Introduction > La procédure de régularisation des testaments de Poilus
L’examen diplomatique des minutes permet d’expliquer la procédure de dépôt de ces testaments, tous olographes. Nous n’avons, en effet, aucun exemple dans l’échantillon de testament authentique aux armées comme en prévoit le Code civil (art. 981).
Chaque minute consiste en un dossier comprenant :
- Une chemise avec un intitulé et, souvent au verso, l’identité précise du défunt avec les circonstances du décès ;
- Le testament olographe et ses codicilles éventuels ;
- Une expédition de l’ordonnance de dépôt du juge, qui donne sa date à la minute ;
- Éventuellement, l’envoi en possession ou les renonciations ;
- Exceptionnellement, un extrait d’acte d’état civil, avec mention, le cas échéant, du jugement de constat de disparition.
La procédure de régularisation des testaments olographes est donc celle en vigueur de 1899 à 1966 (Dalloz, Répertoire de droit civil) : après le décès du testateur et pour permettre le règlement de la succession, le testament est produit au greffe du tribunal de première instance de la Seine où il est ouvert, le cas échéant, puis bâtonné dans les blancs, coté, signé et paraphé à chaque page, avant d’être remis à un notaire pour dépôt au rang de ses minutes.
Trois particularités sont à souligner toutefois, qui singularisent ces testaments :
- la mention de « Mort pour la France » qui figure au verso de la chemise et dans l’ordonnance du juge. Attribuée par la loi du 2 juillet 1915 afin d’honorer les combattants, français ou étrangers, tués par l’ennemi depuis le 2 août 1914, ou décédés des suites de blessures de guerre ou de maladies contractées au combat, cette mention devient obligatoire dans les actes d’état civil des morts et ceux qui en découlent (loi du 30 septembre 1915). La disposition est étendue aux disparus, à la suite de la loi du 25 juin 1919 qui instaure une procédure de jugement par le tribunal, afin de constater le décès sur un faisceau d’indices et d’attribuer aux disparus la qualification de « morts pour la France ».
- le décalage entre la date du décès et celle de l’enregistrement du testament au tribunal. Cette formalité obligatoire, qui tend à assurer la préservation du testament contre toute tentative de suppression ou d’altération, ne peut être effectuée immédiatement après le décès comme ordinairement, du fait de la difficulté d’apporter la preuve de centaines voire de milliers de morts quotidiennes : 27 000 Français ont péri dans la seule journée du 22 août 1914. Hormis les morts à l’hôpital à Paris, le délai moyen entre le décès et le dépôt judiciaire est de 6 mois jusqu’au début de l’année 1917, et de 30 mois ensuite quand affluent les dossiers de disparus. Sans doute faut-il voir dans cet allongement des délais un effet de l’instruction ministérielle du 2 juin 1916, longue de 20 pages, qui tente d’organiser le chaos en formulant des règles extrêmement contraignantes pour identifier tués et disparus et enregistrer leur décès, formalité légale préalable à tout règlement de succession. La découverte du testament lui-même peut aussi être tardive et fortuite retardant d’autant le règlement de la succession.
- les circonstances de la production du testament. Dans la majorité des cas, le testament est confié prioritairement à l’épouse ou à la compagne (74), et à défaut au notaire (17). Seule une minorité des testateurs (8) choisissent pour leur testament l’abri du domicile, du coffre de banque ou du portefeuille.
Nombre de testaments | |
---|---|
Proches
Conjointe : 60 "Héritière" : 14 Parents : 7 Frères, soeurs, beaux-frères, belles-soeurs : 5 Oncles, cousins : 3 Beau-père : 1 Ami : 2 Associé : 2 |
94 |
Professionnel du droit
Administrateur judiciaire : 1 Avocat : 1 Huissier : 1 Notaire : 17 |
20 |
Lieu sûr
Domicile : 4 Banque : 2 Sur soi : 2 |
8 |
Non spécifié | 12 |
Il arrive que l’ordonnance de dépôt fasse état de la découverte du testament sur le cadavre du Poilu. L’instruction ministérielle du 2 juillet 1916 sur les successions militaires prévoit, en effet, de rassembler les objets trouvés sur les morts ou laissés par eux au cantonnement, et de les adresser exclusivement au Service général des pensions du ministère de la Guerre à Paris (art. 5), sauf à les incinérer pour des raisons d’hygiène (art. 17). Les testaments font l’objet d’une attention toute particulière puisqu’ils doivent être adressés sans délai à ce même bureau, « sous pli rouge recommandé accompagné d’un bordereau d’envoi » détaillant l’identité du défunt, les coordonnées de sa famille, et l’expéditeur (art. 10). La minute Nicolon en fournit un excellent exemple.
Avant cette date,
les testaments trouvés sur les morts ont pu être adressés directement aux
familles, comme celui de Victor Boch indiquant au verso Prière à celui
qui trouvera ceci d’avoir la bonté de le faire parvenir à sa
destinataire
, ce qui fut fait. Ce testament (n° 48) porte encore à ce jour la marque des
pliures dans le portefeuille du sergent.