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[p. 271] L’influence des bulles papales sur les actes portugais au Moyen Âge

Introduction

Si l’on vise une compréhension plus approfondie de l’influence des bulles papales sur la documentation médiévale portugaise, l’étude de cette même influence requerra, en plus des connaissances paléographiques et diplomatiques indispensables, une information suffisante portant sur les débuts et sur l’évolution de la chancellerie portugaise dans le cadre de l’émancipation du Portugal. A vrai dire, au fur et à mesure que le Comté Portucalais (Condado Portucalense) cheminait vers l’autonomie politique, et que les institutions du Comté prenaient leurs distances vis-à-vis des traditions diplomatiques en vigueur dans le royaume de León, d’où elles étaient issues, il nous faut reconnaître que, pour des raisons diverses, l’intervention du Saint Siège devenait de plus en plus grande dans les troubles fréquents de cette région. Nous pouvons même affirmer que l’influence des bulles papales sur la documentation portugaise, civile et ecclésiastique, nous apparaît plus expressément documentée à une époque postérieure à la reconnaissance de l’indépendance par Alphonse VII de León et Castille, alors que la chancellerie des comtes D. Henrique et D. Teresa avait déjà été remplacée par celle de l’Infant D. Afonso Henriques, et que cette dernière s’était déjà véritablement transformée en la chancellerie royale portugaise.

Cela veut dire que nous sommes devant une réalité historico-culturelle qui sera d’autant mieux suivie par cet auditoire qu’il aura présent à l’esprit les grandes lignes de la formation du Portugal et les fréquentes requêtes présentées à la Curie Romaine de cette région aux confins occidentaux de l’Europe.

Nous subordonnerons donc notre exposé aux points suivants :

  • I - Autonomie du Portugal et constitution de la chancellerie royale portugaise.

  • II - Influence des bulles papales sur la documentation royale.

  • III - Répercussion des bulles sur la documentation épiscopale et sur la pratique notariale.

[p. 272] I – Autonomie du Portugal et constitution de la chancellerie royale portugaise

Laissant de côté la pluralité des théories qui, depuis la moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours, se sont proposées d’expliquer la formation du Portugal en tant que royaume indépendant à partir de 1143 à l’extrémité occidentale de l’Europe, il nous faut reconnaître que la première étape, quoique inconsciente, de ce processus fut inaugurée quand Alphonse VI de León et Castille, vers la fin de 1094 ou aux premiers mois de 1095,1 confia au comte D. Henrique, d’origine bourguignonne, marié avec sa fille bâtarde, D. Teresa, le gouvernement du Comté Portucalais, lequel s’étendait du Minho jusqu’au sud de Coimbra. Le siège du gouvernement se trouvait dans l’ancienne bourgade de Guimarães, près de Braga ; une région plus sûre, complètement hors d’atteinte des attaques ou des incursions arabes.

L’esprit d’autonomie, profondément enraciné dans l’esprit des gens de cette région,2 prit un nouvel élan lors de la restauration du diocèse de Braga, en 1071, qui, comptant 650 paroisses3 d’après le censier (censual) du XIe siècle (1085–1089)4 et rien que dans les limites comprises entre les fleuves Lima et Ave, et de là jusqu’au Tâmega, constitua un important pôle d’intégration autour de Braga. Tout au long de son gouvernement, le comte D. Henrique maintint une étroite collaboration avec les prélats de Braga, qui devait se développer à partir du moment où le jeune D. Afonso Henriques, fils du comte Henrique et de D. Teresa, assuma la responsabilité exclusive des destinées du Comté Portucalais, le 24 juin 1128.

Ce ne fut guère un processus pacifique puisque, avant cette date, les titulaires du Comté Portucalais, D. Teresa et son fils Afonso Henriques devaient à deux reprises faire face à la présence des troupes du roi de León, respectivement neveu et cousin, à proximité des châteaux de Lanhoso et de Guimarães. Ces affrontements se répétèrent, d’ailleurs, entre les deux cousins jusqu’en 1140. Finalement, en octobre 1143, Alphonse VII s’entretint avec Afonso Henriques à Zamora, lors d’une conférence présidée par le légat papal, le cardinal Guido de Vico. Il y reconnut l’indépendance du Portugal, laquelle était déjà, en pratique, un fait acquis depuis plusieurs années.

[p. 273] L’analyse de la documentation produite durant ces presque quatre décennies, sous les gouvernements du comte Henrique et de D. Teresa,5 nous permet, malgré la rareté des documents originaux parvenus jusqu’à nous, d’observer assurément qu’au fur et à mesure que s’accentuait politiquement l’éloignement du pouvoir de León, une nette différentiation se produisait, progressivement, dans la documentation. Ce fait, d’ailleurs bien connu depuis longtemps, souligne également, sur le plan diplomatique, l’opposition latente, à l’intérieur du Comté Portucalais, envers l’hégémonie de León.

