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[p. 123] L’influence de la Chancellerie Pontificale en Pologne médiévale

Les peuples slaves primitifs ignoraient l’écriture. Ils l’adoptaient progressivement, en embrassant le christianisme. En 965, les annales enregistrèrent le mariage du souverain polonais Mieszko I avec la princesse bohémienne, Dobrava (la dynastie bohémienne – mais non pas le peuple – était déjà à cette époque chrétienne), en 966 le baptême de Mieszko, tandis qu’en 968 la nouvelle : Polonia cepit habere episcopum. Cependant, il fallait encore plusieurs générations avant que la chrétienté et le christianisme n’eussent été mieux assimilés, ne fût-ce que par les couches supérieures de la population polonaise. Cette réception fut pourtant compromise par le fait qu’au Xe siècle aucun des États voisins de la Pologne n’avait pas encore été entièrement christianisé.

Il ne s’est conservé qu’un seul document du Xe siècle, des temps du pontificat de Jean XV (985–992), concernant la Pologne. Encore n’est-il pas complet, mais existe sous forme d’un résumé dans un recueil de canons du cardinal dit Deusdedit. Dans l’historiographie ce document est connu sous le nom de Dagome iudex, premiers mots du texte. Malgré les erreurs et les omissions, c’est bien grâce à ce résumé que nous apprenons que Mieszko – avec sa dernière femme Ota ainsi que ses fils Mieszko et Lambert – ont fait don de leur royaume, dans ses frontières bien déterminées, à saint Pierre. Cet acte de donation avait été rédigé indubitablement non pas en Pologne, mais à Rome, peut-être même en langue grecque, comme le présument certains philologues. Vu les fortes influences byzantines en Italie de ces temps, cela est fort possible. En tout état de cause, il faut reconnaître Dagome iudex comme le plus ancien exemple connu de l’influence de la diplomatique pontificale sur un document polonais.

Le XIe siècle apporta à la Pologne deux crises du royaume accompagnées d’évasions de souverains à l’étranger. Étant donné que les archives pontificales [p. 124] relatives à la même période avaient également été détruites, ni les documents concernant l’érection en Pologne de nouveaux évêchés, ni les nominations épiscopales ou bien des documents conventuels ne se sont conservés. Il n’existe que cinq lettres de ce siècle qui sont connues, elles se sont conservées en dehors des frontières polonaises.

La Pologne ayant commencé à acquérir une certaine stabilisation, le XIIe siècle nous légua 86 lettres et documents, très diversifiés – voire parfois primitifs – pour ce qui est de leur forme. Il est impossible d’y rechercher une quelconque influence de la diplomatique pontificale. La plus ancienne de ces lettres, celle de l’évêque de Cracovie dénommé Maurus (vers 1110–1117), comptant à peine 7 lignes, ne revêt aucune formule de protocole ou d’eschatocole, à l’exception de clauses de menaces spirituelles. L’évêque savait déjà que l’institution d’une nouvelle paroisse devait s’accompagner de l’élaboration d’un document, mais ignorait visiblement la forme que celui-ci devait prendre. Un siècle plus tard, l’évêque de Cracovie Iwo – qui avait étudié à Paris et, 12 ans durant, fut chancelier du prince Lestko – à juste titre jugea nécessaire ob ineruderatam formam privilegiorum simplicis et rusticae antiquitatis de transcrire le document de Maurus. La comparaison de ces deux textes, celui – gauche – de l’évêque Maurus, et cet autre – doté de toutes les formules diplomatiques alors en usage – de l’évêque Iwo, fait bien apparaître l’essor pris au XIIe siècle par la diplomatique polonaise.

