Typologie diplomatique

Les usages de la chancellerie royale, codifiés par les juristes, ont figé, à partir du XVIIe siècle, les caractères diplomatiques des actes législatifs. Les juristes de la fin du XVIIIe siècle répartissent ceux-ci en trois catégories : l'ordonnance, loi de caractère général englobant une vaste matière ou un ensemble de matières ; l'édit, loi portant sur un objet particulier ; la déclaration, loi de circonstance à portée transitoire, utilisée souvent pour interpréter, préciser ou modifier sur tel ou tel point particulier les ordonnances et les édits. Ordonnances et édits avaient des caractères communs : actes solennels à valeur perpétuelle, ils appartenaient à la catégorie des « grandes lettres patentes » ou « chartes », scellées du grand sceau royal de cire verte (couleur symbolisant la perpétuité) sur lacs de soie rouge et verte et non datées du quantième du mois. Les déclarations, au contraire, étaient des « petites lettres patentes » scellées de cire jaune sur double queue de parchemin et datées du jour. De plus, les édits étaient habituellement qualifiés de « perpétuels et irrévocables », formule qui faisait écho à l'usage de la cire verte et dont on verra plus loin la portée exacte.

Ces règles devenues rigoureuses à la fin de l'Ancien Régime n'avaient pas encore pris forme au XVIe siècle, où le vocabulaire, les formulaires et les modes de scellage restaient encore très variables. Le mot « ordonnance » ne désignait pas un type d'acte précis mais toute espèce de décision royale d'intérêt général ; il était employé au pluriel quand il s'appliquait aux grandes lois visant à réformer le royaume : on parlait ainsi des ordonnances de Blois de mai 1579. Les édits n'étaient pas forcément scellés de cire verte. Beaucoup d'entre eux étaient scellés de cire jaune sur double queue de parchemin. Ce fut le cas, par exemple, de l'édit de Crémieu du 19 juin 1536 qui réglementait la compétence respective des bailliages et des prévôtés : bien que scellé de cire jaune, il est néanmoins qualifié de « perpétuel et irrévocable ». Il existait des lettres patentes scellées de cire verte et datées du jour. La grande souplesse qui prévalait à la chancellerie royale dans la seconde moitié du XVIe siècle explique la variété du vocabulaire juridique et diplomatique que l'on observe dans les lois promulguées à cette époque, surtout dans la décennie 1560, sur le fait de la religion. Outre les édits stricto sensu, promulgués sous forme de lettres patentes scellées et qui se réduisent au nombre de sept (nos II, III, V, VI, VII, VIII et XII), on trouve dans cet arsenal législatif des « articles » (nos IX, X XI et XIII) et des brevets (nos XIV et XV). Cette diversité trahit l'embarras du gouvernement royal, contraint de légiférer dans un domaine nouveau comportant la reconnaissance officielle de la nouvelle religion.

Les édits

Dans les premières années, les lettres patentes qui légifèrent sur le statut des réformés sont désignées par des termes changeants et parfois même contradictoires, tout au moins en apparence. Par exemple, l'édit de Janvier ne se qualifie jamais lui-même d'édit : dans son article 17, il est question de « ceste presente ordonnance », et dans les clauses finales de « noz presens ordonnance, vouloir et intention ». Il en va de même pour l'édit d'Amboise du 19 mars 1563, où l'on trouve dans l'article 9 la formule « nostre presente ordonnance » et dans les clauses finales « nostre presente declaration et ordonnance ». Quant à l'édition officielle diffusée à l'époque par l'imprimeur du roi Robert Estienne (Actes royaux, nos 1706-1707), elle est intitulée « Edict et declaration », deux termes qui au XVIIIe siècle seront devenus incompatibles. On saisit là toute la difficulté pour le chancelier de France de faire entrer ces actes d'un type inédit dans une catégorie définie. C'est seulement à partir de l'édit de Paris du 23 mars 1568 que le législateur utilise le mot édit pour qualifier l'acte dans ses clauses finales et même dans ses articles, en l'associant parfois au mot ordonnance : « cestuy nostre eedict et ordonnance », « nostre present eedict et ordonnance », « le present eedict », etc. Désormais, le législateur ne cherche plus à esquiver la difficulté : les édits de pacification sont des édits comme les autres, on en a pris l'habitude, on s'installe dans la durée et la répétition.