Les principales distinctions entre la pratique diplomatique comtale et celle suivie de la chancellerie de León reposent sur le fait que, sur les diplômes du roi et de l’empereur Alphonse VI, l’usage du CRISMON est fréquent ; un usage dont l’absence est notoire dans la documentation du comte D. Henrique et de D. Teresa. En outre, les seings (de la souveraineté) d’Alphonse VI, de Raimundo et d’Urraca sont de type monogrammatique et asymétriques, tandis que ceux des comtes Portucalais, Henrique et Teresa sont systématiquement symétriques et cruciformes, en nette rupture d’avec la tradition asturo-léonaise.6

En ce qui concerne l’abandon de l’usage du CRISMON, nous sommes en mesure d’informer que, des sept originaux de la chancellerie comtale, il n’y a que trois qui le présentent ; et que dans un ensemble de douze documents élaborés par des notaires étrangers à cette chancellerie, seuls deux l’exposent. La croix (signum crucis), dont l’usage débute dans chancellerie du Comte D. Henrique et se poursuit dans celle de D. Teresa, entourée de l’inscription HENRICUS, HENRICUS COMES et TARASIA et TARASIA REGINA, allait s’imposer longtemps, non seulement dans la tradition diplomatique, mais également dans la numismatique. La rota diplomatique a d’ailleurs été reprise il y a quelques années, d’une certaine façon, comme signe d’identité nationale sur les billets de banque de la monnaie portugaise actuellement en circulation.

Alors que sur le plan politique se développait ce processus complexe auquel nous venons de faire une brève allusion, d’autres divergences survenaient aussi sur le plan ecclésiastique ; elles étaient aussi bien provoquées du dehors que survenues à l’intérieur du Comté Portucalais, se liant partiellement avec les questions politiques déjà référées. Ainsi, du dehors, il nous faut signaler la tentative menée par Diego Gelmírez afin de subordonner [p. 274] le diocèse de Braga à Compostelle. Il a même essayé de transférer la dignité métropolitaine de Braga à l’évêché de Saint Jacques de Compostelle, ainsi que de soustraire certains diocèses du royaume de León et Castille suffragants de Braga à l’obédience de leur métropolitain. D’autre part, sur le plan interne, on pourrait mentionner les querelles que s’élevaient entre l’évêque de Porto et l’archevêque de Braga au sujet de leurs limites réciproques, et la résistance des évêques de Coimbra qui n’acceptaient pas leur dépendance de l’unique métropole ecclésiastique portugaise, celle de Braga ; préférant demeurer sous la dépendance de l’archevêque de Tolède, ce qui plaisait beaucoup aux roi de León et Castille.

Ces querelles, et d’autres encore liées à celles-ci ou non, étaient à l’origine du recours fréquent des archevêques de Braga et d’autres prélats, auprès du Pontife Romain, aussi bien avant qu’après l’indépendance du Portugal en 1143 ; ce qui explique le nombre considérable des bulles reçues et toujours existantes dans les archives portugaises dont la publication dans l’oeuvre Papsturkunden in Portugal, édité à Berlin en 1917, est redevable à l’extraordinaire labeur de Carl Erdmann, véritable bienfaiteur de la culture et de l’histoire portugaises.

Plusieurs de ces documents papaux étaient des bulles solennelles qui par leurs caractéristiques externes et internes ne pouvaient ne pas faire impression sur leurs destinataires, et sur les officiers des chancelleries respectives : comtale, royale et épiscopale. Malgré la présence de si nombreux exemplaires, qui circulaient surtout dans les chancelleries, il nous faut signaler que l’influence des bulles papales sur la documentation royale portugaise ne se manifeste nettement qu’à une époque un peu plus tardive, alors que la chancellerie royale était déjà instituée.

Nous avons fait allusion aux chancelleries de D. Henrique et de D. Teresa, mais comme nous l’avons dit, la chancellerie royale portugaise proprement dite, en dépit du fait que D. Afonso Henriques ait assumé le titre de roi en 1140, n’allait surgir qu’à partir de 1142, l’année où Mestre Alberto commença d’exercer les fonctions de chancelier – Magister Albertus regis cancellarius –, ayant succédé, semble-t-il, à Elias, lequel succéda à Pedro Roxo, chancelier de l’Infant Afonso Henriques, de 1128 jusqu’à 1140 – Petrus cancellarius infantis iussit scribere.

Au cours de ce cheminement de plus de quatre décennies, plusieurs pratiques se sont progressivement établies qu’une vision d’ensemble sur la documentation produite a permis de détecter en un contraste net entre la chancellerie comtale portucalaise et la chancellerie royale d’Alphonso Henriques. Elles font l’objet des études de Rui de Azevedo et de Avelino de Jesus da Costa d’où on a pu tirer les conclusions suivantes et que nous reprenons ici en guise d’hommage envers ces deux grands diplomatistes.

  • [p. 275] Les notaires comtaux, normalement, écrivaient et souscrivaient les diplômes, tandis qu’à la chancellerie royale, ils assument normalement la fonction de ne souscrire que ceux qui intervenaient à effet de validation.

A l’époque comtale, les notaires n’apposaient les seings des comtes et la souscription notariale que sur les documents élaborés ou confirmés par eux. À la chancellerie royale alphonsine, le seing du monarque et la souscription du chancelier pouvaient être apposés ou faits par d’autres notaires dès lors qu’ils les fissent sous l’autorité du chancelier.

  • Une autre différence fondamentale repose sur le fait que les documents comtaux sont souscrits par le scribe-lui même, alors qu’une grande partie des documents alphonsins demeuraient anonymes parce que le scribe apposait le nom du chancelier sous l’autorité duquel il l’écrivait, mais n’écrivait pas le sien.

