Des documents aux formulaires dans le nord du Portugal
Approche typologique
dans le contexte historique et culturel du XIe au XIIIe siècle
Résumé
The text below was elaborated for the International Congress on Diplomatics under the general theme – Formularies – which we decided to study in Northern Portugal. Accordingly, after the introduction, in which we define the objectives, mention the sources to be used and indicate the methodology to be followed, we make an analysis of the two groups of formularies, which, according to their respective structures, it was possible to detect, and we classify as simple and more complex concepts, in due course explained. This first distinction has forced us to analyses of different scopes, where also some unexpected conclusions have emerged. Thus, in relation to simple formularies, the most characteristic of them is used in rendering obedience to the Archbishop of Braga by prelates of the dioceses of Portugal and from across the border, its suffragans; on their turn, the ones classified as more complex, through the many rich invocations, harangues and comminatory clauses, allowed comparative analyses and led to results so far unsuspected. Pursuing this method, it was possible to observe and conclude that some of the formularies used in the documentation of Northern Portugal had been long in acts of Asturian and Leonese monarchs as well as of private institutions. Although it is not possible to determine the paths followed by these formularies until the present day, we can now safely say that there was clear influence of diplomatic practices of the kingdoms of Oviedo and León on documentation issued in Northern Portugal, thus opening up new prospects for research in this area.
Introduction
Ce congrès est centré sur l’étude des formulaires, qui, au départ, semblent constituer un objet clairement défini, et dès longtemps ils ont attiré l’attention, pour fournir des modèles d’actes variés, souvent mal représentés par ailleurs, organisés en typologies originales, et dont l’usage tel quel était au mieux nuancé par d’éventuelles pratiques propres aux chancelleries ou aux autres milieux de production documentaire. Et pourtant, les sources de l’inspiration des compilateurs étaient souvent difficiles à retrouver ou à détecter – une situation qui contraignait souvent à se contenter de considérations génériques, indéfinies.
Dans le cas portugais, la situation est plus grave encore, vu l’ignorance quasi absolue où les diplomatistes ont été de l’existence de formulaires au sens strict de leur définition dans le Vocabulaire déjà cité : « un recueil de formules destinées à servir de modèles aux rédacteurs des actes »1, pour la période du xie au xiiie siècle, que nous étudierons. Il nous faudra, de ce fait, élucider le fait que l’unique exception connue à cette absence quasi générale, est un petit formulaire, un peu plus tardif, destiné à guider la pratique rédactionnelle de documents au sein du monastère cistercien d’Alcobaça ; isolé, le recueil n’en est pas moins très ouvert, puisque, par nécessité, il doit inclure des actes illustrant d’éventuelles relations avec les autorités ecclésiastiques – diocésaines et pontificales –, et royales. Conservé sous la cote Codex nº 47 du Fundo Alcobacense da Biblioteca Nacional de Lisboa2, il demeure isolé, même dans le seul milieu des scriptoria cisterciens du Portugal, ce qui nous interdit de juger de l’éventuelle circulation des modèles entre les abbayes de l’ordre.
Outre ce formulaire, nous ne disposons de rien d’autre, pour la période retenue, qui puisse nous guider avec assurance dans une approche multiforme des codices du nord du Portugal que nous entendons analyser. En parcourant les recueils de sources documentaires, cartulaires en tête, nous butons sur une grande diversité d’actes, dont les spécimens, pour l’essentiel, permettent un classement juridique et typologique. Mais, malgré une certaine régularité structurelle, il est difficile de les associer sûrement à un quelconque modèle original.
C’est pourquoi, et ayant toujours à l’esprit comme but premier la détection ou, pour le moins, l’approche des modèles originaux, il s’avérera pertinent, à partir des espèces existantes dans les diverses sources documentaires disponibles, d’essayer d’établir certains rapports et confrontations entre eux, dans l’espoir de repérer de possibles influences, particulièrement d’origine étrangère, avec une attention toute spéciale aux sources de provenance asturo-léonaise.
La présentation de cette hypothèse de travail a pour base l’observation du fait que les territoires du nord du Portugal, surtout après la Reconquista chrétienne, d’abord jusqu’au Douro, en 868, puis jusqu’au Mondego, en 1064, même si on peut les tenir pour marginaux par rapport au siège du pouvoir, déplacé d’Oviedo à León, étaient intégrés au régime juridique qui émanait de la capitale du royaume dont ils dépendaient. En faveur de cette hypothèse, on peut d’abord alléguer l’existence d’actes prouvant l’intervention administrative et judiciaire des souverains asturo-léonais, et ce malgré la distance relative du siège du pouvoir.
C’est dans ce contexte que le roi Afonso II, le 27 mars 832, fit don des villes de Braga et d’Orense à l’église Sainte-Marie de Lugo3, une donation qu’Afonso III confirma, le 6 juillet 899, à l’évêque Recaredo de Lugo4; en [905-910], le même monarque fixa les limites de la vieille ville de Braga, dont il confirma la possession au métropolite de Braga, résidant à Lugo5; le 28 septembre 911, alors qu’il se trouvait à Aliobrio, Ordonho II ordonna, à la demande de l’évêque Savarigo, que l’on délimitât le minuscule diocèse de Dume, dans la banlieue de l’ancienne capitale de la Galice, Braga6.
Outre ces interventions d’ordre interne au royaume asturo-léonais, on ne doit pas perdre de vue le croisement complexe d’influences historico-culturelles, provenant d’outre-Pyrénées où, en plus du soutien apporté à la progression de la Reconquista, il faut prendre en considération l’expansion du monachisme bénédictin, surtout à partir du dernier quart du xie siècle, parfaitement intégrée au contexte comme au service de la Réforme grégorienne, sans oublier les répercussions de la Querelle des investitures, dont les marques négatives se sont manifestées dans la Péninsule; un cycle de changements, qui se vit couronné au deuxième quart du xiie siècle par l’arrivée de cette version cistercienne, qui connut tant de succès au sud du Douro.
Pour vérifier l’hypothèse de travail énoncée plus haut, et d’autres encore qu’il nous faudra lui ajouter, nous sélectionnerons certains éléments plus expressifs, à teneur documentaire, dans des actes juridiques de nature identique, afin de procéder à une analyse comparative, appuyée sur les collections disponibles en provenance du nord du Portugal, confrontées à celles qui proviennent d’autres régions, au-delà des frontières, voire du centre du Portugal, que nous énumérerons à présent.