Particulièrement curieux, dans les années 1560-1568, est le recours à la notion d'édit provisionnel (ou, pour reprendre la graphie même qui figure dans les textes, « provisionnal »). Le concept de « provision » semble en effet antinomique de celui d'édit qui implique la prise d'une décision solennelle, ferme et durable. Le premier édit dans lequel il est question de « provision » est celui de Saint-Germain de juillet 1561. Curieusement, cet édit, bien qu'il ait été scellé de cire verte , est qualifié de « provisionnal » dans l'édit de Janvier (I, préambule). Ce dernier, qui est daté du jour et scellé de cire jaune, est lui-même pris « par provision » (I, 3), ce que rappelle l'édit de Saint-Maur qui relève également que l'édit d'Amboise du 19 mars 1563 « n'estoit que provisionnal et revocquable par nous » (IV, préambule). Dans ces premières années de troubles, la monarchie ne prend donc que des mesures provisoires, justifiées par deux arguments : la minorité royale et le « bas aage » du souverain, qui lui interdisent de légiférer durablement (rappelons que la minorité de Charles IX dure du 5 décembre 1560 au 17 août 1563, période qui inclut l'édit de Janvier et l'édit d'Amboise) ; et l'intervention d'un concile dont on attend qu'il mette un terme à la division religieuse. A cette époque, il est évident que le gouvernement royal essaie de concilier deux impératifs contradictoires : imposer sa volonté en vue de rétablir l'ordre, ce qui nécessite un édit, acte solennel ; et éviter d'engager l'avenir, d'où l'emploi de la cire jaune. Il est révélateur que la cire verte ne réapparaisse que dans l'édit de Saint-Maur de septembre 1568, un édit répressif, tout l'inverse d'un édit de pacification.

L'usage de la cire verte en août 1570 pour sceller un édit de pacification est donc une nouveauté dans la pratique de la chancellerie royale, qui va d'ailleurs de pair avec l'emploi (logique) de la formule « perpétuel et irrévocable » dans le dispositif de l'acte. Ce revirement coïncide avec l'effacement du chancelier Michel de L'Hospital, remplacé par des gardes des sceaux (Jean de Morvillier puis René de Birague) à partir de l'été 1568.

Désormais, la cire verte et la clause de perpétuité-irrévocabilité seront de règle dans les édits de pacification : on les retrouve en 1573, 1576, 1577 et 1598. (Rappelons que les articles des conférences de Nérac et du Fleix, en 1579 et 1580, ne sont pas des édits, mais seulement des compléments et des ajustements apportés à l'édit de 1577 ; les lettres patentes qui ratifient les articles de Nérac sont scellés de cire jaune et celles qui approuvent la paix du Fleix de cire verte.) Plusieurs historiens ont montré la signification et la portée exactes des mots « perpétuel et irrévocable » dans les édits. Ces termes ne doivent évidemment pas être pris au pied de la lettre, même quand le législateur affirme en outre sa volonté que son édit soit ferme et inviolable (V.43 ; VII.62 ; VIII.62 ; XII.91). Toutes ces formules visent seulement à conférer une plus grande autorité à l'acte, sans pour autant limiter le pouvoir souverain de décision du monarque régnant et de ses successeurs. Les actes portent d'ailleurs en eux-mêmes les signes évidents d'une contradiction interne entre le fond et la forme. Par exemple, le dispositif de l'édit de Poitiers est ainsi libellé : « Avons, en attendant qu'il ait pleu à Dieu nous faire la grace [...] de reunir tous noz subjects à nostre Eglise catholicque, par cestuy nostre present eedict perpetuel et irrevocable, dict, declaré, statué et ordonné ... », contradiction que l'on retrouve, en des termes différents, jusque dans l'édit de Nantes. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que Henri III ait abrogé en juillet 1585 tous les édits de pacification en vigueur (y compris ceux qu'il avait promulgués lui-même), et à ce que Louis XIV ait révoqué l'édit de Nantes en 1685.