  • En plus, jusqu’en 1122, les documents comtaux étaient écrits par des notaires privés, mais à partir de cette date commence à augmenter et à se superposer le nombre d’actes rédigés par des notaires de la chancellerie dans la décennie de 1120–1130, à laquelle la conjoncture politique devait donner une orientation nouvelle qu’il faut souligner.

Les relations politiques entre D. Afonso Henriques et sa mère D. Teresa, devinrent particulièrement tendues dès que le noble Fernão Peres de Trava commença à fréquenter la Cour de D. Teresa, – allant même jusqu’à octroyer et souscrire des documents avec elle. Cette attitude véritablement excessive était la concrétisation d’une politique contraire aux projets du jeune Afonso Henriques et des nobles qui le soutenaient. Aux premiers mois de 1128 la situation s’aggrava et l’Infant héritier du Comté commença à réunir des soutiens militaires pour l’affrontement que l’on devinait proche, et qui finit effectivement par éclater le 24 juin de cette même année à Guimarães. Moins d’un mois avant cette date, le 27 mai, l’Infant sollicita le soutien de l’archevêque de Braga, D. Paio Mendes, très certainement son grand conseiller politique, lui octroyant entre autres donations et privilèges celui-ci qui concerne plus particulièrement notre thème : Insuper etiam dono tibi atque concedo in curia mea totum illud quod ad clericale officium pertinet scilicet capellaniam et scribaniam et cetera omnia que pontificis curam pertinet. L’archevêque de Braga se voyait ainsi investi des fonctions de chancelier qui, naturellement devaient être exercées par des clercs désignés par lui à cet effet. Et, en effet, les cinq premiers chanceliers de D. Afonso Henriques furent des clercs de Braga.7

[p. 276] À nouveau rien d’étonnant à cela. L’Infant imitait ce que Alphonse VII avait fait l’année précédente pour de l’archevêque de Saint-Jacques de Compostelle, Diego Gelmírez ;8 avec la division des royaumes de León et de Castille, pareille dignité allait être concédée à l’archevêque de Toledo.9

II – Influence des bulles papales sur la documentation royale

Une fois sommairement décrit le processus d’indépendance du Portugal et la façon progressive dont s’est formée la chancellerie royale portugaise, nous sommes en mesure d’apprécier dans quelle mesure et comment les bulles papales ont influencé la documentation médiévale portugaise. Dans ce chapitre de notre étude nous essayerons de découvrir cette influence sur la documentation royale. Nous traiterons dans le chapitre suivant de leur répercussion sur la documentation épiscopale et, éventuellement, sur d’autres usages notariaux. Dans une étude de cette nature, on ne peut travailler que sur des originaux, et il est donc souhaitable que leur nombre soit le plus élevé possible afin de dégager des contrastes bien documentés.

Quant aux bulles déjà existantes au Portugal malgré le piteux état où quelques-unes se trouvent, leur nombre est relativement élevé, ce qui permet d’établir une hiérarchie de ces originaux d’après l’ensemble d’éléments susceptibles d’être imités.

Dans ce sens, il est indiscutable que les bulles solennelles furent celles qui exercèrent la plus grande influence sur la documentation produite à la chancellerie royale, ce qui correspond à l’affirmation de Bernhard Bischoff quand il écrit que l’écriture de ces documents a largement servi de modèle aux chancelleries séculières.10 Pour le royaume de León et Castille, on sait que cette influence est nette et fut expressément importée par Diego Gelmírez dans son souci de faire équivaloir le siège épiscopal de Saint-Jacques de Compostelle à celui de Rome.11

Dans le cas portugais, il nous faut rappeler que cette influence, visible surtout dans l’imitation et l’adaptation de la rota des bulles, n’a commencé à se manifester, d’après ce dont nous disposons, qu’à partir des premières [p. 277] années de la seconde moitié du XIIe siècle,12 plus concrètement et assurément en 1153.13 En effet le premier seing connu date du 21 juin 1151, mais on hésite s’il s’agit d’un original ou d’une copie figurée.14

Un retard si accentué s’explique par le fait que les bulles solennelles sont en général adressées aux prélats (n’étant donc pas à la portée des notaires et des scribes de la chancellerie comtale), et que la chancellerie royale portugaise n’a commencé à se structurer qu’à partir de 1142.

Dans les bulles solennelles, les particularités les plus notoires, même pour quiconque n’entend pas analyser leur contenu, sont les majuscules de la première ligne pourvues parfois de traits plus allongés – les litterae elongatae –, dont la courbure entrelacée confère un certain effet décoratif ; la souscription du pape ; la rota avec les noms des apôtres St. Pierre et St. Paul sur les deux quarts ou quadrants supérieurs du cercle, et celui du pape, avec son numéro d’ordre respectif, sur les deux quarts inférieurs, l’inscription respective étant distribuée sur l’espace intercirculaire ;15 le dessin équivalent au BENE VALETE ; les souscriptions des cardinaux disposées en colonnes, soit entre la rota, placée à droite (notre gauche), et le BENE VALETE,16 inscrit à gauche (notre droite), soit au-dessous de ces deux seings ;17 et le sceau pendant en plomb. De ces bulles solennelles les archives portugaises possèdent des exemplaires de Calixte II18, d’Innocent II19, de Luce II20, d’Eugène III21, d’Alexandre III22, de Luce III23, etc.