I. Sources documentaires
Dans le but énoncé et la méthodologie amorcée, nous mentionnerons en premier lieu les grandes collections documentaires à utiliser et parmi lesquelles, à maints égards, le Liber Fidei... (LF)7 occupe la première place, suivi par les recueils documentaires suivants : Vimaranis Monumenta Historica a saeculo nono post Christum usque ad vicesimum, iussu Vimaranensis Senatus edita (VMH)8, O Mosteiro e a Colegiada de Guimarães, ca. 950-1250 (MCG)9, O Mosteiro de S. Simão da Junqueira, au t. II pour les sources publiées (MSSJ)10, Le Cartulaire Baio-Ferrado du Monastère de Grijó, s. xi-xiii (CBFG)11, et O Cartulário do Mosteiro de Fiães (CMF)12, alors que l’on peut également recourir au recueil Testamenti Ecclesiae Portugaliae, 1071-1325 (TEP)13, pour les testaments des archevêques de Braga et des évêques de Porto, ainsi que des membres des chapitres de ces deux diocèses du nord. Inutile de procéder à des descriptions codicologiques des ouvrages cités, car cette tâche remplirait à elle seule le temps et l’espace qui nous sont impartis.
Malgré cela, il nous semble pertinent de donner une idée du volume documentaire amassé dans ces ouvrages. Il suffit de rappeler que le Liber Fidei, qui outre un cartularium est également un vrai codex diplomaticus, comme nous avons eu l’occasion de le démontrer14, offre 954 documents, les Vimaranis Monumenta Historica, 353, le Baio-Ferrado de Grijó, 314, la collection documentaire du monastère de S. Simão da Junqueira, 333 ; celle du monastère et collégiale de Guimarães donnent accès à quatre cents actes, alors que ceux qui intègrent le Cartulário de Fiães dépassent ce dernier nombre, montant à 416, dans l’édition que nous venons de préparer.
Dans cet ensemble de plus de 2750 documents, nous ne pourrons appliquer la méthodologie énoncée plus haut, en sélectionnant certaines parties du discours diplomatique, plus susceptibles d’oscillation et de recevoir et manifester des influences internes ou externes, proches ou plus éloignées, et en tentant le processus comparatif projeté.
Rappelons que notre but premier est centré sur la possible détection ou simple approche d’éventuels modèles de structuration des divers documents, selon leur nature juridico-diplomatique, et en cas d’impossibilité, sur une meilleure connaissance des formulaires des actes eux-mêmes, dans l’ensemble de leurs clauses ou formules documentaires15, distribuées, comme d’habitude, entre le protocole, le texte et l’eschatocole.
II. Analyse typologique
Comme nous l’avons suggéré, nous nous arrêterons sur les documents révélant des formulaires plus complets, existant dans diverses collections documentaires identifiées, en concentrant notre attention sur les invocations, les préambules (« arengas ») et les clauses comminatoires ou sanctions, conscient du fait que les éléments et clauses de la partie dispositive – en principe plus concrets –, sont beaucoup moins propices à cet exercice comparatif.
Par ailleurs, il convient d’observer que, dans le volume élevé des documents inventoriés, ne manquent pas, et en nombre significatif, ceux qui ne remplissent pas les conditions génériques, habituellement présents dans la structure documentaire, alors qu’il est possible, cependant, sur base de la ressemblance répétée des cas repérés, d’admettre l’existence d’un certain modèle rédactionnel reproduit, pour l’essentiel, dans les actes en cause, comme on pourra le prouver.
Notre recherche à travers les formulaires de la vaste documentation disponible privilégiera les actes qui, du fait de leur nature juridique et de leur importance sociale, exigeaient également un encadrement et une solennité rédactionnelle qui, à maints égards, traduisent et soulignent la valeur de l’acte réalisé et garantissent sa perpétuité. Ce sont, en effet, ceux-là, avec la variété et la richesse doctrinales de leurs invocations, motivations spécifiques et sanctions d’ordre spirituel, qui pourront plus facilement procurer des éléments de comparaison rédactionnel des centres de production.
Mais, en plus de ces actes qui concentreront notre attention, nous devrons faire remarquer qu’il existe beaucoup d’autres documents à portée économique, administrative et sociale réelle et immédiate, présentés dans des formulaires relativement simples, qui accomplirent eux aussi leur fonction juridique, et qu’il nous faudra signaler.
Cela posé, il nous semble pertinent de diviser l’analyse à laquelle nous allons procéder en deux parties : la première, destinée à présenter certains exemples de formulaires plus simples, accompagnés des variantes qu’il nous a été possible de détecter ; et la seconde, où l’on rendra compte de la complexité de la variété rédactionnelle de certaines parties du formulaire utilisé, qui rend difficile la détection du modèle systématiquement adapté.
II. 1. Formulaires simples
À titre d’exemple, nous tournons le regard vers les documents de prestation d’obédience par les prélats suffragants de l’archevêque de Braga, en sa qualité de métropolite. De légères variantes sont évidentes, qui révèlent le moment où ce geste de soumission se concrétisait – avant16 ou après l’ordination épiscopale –, geste qui a normalement lieu en présence de l’intéressé, comme il découle de la mention exprimée dans la formule elle-même, dans les termes suivants : « et super sanctum altare propria manu firmo »17.
Il s’agit d’un formulaire de Braga, très bref, souvent répété aussi bien par les nouveaux prélats portugais et étrangers que par d’autres, déjà confirmés dans leurs diocèses respectifs. On détecte parfois l’un ou l’autre changement qui, malgré l’enrichissement littéraire du texte, respecte les exigences juridiques sous-jacentes à l’objectif central de la déclaration d’obédience et à ses fondements juridiques et traditionnels. Malgré ces changements éventuels et, mutatis mutandis, ceux des noms des signataires et des diocèses qui leur étaient confiés, la formule traditionnelle avait la teneur suivante : « Ego Fernandus sancte Asturiensis ecclesie vocatus episcopus subiectionem et reverentiam et obedientiam a sanctis patribus constitutam, more predecessorum in Austuriensi ecclesia presidentium, secundum precepta canonum ecclesie Bracarensi rectoribusque eius in presentia domni Iohannis eiusdem ecclesie archiepiscopi perpetuo me exibiturum promitto et super sanctum altare propria manu firmo »18.
