[p. 193] La typologie des documents royaux polonais aux XIIIe et XIVe siècles
Le baptême de la Pologne [966], l’accession du pays à la chrétienté et de son souverain aux rangs des monarques de l’Europe chrétienne, ne nous a pas laissé de documents royaux ; leur existence peut être déduite uniquement d’un vague résumé, dans les Registres des Papes de la fin du Xe siècle, d’une lettre du prince Mieszko, premier souverain. Des Registres des Papes également provient un renseignement indirect [1075] sur la correspondance du Saint Siège avec Boleslas de Hardi, prince de Pologne et son futur roi. La plus ancienne lettre originale du monarque polonais, prince Ladislas, provient de la charnière des XIe et XIIe siècles ; sa forme développée et le moulage élégant de l’écriture, ainsi que le sceau de majesté [sigillum maiestatis] qu’elle porte témoignent du niveau élevé de la chancellerie des souverains polonais à l’époque. Les documents suivants qui nous sont parvenus, au nombre de sept, ne datent que de la seconde moitié du XIIe siècle. C’est l’époque du déclin du Royaume de Pologne, démembré en des principautés régionales particulières. La forme stylistique desdits documents est très pauvre. Des recherches diplomatiques détaillées, menées depuis le XIXe siècle, ont prouvé que le document privé de l’ouest de l’Europe servait de modèle aux documents polonais de l’époque. La forme stylistique des documents des princes des régions particulières dans les premières quarante années du XIIIe siècle est très pauvre elle aussi (Phot. I). On ne peut pas distinguer à cette époque des types de documents différant par leur contenu et par leur forme. Le document se limite parfois à l'intitulatio qui est, de règle, à la première personne du singulier [« Ego… »] et à la dispositio. Les documents plus développés portent en plus : une courte promulgatio ou publicatio, de [p. 194] forme bien diversité, une narratio, courte elle aussi, quelquefois une maledictio ou une corroboratio. Le document cite assez souvent la liste des témoins (Phot. II). La date n’était pas un élément indispensable ; à côté des documents qui ne portent pas de date il y en a qui sont datés de l’an ou bien ceux où la date du jour est notée suivant le calendrier chrétien ou romain. Deux autres éléments qui paraissent sur les documents dont le destinataire étaient des institutions ecclésiastiques, ce sont invocatio et arenga, fort diversifiées elles aussi, et c’est là que nous voyons l’influence du destinaire sur le style du document.
Le nombre des documents conservés augmente vers le milieu du XIIIe siècle, leur forme s’enrichit et, en grandes lignes, se laissent distinguer des types suivants des écrits du monarque :
documents de forme plus ample qui contiennent : invocatio, arenga, intitulatio, publicatio, narratio, dispositio, corroboratio, la liste des témoins, la date et parfois la formule « datum per manus… » et « scriptum per… »
documents de forme raccourcie qui contiennent des formules ci-dessus à l’exception des deux premières [invocatio et arenga] et des deux finales [liste des témoins et « datum per manus… »]
dispositions du monarque pour les fonctionnaires [mandatum] avaient une forme raccourcie : au lieu de publicatio on mettait l’adresse [on nommait le destinataire] avec salutatio et au lieu de dispositio — une formule mandataire, c’est-à-dire la disposition de service avec une sanction
correspondance du monarque dont les exemples rares seulement nous sont parvenus et qui, par la nature des choses, possède une forme individualisée, comme cette lettre de Konrad, prince de Mazovie, de 1285, qui contient intitulatio, l’adresse et salutatio, narratio, petitito et la date
conventions avec des souverains étrangers au XIIIe siècle sont peu nombreuses, leur forme — plus ample ou raccourcie — dépend du rang de l’acte.
Le formulaire plus ample du document était employé pour des octrois et confirmations du monarque dits perpétuels, dont les effets de droit étaient de longue durée, la forme raccourcie serait pour des actes [p. 195] de valeur juridique limitée [exemptions de charges, permis marchands]. Le choix entre ces deux formes dépendait parfois non du contenu du document, mais bien du rang social du destinataire.
