Partie 3
Authenticité, fiabilité et exactitude des documents d’archives numériques dans les domaines artistique, scientifique et de l’administration137
Introduction
Contexte et mission
Le premier projet InterPARES (1999-2001) était consacré aux problèmes de la conservation des documents d’archives administratifs et juridiques produits dans des bases de données et dans des systèmes de gestion électronique des documents138. Ces documents, bien que conservés sous forme numérique sur des supports instables, se veulent l’équivalent des documents papier produits dans le cours de procédures métier établies, dans des contextes juridiques bien connus. Le projet a donc naturellement centré ses travaux sur la conservation de leur authenticité et de leur fiabilité – les deux qualités qui les rendent dignes de confiance139 en tant que représentations d’actions – au cours de leur inévitable migration de système en système, de support en support et de format en format, toutes opérations au cours desquelles ils sont susceptibles d’être altérés.
Pour cette exploration, InterPARES 1 s’était appuyé sur des concepts empruntés à la diplomatique et à l’archivistique contemporaines, sciences des documents d’archives s’enracinant dans une pratique européenne à la source des systèmes économiques et juridiques occidentaux modernes. La diplomatique identifie les caractéristiques des documents qui en font des documents d’archives, des représentations fixes, fiables et complètes de transactions. Elle s'intéresse à la conservation parce que conserver un document d’archives exige de conserver toutes les caractéristiques qui le rendent tel.
Se référant à cette théorie, l’équipe Authenticité a élaboré deux ensembles de principes directeurs pour garantir l’authenticité des documents d’archives numériques dans le temps140. Chaque ensemble de principes se rapporte à une phase différente du cycle de vie du document, sur la base de la distinction généralement admise entre les archives courantes et intermédiaires, qui sont maintenues par le producteur à des fins de consultation présente et future, et les archives définitives qui ont été versées à une institution archivistique pour être conservées sur le long terme. Les conditions de référence requises proposent un cadre pour présumer ou vérifier l’authenticité des documents d’archives numériques du producteur, et les conditions de base requises définissent les conditions de production de copies authentiques des documents d’archives après leur versement au service d’archives. Ces principes visent à définir et à permettre d’évaluer l’identité et l’intégrité des documents, deux qualités qui doivent être conservées pour que les copies soient authentiques141.
En axant ses travaux sur les conditions requises théoriques de l’authenticité, InterPARES 1 a pu mettre en lumière les obstacles à la conservation et proposer un cadre pour comprendre et résoudre les problèmes que de nombreuses organisations ont récemment connus. Ces problèmes ne se limitaient pas aux conséquences désormais bien connues de la dégradation des supports et de l’évolution des logiciels. « Par exemple, [le projet] a montré que dans de nombreux cas, les systèmes électroniques sont toujours conçus pour gérer des données plutôt que des documents142. » Les études de cas ont montré que peu de systèmes contiennent des objets qui satisfont à la définition diplomatique du document d’archives. Même les systèmes contenant des documents d’archives ne conservent pas suffisamment d’informations sur leur identité et leur intégrité ; ce qui, ipso facto, ne permet pas de garantir leur authenticité au cours de leur conservation. Les études ont également montré que certains types d’affichage des informations ne présentent pas la fixité que l’on attend du document d’archives ; c’est par exemple le cas lorsque l’affichage assemble des informations de sources diverses et constamment mises à jour. À l’instar d’un document d’archives, les affichages de ce type informent quant aux décisions et actions des organisations mais ils ne sont pas stockés ou figés, ce qui conduit à se demander s’ils peuvent être conservés.
Ces constats ne sont pas sans évoquer des problèmes de gestion de l’information observés dans des activités très éloignées de l’économie et du droit. Un cinquième des données produites par la mission Viking d’exploration de Mars en 1976143 et les travaux de près de la moitié des compositeurs144 et d’un quart des photographes numériques145 ont été perdus ou sont menacés par l’obsolescence technologique ou des politiques de conservation inadaptées. Dans un tout autre registre, de nombreuses voix se sont élevées pour contester que les documents produits par les machines à voter électroniques soient dignes de confiance146. Tout utilisateur d’Internet est familier des liens inactifs, des fichiers médias illisibles et de la difficulté à déterminer si les informations auxquelles on accède sont « vraies »147.
La nature de ces activités laisse espérer que l’archivistique pourra apporter sa pierre à la résolution de ces problèmes. Bien que les objets et les expériences artistiques ne soient pas des documents d’archives au regard de la diplomatique (il s’agit de créations, et non de produits découlant d’une activité), l’évaluation que nous en faisons requiert généralement que nous connaissions les actions et les contextes dans lesquels ils ont été produits148. Les activités scientifiques de tests d’hypothèses dépendent de la reproductibilité des expériences, ce qui, en retour, exige de savoir exactement comment les données enregistrées ont été collectées et interprétées. Et lorsque les États rendront obligatoire la prestation en ligne de leurs services, les citoyens voudront que les transactions conduites au moyen d’applications interactives soient complètement et correctement enregistrées et pouvoir avoir confiance dans les documents ainsi créés et reçus.
S’il ne fait donc aucun doute que l’expertise archivistique a beaucoup à apporter, force est également de constater que les collaborations entre archivistes, producteurs de documents et informaticiens sont problématiques. Les concepts d’authenticité et de fiabilité n’ont pas la même signification dans les domaines des arts, des sciences et de l’administration, signification parfois fort éloignée de celle qu’en donne l’archivistique. En outre, la structure et la fonction des objets numériques produits dans les domaines artistiques et scientifiques sont souvent différentes de celles des objets produits dans les contextes administratifs et juridiques, de sorte qu’il n’est pas aisé de déterminer si les conditions requises définies par InterPARES 1, ou même le concept archivistique d’authenticité lui-même, sont pertinents. De fait, une des questions de recherche les plus intéressantes pour InterPARES 2 était de déterminer si ces conditions pouvaient être remplies pour les documents (ou d’autres objets numériques) pour des activités très éloignées des pratiques traditionnelles d’archivage. À cet égard, l’équipe sur l’authenticité149 souligne dans son rapport combien il est important d’étudier les documents dans le contexte des systèmes dans lesquels ils ont été produits.
