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Testaments de guerre de Poilus parisiens (1914-1918) : une édition critique

Introduction > Les testateurs et leurs testaments > Les dispositions testamentaires par Christine Nougaret 

Acte de dévolution à titre gratuit, le testament permet aussi d’exprimer ses dernières volontés dans le domaine moral et spirituel.

Patrimoine

Sans surprise, tous les testaments organisent la succession du testateur, à l’exception de celui d’Edmond Granié (testament n° 97), qui, veuf et sans enfant, n’a qu’une préoccupation, être enterré auprès de sa femme. Un acte de dévolution déshérite le parent indigne (L. Brivois, testament n° 56), tandis qu’un autre prévoit l’annulation de ses dispositions testamentaires si l’épouse légataire allait se fixer en Allemagne (Laforêt, testament n° 51).

Bénéficiaires

Deux paramètres entrent en ligne de compte : l’état marital et la présence ou non d’enfants. En effet au début du XXe siècle, le Code civil prévoit les règles de dévolution suivantes : priorité est donnée aux enfants et descendants du défunt (petits-enfants ou arrière-petits-enfants) ; à défaut à ses ascendants (parents, grands-parents), et à ses collatéraux, c’est-à dire ses frères et sœurs ou ses neveux (art. 731). Ce n’est qu’en l’absence de ces héritiers légitimes, que les biens passent aux enfants naturels, ensuite à l’époux survivant, et, s’il n’y en a pas, à l’État (art. 723, mod. L. 25 mars 1896). Peu favorisé par le Code civil, le conjoint survivant s’est vu toutefois reconnaître, à partir de 1891, un usufruit, en quotité variable selon la qualité des successeurs (art. 767, mod. L 9 mars 1891 et 3 avril 1917). À côté de la dévolution légale, le Code civil reconnaît aux conjoints le droit de tester au profit du survivant, dans la limite des droits des héritiers légaux (art. 1094, mod. L 14 février 1900).

Sans surprise, les testateurs mariés disposent majoritairement en faveur de leur épouse, dont ils veulent améliorer le sort, au-delà des règles de la dévolution légale, soulignant parfois l’implication de leur femme dans le succès de leurs affaires (Belgiovanni, testament n° 49). En l’absence d’enfants, ils font de leur conjointe leur légataire universelle (art. 916), sans condition (Lagache, testament n° 132) ou sous réserve de survenance d’enfant (Bregeras, testament n° 128 ; Vachette, testament n° 30) ou du prédécès des parents du testateur (Quainon, testament n° 117) ; d’autres attribuent à leur épouse survivante toute la quotité disponible, plus l’usufruit de la réserve (Dumont, testament n° 9), comme le permet l’article 1094 du Code civil ; certains, toutefois, soucieux de conserver les biens dans la famille de sang, limitent le droit de leur conjointe à l’usufruit légal (Duffourc, testament n° 55 ; Marchal, testament n° 13). Pour les testateurs pères de famille, la dévolution aux enfants comme héritiers réservataires va de soi, la conjointe étant désignée alors comme simple usufruitière (Patey, testament n° 3) ou comme bénéficiaire d’un quart en toute propriété (M. Brivois, testaments n° 34 et 35).

Les testaments des célibataires reprennent les dispositions de la dévolution légale en faveur des ascendants ou des collatéraux (partage en parties égales, Mathelin, testament n° 31) ; legs universel avec charge, Driancourt, testament n° 5 ; legs particuliers, Socquet-Clerc, testament n° 83). Les célibataires qui vivent en concubinage, notoire ou dissimulé, prévoient des legs particuliers (mobilier de la chambre commune, compte courant, titres boursiers…) à leur compagne (Battmann, testament n° 98 ; Chatin, testament n° 1 ; Tardy, testament n° 28) et s’en remettent à la générosité et à la compréhension de leurs héritiers légaux pour la bonne exécution du legs (Laederich, testament n° 43).

Le souci du bien-être des parents survivants anime plusieurs testateurs qui en appellent à leur futur légataire pour y veiller (Driancourt, testament n° 5 ; Legeay, testament n° 16 ).