Certaines des nombreuses prestations d’obédience dont nous avons connaissance19 ne furent pas spontanées, car elles se déroulaient à la suite de contraintes du Saint-Siège auquel les métropolites de Braga en avaient appelé face au refus de certains prélats, aussi bien portugais que des diocèses du royaume de Léon et Castille, d’accomplir l’obligation canonique qui les régissait. Si, parmi les nationaux, on compte les évêques de Coimbra D. Gonçalo20, D. Bernardo21 et D. João de Anaia22, du côté des diocèses hors-frontières, on peut citer le cas de l’évêque Fernando lui-même, d’Astorga, mentionné dans la formule transcrite ci-dessus23.
À l’opposé, on peut remarquer la position de l’évêque de Lugo, D. João, qui, ayant envoyé au métropolite de Braga une délégation afin de lui exposer les troubles causés au monastère bénédictin de Samos par l’abbé intrus, qui entendait être nommé évêque, trouva chez l’archevêque de Braga, D. João Peculiar, le soutien qui devait l’aider dans cette délicate affaire. Il le remercia également de l’accueil fait à ses délégués24.
Prêtées sans aucune réticence, il faut également citer, entre autres, les obédiences des évêques de Lamego, D. Mendo25 et D. Godinho Afonso26, et du premier évêque de Lisbonne, D. Gilberto27.
En contraste avec ce formulaire, limité aux éléments essentiels, sans aucun atour diplomatique, se signalent les obédiences que les monastères de Santa Marinha da Costa, en 1213, et celui de S. Torcato, en 1214, avec leur couvents respectifs du territoire de Guimarães, furent forcés de prêter à l’archevêque D. Estêvão Soares da Silva, une fois résolus sur décision pontificale les différends entre les parties citées, dont les contenus permettent de connaître, pour l’essentiel, les motifs et les formalités de ces cas judiciaires28.
L’amplitude de la diffusion de ce modèle de formulaire de Braga pour les prestations d’obédience épiscopales pourrait être détaillée, en conjuguant les dates des documents des obédiences avec les noms des prélats et des diocèses confiés à chacun d’eux, aussi bien au Portugal que dans les royaumes de Léon et de Castille.
Encore issu de Braga, et avec la date obtenue par la critique, de [1118-1137], on peut alléguer le formulaire d’une charte d’affranchissement qui, n’ayant pas été reproduit, constitua un excellent exemple et un puissant encouragement à l’affranchissement et promotion sociale des serfs, en leur octroyant la pleine liberté. Le principal protagoniste de ce document fut l’archevêque de Braga, D. Paio Mendes, qui procéda à l’affranchissement de son serf Pedro Suaridem, lors d’une cérémonie solennelle, réalisée en la cathédrale de Braga, en présence des membres du chapitre et des laïcs nobles, comme on le constate à la simple lecture du document suivant :
« CARTA INGENUITATIS C[UI]USDAM SERVI. [Q]ui debitum sibi nexum atque competentem relaxat servitium premium in futuro apud Dominum sibi provenire non dubitet. Quapropter ego in Dei nomine Pelagium Bracarensis archiepiscopus pro remedio anime mee et pro remedio anime fratris mei Suerii Menendi vel eterna retributione in ecclesia Sancte Marie et sub presentia canonicorum ibi consistentium ac nobiliorum laicorum ante cornu altaris istius ecclesie absolvo servum meum vel fratris mei illum Petrum Suaridem per hanc kartam absolutionis et ingenuitatis ab omni vinculo servitutis ita ut ab hac die et deinceps ingenuus sit et ingenuus permaneat tanquam si ab ingenuis parentibus fuisset natus vel procreatus… »29.
Nous interrompons la transcription de l’acte, qui est pourvu notamment de clauses de protection et de sanctions dans le cas d’infraction commise au détriment de la pleine liberté accordée. Le rédacteur, de fait, se garde d’oublier les noms des témoins présents, lesquels ont vu et entendu tout ce qui s’y est passé.
Il s’agit d’un document d’une importance sociologique extraordinaire, mais, d’un point de vue diplomatique, assez simple, qui commence par un préambule aux relents bibliques, où l’on garantit la récompense divine à quiconque affranchirait un de ses assujettis : serf, voire esclave. C’est sur cette certitude, et en espérant le pardon pour lui et pour son frère que, dans une ambiance solennelle, l’archevêque procéda à l’affranchissement du serf en question.
Cette charte, ainsi que d’autres de même propos nous intéressent tout particulièrement de par leur formulaire diplomatique qui, dans ce cas – force est de le reconnaître –, est unique, car les chartes d’affranchissement de la collection documentaire du Monastère de S. Simão da Junqueira présentent un contenu documentaire très différent. Ainsi, dans celle qui fut souscrite par Feuva Soares, le 22 août [1128], à Nuno Ramires et à toute sa descendance, après une brève invocation au Christ, présente une double arenga, constitué par l’exhortation du Christ aux bienheureux lors du Jugement final : « Venite benedicti Patris mei percipite regnum quod vobis preparatum est ab origine mundi ». Suit presque immédiatement la recommandation du Prophète : « Dissolve colligationes inpietatis, dissolve faciculos deprimentes, dimite eos qui confracti sunt liberos, et omne onus eorum disrumpe ». La sanction spirituelle implique l’excommunication, la privation de la communion eucharistique et la compagnie éternelle de Judas, le traître30.
Les chartes souscrites par Fernando Pais et son épouse, Urraca Mendes, en faveur de Pedro Fernandes, le 4 juillet 117031, et par Martinho Lourenço de Cunha, avec son épouse, Sancha Garcia, et ses enfants, pour Sancha Lourenço, qu’ils appellent « ma domestique et celle de ma femme » (« mee criate et uxoris mee »), en septembre 1267, sont très pauvres, puisqu’elles se limitent à l’invocation du nom de Dieu, et à la sanction spirituelle condamnant à la malédiction et à la compagnie éternelle de Judas, le traître32. Ces chartes, très éloignées dans le temps, révèlent le lent parcours historique vers l’affranchissement des serfs, une réalité qu’il serait hors de propos de développer ici. La difficulté à dépasser une certaine résistance mentale dans ce domaine est bien illustrée par le fait que la sarrasine, Mariame, bien qu’elle ait subi l’épreuve du servage, apparaît le 4 décembre 1277 comme vendeuse d’une autre maure, également appelée Mariame, qu’elle avait sous sa dépendance33.