Tous ces édits ayant très vite revêtu un caractère répétitif, les secrétaires du roi ont pris l'habitude de réutiliser des formulaires déjà employés antérieurement. Ainsi, le préambule de l'édit de Saint-Germain (n° V) reprend mot pour mot celui de l'édit de pacification immédiatement précédent (n° III). Cette continuité formelle est particulièrement apparente dans les clauses finales, dont on voit se succéder deux types différents : le premier dans l'édit de Janvier et dans celui de Saint-Maur (nos I et IV), et le second à partir de 1970 (nos V, VI, VII, VIII et XII).

Il n'est pas sans intérêt d'autre part d'observer l'origine et la genèse de l'expression « édit de pacification », devenue familière aux historiens contemporains. Elle apparaît dans l'édit de Paris du 23 mars 1568, confirmatif de l'édit d'Amboise du 19 mars 1563 et qui qualifie ce dernier d' « edict de paciffication » (III, préambule, 1, 2, 9, 15). L'article 15 précise même : « nostred. premier edict de paciffication », amorçant ainsi une comptabilité dont le législateur semble alors avoir pressenti qu'elle pourrait avoir une suite. On retrouve l'expression « edict de paciffication » dans l'édit de Saint-Maur, qui désigne ainsi ceux d'Amboise et de Paris (IV, préambule), puis dans l'édit « de Beaulieu » de 1576 (VII.53) et dans les articles de Nérac de 1579 (X, préambule, 4, 9, 13, 16, 17, etc.). Dans les articles du Fleix et de Coutras (XI.47), on trouve la variante « édit de paix ». Par ailleurs, plusieurs éditions imprimées contemporaines des édits intitulent ceux-ci « Edit de pacification ». Cette formulation n'est donc pas une création moderne ; elle remonte à l'époque même des guerres de Religion.

Édit ou traité ?

Les édits de François II et l'édit de janvier 1562 étaient promulgués librement par le roi dans le souci d'établir la concorde entre ses sujets. A partir de 1563, les édits royaux et actes assimilés prennent un autre caractère : mettant fin à des guerres civiles, ils résultent de négociations menées entre le roi et des sujets rebelles. Ils s'apparentent dont à des traités, même si leur forme — qu'il s'agisse d'édits à proprement parler ou de lettres patentes confirmatives d' « articles » (1577, 1579, 1580, 1598) — les fait apparaître comme des actes émanant du pouvoir absolu. Cette notion de « traité » a été très vite perçue par les contemporains. Dès 1573, dans le registre du Parlement, le texte de l'édit de Boulogne est précédé du titre « Traicté de paix », que l'on retrouve en tête des édits « de Beaulieu » en mai 1576 et de Poitiers en septembre 1577, avec de légères variantes : respectivement « Traicté de paix touchant la Religion pretendue reformée » et « Traicté de pacification ». Ce caractère est encore plus accusé pour les conférences de Nérac et du Fleix en 1579-1580, puisqu'on n'a pas alors d'édit au sens diplomatique du terme, mais seulement le texte à l'état brut des « articles » arrêtés dans ces conférences entre Catherine de Médicis et les députés de la Religion prétendue réformée dans le premier cas, entre le duc d'Anjou et le roi de Navarre assisté desdits députés dans le second. Quant à l'édit de Nantes, son caractère synallagmatique est reconnu par le pouvoir royal lui-même : en janvier 1600, le parlement de Bordeaux se voit intimer l'ordre d'enregistrer l'édit et d'obéir à Sa Majesté « qui avoit baillé led. edit aux huguenots par traité et quasi par contrat, que sa foy y estoit engagée ».