Malgré le démembrement féodal du pays et l’inexistence d’un monarque couronné, le XIIIe siècle fut pour la Pologne une période d’épanouissement dans de nombreux domaines. C’est à cette époque qu’a eu lieu la vulgarisation de documents non seulement du point de vue formel, mais surtout quantitatif, car il nous en reste plus de trois mille qui datent de ces temps-là. Les modèles à suivre étaient recherchés dans des documents étrangers, surtout à caractère privé (même les documents des rois de Pologne revêtent, jusqu’à la chute de la monarchie polonaise au XVIIIe siècle, des traits propres à une diplomatique privée). Au cours de la première moitié du XIIIe siècle, lorsque les divers types de documents se façonnaient en Pologne, l’on avait parfois recours à des modèles de la diplomatique pontificale, les documents du Saint-Siège ayant été les premiers à venir en Pologne de l’Occident. Les modèles de ce genre sont surtout visibles dans les documents destinés au clergé, écrits sans nul doute par leurs destinataires. Par la nature même des choses, il était le plus facile de suivre le modèle offert par le document pontifical dans son eschatocole, la tâche devenant plus dure pour ce qui est de l’exposé ou de la disposition du texte, compte tenu de la divergence des rapports existant en Pologne et en Italie. Il ne s’est pas conservé beaucoup d’exemples de telles imitations. Cela fait qu’il [p. 125] est bon de les citer. Ainsi, bien que dans les documents polonais la signature n’ait commencé à apparaître sporadiquement qu’à partir de la moitié du XVe siècle – et cela dans la diplomatique royale seulement –, dès 1175, sur un document de Boleslas, prince silésien, destiné au couvent cistercien de Lubiaż, conformément à l’exemple du privilegium maius pontifical, furent apposées les signatures des témoins et aussi du chancelier ducal. Dans le document de Fulko, évêque de Cracovie, datant d’environ 1206/7, figurent les signatures des membres du chapitre, ce qui est également une imitation du privilegium maius. Analogiquement, de telles signatures se trouvent aussi sur deux documents de l’évêque de Wrocław, Laurentius, destinés au couvent de chanoines réguliers de Kamieniec (1210) et de Wrocław (1212). Le document de Witosław, abbé du couvent de prémontrés (vers 1212), comporte les signatures des membres de celui-ci.

C’est également sous l’impact de la diplomatique pontificale que l’archevêque de Gniezno, ainsi que les évêques de Cracovie et de Wrocław, faisaient apparaître sur leurs documents – entre 1203 et 1234 – le quantième de l’année de leur ministère. Nous connaissons 7 cas de ce genre. Ce qui est encore plus intéressant, c’est que dans 8 documents ducaux conservés, datant des années 1218–1242, figure la mention d’anni pontificatus des évêques locaux. Dans les documents monarchiques médiévaux de l’époque moyenâgeuse, l’on ne mentionnait pas en règle générale les années de règne de l’auteur du document. Néanmoins, 9 documents remontant aux années 1203–1239 comportent la mention d’anni ducatus des princes respectifs, ce qui est une imitation d’anni pontificatus des documents pontificaux.

Dans les documents polonais du XIIIe siècle a également trouvé son application la sanctio pontificale, mais le plus souvent on procédait à l’actualisation de l’indignationem beatorum Petri et Pauli apostolorum, en mentionnant – au lieu des deux apôtres – les patrons de Pologne, Adalbertus et Stanislaus, ou bien ceux de l’institution ecclésiastique qui recevait le document donné. Il n’y a qu’un seul document revêtu de la sanction spirituelle – Ira Dei – parmi ceux qui ce sont conservés et dont le destinataire eût été un particulier. Ci-dessous suivent les sanctions imitant les documents pontificaux, et figurant dans des documents adressés à des destinataires ecclésiastiques.


Dans le document – conservé en deux exemplaires – du prince silésien Henri, datant de 1208 et destiné au couvent de cisterciennes de Trzebnica (ce fut un couvent où les veuves et les filles des princes silésiens faisaient fonction d’abbesses), nous trouvons encore un autre genre d’influence de la diplomatique pontificale. Il s’agit de rotas, imitant le privilegium maius [p. 126] pontifical, d’un diamètre de 47–48 mm. Au bas du texte, de gauche à droite, se trouvent les rotas suivantes :

  • 1. celle du rédacteur du document : une croix dans un anneau circulaire. Inscription : Dirige Domine gressus meos in semitis tuis, ut non moveantur vestigia mea. Psaume 16,5. Comme cela arrive souvent, s’agissant des textes médiévaux, c’est là une citation de mémoire, car le premier mot devrait être perfice. Dans le cercle, le nom du rédacteur du document : Henricus. Dessous, le signe du prince représentant une croix sur une demi-lune aux extrémités s’élevant vers le haut. En bas de ce signe, les mots : dux Zlesie;
  • 2. la suivante, celle de l’archevêque Henryk Kietlicz. Une petite croix dans un anneau circulaire. Inscription : Deum time et mandata eius observa, hoc est [enim] omnis homo. Ecclésiastes, 12, 13. Dans le cercle, sous la croix : Henricus. Au milieu du cercle, une inscription stylisée : H(enricus), plus bas archiepiscopus;
  • 3. la troisième rota, celle de l’évêque ordinaire du diocèse : une petite croix dans un anneau circulaire. Inscription : Vias tuas demonstra mihi Domine et semitas tuas edoce me. Psaume 24,4. Au-dessous de la croix : Laurentius. Au milieu du cercle, une ligature LA(urent)ius. Plus bas, une inscription : Episcopus Wrat(islauiensis);
  • 4. la dernière rota du chapitre de Wrocław. Une petite croix dans un anneau circulaire. Inscription : Ecce quam bonum et quam iucundum habitare fratres in unum. Psaume 132,1. Dans un cercle, une petite croix. Inscription : Sigillum Vratizlauiensis capituli. Magister Martinus. Au milieu du cercle, une croix sur trépied.

