Introduction > Les spécificités formelles des testaments de Poilus > Le testament olographe
La forme testamentaire domine de manière écrasante puisqu’elle représente 93 % du corpus. Elle se caractérise par un texte bref qu’encadrent l’intitulé rituel mais facultatif « ceci est mon testament » (55%), la date et la signature du testateur ; le tout tient généralement sur une page. Il s’agit de parer au plus pressé en réglant le sort de ses proches. Nul temps pour de longs développements dans ces testaments écrits à la hâte, au domicile au moment de la mobilisation, en garnison avant le départ au front, ou à la faveur d’une courte et trop rare permission.
Domicile | 92 |
---|---|
Garnison | 15 |
Front | 11 |
Hôpital | 1 |
Non spécifié | 4 |
Ces circonstances exceptionnelles sont succinctement évoquées dans l’exposé
des motifs :
La mobilisation générale est déclarée, je pars
demain 2e jour. Pris à l’improviste je
n’ai plus le temps ni les moyens de faire une donation en règle à ma
femme bien aimée
(Jules Legeay, 2 août 1914, testament n° 16)
Moins fréquemment, elles figurent dans la date initiale ou les clauses finales :
-
Paris le 2 août 1914, au moment de partir pour la guerre
(Louis Rogue, testament n° 26) -
Ce papier continuera d’être valable depuis ma mort (partant en campagne le 11e jour de la mobilisation et ne sachant si je reviendrai) qui devra être bien confirmée pour jouir de ce legs
(Jules Godard, 12 août 1914, testament n° 62)
Parfois, la suscription, la souscription, la date finale ou un post-scriptum précisent le statut de soldat mobilisé :
- suscription :
Je soussigné Louis Bocquet, vérificateur au ministère du Travail, demeurant à Paris, 32 avenue Daumesnil, actuellement soldat au 2e groupe d’aviation et en permission à Paris
(Louis Bocquet, 4 novembre 1915, testament n° 108) - souscription :
Léon Saulnier soldat au 12e d’artillerie, rentrant à l’hôpital demeurant 27 rue Mercoeur
(Léon Saulnier, 17 janvier 1915, testament non édité) - date finale :
Fait à Dreux le 29 septembre 1915 avant mon départ pour le front des armées de la République
(Louis Baudu, testament n° 107) - post-scriptum :
Ce testament est fait de ma main à Garnay qui est la garnison de la 27e compagnie du 67e de ligne
(Georges Socquet-Clerc, 21 février 1915, testament n° 83)
Le dispositif est succinct (legs universel à la compagne ou la mère), d’une ligne à une page (voir Les dispositions testamentaires). Les héritiers y sont toujours désignés à la 3e personne. Une formule d’adieu explicite peut clore le dispositif.
Pressés par les événements et confrontés à un inconnu terrifiant, les
testateurs ont pour principal souci de garantir la force juridique de leurs
dernières volontés en insérant celles-ci dans un cadre qui les authentifie.
Pour ce faire, ils recourent majoritairement au
papier timbré (60%). Quand celui-ci manque, les 1er et 2
août 1914, ils se rabattent à regret sur le papier libre comme Marcel
Goigoux qui prend la précaution de noter que son testament
ne pouvant pas être sur papier timbré à cause du siège qui sévit à
Paris doit être considéré comme valable et bon
(2 août 1914, testament
n° 20)
.
Je n’ai pu dresser ce testament sur papier timbré car il n’y en
avait plus dans les bureaux de tabac
(Rogue, 2 août 1914, testament n° 26)
.
J’écris sur ce papier libre faute d’avoir pu me procurer du papier
timbré
(Grandjean, 1er août 1914, testament n°
10)
.
Les testateurs veillent aussi au respect des
trois règles explicites du testament
olographe que sont l’écriture entièrement autographe (
Fait en entier
de ma main
(Murat, testament n° 92)
) la date toujours présente et souvent
réitérée en lettres et en chiffres, parfois en tête et fin de testament (Chatin, testament n° 1) ;
enfin la signature, parfois répétée plusieurs fois (Labrin, testament n° 68) et reportée
aussi sur l’enveloppe quand le testament est clos. Mais
aussi, ils reprennent à leur compte les formules du
testament authentique, affirmant par exemple être
sain de corps et d’esprit
(18 mentions) et donc
dotés de la capacité de tester. La révocation d’un testament antérieur (7 mentions), les
clauses finales, la mention des mots raturés considérés comme nuls et
l’emploi d’un vocabulaire juridique témoignent d’une appropriation du modèle
ou des conseils reçus d’un notaire.