Mais la plupart des bulles qui se trouvent dans les archives portugaises sont des bulles simples où généralement, seul le premier mot – le nom du pape – est écrit en majuscules, leur validation n’étant faite que par le sceau [p. 278] pendant. C’est ce qui caractérise plusieurs exemplaires connus d’Innocent II, d’Alexandre III, de Luce III, de Grégoire VIII, de Clément III, d’Honorius III, de Grégoire IX, d’Innocent IV, d’Alexandre IV, de Nicolas IV, etc. Si dans quelques-unes de ces bulles simples le premier mot écrit en majuscules évoque les bulles solennelles, dans bien d’autres le premier mot n’est même pas souligné parce que, excepté la lettre initiale, il est entièrement écrit en minuscules.

En ce qui concerne ces bulles simples, il faut encore observer que le format généralement utilisé est rectangulaire, avec le plus long côté parallèle aux lignes de l’écriture ; tandis que dans d’autres cas, le format se rapproche du carré. Il y a aussi quelques exemples de bulles simples d’Alexandre III où les lignes d’écriture sont parallèles au plus court côté du rectangle. En utilisant la terminologie de l’informatique moderne, nous pouvons dire que dans le premier cas, nous sommes devant une orientation en paysage (landscape) – chartae transversae et que celle du troisième cas est en portrait,24 une orientation qui allait l’emporter au XIIIe siècle.

Bien que ces bulles simples aient exercé une certaine influence sur la documentation médiévale portugaise du point de vue paléographique,25 c’est surtout sur la documentation royale que l’influence des bulles solennelles est particulièrement notoire et évidente, comme nous l’avons déjà signalé, à partir du milieu du XIIe siècle.

Pour démontrer cette affirmation, il nous faudra donner quelques exemples.

Le premier est la charte de vente de certains biens situés aux environs de d’Armamar e de Lamego, faite par notre premier roi en faveur de Pedro Viegas et de son épouse, Ouroana Daez, le 17 février 1153, authentifiée de façon solennelle, vu que, en dehors des confirmants habituels, des témoins et de la souscription notariale, nous y trouvons trois rotae, avec la croix inscrite à l’intérieur, constituée par quatre segments d’arc qui passent par le centre et se terminent sur la circonférence de chacun d’eux. Ces sceaux étaient destinés à recevoir les noms et les titres du roi, de la reine et du chancelier de la Curie, qui, à l’époque, était Mestre Alberto.26

Bien plus significative de l’influence des bulles sur la documentation royale portugaise est la charte de donation de la seigneurie (cautum) de Alcobaça au monastère de Clairvaux, à une époque antérieure à la fondation de cette célèbre abbaye cistercienne. La charte présente la première ligne [p. 279] intégralement écrite en majuscules, cruzes de róbora, souscriptions de confirmants et de témoins disposées en colonnes, un seing avec la croix inscrite à l’intérieur et trois rotae destinées à recevoir les noms et les titres du roi, de la reine et du chancelier, Mestre Alberto ; et pour que rien ne manque, finalement, le sceau pendant.27

La solennité de l’acte correspondait à l’objectif et à la valeur de la donation, sans oublier son éventuelle répercussion internationale, étant donnée l’influence de Bernard de Clairvaux auprès du pape Eugène III, pour qui les préoccupations de la politique portugaise n’étaient pas étrangères. Celles-ci étaient portées à la Curie Romaine par l’archevêque de Braga, D. João Peculiar qui cherchait à obtenir la reconnaissance de D. Alfonso Henriques comme roi.

Si les autres actes n’exigeaient pas une solennité aussi raffinée, il nous faut reconnaître que eux aussi, bien que de manière plus discrète, reflétaient l’influence des bulles papales, comme par exemple la charte alphonsine du mars 1158, qui, en plus de l’habituelle disposition des souscriptions des confirmants et des témoins en colonnes, expose la rota royale avec la croix inscrite à l’intérieur, entourée du nom et du titre qui serait désormais exprimée d’une façon originale, insistant sur le lien du monarque avec son peuple : Rex Anfonsus Portugallorum. – Ne manquent pas la souscription de notaire, Pedro Amarelo, et celle du chancelier Mestre Alberto. Il est vrai que la première ligne est écrite en minuscules, mais à l’instar de ce qui arrive dans de nombreuses bulles simples, les traits ascendants sont plus allongés, en contraste avec ce qui se passe dans le reste du texte.28

Du février 115929 date ce qu’on pourrait considérer comme le chef-d’œuvre de la rota portugaise. Nous nous référons à la donation du château de Ceras à l’ordre du Temple, faite en échange des églises situées à Santarém, qui antérieurement avaient été concédées au même Ordre afin de pouvoir établir la concorde entre l’évêque de Lisbonne et le dit Ordre. Il s’agit d’un beau diplôme en écriture carolingienne, élaboré par le notaire Pedro Silva au nom du chancelier Mestre Alberto, un original qui, diplomatiquement s’impose par la perfection de l’écriture de la première ligne en majuscules ainsi que par l’élégance de la rota, qui, au centre, intègre le seing usé par D. Afonso Henriques dès qu’il assuma, en exclusivité, [p. 280] le gouvernement du Comté Portucalais. Sur ce beau seing la croix se détache du reste, entourée du nom de PORTUGAL et de trois espaces intercirculaires concentriques, et où les mots REX ALFONSUS se distribuent sur le côté le plus grand long à l’extérieur, et CUM FILIIS SUIS à l’intérieur, lesquels, dans l’ensemble, constituent la légende.30 En plus, la disposition rigoureuse des confirmants et des témoins en trois colonnes bien équilibrées se fait remarquer.