La deuxième phase d’InterPARES s’est donc attachée à partir de 2002 à élaborer une connaissance théorique des documents d’archives produits dans les systèmes interactifs, expérientiels et dynamiques, de leur processus de production et de l’utilisation actuelle et potentielle des documents d’archives dans les domaines artistique, scientifique et de l’administration. Le projet a été organisé en trois thématiques de recherche, explorant différents aspects de la question. L’équipe thématique 2 a exploré les concepts d’authenticité, de fiabilité et d’exactitude dans leur définition théorique et leur acception dans les domaines artistique, scientifique et de l’administration, et a rapproché ces acceptions des définitions d’InterPARES 1. Trois missions ont ainsi été fixées à l’équipe thématique 2 lors de l’atelier plénier du projet qui s’est tenu à Vancouver en février 2003 :
- 1. établir comment les concepts de fiabilité, d’exactitude et d’authenticité sont utilisés par les producteurs de documents dans les domaines étudiés par le projet ;
- 2. savoir quels mots sont utilisés dans chaque domaine pour désigner ces concepts ;
- 3. déterminer quelle importance, le cas échéant, les producteurs de chaque domaine accordent à ces concepts.
L’équipe de recherche
On trouvera ci-dessous la liste des chercheurs et des assistants de recherche ayant participé à l’équipe thématique 2 au cours du projet150 :
Co-Présidents :
Philip Eppard, janvier 2002 – déc. 2006
Brent Lee, janvier 2002 – déc. 2005
John Roeder, janvier 2002 – déc. 2006
Bill Underwood, janvier 2002 – déc. 2006
Chercheurs :
Marta Braun, Ryerson University, Canada, Groupe de travail 2.1
Ann Butler, New York University, États-Unis, Groupe de travail 2.1
Hannelore Dekeyser, Katholieke Universiteit Leuven, Belgique, Groupe de travail 2.3
Philip Eppard, University of Albany, State University of New York, États-Unis, Groupe de travail 2.3
Ken Hawkins, National Archives and Records Administrations, États-Unis, Groupe de travail 2.2
Ian Lancashire, University of Toronto, Canada, Groupe de travail 2.1
Brent Lee, University of Windsor, Canada, Groupe de travail 2.1
Michael Murphy, Ryerson University, Canada, Groupe de travail 2.1
Eun G. Park, McGill University, Canada, Groupe de travail 2.2
Richard Pearce-Moses, Arizona State Library, Groupe de travail 2.3
John Roeder, The University of British Columbia, Groupe de travail 2.1
Andrew Rodger, Library and Archives Canada, Groupe de travail 2.1
Bill Underwood, Georgia Tech Research Institute, États-Unis, Groupe de travail 2.3
Assistants de recherche :
Scott Amort, The University of British Columbia, Canada
Gary Barclay, The University of British Columbia, Canada
Lindsey Bergen, The University of British Columbia, Canada
Natalie Catto, The University of British Columbia, Canada
Heather Dean, The University of British Columbia, Canada
Shanna Fraser, The University of British Columbia, Canada
Jessica Glidewell, The University of British Columbia, Canada
Joshua Hauck-Whealton, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Ted Hoppenstedt, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Tracey P. Lauriault, Carleton University, Canada
Rachel McMullin, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Peter Runge, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Mary Beth Sullivan, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Carol Ward, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Reginald White, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Mark Wolfe, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Catherine Yasui, The University of British Columbia, Canada
Sherry Xie, The University of British Columbia, Canada
Jessica Zacher, University at Albany, State University of New York, États-Unis
Méthodologie et questionnaire de recherche
Les objectifs du thème 2 ont été formulés dans la proposition originale du projet sous la forme d’un questionnaire de recherche151. En résumé, les questions étaient les suivantes : Que signifient les concepts de fiabilité, d’exactitude et d’authenticité dans le contexte d’activités artistiques, scientifiques et de l’administration ? Dans quelle mesure, et comment, les producteurs de documents dans ces domaines présument-ils et vérifient-ils que leurs documents possèdent ces qualités ? Comment ces présomptions, si elles existent, s’articulent-elles avec les conditions requises conceptuelles définies par les projets UBC-MAS152 et InterPARES 1 pour les systèmes de bases de données ? Quels outils intellectuels, du type principes directeurs, et quelles technologies pourraient aider les producteurs à produire des documents d’archives authentiques, fiables et exacts tout en respectant les obligations légales, les différences culturelles, la liberté d’expression et de recherche et le droit à la vie privée ?
Une des nouvelles orientations, implicite dans ces questions, était qu’InterPARES 2 ne cherche pas seulement des exemples de documents d’archives numériques idéaux tels qu’ils avaient été décrits par InterPARES 1. Outre que les particularités des activités scientifiques et artistiques interdisent, a priori, toute présupposition de cet ordre, le projet InterPARES 1 lui-même avait établi que même les documents présents dans des systèmes de l’administration étaient souvent fort éloignés de cet idéal. Comme l’avait suggéré l’équipe travaillant sur l’authenticité, InterPARES 2 a donc étudié toutes les objets numériques existants dans les systèmes et s’est également intéressé à l’idée que se font les producteurs de leurs activités et des produits qui en découlent, et à ce qu’ils pensent être requis pour présumer l’authenticité, la fiabilité et l’exactitude de leurs documents.
L’équipe thématique 2 a conduit son travail selon plusieurs axes. Dans un premier temps, les chercheurs ont passé au crible la littérature consacrée à chaque domaine (arts, sciences et administration), afin de repérer et d’analyser tout ce qui se rapportait aux notions d’authenticité, de fiabilité et d’exactitude, et à des concepts connexes. Ils ont ensuite élaboré des bibliographies critiques, qui ont été publiées sur le site web d’InterPARES. Ces bibliographies ont servi d’outils de recherche aux autres activités du projet qui ont donné lieu à des articles et à des présentations portant sur les analyses conceptuelles.
Afin de nourrir d’éléments concrets ces discussions essentiellement théoriques, les chercheurs ont également analysé les rapports des différents travaux conduits par InterPARES pour explorer les pratiques en vigueur dans ces domaines – études de cas et enquêtes plus générales ainsi qu’entretiens avec les producteurs. Les études constituent des exemples de pratiques courantes susceptibles de mettre en lumière différentes conceptions des notions d’authenticité et de fiabilité des documents d’archives numériques. L’équipe thématique 2 a participé à l’élaboration des outils et matériaux pour ces études, notamment en vue de recueillir le point de vue des producteurs sur le questionnaire.