Le document en question fut sans doute écrit par les cisterciens du couvent de Lubiaż qui, dans ces temps-là, exerçaient une tutelle spirituelle sur les cisterciennes de Trzebnica. L’utilisation des rotas est un fait unique en son genre dans la diplomatique polonaise.

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annus donator privilegii: accipiens privilegium: sanctio:
1203 dux Silesiae Cisterciensis in Trzebnica monasterium s. Bartholomaei Ordinis Bartholomaei indignatio Dei et beatorum Adalberti ac
1206 dux Cracoviae monasterium Ordinis Cisterciensis in Sulejów indignatio Dei et ducis
1213? dux Masoviae monasterium Ordinis Praemonstratensis in Strzelno indignatio Omnipotentis Dei
1216 praepositus monasterii Canonicorum Regularium in Czerwiñsk ut supra offensa Dei et S. Mariae ac s. Adalberti
1232 dux Poloniae monasterium Ord. Cisterciensis in Sulejów anathema a Deo, S. Maria et omnibus sanctis
1234 dux Cuiaviae monasterium Ord. Praemonstratensis in Strzelno ira Omnipotentis Dei et S. Mariae
1245 dux Poloniae monasterium Ord. Cisterciensis in Paradiso indignatio Dei, sanctorum Petri et Pauli ac ducis
1247 dux de Opole in Wratislavia monasterium Ord. Praemonstratensis sanctorum ira Tremendi Iudicis et ducis ac omnium
1250 dux Poloniae monasterium Ord. Cisterciensis in Paradiso excommunicatio sanctorum Petri et Pauli ac papae
1262 dux Cracoviae monasterium Ord. Cisterciensis in Koprzywnica indignatio Dei et S. Mariae
1268 ut supra ut supra ut supra
1277 episcopus de Cracovia ecclesia parochialis ss. Petri et Pauli in Kamieñ indignatio dictorum apostolorum
1278 dux Cracoviae ecclesia parochialis s. Nicolai in Bochnia ira Dei et indignatio s. Nicolai
1287 dux de Opole ecclesia parochialis s. Adalberti in Mikołów vindicta Dei et s. Adalberti
initio seculi XIV dux Masoviae (litterae saeculi spuriae) in Jeżów monasterium Ord. s. Benedicti indignatio ss. Adalberti et Stanislai

[p. 128] Les cas, ci-dessus, de transcription littérale de fragments de formulaires des documents pontificaux dans des documents médiévaux polonais prennent fin vers le milieu du XIIIe siècle. Le problème d’assimilation des préambules pontificaux dans la diplomatique polonaise s’avère cependant trop difficile pour être présenté dans le présent article. Car l’historiographie polonaise ne dispose pas d’une élaboration des préambules polonais analogue au livre de H. Fichtenau, Arenga. Spätantike und Mittelalter im Spiegel von Urkundenformeln (Graz-Köln, 1957). Néanmoins, il faut souligner que les préambules pontificaux furent utilisées en Pologne, dans des documents ecclésiastiques notamment, et cela même au cours de la période postérieure au Moyen Âge.

L’impact que la chancellerie et le document pontifical exerçaient sur les chancelleries et les documents polonais fut bien plus important que les emprunts au formulaire pontifical. C’est ainsi probablement que, sous l’impact de la chancellerie pontificale (peut-être par le truchement du royaume de Hongrie avec lequel la Pologne entretenait des liens étroits) que s’explique l’apparition dans les chancelleries polonaises de la fonction du vice-chancelier, premièrement dans les chancelleries des ducs de la Petite Pologne et de la Mazovie, puis dans celles du royaume uni polonais, et aussi dans la chancellerie du Grand-Duché de Lithuanie, après son intégration à la Pologne.