Avant de clore ce point de notre exposé, il nous faut expliquer que le premier modèle présenté dans le Formulário Monástico Português Medieval34, déjà cité, orienta l’élaboration de chartes d’affranchissement d’un sarrasin, ou de tout autre serf. Comparé, cependant, avec les documents qui nous occupent, il ne montre aucune convergence rédactionnelle. Par ailleurs, ajoutons que tous sont antérieurs à la date établie pour le Formulário Monástico cité : fin du xiiie–xive siècle.
Dans ce contexte, et bien qu’elles soient assez antérieures, il nous faut considérer deux chartes de agnição, reconnaissance collective de dépendance des serfs de l’église de Braga, à des dates et dans des circonstances diverses. La première date du 30 août 1025 et clôt le différend entre le métropolite de Braga, D. Pedro, résidant à Lugo, qui avait présenté une plainte au roi de Léon, D. Afonso V, et les serfs de l’église de Braga qui refusaient d’accepter leur condition.
Après enquête judicaire détaillée, il s’avéra qu’ils descendaient, en effet, des anciens « peupleurs » (povoadores) amenés à Braga par Odoário. Une fois connu le résultat de l’enquête, ils reconnurent leur condition de serfs et signèrent la charte dont l’invocation se limitait au mot « CHRISTUS », et passait immédiatement à la proclamation à caractère historique et juridique: « Ambiguum quidem esse non potest sed plerisque cognitum manet eo quod fuit sedem Bracarensem magna metropolensis in partibus Spanie dum multis temporibus stante et permanente in ordine suo procul post agens Sarracenorum fuit destructa atque desolata… », sans aucune invocation, puisqu’il s’agissait d’un acte de nature juridique, et une fois la description des faits accomplie, ils reconnurent leur condition de serfs, acceptèrent les sanctions matérielles et physiques à endurer en cas d’infraction du contenu de ce long document, que tous finirent par accepter35.
Trente-sept ans plus tard, le 5 septembre 1062, ce fut le tour des habitants de plusieurs localités de Braga, qui étaient entrés en litige avec l’évêque Vistrario, résidant à Lugo. Ils reconnurent l’emprise de Braga sur eux et les terres de Columnas, Gonderiz, Subcolina e Torneiros, et acceptèrent également la charte de reconnaissance (agnição), qui commence comme suit : « Dubium quidem non est sed multis manet [cognitum] eo quod in Era C.ª post milesima tempore domni Fredenandi regis facta fuit altercatio inter episcopo domno Vistrario Lucensi et homines Bracarenses… ». Après l’immédiat résumé du procès, et une fois acceptées les sanctions prévues en cas de non-respect, la charte fut ratifiée par les témoins présents et par les personnes appelées à la confirmer36.
Un peu plus tard, le 26 août 1073, Sesnando Alvites, ses frères et sœurs, sous le règne d’Afonso VI et l’épiscopat de D. Pedro, premier évêque du diocèse de Braga restauré deux ans auparavant, reconnurent au monastère de Santo Antonino de Barbudo le droit de propriété sur une ferme sise dans la paroisse de S. Julião da Lage, dans l’actuelle municipalité de Vila Verde. Dans la charte de reconnaissance (agnição) qui en fut dressée, dont la structure est identique aux antérieures, outre les indispensables souscriptions finales, il faut signaler l’absence de toute invocation.
Elle commence, en effet, à l’instar des précédentes, par la déclaration générale du fait qu’ils reconnaissaient et acceptaient : « [I]n plerisque mane[t] eoque notissimo quod in tempore domni Adefonsus rex Petrus episcopus sedis Bracare… »37. Ces trois documents présentent des différences significatives dans la partie initiale et surtout dans les souscriptions finales, qui correspondent en quelque sorte à l’importance sociale et économique inhérente à chacun d’eux.
Pour clore cette première partie, nous nous référerons encore à un formulaire spécifique, dû à l’archevêque de Braga, D. João Peculiar, qui gouverna cet archidiocèse pendant trente-huit ans (1137-1175). Il fut d’ailleurs l’un des adjoints les plus actifs de notre premier roi, D. Afonso Henriques, dans la mise en œuvre du projet d’indépendance du Portugal.
Il s’agit d’une sentence de malédiction et d’excommunication contre Pedro Fernandes, qui s’était emparé des hospices de Fonte Fria, Paradela, Peredo et d’un autre, sis au pied du mont Aurélio, fondés par le prélat cité pour le soutien de son action pastorale et pour le secours aux pauvres et aux pèlerins, qu’il avait dotés des terres et biens indispensables à leur survie. Le document, que la critique peut dater d’entre 1145 et 1175, revêt un fort caractère judiciaire ; elle est dès lors dépourvue d’invocation et commence par cet énoncé général : « Omnes illi qui inpediunt hereditates vel res Bracarensis ecclesie sint maledicti et excomunicati donec condigne satisfaciant et emendent Bracarensi ecclesie amen amen amen »38, avant de passer immédiatement à la suscription (subscriptio vel intitulatio) : « Ego Iohannes Bracarensis archiepiscopus », et à l’exposé des faits jugés par la sentence initiale.
Avant de clore cette première partie du parcours que nous avons entrepris, spécialement à travers le Liber Fidei, en tâchant de détecter les ressemblances éventuelles avec des formules d’autres régions, surtout hors-frontières, il nous faut rappeler que la formule « Ambiguum quidem non est… » par laquelle commence la charte de reconnaissance que l’on trouve dans le Liber Fidei, n° 22, datée du 30 août 1025, est déjà signalée dans le Tumbo de Samos, dans le document délivré officiellement par Vermudo II au monastère et à l’abbé de Samos, le 14 mai 99739.
Si la répétition de cette formule, à ces dates relativement proches, ne doit pas nous étonner, car elles surgissent dans les actes de deux monarques léonais, elle confirme notre hypothèse de départ quant à l’influence diplomatique asturo-léonaise sur la région qui devait devenir le nord du Portugal.
II. 2. Des formulaires plus complexes
Après les exemples présentés dans la première partie, peu aptes à la généralisation en raison de leurs formulaires très simples, nous nous pencherons à présent sur d’autres documents, plus complexes d’un point de vue diplomatique. Comme nous l’avons suggéré plus haut, ils intègrent le contexte historique évoqué, et il suffit de rappeler que beaucoup d’entre eux sont constitués par des donations au siège épiscopal de Braga, en la personne du prélat diocésain et du chapitre de Braga, à des églises et monastères, alors que ne manquent pas non plus testaments, chartes de vente-achat et actes répondant à tant d’autres situations que nous ne pouvons les énumérer. Avec plus ou moins d’éléments, ils intègrent tous les trois les parties des documents diplomatiques et, dans cette perspective, nous réfléchirons aux aspects formulaires les plus expressifs, en nous dispensant dès lors de l’analyse des contenus.