Notons d'ailleurs que le caractère contractuel des édits de pacification accordés aux protestants n'est pas propre à ceux-ci. On le retrouve dans les nombreux « articles » et édits concédés aux villes et aux grands seigneurs ligueurs ralliés au roi dans les années 1594-1598 (Danièle Thomas en donne une liste en annexe de son édition de l'édit de Nantes). L'édit « de Beaulieu » de 1576, seul de tous les édits de pacification, vise d'ailleurs autant les catholiques que les protestants ; par exemple, il interdit toutes les associations quelles qu'elles soient. C'est l'une des manifestations d'un type de gouvernement reposant sur le dialogue et la concertation tel qu'il se pratique dans les assemblées d'états, où les députés présentent au roi des cahiers, des articles, des doléances que le souverain reprend à son compte dans la loi : c'est suivant ce principe qu'ont été promulguées les grandes ordonnances du XVIe siècle. Ce mode d'élaboration de la loi a été particulièrement mis en œuvre lors des pourparlers qui ont précédé l'édit de Nantes. Il n'est pas interdit d'autre part de rapprocher ces « articles » et ces « traités » des guerres de Religion de ceux qui, au XVIIe siècle, étaient conclus avec les financiers associés à la gestion supérieure des revenus royaux. Sous Henri IV, par exemple, les décisions du Conseil du roi qui les chargent du rachat de portions du domaine moyennant la jouissance temporaire de certains revenus se présentent sous forme d' « articles » ratifiés par le Conseil. Et au XVIIe siècle, ces financiers sont couramment appelés « traitants » ou « partisans ». Il s'agit dans tous les cas de véritables conventions conclues entre le roi et une partie de ses sujets.

Les articles secrets et particuliers

A trois reprises (1570, 1577, 1598), les édits en forme de lettres patentes furent complétés par des articles dits « secrets » ou « particuliers », qui ne peuvent être mis exactement sur le même plan que les articles de Nérac et de Fleix, puisqu'ils sont en quelque sorte des annexes d'édits publiés simultanément. Il s'agit d'une espèce diplomatique sui generis dont la nature et les effets juridiques sont des plus incertains : tout porte à croire que c'est une catégorie d'acte créée pour la circonstance et dont le caractère flou a été volontairement entretenu par le pouvoir royal pour faciliter la mise en place de la nouvelle législation. Le fait que leur enregistrement n'ait pas été clairement imposé, comme on le verra plus loin, explique d'ailleurs qu'ils soient très mal connus. Outre ces articles particuliers, l'édit de Nantes, pour la première et unique fois, a été complété par des brevets.

Les premiers articles secrets sont ceux qui ont été annexés à l'édit de Saint-Germain-en-Laye de 1570. Nous n'en avons pas retrouvé le texte. Leur existence nous est connue par une allusion qui y est faite dans les articles secrets de Bergerac (IX.7). Nos observations porteront donc sur les seuls articles secrets de Bergerac et de Nantes (nos IX et XIII), qui sont des actes de même nature mais dont chacun présente quelques particularités qu'il nous faut relever. Leur principal point commun, quant à leur contenu, est qu'ils ne concernent que les protestants, alors que les édits proprement dits s'appliquent à tous les sujets du roi et présentent même la religion catholique dans une position privilégiée.

Les articles particuliers de Bergerac, tels que nous les connaissons d'après l'édition très tardive qui en a été donnée en 1683 par Pierre Bernard et Pierre Soulier (il n'existe aucune édition contemporaine de l'acte à la Bibliothèque nationale de France) présentent cette particularité de n'avoir point de titre. Au nombre de 48, ils sont suivis d'une mention qui indique les conditions dans lesquelles ils ont été signés : il s'agit d'un accord conclu entre « plénipotentiaires » chargés de négocier la paix de Bergerac et l'édit de Poitiers  : d'un côté, pour le roi, le duc de Montpensier et les srs de Biron, d'Escars, de Saint-Sulpice, de La Mothe-Fénelon ; de l'autre, le roi de Navarre, le prince de Condé et dix-sept députés protestants. Tous ces personnages ont signé, à l'exception du roi de Navarre, représenté par son chancelier. A priori, ces articles ne semblent pas avoir été confirmés par des lettres patentes comme ce sera le cas pour ceux de Nérac, du Fleix et de Nantes. Ils n'ont pas été enregistrés au parlement de Paris avec l'édit de Poitiers. Mais une mention reproduite par Soulier indique qu'ils l'ont été au parlement de Bordeaux, le 5 décembre 1581 : une donnée malheureusement invérifiable, le registre correspondant ayant disparu depuis fort longtemps. Ces articles règlent une foule de problèmes particuliers, concernant soit des personnes (le prince de Condé, le prince d'Orange), soit des lieux, et explicitent certaines dispositions de l'édit de Poitiers. D'une façon générale, il s'agit de mesures très favorables aux protestants, et que le gouvernement royal, pour cette raison, ne pouvait inclure dans l'édit général, sachant qu'elles susciteraient une résistance opiniâtre du parlement.