La période avignonnaise de l’histoire de la papauté coïncide en Pologne à celle où le pays arrive à surmonter le démembrement féodal et parvient à la réunification de la majorité des terres polonaises dans un royaume uni. Cela se fit avec l’appui de la Curie pontificale soutenant dans l’Europe centrale les royaumes nationaux en guise de contrepoids de l’empire germanique. Ce fut pour la première fois que tant de Polonais séjournèrent à la cour pontificale, parfois même comme fonctionnaires papaux, tandis qu’en Pologne, dans la Cracovie métropolitaine, résidaient des nonces apostoliques et des collecteurs dont le pouvoir s’exerçait, en dehors des territoires du Royaume de Pologne proprement dit, également sur des terrains qui ne retournèrent plus à celui-ci. C’est pourquoi, encore que les livres le plus anciens de la chancellerie royale qui ce soient conservés – Metrica Regni – ne remontent qu’au milieu du XVe siècle, il est loisible de supposer que c’est précisément au cours de cette période avignonnaise que, sous l’influence de la chancellerie pontificale, l’on ait commencé aussi à tenir des livres de chancellerie dans la chancellerie du Royaume de Pologne. Ils étaient rédigés (et cela jusqu’à la chute du Royaume au XVIIIe siècle), de la même manière, peu fonctionnelle, que celle de la chancellerie pontificale, en enregistrant notamment des documents sans tenir compte de leur contenu et sans observer un rigoureux ordre chronologique. Ce n’est que le courrier et les documents d’importance politique qui – de même que dans la chancellerie pontificale – étaient contenus [p. 129] dans une catégorie à part de livres connus sous le nom de Libri legationum. Aussi, analogiquement aux procédés utilisés par la chancellerie pontificale, de nombreux documents – parfois importants pour l’auteur – n’étaient-ils pas enregistrés dans les livres de chancellerie.

Il faut également supposer que grâce à la chancellerie de la Chambre apostolique, surtout à la chancellerie du collecteur pontifical en Pologne, les Polonais ont pris connaissance avec la tenue des livres comptables, les plus anciennes factures conservées de la cour royale – de même que de la ville de Cracovie – provenant justement de la fin de la période avignonnaise. Il s’est conservé une information de 1366, sur un Allemand né en Pologne, courtisan du nonce apostolique pour la Pologne et la Hongrie, qui – ayant travaillé, de longues années durant, à la Chambre apostolique – enseigna pendant 16 ans in artibus, donc probablement la comptabilité, tout d’abord dans une école collégiale de Sandomierz et plus tard à l’université de Cracovie, nouvellement créée.

Par la nature même des choses l’influence de la diplomatique pontificale se reflétait le plus fortement dans des documents des autorités ecclésiastiques en Pologne. Depuis le XIVe siècle, les chancelleries des évêques polonais, possédant déjà souvent les titres scientifiques des docteurs en décrets, pour ce qui est de leur procédure, donc de la forme de divers types de documents, imitaient la chancellerie pontificale. Les résultats n’en furent pas toujours satisfaisants. Les affaires les plus simples trouvaient ainsi une solution la plus compliquée possible. Afin de confirmer par exemple d’anciens documents ecclésiastiques, l’on commençait par publier les avis adressés à tous ceux dont les droits pourraient s’en trouver lésés, et l’on ne se mettait à poursuivre la procédure que lorsque ceux-là ne se déclaraient pas. Pour vérifier les sceaux, pendant au bas des documents soumis à la confirmation, on désignait des personnes tout à fait incompétentes qui ne pouvaient avoir aucune connaissance dans la matière. Le texte des documents était enrichi de clauses toujours nouvelles, le plus souvent sans aucune importance, on répétait des mots ayant des acceptions identiques pourvu que le document soit le plus long possible, que cela lui donne plus de poids. L’on peut suivre le déroulement de ce processus sur l’exemple du diocèse de Płock, situé dans une zone voisine des pays païens et schismatiques et, par là même, le plus arriéré. Jusqu’au ministère de l’évêque Jakub de Korzkiew (1396–1425) le document moyen relatif à la création d’une paroisse dans ce diocèse ne dépassait pas une page. À l’avènement de Jakub, docteur en décrets, fonctionnaire chevronné de la Curie, ancien auditeur de la Rota, voire – en son temps – nonce apostolique en Angleterre, ce genre de document a pris du corps et comportait de 3 à 4 pages.


* Traduit du polonais par : Wojciech Gilewski. L’auteur regrette qu’il ne voyait pas la possibilité de doter son intervention d’un appareil auxiliaire adéquat. Mais les informations contenues ne se basent pas sur la littérature, mais principalement sur des sources inédites auxquelles les renvois sont contenus dans le tableau annexé (note des éditeurs).