II. 2. 1. Invocations
Commençons l’observation par le protocole, et ce, dans toutes les collections documentaires inventoriées. La diversité que revêt l’invocation se signale dans n’importe quelle collection documentaire ; si elle se restreint, dans bien des cas, à la brève évocation du nom de Dieu, de Jésus-Christ, qui parfois figure sous la forme d’un simple chrismon, ou de la sainte Trinité, dans bien d’autres cas, l’invocation trinitaire surgit de façon développée, où ne manquent pas, en plus, des préoccupations didactiques, dont on garde de nombreux témoignages écrits.
Étant donné le nombre élevé et la diversité des invocations trinitaires étendues rencontrées dans le Liber Fidei, nous les examinerons en les confrontant avec celles des autres collections documentaires. Comme point de départ de nos observations, nous en transcrivons quelques-unes afin que l’on puisse observer la facilité avec laquelle on introduisait des variations rédactionnelles destinées à souligner les différents aspects de la richesse doctrinaire de leur contenu :
830, 11 mars – Afonso II :
« In Dei omnipotentis nomine Patris ingeniti Filii unigeniti ac Spiritus almi clementi ac perpetue benignitatis munere vegetatis seu sanctorum omnium auxilium fretus Dei videlicet Matris alme Virginis Marie munimine protectus »40 ;
899, 6 juillet. – Afonso III :
« In nomine Dei omnipotentis vivi et increati, Patris et Filii et Spiritus Sancti cuius divinitas et ineffabilis deitas, honor et gloria perennis cuncta precellit sublimia angelorum agmina, intuetur celorum alta et omnium corda penetrat interiora »41 ;
915, 1er septembre – Ordonho II :
« In nomine Dei Patris genitoris genitique Filii simul et Spiritus procedens qui unus idemque Deus permanet in Trinitate perfecta sive in honore et veneratione alme Virginis Marie cuius ecclesie seu sedis venebabilissima dinoscitur esse fundata in urbe Lucensis provintie Gallecie, ab inicio predicationis apostolice pri[mi]tive ecclesie »42.
Bien que les bornes chronologiques de notre analyse se restreignent au xie-xiiie siècle, nous estimons utile de considérer ces trois invocations : les deux premières, présentes dans des documents royaux asturiens, respectivement d’Afonso II et d’Afonso III, et la troisième, du monarque léonais Ordonho II, toutes dans différents documents en rapport avec le siège épiscopal de Lugo, qui se trouvait alors au centre de la chrétienté péninsulaire, libre de toute pression musulmane, et où demeuraient les archevêques de Braga qui s’y étaient réfugiés.
De par leur ancienneté et la façon dont elles tâchent d’éclairer les relations entre les trois personnes divines, en tant que Dieu vivant, tout-puissant, un et trine dans lesquelles on proclame le Père non créé, le Fils comme fils unique et l’Esprit Saint comme procédant de l’amour ineffable du Père et du Fils, ces invocations ne peuvent pas ne pas avoir été considérées, aux siècles suivants, à l’instar d’autres similaires, comme autant de très lointains modèles des invocations rencontrées dans l’espace que nous considérons.
À partir de 1071, avec la restauration de l’ancien diocèse de Braga – jadis métropole de toute la Galice – et le début de la construction de son église cathédrale, nous sommes confrontés à de nombreuses donations qui lui étaient faites, marquées par les motivations et les clauses les plus diverses, où ne manquent pas les invocations trinitaires, comme celle-ci, du 1er août 1101, qui ouvre la charte de donation de Paio Bermudes et d’Elvira Alvites au siège de Braga, en ces termes :
« In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti Trinitatis individue que nunquam est fi[ni]enda per cuncta secula seculorum amen »43.
Peu après, le 18 octobre 1101, dans la donation d’Elvira Fafilaz au même siège de Braga, quoique en respectant le même sens général, on décèle de légers changements dans l’ordre des termes, voir par l´usage de synonymes44. De son côté, le 10 avril 1140, l’invocation de la charte d’alleu (carta de couto) délivrée par D. Afonso Henriques à la chapelle de Santa Marinha de Vilarinho de Parada45, dans l’actuelle municipalité de Sabrosa, reproduit assez fidèlement celle du 1er août 1101, à l’exception du déplacement des termes et individue Trinitatis et l’ajout de Trinitas indivisa.
Au lieu d’insister sur les menues variantes qui affectent les innombrables répétitions de cette invocation trinitaire, dans la tentative d’en trouver une plus éloignée que nous puissions montrer comme modèle, nous confronterons aux invocations passées en revue celle qui ouvre le testament des évêques Severino et Ariulfo, du 22 avril 817, par lequel ils font don à la cathédrale d’Oviedo du monastère de Santa Maria de Yermo, en Cantabrie, que l’on n’aura aucune difficulté à considérer comme la matrice des invocations ultérieures, une fois les variations signalées épurées :« In nomine sancte et individue Trinitatis Patris et Filii et Spiritu Sancti cuius regnum permanet in secula seculorum amen »46, textuellement répétée dans le testament du roi Ordonho I, du 20 avril 85747.
Les variations qui affectent le contenu des invocations trinitaires, en mettant en relief les aspects doctrinaires les plus variés, surgissent dans toutes les collections documentaires citées. Même s’il n’est pas possible de les inventorier à présent, nous citerons volontiers cet échantillon intéressant : « Sub imperio opificis rerum qui trinus in unitate extat colendus et adorandus atque glorificandus necnon in nomine sancte et individue Trinitatis, Patris et Filii et Spiritu Sancti », qui remonte à l’an 98648.
Un peu plus tardif, le cartulaire de l’évêque D. Paio d’Oviedo nous offre cette invocation trinitaire, profondément élaborée et enrichie dans l’acte de donation que, le 11 mars 1006, le comte Fáfila Spasandiz et la comtesse Urraca, sa femme, firent du monastère de Santa Maria de Tol, et d’autres biens, à la cathédrale d’Oviedo :
« In nomine Domini Dei misericors et pii qui trinus in unitate et unus in Deitate extas colendus; laus tibi iugiter Salvator omnium Deus, qui facis mirabilia magna solus, qui descendisti de celo et illuminasti Mariam de Spiritu Sancto »49.