Les recherches bibliographiques, les analyses conceptuelles et les rapports des études de cas ont constitué les principales sources des travaux de l’équipe transversale Terminologie d’InterPARES 2, unité de recherche pluridisciplinaire pilotée par des lexicographes et des experts de l’organisation des connaissances. Suivant une démarche rigoureuse, l’équipe Terminologie a élaboré un glossaire, un dictionnaire et une ontologie (description formelle des concepts en vigueur dans la communauté des producteurs et des archivistes étudiés par le projet)153. Ces outils ont harmonisé et contrôlé la terminologie utilisée par les chercheurs d’InterPARES 2, issus de disciplines et de traditions nationales très différentes. Les travaux de l’équipe thématique 2 ont conforté ou apporté nuances et contexte aux définitions réunies dans le glossaire, qui sont les concepts de travail officiels du projet. Par exemple, la définition de l’authenticité comme « qualité d’un document d’archives qui est ce qu’il prétend être et qui n’a été ni corrompu ni altéré » donnée dans le glossaire est complétée et nuancée par les treize autres définitions (données dans le dictionnaire) repérées par l’équipe thématique 2 dans le seul domaine des arts.
Au début d’InterPARES 2, on espérait que les travaux de l’équipe thématique 2 pourraient déboucher sur une théorie de la production et de la conservation des documents d’archives de systèmes interactifs et dynamiques, qui prendrait en compte leurs divers environnements culturels et scientifiques. Des avancées ont été réalisées en ce sens : les chercheurs ont proposé d’élargir les conceptions traditionnelles du document d’archives et des métadonnées en fonction des environnements interactifs et dynamiques étudiés par le projet ; et des principes directeurs pour la production et la maintenance des documents d’archives ont été élaborés en vue d’apporter des réponses aux divers problèmes évoqués dans la littérature et observés dans les études de cas.
Enfin, l’équipe thématique 2 a engagé un projet pilote pour transformer les documents d’une des études de cas en documents d’archives fiables, exacts et authentiques du point de vue de leur conservation. Cette démarche s’est appuyée sur les enquêtes théoriques présentées plus haut, mais aussi sur la participation des membres de l’équipe à des ateliers de modélisation qui ont identifié les procédures, les entrées et les sorties des systèmes, les ressources ainsi que les contrôles existants sur la production des documents.
Ce rapport est une synthèse des résultats des travaux de l’équipe thématique 2. Chacune des trois sections ci-dessous est consacrée à un des domaines étudiés par le projet. Dans chaque section, l’analyse conceptuelle est confrontée aux analyses des études de cas et des études générales correspondantes. Les trois sections conclusives de ce rapport s’interrogent sur l’adéquation des outils élaborés par InterPARES 1 aux préoccupations de conservation des domaines étudiés, et jettent les bases de principes directeurs pour aider les producteurs à produire des documents d’archives dont l’authenticité puisse être préservée.
Dans l’ensemble, les résultats des travaux de l’équipe thématique 2 ne sont pas surprenants. Pour l’essentiel, les conceptions des producteurs sont conformes aux différentes significations des termes présents dans la littérature théorique de leur discipline [...]. Les artistes, les scientifiques et les agents de l’État ont des idées très différentes sur les documents qu’ils produisent et utilisent, sur ce qui doit être conservé et sur les caractéristiques qui sont essentielles ; des termes ayant un sens très précis pour la profession archivistique revêtent des significations très différentes, voire contradictoires, pour ces producteurs. La diversité observée par les chercheurs de l’équipe thématique 2 est à rapprocher de travaux récents qui insistent sur la nature construite du concept d’authenticité154. On espère que les détails de l’analyse conceptuelle présentée ici, qui s’efforce de tracer des frontières sémantiques et d’établir des distinctions précises entre des concepts répondant à un même nom, favorisera une meilleure communication entre toutes les parties concernées.
Les chercheurs du thème 2 ont observé que les études de cas, bien que très diverses, révélaient de nombreux problèmes communs : obsolescence technologique, contrôle insuffisant des procédures de production, documentation insuffisante et incertitude quant aux objets numériques devant être sauvegardés. Ces problèmes ont en partie orienté l’ébauche de principes directeurs pour la création et la maintenance de documents numériques155.
Les chercheurs du thème 2 ont également conclu que les conditions de référence requises définies par InterPARES 1 étaient utiles pour évaluer la présomption d’authenticité des documents d’archives du producteur. En effet, de nombreux exemples ont été relevés de documents ne pouvant être conservés parce qu’il leur manque un des attributs essentiels identifiés par les conditions requises. Cependant, les chercheurs ont également conclu qu’il était difficile de les appliquer, ou même de les adapter, à la diversité des systèmes étudiés par le projet, et que, dans de nombreux cas, elles n’étaient pas suffisantes pour conserver le type d’authenticité souhaité par les producteurs. Les analyses conceptuelles et les expériences que relatent les études de cas apportent un éclairage précieux sur ces autres dimensions de la conservation.
Domaine 3 – Administration
Périmètre de recherche
À de nombreux égards, le domaine de l’administration constituait un terrain d’étude très familier des chercheurs d’InterPARES. De fait, la majorité des travaux portant sur la production, la maintenance et la conservation des documents d’archives numériques l’a été sur des documents de l’administration ou d’entités bureaucratiques similaires. InterPARES 2, cependant, a axé ses travaux sur les documents de systèmes interactifs, dynamiques et expérientiels, et en particulier sur les documents produits par ce qu’il est convenu d’appeler l’e-administration ou administration électronique – l’utilisation des technologies numériques pour rendre les services publics plus accessibles à leurs usagers. Ces services, généralement fournis en mode interactif via le Web, posent de nouveaux défis tant aux producteurs qu’aux services d’archives. Les contraintes particulières auxquelles sont soumis les producteurs de documents administratifs définissent un environnement différent de ceux étudiés par les deux autres équipes d’InterPARES 2. La liberté d’expression dont jouissent les producteurs de documents dans le domaine artistique, par exemple, ne caractérise en rien les lois et réglementations bureaucratiques qui encadrent l’administration électronique. Transparence et responsabilité y sont les mots d’ordre, les agents de l’État s’efforçant de garantir les droits des citoyens tout en préservant la capacité de démontrer qu’eux-mêmes ont loyalement accompli leur tâche dans l’intérêt général.