Comme l’on déduit de ces exemples la chancellerie royale portugaise a suivi le modèle des bulles solennelles pour les documents les plus importants, effectuant, comme cela s’imposait, les adaptations nécessaires que nous pourrions fort bien interpréter comme l’expression d’une conscience d’autonomie nationale en vigueur dans les institutions au service du pouvoir royal. Le degré d’assimilation et la vigueur de son expression dépendent non seulement des notaires chargés de l’élaboration des diplômes, mais également des circonstances politiques dans lesquelles ils s’acquittent de leurs tâches, comme l’on peut constater sur deux diplômes, respectivement du septembre et novembre 1169. Ce fut une année cruciale, celle-là, dans la vie de notre premier roi qui, après la défaite de Badajoz, où il cassa une jambe, prit conscience de ses limites, et associa son fils héritier, D. Sancho, au gouvernement du Royaume. Celui-ci figure désormais sur la rota royale à coté de son père, orné lui aussi du titre de roi. Ce fait politique est demeuré exprimé sur les seings, fort simples, mais légèrement différents, dont les inscriptions divergent assez bien : Sur le premier, sur les deux quarts supérieurs, on lit SIGILLUM REGIS DOMINI ALFONSI, sur les deux inférieurs figure SIGILLUM REGIS SANCII,31 tandis que, sur le deuxième n’apparaît que REX ALFONSUS sur la partie supérieure, et REX SANCIUS32 sur l’inférieur. Inutile de faire allusion à la disposition habituelle des souscriptions en colonnes.

L’impact psychologique de l’accident de Badajoz, lequel éveilla chez le premier roi du Portugal le souci d’associer le prince héritier au gouvernement l’année suivante, semblerait s’être réduit à peu de choses dans les milieux des officiers de la chancellerie, si nous ne savions pas que le diplôme du 10 août 1170 est un faux dont la rota, simple d’ailleurs, reprend le seing d’Afonso Henriques, quoique avec la légende REX PORTUGALIS, ignorant D. Sancho qui, malgré tout, continuait à soutenir son père. A propos de cet apocryphe, en plus du prolongement des traits de certaines lettres de [p. 281] la première ligne, il faut souligner tout spécialement la manière solennelle dont apparaît la souscription du chancelier Alberto : AMBERTUS CANCELLARIUS NOTUIT, écrite en majuscules.33

Nous ne voulons guère abuser de la bienveillance de notre illustre auditoire en prolongeant la casuistique que nous avons exposée jusqu’ici. Mais, il nous faudrait encore rappeler que l’usage des rotae a également continué pendant les dernières années du gouvernement du premier roi du Portugal, lequel devait mourir le 6 décembre 1185. Nous ne ferons allusion qu’à trois diplômes validés du seing alphonsin, qui, encore une fois, subit les conséquences du changement de notaires. Ainsi, en juillet 1180 la rota est constituée par deux cercles concentriques où l’espace intercirculaire a été décoré d’un motif végétal qui se détache d’un fond noir ; une thématique et une technique qu’on trouve aussi dans la décoration du I initial de l’invocation In nomine…. Pour la facture de la croix, le notaire Pedro Calvo employa la même technique suivie par Pedro Amarelo le 17 février 1153 et la constitua moyennant quatre segments d’arc qui se terminent dans le cercle intérieur, quoique ne se touchant expressément pas au centre des circonférences. Sur les espaces intercalaires des bras de cette croix romane fondue figurent en positions hiérarchiques correctes, les noms et les titres REX DOMNUS ALFONSUS, REGINA DOMNA TARASIA ; REX DOMNUS SANCIUS, REGINA DOMNA DULCIA.34

Sur un diplôme du juillet 1183, dont Pedro, prêtre et aumônier du roi D. Afonso Henriques est l’auteur, d’excellente qualité graphique, écrit d’une minuscule diplomatique à ses débuts, en plus de l’expression initiale IN NOMINE, écrite en majuscule, il faut porter notre attention sur la rota où les cercles concentriques sont coupés par les segments d’arc, lesquels se rejoignent en pointe en dehors du cercle extérieur. La légende est constituée par les noms REX ALFONSUS, REX SANCIUS, REGINA TARASIA.35

Finalement, c’est du novembre 1184 que date le dernier document choisi pour démontrer l’influence des bulles sur la documentation produite sous le règne de D. Afonso Henriques, lequel s’étend sur une longue période de cinquante-sept ans (1128–1185). Il s’agit d’un diplôme élaboré au nom, et sous l’autorité du chancelier Julião. Par rapport au document précédent, il révèle les particularités suivantes : le I initial décoré d’un motif végétal sur fond noir, tout comme le document du juillet 1180. Sur la rota, au lieu de REGINA TARASIA, apparaît REGINA DULCIA, précédemment [p. 282] omise. Les documents validés si solennellement subirent alors un changement déjà mentionné à propos des documents moins solennels,36 et qui devait durer longtemps dans l’avenir. Nous nous référons au changement d’orientation du parchemin, désormais écrit en hauteur, c’est-à-dire, avec les lignes d’écriture parallèles au plus court côté du rectangle ou en position portrait ; une orientation qui devait survivre pendant le règne de D. Sancho I.37