Issu du royaume léonais, mais de la région de Samos, le Tumbo de ce monastère, daté du 1er juin 933, nous présente un cas intéressant de double invocation. La première est parfaitement intégrée par cette invocation que nous connaissons bien : « Domnis invictissimis ac trumphatoribus… »50.
Outre les invocations trinitaires, celles qui sont centrées sur la personne de Jésus abondent aussi bien sous une formule simple, très répandue – In Christi nomine ou In nomine Christi –, que sous une formule plus développée, qui place l’acte diplomatique sous la protection collective des saints martyrs, du Christ rédempteur, de la Vierge Marie et des autres saints, dont on entend introduire ou intensifier le culte dans certaines églises diocésaines ou monastiques, dont on souhaite enrichir les patrimoines.
Comme exemple, relevons la donation du prêtre Anagildo à des églises de la région de Guimarães et à l’évêque D. Pedro lui-même, datée du 31 mars 1072 :
« Domnis invictissimis ac triumphatoribus sanctisque martiribus ac gloriosissimis martirum sancti Salvatoris et sanctae Marie sempre virginis, sancti Michaeli arcangeli, sanctorum apostolorum Petri et Pauli, sancti Antonini et illos sanctos qui ibi sunt reconditos in cenovio Vimaranes, cuius baselica fundata esse dignoscitur quia sic dicit in Evangelio ” date et dabitur vobis, querite et invenietis, pulsate et aperietur vobis „ »51.
Remarquons que cette invocation intègre aussi des éléments typiques de l’arenga, une situation fréquente dans de nombreuses formules dispersées dans les recueils documentaires parcourus.
Quant au nombre élevé d’invocations avec ce même formulaire, mais immédiatement modifiées selon les saints, martyrs, apôtres ou autres protecteurs célestes dont on entendait convoquer le secours, comme nous l’avons fait pour les invocations trinitaires, de préférence à l’étude spécifique, nous orientons notre recherche de manière à trouver des formules modèles en dehors du cadre des recueils disponibles, comme sources de recherche sur les formulaires dans l’espace défini au départ.
Dans ce sens, le Liber Testamentorum Ecclesie Ovetensis, qui s’est montré si utile, n’a procuré pour la présente recherche aucun apport positif, mais, de son côté, El Tumbo de San Julian de Samos (siglos viii-xii), dont nous devons l’édition à l’excellent travail de Manuel Lucas Alvarez, nous a procuré l’invocation du document relatif à l’édification et à la dotation de l’église de Santiago de Toldaos, daté du 849, que nous n’hésitons pas à considérer comme modèle matriciel de toutes celles qui commencent avec ces mêmes termes, aussi bien dans le Tumbo de Samos que dans les documents qui intègrent les recueils cités, et qui sont à notre disposition.
La seule différence, parfaitement acceptable, ne serait-ce que par son ancienneté, est l’usage de l’adjectif gloriosis dans sa forme normale, et non dans le superlatif gloriosissimis. Bien que nous ne connaissions pas les canaux de diffusion, nous la transcrivons ici pour l’analyse future :
« Domnis invictissimis ac triumphatoribus ac sanctis martiribus gloriosis sancti Iacobi apostoli, sanctorum Petri et Pauli et sancti Christofori, et sanctorum Georgii, sancti Laurentii, Sisti episcopi, et Ipoli<ti> ducis »52.
Ces formules, et d’autres, ont été progressivement élaborées, de sorte qu’il n’est pas toujours possible de reconnaître toutes les phases par lesquelles elles sont passées. Quant à celle que nous venons de transcrire, il ne sera pas difficile de noter que ses débuts pourraient remonter en plein royaume asturien, au moins au 24 avril 785, car la charte du prêtre Adilano, soucieux de la fondation d’un monastère, commence précisément par ces termes :
« Domnis invictissimis ac post Deum mihi fortissimis patronibus sancti Stephani et martiris primi… »53.
II. 2. 2. Préambules
Comme nous l’avons fait du protocole, à propos du texte qui est vraiment la partie centrale de la structure documentaire, nous nous limiterons à une sélection de préambules et de clauses comminatoires susceptibles d’analyses comparatives, en ayant en vue d’éventuels modèles plus éloignés qui nous permettent de dépasser les limites chronologiques de notre documentation.
En étudiant les préambules nous entrons en contact direct avec des parties du formulaire du document qui nous révèlent la justification théorique, générique, où la partie contractante entend expliquer l’acte juridique qui va avoir lieu, en ajoutant parfois d’autres motifs plus concrets et même d’ordre particulier. L’étude des préambules, bien que la répétition au niveau des lieux de production documentaire puisse, d’une certaine façon, sinon les priver de leur substance, au moins les affaiblir dans leur valeur et leur signification, contribuera à la connaissance des conceptions ayant cours sur le plan religieux, mais surtout juridique.
Remarquons dès à présent que, même si le préambule surgit immédiatement après l’invocation, en particulier dans des actes juridiques à composante religieuse accentuée, tels que des donations à la cathédrale, à un monastère ou église quelconque, il ne manque pas des cas non plus où le document commence par le préambule.
Comme point de départ pour une brève réflexion, nous présenterons certains préambules sélectionnés parmi les nombreux formulaires connus :
1090, 24 mars :
« Magnum est enim titulus donationis in quo nemo potest actum largitatis inrumpere nec foris legis proicere sed quicquid homo ingenuus vir atque femina qui filios vel nepotes non relinquerit de omni sua re faciat quod voluerit »54 ;
1101, 8 mai (?) :
« Mos quipe extat felicium servientibus Deo aliquid unde sibi commoda celestia conquirent qua propterea concedo vobis domno Geraldo archiepiscopo Bracarensis sedis vel omnibus clericis qui tecum in Dei servitio permanente et Sancte Marie Virginis … »55 ;
1102, 29 novembre :
« Nullius quoque gentis imperio nec suadentes articulo sed sano animo integroque consilio non per metum nec per vim sed expontanea nostra voluntate et in nostro robore ita ut faceremus vobis domno Geraldo… »56.
Dans tous ces cas, le souci d’accentuer la validité des donations ressort, en proclamant : dans le premier cas, le droit pour les personnes libres sans descendance de pouvoir disposer de leurs biens comme elles l’entendent ; en affirmant, dans le second, la valeur juridique de la coutume des donations au siège épiscopal, en la personne de l’archevêque D. Geraldo, et au chapitre de la cathédrale ; et, finalement, la pleine liberté avec laquelle les fidèles faisaient leur donation collective à la même cathédrale.