Analyse conceptuelle : authenticité, exactitude et fiabilité dans la littérature sur l’administration électronique
L’examen de la littérature sur les concepts d’authenticité, d’exactitude et de fiabilité dans l’administration électronique révèle que ces concepts sont rarement explorés en tant que tels. La plupart des articles consacrés à l’administration électronique s’intéressent aux modes de prestation des services concernés et à leur amélioration – comment utiliser le plus efficacement possible les technologies de l’information et de la communication pour répondre aux demandes des citoyens. Toute préoccupation relative à l’authenticité dans l’environnement électronique est générique, en ce sens qu’elle ne porte pas spécifiquement sur les documents produits par ces nouveaux types de systèmes électroniques. C’est compréhensible, dans la mesure où la cohérence des documents dans différents formats doit être la règle. Dans le même temps, il ne fait pas de doute que certaines préoccupations sont héritées de l’environnement papier. Des trois concepts étudiés par le thème 2, c’est celui d’authenticité qui a le plus retenu l’attention dans la sphère de l’administration.
Les principes directeurs pour les documents électroniques établis par le New York State Office for Technology (bureau pour la technologie de l’État de New York) dans le cadre de l’Electronic Signature and Records Act (ESRA) constituent une bonne illustration de la manière dont ces questions ont été abordées dans le domaine de l’administration. Ces principes directeurs ont été élaborés en vue de « proposer des recommandations sur la manière dont les services de l’État et les administrations locales peuvent garantir l’authenticité, l’intégrité, la sécurité et l’accessibilité des documents d’archives électroniques (e-archives).156 »
Les archivistes sont pleinement conscients du peu de rigueur avec lequel le vocabulaire de leur discipline a été utilisé et le problème est particulièrement aigu en ce qui concerne les documents numériques157. Dès lors, il n’est guère surprenant que la terminologie utilisée dans la sphère de l’administration pour aborder la question des documents numériques manque parfois de précision ou de cohérence. C’est particulièrement vrai de mots comme « authenticité », « exactitude » et « fiabilité », qui ne sont pas des termes techniques mais des mots d’usage courant.
Les principes directeurs de l’État de New York comportent un glossaire, reconnaissant par là la nécessité de définir certains termes techniques utilisés dans le document, ainsi que les mots plus courants appelant une définition plus précise. « Authenticité » figure dans le glossaire, à la différence d’ « exactitude » et de « fiabilité ». La définition de l’authenticité, toutefois, est très restreinte : « [Elle] désigne les méthodes utilisées pour vérifier la source ou l’origine d’un document d’archives électronique. L’authenticité est étroitement liée au concept d’intégrité.158 » La définition de l’authenticité retenue par InterPARES correspond davantage au concept d’intégrité tel qu’il est défini dans le glossaire de l’État de New York. L’intégrité, peut-on y lire, est l’attribut d’un document dont « le contenu n’a pas été modifié, effacé ou altéré de toute autre manière159. » La suite de la définition convoque l’exactitude comme faisant partie de l’intégrité, indiquant que « en outre, l’intégrité renvoie à l’exactitude et à la pertinence du contenu d’un document d’archives. » Enfin, la définition insiste sur l’importance juridique du maintien de l’authenticité et de l’intégrité, soulignant que « l’authenticité et l’intégrité sont deux notions héritées du domaine juridique et qui ont une forte influence sur la recevabilité légale des documents d’archives. »
Le fait que l’exactitude du contenu d’un document puisse être partie prenante de l’intégrité a de quoi surprendre, dans la mesure où l’exactitude du contenu n’est pas abordée dans les principes directeurs de l’ESRA. L’exactitude y est présentée comme un attribut des systèmes : « La fiabilité et l’exactitude des systèmes, des processus et des procédures utilisés pour produire, capturer et maintenir les documents d’archives électroniques sont essentielles pour établir leur authenticité et leur intégrité160. » De même, les principes directeurs enjoignent-ils un peu plus loin aux agents de l’État de « Veiller à ce que le système fonctionne de manière exacte, fiable et homogène dans le cours normal des affaires » afin de garantir que les documents sont recevables « à des fins légales, d’audit et autres161. » Ainsi, l’exactitude n’est-elle abordée qu’à titre accessoire, et généralement comme un attribut de la façon dont un système doit fonctionner. Autrement, on pourrait supposer que maintenir l’intégrité d’un document garantirait également que l’exactitude de son contenu soit maintenue intacte.
La « fiabilité » est un autre concept qui semble être davantage une caractéristique des systèmes que des documents, comme le laisse entendre la citation ci-dessus sur le rôle central de la fiabilité et de l’exactitude des systèmes pour établir l’authenticité et l’intégrité des documents numériques. Cette idée est reprise ailleurs dans les principes directeurs de l’ESRA, où il est dit que « la fiabilité du matériel et des logiciels » a une influence sur « l’authenticité et l’intégrité des documents d’archives électroniques162. » En somme, l’exactitude et la fiabilité sont surtout considérées comme des attributs des systèmes ou de leur fonctionnement. Il semble implicite que des systèmes fiables conserveront des documents fiables. Si l’exactitude des documents n’est pas abordée en tant que telle, c’est peut-être parce que son importance est considérée comme une donnée de base qui n’est pas propre au monde des documents numériques. Ce serait toutefois négliger de prendre en compte le fait que le contenu des documents est bien plus vulnérable dans un environnement numérique.
Une discussion plus fructueuse peut être conduite sur le terme « authenticité » et celui d’« intégrité » qui lui est étroitement apparenté. La définition qu’en donne le glossaire de l’ESRA établit clairement un lien entre « authenticité » et « authentifier » (au sens d’établir l’authenticité de) lorsqu’elle indique que l’authenticité « désigne les méthodes utilisées pour vérifier la source ou l’origine d’un document d’archives électronique. » Les principes directeurs, quant à eux, relient presque systématiquement l’authenticité à l’intégrité ; les deux mots semblent même quasiment synonymes.
La préférence donnée au mot « intégrité » sur celui d’ « authenticité » est évidente dans l’E-Government Act163 adopté par les États-Unis en 2002. Ici, la notion d’intégrité englobe celle d’authenticité ; en effet, elle est définie comme « empêchant la modification ou la destruction abusives d’informations et permettant de garantir la non-répudiation et l’authenticité des informations164 », où la non-répudiation est « la possibilité de garantir qu’une partie à un contrat ou à une communication ne peut nier l’authenticité de sa signature sur un document ou l’envoi d’un message dont elle est l’expéditrice165. » L’intégrité est associée à la confidentialité et à l’accès comme éléments de la sécurité des informations, nécessaire pour « protéger les informations et les systèmes d’information166. » L’exactitude est mentionnée dans l’Act lorsque est abordée l’intégration des systèmes d’information fédéraux, qui contribuera à garantir et valider l’exactitude des informations. Ainsi, bien que son importance soit reconnue, l’exactitude est présumée être une condition requise donnée pour le contenu des documents et, à ce titre, ne retient guère l’attention en tant que telle dans ce document ou dans d’autres textes du corpus bibliographique. Le mot « fiabilité » n’apparaît pas dans l’Act, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’il figure dans la discussion sur la sécurité de l’information.