Après tout ce que nous venons de dire et de donner en exemple sur l’influence des bulles sur la diplomatique du premier roi du Portugal, D. Afonso Henriques, nous pouvons ajouter que de telles influences ont continué à se faire sentir pendant les règnes suivants, mais que désormais ces influences sont de plus en plus dûes à la tradition implantée à la chancellerie royale portugaise qu’à l’impact direct de la documentation papale. Et il n’est même pas étonnant que sous le règne de D. Sancho I, cette tradition se fût poursuivie, non seulement parce que son nom y était lié, au moins depuis 1169, mais également parce que le chancelier Julião, lequel subit la transition de la chancellerie alphonsine vers celle de D. Sancho, la conserva, respectant même l’orientation du parchemin en vigueur dans la chancellerie de notre premier roi. Il convient, malgré tout, d’observer que cette orientation n’est ni unique ni exclusive, vu qu’il y a des cas qui se rapprochent de la position paysage prédominante au règne de D. Afonso Henriques.38

Inutile de poursuivre l’analyse individuelle des documents dont nous allons montrer les images. Il nous suffit de souligner, comme note commune, que l’orientation en hauteur réduisait l’espace de sorte que la rota ne pouvait être plus insérée entre les colonnes des confirmants et des témoines, mais devait être apposé à leur suite, le document se terminant, normalement39 avec la souscription notariale.

Nous allons, donc, énumérer quelques documents prouvant ce que nous venons de dire sur l’influence des bulles pontificale pendant le règne de D. Sancho Ier :

  • A.N.T.T., Sé de Coimbra. Docs. Régios, m. 1, n° 22. – Costa, Pe. Avelino de Jesus da, O. c., n° 52.

  • A.N.T.T., Sé de Coimbra. Docs. Régios, m. 8, n° 39. – Costa, O.c., n° 35.

  • [p. 283] A.N.T.T., Santa Cruz de Coimbra, Docs. Régios, m. 2, n° 2. – Costa, O. c., n° 56.

  • A.N.T.T., Sé de Viseu. Docs. régios, m. 1, n° 5. – Costa, O. c. n° 60.

  • A.N.T.T., Mosteiro de Chelas, cx. 1, n° 11. – Costa, O. c., n° 62.

D’autres exemples peuvent être inclus dans la documentation issue de la chancellerie de D. Sancho Ier, qui a été inventorié et critiquement publié.40 Il y a quelques ans cependant, il est clair qu’encore une fois les traces de la documentation papale sont notoires, même si elles s’expliquent davantage par la tradition de la chancellerie alphonsine que par l’action directe des bulles papales.

Et pour ce qui est du règne de D. Afonso II, que s’est-il passé dans ce domaine?

Viterbo, dans l’Elucidário, affirme qu’aux premiers temps de ce règne plusieurs diplômes avaient été validés au moyen de la rota de ce monarque. Bien que João Pedro Ribeiro ait écrit que – Não tenho encontrado mais algum Rodado, depois do Senhor D. Sancho II…,41 on n’a désormais prouvé la véracité du point de vue du premier. Toutefois, en ce qui concerne les dernières années de son règne, les discordes avec les grandes figures de la hiérarchie ecclésiastique, notamment avec l’archevêque de Braga, D. Estêvão Soares da Silva, lui valurent de graves sanctions canoniques. On comprend, pourquoi les notaires et le chancelier évitaient de reproduire un symbole qui, d’une certaine façon, évoquait le pouvoir papal. Ainsi à la chancellerie la rota royale des diplômes fut supprimée.42

Dès lors, l’usage de la rota comme élément fondamental de la validation des diplômes royaux se perd peu à peu.

III – Répercussion des bulles sur la documentation épiscopale et notariale

L’analyse de la documentation royale a permis d’établir assurément les principaux aspects où l’influence des bulles se fait sentir, c’est-à-dire où elles sont spécialement imitées, bien que dans une étude plus vaste on puisse [p. 284] élargir le cadre des influences auquel nous ferons allusion ailleurs dans le courant de cette communication.

Nous entendons maintenant procurer quelques informations sûres sur l’accueil partiel que l’exemplarité des bulles papales a connu dans les chancelleries épiscopales et par conséquent, dans la documentation produite dans ces mêmes chancelleries. À première vue, on pourrait s’attendre à un plus grand accueil, mais il nous faut reconnaître que, pour le moment, il n’est pas possible de soutenir une telle hypothèse pour la simple raison qu’il n’existe aucun inventaire systématique des documents strictement épiscopaux, ni d’un quelconque diocèse portugais ni à l’échelle nationale. D’autre part, quoique quelques bulles solennelles soient parvenues jusqu’aux prélats diocésains, l’écrasante majorité de celles que nous connaissons sont des bulles simples et, par là même, moins aptes à stimuler l’imitation dans les chancelleries épiscopales ; elles aussi sont encore à étudier, exceptés quelques apports épars pour la chancellerie de Braga.