Au XIVe siècle, les types des documents royaux présentés ci-dessus s’instituaient et se perfectionnaient, mais c’étaient toujours les mêmes dont se servait la chancellerie du souverain.
Dans la dernière décade du XIIIe siècle des efforts réussis en vue de l’unification du Royaume de Pologne avaient été entrepris dans deux centres régionaux : Przemysław II, prince de la Grande Pologne, après plus d’une dizaine d’années de tentatives, fut couronné roi en 1295, mais, dans peu de temps, on l’a assassiné. L’essai suivant, de Władysław Łokietek [Ladislas le Petit], pour unifier la Pologne autour de Cracovie comme centre aboutit en 1320 à la restitution du royaume sous son sceptre (Phot. III).
Les documents qui proviennent de ces deux chancelleries se distinguent par une unification considérable du formulaire et par une diminution du nombre des variantes employées de formules particulières [il y a par exemple des arengae caractéristiques pour chacune des chancelleries], la datation cependant n’est pas toujours uniformément notée. La chancellerie de Przemysław II diffère avantageusement de celle de Ladislas le Petit par une écriture très belle et par une forme extérieure plus imposante (Phot. IV).
Après la mort de Ladislas le Petit en 1333, son fils, Casimir le Grand, pris le trône du Royaume de Pologne. On peut parler des formes déjà entièrement constituées des documents royaux sous son règne. Les documents dont les effets de droit étaient de longue durée, avaient été rédigée toujours à l’aide du formulaire complet. Invocatio est un élément fixe, de même que arenga [à de très rares exceptions], soulignant la majesté du souverain ; publicatio, le contexte des documents et corroboratio ont des formes assez uniformisées, eschatocollon comprend tous les éléments composants (Phot. V). Les documents de valeur juridique limitée avaient toujours le formulaire raccourci.
A la même époque s’opère une différenciation de l'intitulatio : les documents au formulaire plus ample citent, en dehors du titre du roi de Pologne, des provinces particulières qui composaient le Royaume de Pologne ; sur les documents au formulaire raccourci, l'intitulatio cite le nom du souverain et, à côté, seulement le titre « rex Poloniae ».
[p. 196] Dans les documents au formulaire ample, ceux surtout qui étaient adressés à quelque institution de l’Église, on ajoutait encore à l'invocatio la formule perpétuelle [« ad perpetuam rei memoriam »].
Les mandats royaux avaient la forme raccourcie avec l’adresse et salutatio au lieu de publicatio et avec une formule ordonnant l’exécution de la disposition contenue dans le mandat et munie de la sanction au cas de la non-exécution de cette disposition.
Les lettres royales ont une courte intitulatio, l’adresse avec salutatio et leur contenu est — par la nature des choses — rédigé individuellement ; il y a, parmi ces lettres closes, écrites sur le papier, avec l’adresse placée sur l’enveloppe, celle-ci fermée par l’empreinte d’un sceau (Phot. VI).
Après la mort de Casimir le Grand [1370], la Pologne était gouvernée par Louis, roi de Hongrie, neveu du roi, et par sa mère, Elisabeth, sœur de Casimir. Les formes dont se servait la chancellerie royale pendant leur règne ne sont pas changées, on gardait les coutumes élaborées dans la chancellerie du roi Casimir, ceci parce que, selon toute probabilité, la même équipe continuait à travailler dans le même service. La seule innovation c’était l’introduction d’une formule finale appelée relatante [« Relatio domini… »], où on nommait la ou les personnes responsables du contenu du document.
Jadwiga [1371-1399] succédait au trône de Pologne à son père Louis en 1384. Dans les premières années de son règne, à cause de la minorité de la reine peut-être, les formules des documents sont fort loin d’être uniformes. Les types des documents ne diffèrent pas des formes employées par les prédécesseurs de Jadwiga ; à été de la formule relatante, introduite déjà dans la chancellerie de Louis et Elisabeth, employée aussi par Jadwiga, on rencontre sur les documents au formulaire raccourci la formule « per dominam reginam ». On peut signaler aussi des mandats de la reine, de forme très raccourcie, écrits sur papier (Phot. VII).