La terminologie et les définitions repérées dans des textes traitant des documents et des données numériques sur différents sites web américains révèlent un même degré d’imprécision dans l’utilisation de ces termes, bien que cantonnés à leur acception la plus courante. L’expression « digne de confiance » (trustworthy) a été adoptée par l’État du Minnesota dans son Trustworthy Information Systems Handbook, et est définie comme un attribut des documents qui « contiennent des informations fiables et authentiques167 ». Le titre de ce guide est sans ambiguïté : l’authenticité s’applique aux systèmes ainsi qu’aux documents eux-mêmes. On peut lire dans le glossaire que « L’authenticité est une fonction de la conservation du document d’archives et une mesure de la fiabilité du document dans le temps », alors que la fiabilité est définie comme « un critère pour mesurer la force probante d’un document d’archives et elle est uniquement déterminée par les circonstances de la production du document. » L’État du Texas propose une définition de l’authenticité similaire à celle retenue par InterPARES, mais la fiabilité semble désigner la capacité à maintenir et reproduire avec exactitude des documents dans le temps168. L’État du Wisconsin donne une définition similaire de « fiable », alors qu’il considère qu’un document est authentique lorsque « le document d’archives électronique conservé reflète correctement ce qu’a enregistré le producteur et peut être étayé par des preuves169. » À la différence de la plupart des documents de ce type, les normes du Wisconsin définissent aussi « exact » comme signifiant que « toutes les informations produites présentent un haut degré de lisibilité et reflètent correctement le document original lorsqu’elles sont affichées sur un appareil de restitution ou reproduites sur papier. »
Authenticité, exactitude et fiabilité dans les études de cas du domaine de l’administration
Les chercheurs d’InterPARES 2 ont conduit huit études de cas dans le domaine de l’administration. Les rapports des études de cas fournissent des informations complémentaires sur la manière dont les acteurs du domaine envisagent les concepts d’authenticité, de fiabilité et d’exactitude dans leurs propres systèmes électroniques. Ces rapports tendent à confirmer ce que l’analyse conceptuelle révèle de l’authenticité, de la fiabilité et de l’exactitude dans le domaine de l’administration électronique. Souvent, l’authenticité est soit présumée, sous réserve que les procédures requises aient été observées, soit liée aux méthodes d’authentification comme les infrastructures à clé publique. Si l’exactitude des informations est bien un sujet de préoccupation, elle porte essentiellement sur l’exactitude des données au moment de leur production ; au-delà, l’exactitude (comme l’authenticité) est présumée protégée par le contrôle des procédures.
L’une des contributions les plus intéressantes sur ces questions est l’étude de cas sur le Service en ligne des Impôts irlandais (ROS). Est présumée « l’authenticité des déclarations fiscales reçues, signées et soumises par les utilisateurs autorisés170. » On présume également que « les identifiants des utilisateurs, les certificats numériques et l’infrastructure à clé publique171 » constituent une « chaîne d’authenticité ». Ce « wrapper de sécurité » est conservé afin de « conférer authenticité et non répudiation dans le temps172. » L’étude, toutefois, ne cache pas que des incertitudes pèsent sur l’efficacité de cette approche dans le temps. Il n’en reste pas moins que le ROS s’appuie sur ces contrôles externes pour assurer l’authenticité et considère cette authenticité comme se perpétuant dans le temps. Quant au concept de fiabilité, l’étude de cas montre qu’il n’est pas clairement distingué de celui d’authenticité. Ici aussi, c’est l’environnement contrôlé, via l’utilisation de mots de passe et d’une infrastructure à clé publique, qui confère fiabilité aux documents. L’exactitude, enfin, est comprise comme désignant l’exactitude factuelle des données contenues dans les documents mais, dans la mesure où les contribuables et les agents des impôts peuvent saisir des données inexactes, la totale exactitude des données ne peut être garantie. « Des règles métier et des mécanismes de vérification des calculs » sont intégrés au système afin d’essayer de limiter la saisie de données inexactes173.
Dans l’étude de cas portant sur le Système d’information géographique de la ville de Vancouver (VanMap, étude de cas n° 24), l’exactitude désigne souvent la « qualité des données ». Chacun a à cœur que les informations ajoutées à VanMap soient aussi exactes que possible avant d’être saisies. Cependant, les données émanant de sources externes, leur exactitude ne peut être garantie. Toutefois, l’équipe de VanMap garantit que l’information est aussi exacte qu’elle l’était lorsqu’elle a été entrée dans le système, et que « les données ne subissent pas de modification susceptible d’affecter leur exactitude et leur fiabilité174. » On peut remarquer que la fiabilité est ici envisagée comme une caractéristique des données. Lorsque des décisions sont prises sur la base des informations fournies par VanMap, il arrive que le personnel vérifie les données ou se tourne vers d’autres moyens indépendants de vérification. L’exactitude factuelle des données contenues dans le système apparaît donc comme une réelle préoccupation puisqu’il est reconnu qu’elle peut avoir une incidence sur les décisions. En fait, dans cette étude de cas, l’authenticité est considérée comme résidant pour une large part dans l’exactitude des données.
Une autre étude de cas porte sur le système de dépôt électronique mis en place à la Cour Suprême de Singapour (étude de cas n° 21). Ici, la « fiabilité » semble, de prime abord, concerner l’ensemble du système, car elle renvoie à la capacité du tribunal de traiter avec efficacité les dépôts des avocats et des plaignants et de suivre le nombre très élevé de dossiers hébergés dans le système. Mais les documents aussi sont considérés comme fiables, parce qu’ « ils sont produits et modifiés dans un environnement contrôlé, avec des droits d’accès attribués aux agents concernés en fonction des responsabilités attachées à leur charge175. »
Dans cette étude de cas, l’exactitude désigne le fait de « fournir des informations exactes à partir des documents relatifs aux affaires176. » Différents dispositifs sont en place pour garantir que les documents sont exacts, même si le souci d’exactitude semble concerner davantage la production des documents que leur maintenance. L’exactitude est peut-être davantage perçue comme relevant de la protection de l’authenticité, car, une fois les documents produits, il semblerait que la conservation de leur authenticité englobe la conservation de leur exactitude. On observe ici aussi une confusion entre authenticité et authentification. La présomption d’authenticité repose sur le recours à des technologies d’authentification. L’utilisation d’infrastructures à clé publique et d’autres dispositifs de sécurité empêche la modification ou la falsification des informations contenues dans les fichiers et garantit l’authenticité, quoique pas nécessairement sur le long terme.