Cette même technique, consistant à mettre à part les dispositions les plus intolérables pour les catholiques, se retrouve en 1598 avec l'édit de Nantes. Les articles particuliers annexés à celui-ci sont plus connus que ceux de 1577, mais leur nature et leur portée ne sont pas plus claires. Contrairement aux articles particuliers de 1577, ils ne portent pas les signatures des négociateurs, mais sont, dans leur forme, octroyés par le roi comme l'indique leur titre, qui est fort ambigu : « Articles particuliers extraicts des generaulx que le roy a accordez à ceulx de la Religion pretendeue reformée, lesquelz Sa Majesté n'a voulu estre comprins esd. generaulx, ny en l'eedict qui en a esté faict et dressé sur iceulx donné à Nantes au mois d'avril dernier. Et neanmoingtz a accordé Sad. Magesté qu'ilz seront entierement acomplis et observés, tout ainsy que le contenu aud. eedict. Et à ces fins seront registrés en ses cours de parlemans et ailleurs où besoing sera, et toutes declarations, provisions et lettres necessaires en seront expediées. » Ce libellé est surprenant. Les articles particuliers, en effet, sont présentés comme ayant été détachés de l'édit général, séparation qui n'a d'autre justification que la volonté royale, laquelle n'est pas motivée. Le roi affirme que l'édit général scellé et les articles particuliers forment un tout, au point qu'il ordonne l'enregistrement des articles. A cet effet, ceux-ci sont suivis d'une lettre patente scellée de cire jaune sur simple queue — un mandement — ordonnant leur vérification. Ces lettres patentes contiennent par ailleurs une curieuse contradiction : le roi, en effet, les qualifie de « secrets et particuliers », et il déclare vouloir qu'ils aient « pareille force et vertu et être observés et accomplis tout ainsi que notre édit », d'où l'ordre donné aux cours souveraines de les enregistrer. Or, on voit mal comment concilier le caractère « secret » des articles avec la publicité qui doit leur être donnée du fait de leur enregistrement, puisque l'une des fonctions des cours était précisément d'assurer la publication et la diffusion des actes royaux qu'elles vérifiaient. De fait, en dépit de ce mandement, ces articles particuliers sont loin d'avoir été enregistrés partout. Ils ne l'ont pas été au parlement de Paris, mais ils l'ont été au parlement d'Aix. Et ils n'ont été intégrés que très tardivement (en 1621, semble-t-il) aux éditions officielles de l'édit.

Les brevets

En 1598, le roi utilise une troisième catégorie diplomatique pour définir le statut de ses sujets réformés : le brevet. Contrairement à l'édit, lettre patente scellée du grand sceau ressortissant clairement à ce que nous appelons aujourd'hui le domaine législatif, le brevet est un type d'acte par lequel le souverain dispense ses grâces et ses faveurs sans aucun contrôle ; il n'est validé que par la signature royale et le contreseing d'un secrétaire d'État. Le recours au brevet lui permettait donc d'aller encore plus loin qu'il ne le faisait dans les articles particuliers, lesquels, on vient de le voir, étaient confirmés par des lettres patentes qui imposaient en principe l'enregistrement.