Ces modèles de préambules peuvent subir des changements destinés à exprimer une justification plus explicite du droit que l’on entend garantir, comme on le constate dans la donation de la comtesse D. Urraca Ansures, faite à son chapelain et maître, Soeiro Atães, et au siège épiscopal de Braga, le 23 mai 1107, et qui invoque aussi les lois wisigothiques :
« Magnum est enim titulus donationis in quo nemo potest actum largitatis inrumpere nec extra legum iura proicere et in Gotorum legibus continetur quatinus valeat donatio sicut et venditio »57.
Cette formule est à nouveau intégralement utilisée lors d’une donation faite le 14 avril 1152 par l’archevêque D. João Peculiar, avec le consentement du chapitre, à deux de ses hommes, en récompense de services rendus58.
Tous ces préambules que nous venons d’analyser sont tardifs, notamment le premier – « Magnum est enim titulus donationis » –, daté de l’année 1090. Indépendamment du fait que, dans la documentation portugaise, on puisse tomber sur cette formule d’une époque précédente, nous considérons pertinent de relever que celle-ci se trouve déjà le 14 janvier 946, dans le Tumbo de Samos59, un fait qui mérite d’être mentionné dans la perspective comparative sous-jacente à cette étude.
Dans le Liber Fidei, qui est le principal recueil utilisé, et peut même être considéré comme un ouvrage de référence, nous tombons aussi sur un préambule qui, contrairement aux morceaux antérieurs, fonde la validité de la donation sur la promesse de la vie éternelle, présente dans bien des études sur la religion chrétienne, sur le précepte de la charité et sur l’obligation de rendre service aux pauvres, des aspects consolidés par la citation du passage évangélique qui s’y trouve transcrite.
Il s’agit d’une donation de l’archevêque de Braga et du chapitre métropolitain à l’ordre de l’Hôpital, en date 9 février 1150 ; le préambule surgit après une très brève invocation trinitaire, omise ici :
« Quamquam christiane religionis multa sint studia quibus eterna promereri posse creditur vita, precipium tamen est pietatis officium quod ad eiusdem vite potest perducere questum et Christi pauperibus ob eius amorem prestare solacium. Dicente enim Evangelio : ”Quod uni ex minimis meis facitis mihi fecisti„ ipse sibi procul dubio Christum debitorem eterne vite constituit qui minimis eius solatia necessitatis inpertit »60.
D’un égal caractère religieux, on trouve l’arenga de la charte de donation de Guterre Sarracins et de son épouse au siège épiscopal de Braga, le 1er juin 1150, qui fait passer au premier plan l’exemple de l’obéissance de Jésus-Christ au Père éternel, et se poursuit par deux citations évangéliques61.
Il n’est pas possible de présenter la multiplicité des préambules épars dans la documentation disponible, mais nous aimerions faire noter que de nombreux actes juridiques commencent par des préambules qui, malgré les changements légers ou plus accentués de rédaction, entendent toujours mettre en évidence la connaissance généralisée des faits exposés dans les documents qui les exhibent, comme le révèlent les exemples suivants : « Dubium quidem non est sed multis plebs manet cognitum atque notissimum… », dans la charte de transfert d’une propriété au siège épiscopal de Braga, datée du 8 juillet 110162 ; une formule utilisée précédemment le 5 septembre 1062 dans la charte de reconnaissance de certains habitants de Braga, qui finirent par reconnaître qu’ils étaient les sujets de l’administration de cette ville63.
Dans ce sens, nous sélectionnerons encore ces formules, même si l’on est ici plus face à un exposé de données factuelles qu’à un préambule : « Ut in cunctis notum permaneat eo quod intravit Iohannes in casa de Nogaria cum sua muliere Tiudili pro servientes de illa comitissa Tuda domna ad tuendum eius ganatum, pan et bivere… »64, à l’ouverture d’un procès de partage de biens ; et « Ut scitum est et cunctis et divulgatum ad universis et cunctis ut in cunctis omnibus notum pro hac et in cunctis temporibus Adefonsi principis intencio horitur inter episcopos nominatos Petrus Bracarensis et Edronius Auriense… », dans la décision qui, le 18 décembre 1078, met un terme au litige existant entre les prélats de Braga et d’Orense, une fois admis par l’évêque Ederónio (d’Orense) que le territoire de Baronceli appartenait au diocèse de Braga ; le roi Afonso V confirma la charte de reconnaissance : « Adefonsus rex in ista agnitio placiti manum meam conf. »65.
Ces préambules, révélateurs de la connaissance généralisée des faits posés dans les documents où ils se trouvent, sont relativement tardifs chez nous. Même s’il est possible qu’il y en ait d’autres plus anciens dans le Liber Fidei, aucun ne remonte au-delà du xe siècle. Nous remarquerons volontiers que la formule qui commence par les termes « Dubium quidem non est » apparaît déjà le 17 avril [857], dans le document n° 1 du Tumbo de Samos66, une information à laquelle nous accordons le plus grand intérêt dans la perspective des formulaires qui a guidé notre recherche.
II. 2. 3. Clauses comminatoires
Après ces exemples de la variété des préambules, dont il faut clore l’exposé en
nous limitant, cependant, au cadre des formules qui, dans la structure
documentaire, marquent et enrichissent le texte, au-delà
des
aspects dispositifs, suivant la nature juridique des actes et des clauses qui les
encadrent, nous porterons une certaine attention aux clauses
comminatoires, considérées dans leurs dimensions spirituelles,
parce que ce sont celles qui procurent les plus grandes possibilités de
confrontation sur le plan international. Suivant ce qui est disposé dans chaque
acte juridique – donation, testament, vente et achat, échange, sentence, partage
de biens, contrat emphytéotique, etc. –, il est compréhensible que l’on établisse
des sanctions d’ordre matériel, que nous ne détaillerons pas, afin de créer des
cadres dissuasifs, décourageant d’hypothétiques infractions contre le contenu des
actes signés.
Dans ce sens, ces mesures sont encore aggravées par la volonté manifeste que des maladies terribles, comme la cécité67 ou la lèpre, affectent les éventuels contrevenants. Pour ce qui est de la lèpre, on spécifie qu’elle devrait les couvrir du haut de la tête jusqu’à la plante des pieds68.