De toutes les études de cas portant sur l’administration, l’informatisation du livre foncier d’Alsace-Moselle est sans doute celle où transparaît la sensibilité technologique la plus sophistiquée aux questions d’exactitude, d’authenticité et de fiabilité. Un système rigoureux était en place depuis plus d’un siècle pour fournir des « informations exactes, fiables et authentiques » via un système de registres [papier], à présent informatisés177. Le rapport de l’étude de cas décrit toutes les étapes du développement du nouveau système. Intéressons-nous à la façon dont les concepts d’exactitude, d’authenticité et de fiabilité sont envisagés dans le processus. On peut remarquer que c’est à travers la qualité des données que le concept d’exactitude est exprimé. L’authenticité, l’intégrité et la fiabilité sont considérées comme des attributs des données ou des informations, et les termes sont souvent utilisés de manière interchangeable. Caractéristiques clés du système, les techniques d’authentification sont considérées comme centrales pour garantir l’authenticité, l’intégrité ou la fiabilité.
Une approche un peu différente du concept d’exactitude se fait jour dans l’étude de cas sur les expositions virtuelles des Archives de l’Ontario178. Ici, l’exactitude n’est pas tant considérée comme se rapportant aux composants numériques des documents qu’au concept d’exactitude historique ou narrative de l’exposition dans son ensemble. En d’autres termes, les créateurs des expositions en ligne cherchent à présenter avec neutralité des informations factuelles assorties des documents correspondants, laissant aux visiteurs le soin de les interpréter. Bien que cela semble dénoter une conception très différente de l’exactitude, ce n’est pas sans évoquer le souci de saisir des informations correctes dans les formulaires fiscaux observé dans l’étude de cas sur le ROS. L’authenticité est présumée, en particulier dans l’environnement du producteur, mais le fait de savoir si ces expositions en ligne peuvent être considérées comme « authentiques » lorsqu’elles sont visualisées par les utilisateurs dépend en partie de la façon dont elles sont affichées dans tel ou tel environnement technologique.
Ces conclusions sur l’authenticité, la fiabilité et l’exactitude tirées des études de cas d’InterPARES 2 dans le domaine de l’administration montrent que les acteurs sont conscients de l’importance de ces trois concepts. La fiabilité est celui qui est le plus négligé, et lorsqu’il est pris en compte, il semble être utilisé comme synonyme d’authenticité ou, à tout le moins, comme inextricablement lié à celle-ci. On considère que le contrôle des procédures et l’utilisation de dispositifs d’authentification protègent l’authenticité et la fiabilité. L’exactitude est parfois assimilée à la qualité des données, notion plus vague et qui n’apparaît pas dans l’examen de la littérature portant sur le domaine. Le processus bureaucratique contrôlé qui prévaut dans l’administration incite les acteurs à penser que la structure et les procédures contribueront à maintenir ces caractéristiques essentielles des documents d’archives de l’administration.
Conclusions
La nécessité de maintenir des documents authentiques et fiables n’est certes pas un concept nouveau pour les personnes en charge de la production et de la maintenance de documents de l’administration. Comme on peut le lire dans le guide élaboré par l’État du Minnesota, Trustworthy Information Systems Handbook : « Nous avons besoin de systèmes d’informations dignes de confiance afin de pouvoir répondre de nos actes en tant qu’agences gouvernementales179. » La fiabilité et l’authenticité sont des caractéristiques essentielles de l’information et des documents pour que ceux-ci soient dignes de confiance. L’attention portée par le domaine de l’administration aux défis que posent les documents numériques témoigne que l’intérêt pour ces problématiques est solidement enraciné. Archivistes et records managers ont ouvert la voie, sensibilisant dirigeants, responsables d’organismes publics et informaticiens. Les travaux d’InterPARES suggèrent cependant que la terminologie est utilisée de façon approximative et que les adjectifs « authentique », « digne de confiance » et « fiable » sont appliqués, selon les cas, à l’information, aux données, aux documents ou aux systèmes. L’exactitude est soit considérée comme une caractéristique de l’authenticité soit comme quelque chose qui échappe au contrôle des agents de l’administration, en ce sens qu’elle renvoie à l’exactitude factuelle des données saisies par d’autres dans un formulaire. Comme avec les documents papier, l’authenticité est souvent présumée, en particulier lorsque des techniques d’authentification sont utilisées. Bien qu’il existe chez les acteurs de la sphère de l’administration un respect louable pour l’authenticité, la fiabilité et l’exactitude, il conviendrait que s’y développe une conscience accrue des complexités associées au maintien de ces caractéristiques pour les documents requérant une conservation sur le long terme.
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Pertinence des Conditions de référence requises définies par InterPARES 1
Le périmètre des travaux d’InterPARES 1, à savoir les documents d’archives dans les systèmes administratifs et juridiques, a dicté l’orientation et le contenu des conditions de référence requises proposées à l’issue de cette première phase de recherche. Dans la mesure où ces documents sont produits dans le contexte de procédures définies et fonctionnent comme des documents papier, avec des formes documentaires définies, les conditions de référence reflètent les principes établis de longue date concernant l’authenticité des documents papier. Elles partent ainsi du principe que les actions enregistrées peuvent être classées en différents types et qu’à chaque type d’action est associée une forme documentaire. Qui plus est, dans la mesure où les travaux d’InterPARES 1 portaient sur l’évaluation et le maintien de l’authenticité des documents numériques sélectionnés en vue de leur conservation définitive, ils n’ont pas exploré la question de la production de documents numériques fiables ni celle du maintien de leur authenticité tant qu’ils sont considérés comme des archives courantes ou intermédiaires. Ces questions avaient fait l’objet d’une précédente étude, le « projet UBC180 », collaboration entre les chercheurs de l’Université de Colombie-Britannique et le Département américain de la Défense ayant donné naissance à la norme DoD 5015.2 pour les systèmes d’archivage181.
