 × 145 mm (la queue scellée est déchirée), avec la mention ajoutée : « Sigillata de expresso mandate régis ». Sur le repli, à gauche : « Par le roy, presens les ducs de Berry et de Bourgoigne, Nivole Paynel et autres. J. de Sanctis ». — Arch. nat., K 54, n° 35.
Fig. 7 et 7bis : Lettre close « de par le roy », de Charles V (1364-1380) : le roi mande à ses secrétaires Girard de Montaigu et Jean Tabari de faire les lettres du mariage de Hongrie dans la forme que son premier chambellan Bureau de la Rivière et Me Aleaume Boitel lui ont écrite. — [1375], 17 décembre, Senlis.
Papier de 297 × 142 mm, jadis plié, signé : CHARLES (avec annonce de la main royale) — Au dos, trace du pliage en quatre, adresse et trace du sceau du secret de clôture. — Arch. nat., J 458, n° 1 bis.
Fig. 8 : Lettre de sceau plaqué, de Jean II le Bon (1350-1364). Le roi mande aux gens des Comptes d’imputer sur les comptes des généraux trésoriers et receveur général des Aides pour sa rançon les 60 000 écus que le chancelier a commandé verbalement au nom du roi de payer au Prince noir sur les 400 000 écus du terme de la Toussaint. — 1363 (n.st.), 17 janvier, Villeneuve-lès-Avignon.
Parchemin de 338 × 120 mm, scellé au recto, en placard, du sceau du secret de cire rouge, sur la cire étalées en crois. À gauche, « Par le roy. J. Mellou ». La date a été ajoutée d’une autre main. — Arch. nat., J 641, n° 13 (9).
Fig. 9 : Mandement sous le sceau du secret de Philippe VI (1328-1350). Le roi mande aux gens des Comptes de rayer de l’inventaire des reliques celles qu’il a envoyées au pape par l’aumônier de la reine et trésorier de la Sainte Chapelle, et notamment le joyau dit « camée », et de payer au porteur ses frais de voyage. — 1343, 21 juin, Saint-Ay.
Parchemin de 292 × 100 mm, scellé sur simple queue « soubz le seel de nostre secret » de cire rouge. Signa à gauche, « Par le roy. Verberie ». — Arch. nat., J155, n° 15.
Fig. 10 : Acte du Conseil du roi : instructions diplomatiques sous Charles VI (1380-1422). « Mémoire de se que l’amirail mess. Jaques de [p. 68] Montmor et les autres que le roy nostre sire envoie devers le roy de Castelle lui ont a dire de par le roy nostredit seigneur ». — S.d. [1387].
Parchemin de 280 × 420 mm, plié en 4 dans la larguer. — Signé, à gauche, sous le texte : CHARLES ; au pied, au centre, le sceau du secret de cire rouge. — Arch. nat., J 603, n° 65.
Fig. 11 : Lettre missive autographe du roi Charles V (1350-1364). Le roi demande à son trésorier Pietro Scatissa de lui renvoyer une somme de 22 500 francs qu’il lui a fait parvenir, de payer au duc d’Anjou 12 000 francs sur l’aide de la rançons royale et de veiller au paiement de 30 000 doubles d’Espagne pour la rançon de Du Guesclin. — S.d. [1367 ?], 7 décembre, Paris.
Papier, 265 × 210 mm, plié en 4 dans la hauteur et en 4 dans la largeur, avec adresse au dos. — À la fin : « Escrit de notre main » et signé : CHARLES. — Arch. nat., K 49, n° 34 (3) = Musée, AE II 386.