Malgré ces menaces, pouvaient toujours surgir des tentatives de transgression de la matière du contrat. Dans ces cas, les infracteurs, outre les pénalités d’ordre matériel consignées dans les documents cités, étaient sujets aussi à des sanctions d’ordre spirituel qui, dans le contexte de la mentalité religieuse en vigueur à l’époque, constituaient des facteurs véritablement dissuasifs d’infraction contre les dispositions de chacun de ces actes.
Nous n’en citerons que les plus fréquentes dans la documentation du nord du Portugal, une région intentionnellement délimité pour notre recherche. Malgré tout, elle n’en est pas moins représentative dans ce domaine où abondent les affirmations selon lesquelles les éventuels infracteurs des dispositions des actes en cause seraient maudits et excommuniés69, qu’ils seraient privés de communion eucharistique en fin de vie70, que leur mémoire serait effacée du Livre de vie71 – on visait naturellement la vie éternelle –, et encore qu’ils subiraient la même peine que Judas, le traître72, et Datan et Abiram, avalés par la terre73, etc., un éventail totalement ou partiellement répété à plusieurs reprises dans la documentation dont nous disposons.
Quelque intéressantes que soient ces formules et la tentative de leur mise en rapport, qui nous a permis d’apporter un certain éclairage sur la thématique retenue pour ce congrès, il nous faut à présent cesser de présenter de nouvelles citations. Le vaste éventail de formules dispersées entre les parties de la structure à teneur documentaire auxquelles nous limitons notre analyse, malgré leur fréquence, et précisément pour cette raison, peut contribuer aussi à une meilleure connaissance de certains aspects de la mentalité médiévale, une étude qui ne relève pas de notre objectif.
Dès lors, au lieu de poursuivre les considérations sur ces synthèses-ci et sur d’autres clauses comminatoires spirituelles élaborées au long des siècles, il s’agira de chercher à déterminer depuis quand elles nous sont apparues. Même s’il n’est pas possible d’atteindre cet objectif en ce qui concerne toutes les clauses, celles dont nous avons eu connaissance n’en demeurent pas moins un apport positif à l’intensification de cette recherche sur le plan international.
Conclusion
Au terme de notre exposé, il nous faut faire un petit résumé du chemin parcouru et des principaux aspects qui ont retenu notre attention dans le cadre du thème proposé.
Comme nous le faisions remarquer au départ, l’analyse du thème global du congrès, malgré les multiples perspectives suggérées par les organisateurs, se heurtait à un degré élevé de difficulté pour quiconque étudierait le cas du Portugal médiéval, étant donné l’inexistence de formulaires qui répondent aux besoins divers des « notaires » ou d’autres rédacteurs des actes juridiques que les circonstances de la vie réelle exigeaient.
En parcourant l’abondante documentation réunie dans les recueils sélectionnés pour notre recherche, nous avons dû restreindre le champ d’observation aux documents les plus susceptibles de répondre à notre propos de départ, en analysant soit certains formulaires, extrêmement simples, soit d’autres plus complexes et fréquents dans les litiges scandant la vie quotidienne. Cette analyse, on l’a remarqué, ne peut négliger une mise en contexte sensible, selon les cas, aux réalités administratives, ecclésiastiques, politiques et sociales qui gouvernaient la demande et la production des actes.
Ainsi, sans vouloir répéter ce qui a été dit dans les pages précédentes à propos des formulaires les plus simples, où se signale la formule de prestation d’obédience à l’archevêque de Braga de la part des prélats, considérés alors comme ses suffragants – une situation ultérieurement redéfinie dans la foulée des disputes avec Saint-Jacques de Compostelle et avec Tolède –, il nous a été possible de détecter et d’isoler la formule spécifique, généralement souscrite par des évêques portugais de Porto, Coimbra, Viseu et Lamego et des diocèses situés outre les frontières, comme Mondonhedo, Tui, Orense, Lugo et Astorga.
Sur le plan social, il faut mettre en évidence la formule d’affranchissement d’un serf de l’archevêque de Braga, D. Paio Mendes (1118-1137), non seulement pour sa spécificité et sa qualité – la formule, unique, n’a pas été reprise –, mais aussi par le contexte solennel dans lequel s’est inscrit l’affranchissement, sans oublier le fait que la charte fut accordée avec le clair objectif de servir d’encouragement à l’affranchissement de nombreux individus, voire de familles entières.
Quant aux formulaires les plus complexes, les éléments dont nous disposons, bien qu’ils aient été analysés en nombre plus réduit, nous ont incliné vers la confirmation de l’hypothèse de départ de l’influence diplomatique asturo-léonaise sur la région, ultérieurement intégrée au nord du Portugal.
En effet, en plus des invocations trinitaires véhiculées par les actes des rois – Afonso II en 83274, Afonso III en 89975 et Ordonho II en 91576 –, pour ce qui est des autres formules, préambules et clauses comminatoires, nous avons pu inventorier certains exemples fort antérieurs, aussi bien dans le Liber testamentorum Ecclesie Ovetensis, que dans le Tumbo de San Julian de Samos (siglos viii-xii), comme nous l’avons très largement illustré au long de notre exposé, et qui consolident notre conviction sur l’hypothèse de départ.
La preuve de l’existence de ces formules éventuellement paradigmatiques dans la documentation léonaise pourrait s’allonger après une minutieuse recherche sur les motifs d’ordre personnel qui s’ajoutent aux préambules, ou présentés de façon simple et isolée en tant que justificatifs des actes concédés. À titre de simple exemple, qui correspond aux nombreux cas similaires présents dans la documentation portugaise, nous nous permettons de recueillir la justification d’une donation au monastère de Samos, faite le 1er juin 933 par une certaine Gontina (Goncina), mue par le poids de ses péchés et animée par l’espoir et la confiance que, par les mérites et l’intercession des saints qu’elle cite, saint Julien, sainte Euphémie et les saints martyrs, elle obtiendrait le pardon : « Cum pecatorum mole depressa in spe fidutiaque sanctorum meritis non usquequaque desperatione deicimur »77. Pour ce qui est de ces motifs, et d’autres invoqués dans des actes juridiques concrets, on pourrait multiplier les allégations.
Nous terminons ici notre parcours dans les méandres de la diplomatique du nord du Portugal, avec la conviction de l’évidente influence asturo-léonaise, en partie constatée ici et documentée pour ce qui est des siècles qui précédèrent l’indépendance du Portugal reconnue par Afonso VII, à Zamora, en 1143, puis par le pape Alexandre III, dans la bulle Manifestis probatum est du 23 mai 1179 ; un processus diplomatique qui s’est progressivement atténué, durant cette période et les époques suivantes.