Dès lors, appliquer les résultats d’InterPARES 1 à des documents numériques interactifs et dynamiques, créés par des particuliers ou de petits groupes collaboratifs dans la sphère artistique et la sphère scientifique, ne va pas sans soulever des difficultés. Bien que nombre de ces documents puissent être qualifiés d’ « inactifs », au sens où ils ne sont plus utilisés par leurs producteurs, tous ne sont pas des documents d’archives et seul un nombre réduit d’entre eux (aucun dans les études de cas, il faut le souligner) a été sélectionné en vue d’une conservation sur le long terme par une institution archivistique. Cela tendrait à suggérer que les conclusions du projet UBC seraient plus pertinentes, mais les documents étudiés par InterPARES 2 diffèrent également de ceux présents dans des systèmes régis par la norme DoD. Par exemple, on ne sait pas très bien comment classer les actions révélées par les entités numériques créées en tant que composants d’œuvres d’art, dans la mesure où ces actions sont des étapes dans un processus de création qui peut varier considérablement d’une œuvre à l’autre et d’un artiste à l’autre. Il n’est pas facile non plus de déterminer si ces objets divers ont une forme documentaire constante qui pourrait être examinée afin de déterminer s’ils ont participé à la création d’une œuvre. Enfin, le projet UBC n’envisageait pas les problèmes spécifiques des systèmes interactifs et dynamiques. Nourrie des recherches d’InterPARES 2, la réflexion de Duranti et Thibodeau sur le concept de document d’archives aborde nombre de ces questions théoriques182.
On peut néanmoins avancer à l’appui de la pertinence des conclusions d’InterPARES 1 que même les producteurs les plus étrangers à la gestion d’archives manifestent une sensibilité aux problèmes d’authenticité dans la façon dont ils produisent et organisent leurs objets numériques. Par exemple, la condition de référence requise A.1 stipule que l’authenticité peut être présumée si certains attributs d’identification sont mentionnés et inextricablement liés à chaque document. En ce qui concerne les objets numériques ayant fait l’objet d’une analyse diplomatique par InterPARES 2, nombre de ces attributs sont au moins implicites, et souvent normalisés, comme dans les ensembles de données scientifiques notamment183. Même lorsque ces attributs ne sont pas explicites, les inclure (ainsi, par exemple, d’une trace de leur provenance) parmi les métadonnées des objets ne représenterait pas un gros travail184.
Il faut également tenir compte du fait que, dans plusieurs études de cas InterPARES 2, les producteurs ont essayé de maintenir leurs documents et ont rencontré des difficultés. Dans la mesure où ces difficultés peuvent être attribuées au non respect des conditions requises proposées par le projet UBC et par InterPARES 1, celles-ci peuvent être considérées comme pertinentes. Par exemple, les chercheurs du thème 2 ont observé que différents problèmes de lien archivistique (le lien archivistique est un des attributs de l’identité du document d’archives dont la condition de référence requise A1 stipule qu’ils doivent être explicites et liés de manière inextricable à chaque document) peuvent affecter les objets numériques associés aux sites web. Dans certains cas, comme HorizonZero, ils ne sont pas pris en charge dans le système d’archivage avec les autres documents auxquels ils pourraient être rattachés par un lien archivistique185. Dans d’autres, comme le site web de Legacoop Bologna, les « objets du site web ne possèdent pas d’autre lien archivistique que l’enregistrement chronologique de leur mise en ligne186. » En l’absence de lien archivistique, un producteur pourra vraisemblablement maintenir une publication en tant que produit fini mais on ne saura rien de sa production. Par contraste, les fichiers numériques des transactions avec le Service en ligne des impôts d’Irlande sont structurés de telle manière qu’ils forment des ensembles organiques « agrégés » par destinataire187.
Les systèmes dynamiques qui utilisent des informations émanant de sources volatiles ou instables sont, par nature, en contradiction avec les conditions de référence requises. Pour que leurs affichages puissent servir de documents d’archives documentant des actions, il faut que les données affichées soient fixes ou, à tout le moins, bornées et datées pour pouvoir être à nouveau affichées188. Par exemple, dans un cas comme VanMap, l’absence de datation peut interdire la conservation189. Un autre problème est illustré par le site web de Stelarc, que l’artiste envisage comme un document d’archives de son travail. Une de ses pages comporte une interface interactive qui simule une performance de son œuvre Ping Body190 en réalisant un « ping191 » depuis un serveur en Australie192 vers un serveur web distant choisi au hasard. La valeur renvoyée contrôle les mouvements des membres d’un squelette en fil de fer affiché à l’écran, simulant les performances réelles, dans lesquelles les membres de Stelarc lui-même sont contrôlés par des décharges électriques proportionnelles aux valeurs du ping. Cependant, le serveur australien ne répond plus à la requête (c’était du moins le cas en juillet 2006), de sorte que l’interface ne simule plus correctement la performance193. L’étude de cas consacrée à l’Atlas cyber-cartographique de l’Antarctique comporte elle aussi des documents dynamiques et l’étude générale des portails de données scientifiques montre que nombre d’entre eux présentent des dépendances externes analogues194. Aucune des conditions requises de référence n’aborde directement cette situation. Le site de Sterlac lui-même n’a pas connu de modification technique (condition requise A.1). À certains égards, le contexte technologique n’a pas changé (condition de référence requise A.4) – le serveur australien existe toujours et la simulation (un film au format Shockwave) est toujours diffusée. À d’autres égards, cependant, il a été modifié car l’administrateur du serveur australien a supprimé les routines logicielles à partir desquelles la simulation envoie une requête pour les valeurs du ping. C’est un changement subtil (de fait, l’administrateur du site de Stelarc ne s’en est pas rendu compte) qui démontre la nécessité d’analyser soigneusement les composants des documents dynamiques.