En dépit du manque de ce vaste repère comparatif, nous disposons de plusieurs diplômes émanant de chancelleries épiscopales prouvant que l’influence des bulles est parvenue jusqu’à la documentation épiscopale la plus solennelle. Il n’est donc pas possible, pour les raisons déjà signalées, de définir à présent, son ampleur et sa fréquence sectorielle, c’est-à-dire si cette même influence a été reçue dans tous les diocèses, dans lesquels elle a été plus intense, et dans quels types de documentation elle est la plus fréquente et notoire.

C’est dans ce contexte que la donation de différentes églises dans la région de Santarém, à l’Ordre du Temple, en février 1159, faite par D. Gilberto, premier évêque de Lisbonne après sa reconquête en 1147, un document exécuté à perfection, permet d’affirmer que la chancellerie du jeune diocèse de Lisbonne restauré accepta, avec une précocité toute relative, le modèle papal, tout en conjuguant l’influence des bulles simples avec celle des bulles solennelles. Des bulles simples, cette chancellerie emprunta l’habitude d’écrire en majuscules les deux mots initiaux IN NOMINE et l’allongement des traits ascendants des mots de la première ligne. Aux bulles solennelles, elle est allée chercher la disposition des souscriptions des confirmants et des témoins en colonnes et surtout la rota à la croix inscrite et le nom du diocèse UL-IX-BO-NA ; il faut ajouter que, déjà à cette époque, le notaire a opté pour l’orientation du parchemin en hauteur.43

Plus tardive, mais non moins significative est la provision de l’évêque de Coimbra, datable entre avril 1187 et juillet 1188, sur la vie du clergé et du chapitre diocésain, laquelle, en plus des caractéristiques habituelles, la rota [p. 285] incluse, expose également celui de D. Sancho Ier, rendu par l’apposition de son sceau pendant, et celui du prieur de Santa Cruz. Il faut toutefois clarifier que, dans ce cas précis, le support est plus large qu’il n’est haut.44

De la chancellerie épiscopale de Coimbra provient l’original de la composition faite entre l’évêque et le chapitre et l’Ordre du Temple, durant le conflit qui les opposa à cause des églises de Ega, Redinha et Pombal, daté d’avril 1206, lequel ne suit pas les modèles jusqu’ici référés. Mais il est facile d’admettre que le notaire prit pour modèle quelques bulles simples parce qu’il n’écrivit en majuscules que le premier mot – IN – ce qui est la trace la plus manifeste de l’influence des bulles simples, avant le prolongement excessif des traits ascendants des lettres de la première ligne, et le retour au format du parchemin plus long que haut où se détachent, dans l’ensemble, les quatre sceaux pendants des octroyants.45

De la chancellerie épiscopale de Coimbra est également issu, daté du 17 mars 1210, le contrat de division ou partage des biens et rentes du diocèse entre l’évêque et le chapitre ; un document qui reprit le format rectangulaire avec le plus long côté dans le sens de la hauteur, et n’ayant que le mot initial IN en majuscules. Il y a, cependant, dans ce document une innovation de la plus grande importance : à savoir les signatures du prélat et des chanoines.

Au cours des XIIIe et XIVe siècles les chartes épiscopales de Coimbra se succèdent, optant pour diverses formes de validation et même d’orientation du support. Il y a même des cas où, en plus du sceau pendant de l’évêque, figurent encore un ou deux sceaux de bien d’autres intervenants individuels ou collectifs.46 Les rotae, elles se font de plus en plus rares. Pour cette raison même, la charte du 31 août 1258 orientée en hauteur et présentant le seing de l’évêque D. Gonçalo, côtoyé par son propre sceau pendant et par celui de l’abbé de São Paulo de Almaziva,47 mérite d’être regardée de plus près, ainsi que celle du 17 octobre 1320 sur l’institution de la fête liturgique de la Conception Immaculée de Notre Dame, validée par son sceau pendant.48

Des évêques de Viseu, nous ne disposons à présent que d’une charte qui, ayant des initiales IN en majuscules, un format rectangulaire orienté dans le sens de la largeur et des traits de la première ligne plus développés, peut être considérée comme redevable aux bulles simples.49

[p. 286] En ce qui concerne les archevêques de Braga, étant donné qu’une communication sur ce thème va être présentée dans le cadre de ce Colloque, nous nous bornerons à attirer l’attention sur la charte du 27 septembre 125950, moins à cause de la nouvelle stratégie utilisée pour le repeuplement de l’immunité (cautum) de Gouvães, qu’en raison de l’importance du seing notarial auquel nous allons à nouveau nous référer.

Il n’est guère possible d’accompagner la documentation épiscopale portugaise d’autres exemples, faute d’études à l’échelle diocésaine. Toutefois, les exemplaires examinés donnent l’impression que l’influence des bulles se réduit, et disparaît pratiquement jusqu’au XVe siècle où l’impact recommence, ayant pour résultat la diffusion de l’écriture humanistique qui a tant pesé sur la chancellerie royale dans la collection monumentale connue comme Leitura Nova.