Quantité et nature du patrimoine

Du fait de leur âge et de leur catégorie sociale, la plupart des testateurs ont peu de patrimoine (Voir Les testateurs en quelques chiffres). Pour les plus pauvres, leur actif se limite au mobilier de leur chambre à coucher et à leurs effets personnels (Herpin, testament n° 22 ). Assez significativement, le terme « fortune » n’est utilisé que dans neuf testaments (L. Brivois, testament n° 56 ; Charquillon, testament n° 120 ; Chateauneuf-Randon, testament n° 14 ; Debain, testament n° 60 ; Feulard, testament n° 119 ; Laederich, testament n° 43 ; Laborde, testament n° 101 ; Le Conte, testament n° 74 ; Marchal, testament n° 13). Néanmoins, une part de la succession se réglant par la dévolution légale, et du fait de l’emploi d’expressions toutes faites (« tout ce que je possède », « biens présent et à venir »), il serait hasardeux de tirer des conclusions sur le patrimoine des testateurs à partir de quelques dispositions. Notons seulement que certains testaments énumèrent des biens meubles et immeubles précis, témoignant de la situation patrimoniale du testateur (Baumont, testament n° 18 ; Beaumont, testament n° 19 ; Chateauneuf-Randon, testament n° 14 ; Chatin, testament n° 1 ; Gonthier, testament n° 21 ; Grandjean, testament n° 10 ; Marchal, testament n° 13 ; Pégorier, testament n° 24 ; Rogue, testament n° 26). Certains font état de leurs dettes (Lefort, testament n° 12), d’autres de leurs créances (Gonthier, testament n° 21 ; Tourain, testament n° 29), d’autres encore de leurs espérances d’héritage (Dufriche, testament n° 8 ; Laborde, testament n° 101).

Enfin, les testateurs commerçants, industriels ou professions libérales règlent la succession de leurs affaires (Bernel, testament n° 6 ; Duffourc, testament n° 55 ; Lefort, testament n° 12 ; Patey, testament n° 3).

Souvenirs personnels et de famille

Parmi les biens dont on organise la dévolution, figurent les souvenirs personnels ou de famille : Je désire que des objets m’ayant appartenu soient donnés en souvenir de moi aux membres de ma famille, oncles, tantes, cousins. Ma mère gardera pour elle ce qu’elle désirera (Chateauneuf-Randon, testament n° 14) .

Ces legs particuliers d’objets symboliques, destinés à conserver le souvenir du disparu auprès de ses proches, ne concernent que huit testaments. Montre en or (Baumont, testament n° 18 ; Chateauneuf-Randon, testament n° 14 ; Chatin, testament n° 1), armes de chasse (Chatin, testament n° 1 ; Laederich, testament n° 43), bijoux (Grandjean, testament n° 10), tenue militaire (Boudeau, testament n° 57), objets de piété (Chatin, testament n° 1 ; Chateauneuf-Randon, testament n° 14) sont légués aux parents, aux collatéraux, aux amis ou amies les plus proches. Certains prévoient le retour à leur famille de sang de souvenirs de famille tels qu’argenterie à monogramme (Le Conte, testament n° 74) ou service de vieux saxe (Laederich, testament n° 43).

La famille professionnelle n’est pas oubliée non plus : l’avocat Patey (testament n° 3) lègue ses livres de droit à l’ordre des avocats tandis que le médecin Grandjean (testament n° 10) lègue à la « bibliothèque de l’Hospice des Enfants assistés, 74 rue Denfert-Rochereau » tous ses livres de médecine.

Enfin, deux testateurs demandent la destruction de leur correspondance personnelle (Gé, testament n° 33 ; Grandjean, testament n° 10).

Esprit religieux et amour familial

Les considérations religieuses sont quasi absentes de ces testaments. Seul Chateauneuf-Randon ouvre le sien par le dessin d’une croix. L’appel aux prières des proches n’est présent que deux fois (Boch, testament n° 48 ; Le Conte, testament n° 74) ; pour les funérailles religieuses, voir Le Poilu et la mort), associé chez Le Conte au souci d’une éducation religieuse pour ses enfants en une forme de testament spirituel : Je ne fais aucune recommandation spéciale par écrit, mon vœu le plus cher est que mes enfants soient tous de bons chrétiens et de bons Français ; qu’ils restent unis dans la vie, s’entendent toujours bien et ne causent aucune peine à leur mère (testament n° 74) .

Éducation chrétienne des enfants pour les uns (Heppe, testament n° 15 ; Le Conte, testament n° 74), laïque pour d’autres (Gé, testament n° 33), le testament de guerre, même dans sa forme concise, peut donc révéler les convictions profondes des testateurs.

Le testament enfin est le lieu d’épanchements sobres. Appels à la concorde familiale, reconnaissance envers les proches, amour conjugal se laissent deviner derrière des formules pudiques ( je lègue à ma chère femme et à mon cher fils tous les deux adorés (Tourain, testament n° 29) ) ou s’expriment plus librement : Je remercie de tout mon cœur mon oncle Léon, ma tante Charlotte et ma chère Germaine de leur grande et constante affection. Elle fut pour moi la plus douce consolation de ma vie. Mes souvenirs à notre famille et dernier adieu dans ce monde (Nicolon, testament n° 124) .