La reine Jadwiga, après son mariage [1386] avec Władysław Jagiełło, prince de Lithuanie qui devint à ses côtés roi équivalent de Pologne, s’était presque retirée de l’administration de l’État.
La chancellerie de Jagiełło [1386-1434] possède des principes déjà très évolués de formuler des écrits du roi, c’est entièrement « stilus curiae » qui, avec de petits changements et, bien sûr, de nouvelles formes émanant de la pratique de cette chancellerie se trouvent bien caractérisés [p. 197] dans un manuel, élaboré à la charnière des XIVe et XVe siècles, par Georgius, officier de la chancellerie royale. Le manuel distingue les privilèges et les lettres. Il divise les privilèges en perpétuels [ceux qui possèdent l'invocatio et la liste des témoins] et séculaires [privés de ces formules] ; arengae se trouvent uniquement sur des documents de plus grande importance. Georgius divise des lettres en lettres closes et lettres ouvertes. Nous constatons tous ces traits dans les documents de Jagiełło.
Trois types d’intitulé apparaissent : intitulé ample, nommant des parties composantes de la monarchie — on l’employait dans les documents au formulaire plus ample (Phot. VIII) ; intitulé moyen, citant le titre du roi de Pologne et du grand prince de Lithuanie — pour les documents séculaires ; intitulé bref [« rex Poloniae »] — pour les mandats. Le manuel de Georgius nous apprend que arenga n’était pas l’élément obligatoire, elle apparaît cependant souvent dans les documents perpétuels ; nous connaissons quatre-vingt variantes de cette formule dans la chancellerie de Jagiełło — il n’y est pas question de la puissance, de l’autorité du souverain, mais de ce que les choses de ce monde sont passagères et éphémères ; les motifs religieux sont mis en relief. À côté de la formule relatante toujours employée [dans les documents perpétuels aussi bien que dans les séculaires] on rencontre « dominus rex per se » ou « ad mandatum regiae maiestatis », avant tout dans les documents séculaires.
La forme stylistique des documents de Jagiełło ainsi que leur forme extérieure sont établies avec exactitude : une rhétorique dans les documents perpétuels, des formules concises dans les documents séculaires et les mandats, de riches initiales et l’écriture calligraphique dans les premiers, l’initiale modeste et l’écriture soignée mais cursive dans les seconds.
Bibliographie sélective
St. Krzyżanowski, Dyplomy i kancelaria Przemysława II, 1890.
St. Krzyżanowski, Początki dyplomatyki polskiej (L’origine de diplomatique polonaise) 1892.
St. Kętrzyński, Zarys nauki o dokumencie polskim wieków średnich (l’esquisse sur les documents polonais du Moyen Âge), 1934.
Wł. Semkowicz, Uwagi o początkach dokumentu polskiego (les considérations sur l’origine des documents polonais), 1935.
I. Sułkowska-Kuraś, Dokumenty królewskie i ich funkcja w państwie polskim za Andegawenów i Jagiellonów (les documents royales et leur fonction en Pologne aux temps d’Angevins et de Jagiellon), 1977.
Publications des sources
Codex diplomaticus Minorias Poloniae, edid. F. Piekosiński, v. I-II, 1876-1883.
Codex diplomaticus eccl. cathedr. Cracoviensis, edid. F. Piekosiński, 1874-1883.
Codex dipl. civitatis Cracoviensis, edid. F. Piekosiński, 1879. Codex dipl. — Masoviae, edid. J.K. Kochanowski, 1919.
Zbiór dokumentów małopolskich (la collection des documents de Petite Pologne), edid. I. Sułkowska-Kuraś et S. Kuraś, v. I, IV, VI, 1962-1974.
Zbiór dokumentów katedry i diecezji krakowskiej (la collection des documents de la cathédrale et la diocèse cracoviens) edid. St. Kuraś, 1965.
Codex diplomaticus Maioris Poloniae, edid. A. Gasiorowski, v. VI, 1982.
Codex diplomaticus Masoviae novus, pars II, edid. I. Sułkowska-Kuraś et St. Kuraś, 1989.
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