Naturellement, anticiper les évolutions du contexte technologique, comme le demande la condition de référence requise A.4, est le problème le plus urgent pour la conservation de toutes sortes de systèmes numériques. Cet enjeu est au cœur des réflexions sur la conservation des documents numériques […]. Dans les études de cas d’InterPARES 2 portant sur des œuvres artistiques, comme Obsessed Again… et Waking Dream, et pour les œuvres musicales étudiées dans le cadre de l’étude générale MUSTICA, les producteurs ne maintiennent pas véritablement leurs œuvres originales mais en créent de nouvelles versions – fondamentalement différentes des œuvres originales – en réécrivant les programmes pour les adapter aux technologies les plus récentes. Les caractéristiques techniques de leurs œuvres ne les affranchissent pas de dispositifs personnalisés, propriétaires ou obsolètes. De même, dans l’étude de cas Conservation et authentification des documents électroniques d’ingénierie et de fabrication du domaine scientifique, les méthodes expérimentées par les producteurs pour vérifier l’identité et la fonctionnalité des pièces machines définies dans les documents de CAO (conception assistée par ordinateur) n’auraient pu l’être avec succès sans recourir à un moteur d’inférence propriétaire195 qui ne peut lui-même être conservé196.
Ainsi, bien que les concepts utilisés par InterPARES 1 et le projet UBC ne soient pas entièrement satisfaisants pour les systèmes étudiés par InterPARES 2, les conditions de référence requises semblent pertinentes, parce que ne pas les suivre interdit la conservation et parce que les démarches de conservation comportent certaines des actions qu’elles suggèrent. Il apparaît qu’elles sont nécessaires, sinon peut-être suffisantes, ce qui appelle une exploration plus poussée de cette question.
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Vers des principes directeurs pour la production et la maintenance de documents d’archives authentiques et fiables
Bien que les recherches bibliographiques de l’équipe thématique 2 aient mis à jour de nombreuses discussions théoriques sur les défis posés à l’authenticité et la fiabilité des objets numériques, elles ont également observé, comme cela a été noté lors de l’étude des pratiques d’archivage numérique des photographes qui interviennent dans les environnements artistiques, scientifiques et administratifs, que « la documentation des procédures pour produire et conserver sur le long terme [des documents d’archives] dans un environnement numérique est une pratique peu répandue197. » Face à l’urgence des problèmes de conservation identifiés dans l’introduction du présent rapport, il semblait impératif qu’InterPARES élabore des principes directeurs pour aider les producteurs à produire et maintenir des matériaux numériques, et en particulier des documents d’archives, susceptibles d’être préservés. C’est le thème 2 qui a pris en charge l’élaboration et la rédaction des Principes directeurs à l’usage des producteurs198, document conçu pour accompagner les Principes à l’usage des producteurs de documents d’archives199 élaborés par l’équipe transversale Stratégie et orientations.
Au cours de l’élaboration des Principes directeurs, il est apparu, à partir des analyses conceptuelles, des études de cas et des études générales du projet, ainsi que des expériences décrites dans la section ci-dessus, que le contenu, la forme et la présentation des Principes directeurs, devaient respecter un certain nombre de règles :
- Ils doivent refléter les concepts et les pratiques de l’archivistique ; par exemple, distinguer les sauvegardes et les infrastructures de stockage ;
- Ils doivent aborder spécifiquement le cas des documents d’archives des systèmes interactifs et dynamiques. Par exemple, il n’est pas suffisant d’exiger simplement que les documents soient dans un format qui n’est pas propriétaire ou dont les spécifications sont librement accessibles, parce qu’il n’existe encore aucune norme de description librement accessible pour l’interactivité.
- Ils doivent éviter l’emploi des termes « authenticité » et « fiabilité », tout en indiquant précisément ce que sont les caractéristiques d’un document authentique et d’un document fiable. Le thème 2, en effet, a observé que ces termes, bien que précisément définis par l’archivistique, ont un sens différent pour différents producteurs et que, lorsqu’ils sont utilisés, ils sont souvent amalgamés ou confondus.
- Ils doivent être formulés dans un langage accessible à des producteurs aussi différents que des artistes, des scientifiques et des agents publics.
- Ils doivent refléter la conclusion selon laquelle, pour que des documents soient conservés, des informations et des processus qui permettront de vérifier dans le futur leur identité et leur intégrité doivent être incorporés dans leur production.
- Ils doivent être cohérents, autant que faire se peut, avec les principes directeurs publiés par les organisations professionnelles, les institutions de conservation et les organismes de normalisation.
- Ils doivent favoriser le respect des différences culturelles, de la liberté d’expression, de la liberté de recherche et du droit à la vie privée.
Les Principes directeurs ont été élaborés en suivant une méthode itérative. Une liste de principes directeurs, établie à partir des recherches bibliographiques, a été proposée et étudiée par l’équipe internationale d’InterPARES 2, en prenant en compte les règles énoncées ci-dessus. La liste des principes retenus est le fruit d’un consensus des chercheurs en archivistique, des archivistes et des spécialistes rattachés aux domaines artistique, scientifique et administratif. Bien que ces principes directeurs puissent s’appliquer à un large éventail d’activités de gestion et d’archivage de documents, les chercheurs d’InterPARES ne prétendent pas qu’ils épuisent tous les problèmes et toutes les préoccupations relatifs à la conservation concernant les activités de production et de maintenance des documents. Dès lors, bien que les conditions requises qui en découlent pour la gestion et l’archivage, semblent nécessaires, on ne peut affirmer qu’elles soient suffisantes pour tous les cas ; seule l’expérience le dira.
InterPARES 2 a élaboré d’autres outils et documents pour faciliter et favoriser la production, la maintenance et la conservation sur le long terme de documents d’archives numériques authentiques. Le Metadata and Archival Description Registry and Analysis System200 (MADRAS) est un outil pour identifier, enregistrer, décrire et évaluer les normes et standards existants pour le contrôle intellectuel des documents, depuis leur production jusqu’à leur évaluation et leur conservation. InterPARES a également élaboré deux documents-cadres pour l’élaboration de politiques, de stratégies et de normes concernant la production, la maintenance et la conservation des documents numériques ; l’un est destiné aux organisations qui produisent des documents numériques, l’autre aux institutions et services d’archives201. Les deux modèles de conservation des documents issus du projet – l’un fondé sur le concept de cycle de vie du document d’archives (modèle de Chaîne archivistique / Chain of Preservation Model) et l’autre sur celui de continuum du document d’archives (modèle d’Archivage orienté métier / Busines-driven Recordkeeping Model) – peuvent aider les organisations à clarifier les procédures et ressources requises. Enfin, la Base de données terminologique, qui définit les termes utilisés par le projet InterPARES, donne également la définition de ces termes proposée par les dictionnaires de toutes les disciplines impliquées dans le projet, favorisant ainsi la communication entre producteurs et conservateurs de notre patrimoine numérique202.