Deux brevets vinrent ainsi s'ajouter à l'édit de Nantes et à ses articles particuliers. Le premier est antérieur à l'édit puisqu'il est daté du 3 avril 1598. L'original est perdu. Curieusement, dans les copies et les éditions du temps, il est daté de Nantes, alors que, le 3 avril, Henri IV se trouvait encore à Angers. Cette modification tendait sans doute à marquer l'unité des quatre actes de 1598. Ce brevet, très court, accorde aux réformés une somme annuelle de 45 000 écus « pour employer à certaines affaires secrettes qui les concernent ». Il s'agissait en fait de subvenir à l'entretien des pasteurs, d'où l'appellation « brevet des pasteurs » qu'on lui applique quelquefois.

Le second brevet, daté du 30 avril 1598, contient une vingtaine de dispositions qui prolongent et complètent l'édit et ses articles particuliers. Il concerne principalement les garnisons des places de sûreté concédées pour huit ans par le roi, d'où l'appellation « brevet des garnisons ». Mais on y trouve aussi quelques mesures qui assouplissent et même contredisent carrément celles qui figurent dans l'édit, par exemple en ce qui concerne l'exercice du culte à la cour, chez les courtisans et dans les villes où le roi séjourne (XII.14 ; XV.16), ou encore la prolongation de l'assemblée de Châtellerault (XII.82 ; XV.12). Le caractère exceptionnel de ce brevet est souligné par deux clauses finales. Tout d'abord, il est spécifié que l'acte sera contresigné « par nous ses secretaires d'Estat », alors qu'en principe un seul contreseing suffit. On peut se demander si cette prescription a été suivie sur l'original (perdu), car les éditions imprimées ne font apparaître que la signature de Forget de Fresnes. Encore plus surprenante est la volonté exprimée par le roi quant aux effets juridiques de l'acte : « Voulant iceluy brevet leur valoir et avoir le mesme effet que si le contenu en iceluy estoit compris en un edict verifié en ses cours de parlement ». Plus encore que dans le cas des articles particuliers, dont on a souligné le caractère ambigu, le brevet des garnisons traduit la volonté du roi d'imposer des mesures dont il sait qu'elles n'auraient pu être acceptées par les cours souveraines et d'user à cet effet de toutes les ressources que lui offrait l'exercice de sa puissance absolue. Il reste qu'aux yeux d'un observateur du XXe siècle, habitué à la séparation des pouvoirs et à ses classifications rigoureuses, le recours à un brevet pour prendre des mesures dont il est expressément indiqué qu'elles ont le même effet que si elles figuraient dans un édit, s'apparente clairement à un abus de pouvoir.

Traditionnellement, seuls les deux brevets des 3 et 30 avril 1598 sont considérés comme éléments constitutifs de l'édit de Nantes entendu au sens large ; avec l'édit général et les articles particuliers, ils datent d'avril 1598 et forment un ensemble dans un cadre strictement chronologique. Pourtant, en bonne logique, il faudrait y ajouter celui du 21 août 1599 (Actes royaux, n° 5051), qui annule pratiquement le 35e article secret en accordant aux protestants la liberté de tenir leurs consistoires, colloques et synodes sans la permission du roi (encore une faveur exorbitante et contraire à tous les usages de la monarchie absolue). Ce brevet, qui modifie sur un point essentiel les articles particuliers, est tout aussi important que ceux-ci. Enfin, rappelons que Henri IV a prorogé pour quatre ans la concession des places de sûreté accordées en 1598 par brevet du 4 août 1605 (Actes royaux, n° 5380) et que Louis XIII, par autre brevet du 22 mai 1610 (Actes royaux, n° 5695), a confirmé ceux des 3 et 30 avril 1598, 21 août 1599 et 4 août 1605.

On ne peut qu'admirer, en conclusion, l'extraordinaire souplesse de l'administration royale et de la chancellerie, qui imaginent sans cesse, dans ces années difficiles, de nouveaux types d'actes adaptés aux circonstances pour éviter le courroux du parlement et apaiser autant que faire se peut les catholiques. L'aboutissement de ce processus, à Nantes, est spectaculaire, avec les trois annexes qui, sur plusieurs points, modifient l'édit général seul enregistré.