Dans les documents où nous trouvons souvent l’influence des bulles, aussi bien dans la documentation royale qu’épiscopale – (et nous appliquons ce terme au sens stricte, c’est-à-dire aux chartes issues des prélats) nous pouvons inclure plusieurs constituções diocesanas (constitutions synodales), composées à l’initiative épiscopale et approuvées par les prélats en synode. Dans ces institutions la première ligne est écrite en majuscules avec l’initiale et plusieurs traits forts décorés, comme, par exemple, dans les Constituções da Administração Eclesiástica de Valença do Minho, du 5 février 1444,51 et dans les Constituções Diocesanas de Arcebispado de Braga, de 1477, décembre 11.52

Toutes ces chartes épiscopales et bien d’autres devraient être minutieusement analysées dans leur teneur, ce qui très certainement révélerait dans quelle mesure elles ont subi l’influence des bulles dans les différents aspects de leur structure. Pour l’influence des bulles solennelles on pourrait donner en exemple le testament de l’évêque de Porto, D. Vasco, du 2 mai 1331, daté de cette façon solennelle : IN nomine dominj Amen. Pateat universis presens instrumentum inspecturis quod anno domini Millesimo Tricentesimo tricesimo primo Indictione quartadecima die secunda Mensi Maij Pontificatus santissmj patris et domini nostri Iohanis divina providencia papae. Anno quintodecimo In presentia mej notarii et testium subscriptorum53

Dans le sous-titre de cette partie de notre étude, nous évoquons l’influence des bulles sur la documentation notariale. Une telle influence qui, [p. 287] peut-être, semble exagérée, cessera de l’être si nous rappelons que, dans les documentations royale et épiscopale sont toujours intervenus des notaires, aussi bien avant qu’après l’établissement du notariat au Portugal en 1211. Dans la documentation du XIIe siècle, pour ne pas sortir des repères chronologiques que nous nous sommes fixé, abondent les mentions de notarius Infantis, notarius Regis, etc., mais ce n’est pas cela qui est en cause ni même la documentation produite. Ce que nous entendons observer, c’est que certains notaires semblent avoir assimilé certaines particularités de la documentation papale qui, quoique adaptées comme cela s’imposait, révèlent une grande adhésion et fidélité à des aspects formels repérables sur ces bulles ; sans oublier qu’on leur doit également toutes les marques d’influences jusqu’ici constatées et décrites.

Pour l’instant, toutefois, nous souhaiterons centrer notre attention sur le dessin correspondant au mot NOTUIT, parce que dans beaucoup de cas, il semble être fortement inspiré par les dessins utilisés dans les bulles solennelles pour exprimer les voeux de bonne santé – BENE VALETE. Cette idée se vérifiera si nous contrastons la forme que ce dessin prend sous l’influence du stimulant paradigme papal, avec les modalités antérieures et d’autres de la même époque que nous allons présenter.54

Et ce qui vaut pour le mot NOTUIT vaut d’une certaine façon pour la rota royale. Dans ce domaine, il nous semble que l’un des meilleurs exemples pour ce que nous venons d’affirmer est le seing du notaire João Pais, apposé sur une décision de l’archevêque D. Martinho Geraldes sur le repeuplement de l’exemption (cautum) de Gouvães,55 et constitué par un cercle à la croix inscrite à l’intérieur et son nom distribué sur les quatre quadrants IOHAN-NES-PELA-GII. Le notaire public Gonçalo Mendes (Gunsalvus Menendi) semble avoir subi la même influence, comme le révèle son seing manuel, visible dans l’accord entre l’évêque de Coimbra et l’abbé de S. Paulo de Almaziva, daté du 21 août 1258.56

Il conviendrait maintenant d’analyser les répercussions paléographiques des bulles sur l’écriture de la documentation portugaise.

Plus haut, nous nous sommes déjà référés à cet aspect qui ne pourra pas être traité pendant ce Colloque. Dans la pratique, toutefois, et pour le XIIe siècle qui a attiré notre attention toute spéciale, il n’est pas toujours facile de distinguer si dans un texte donné, il y a influence de l’écriture des bulles ou s’il s’agit simplement d’une évolution de l’écriture qui, dès deuxième [p. 288] moitié du XIIe siècle, commença son évolution vers la cursive gothique.

Malgré tout, nous n’avons pas voulu omettre cette simple allusion à un si vaste domaine de recherche, encore à explorer.

Conclusion

En guise de brève conclusion, nous pouvons affirmer que cette excursion partielle dans la documentation médiévale portugaise permet de soutenir que les documentations royale et épiscopale furent très sensibles aux formes véhiculées par les bulles papales dont les notaires portugais furent les imitateurs et adaptateurs habiles.

Cette étude qui, en vertu de l’objectif qu’elle poursuit, est marquée par le double souci d’échantillon et de synthèse, devra se poursuivre dans une perspective de successives explorations sectorielles qu’exigeraient des projets de longue haleine, tels qu’inventaires et études des chartes épiscopales portugaises du moyen-âge, soit à l’échelle nationale, soit à l’échelle de chacune des métropoles ecclésiastiques ou, simplement, à l’échelle de chaque diocèse.

Que la chancellerie royale portugaise ait accueilli les influences de la documentation papale, on le savait déjà. Mais l’étendue, les formes concrètes, la chronologie et l’évolution de ces influences n’avaient pas encore été esquissées, malgré les études de João Pedro Ribeiro57, Rui de Azevedo58 et Avelino de Jesus da Costa59, pour ne rappeler que les plus importants.

Les brèves notes relatives à la documentation épiscopale suffisent pour souligner l’absence et la nécessité d’études sur la diplomatique épiscopale portugaise.

L’un des résultats les plus intéressants est la constatation que cet âge d’or de la rota dans la documentation royale portugaise n’a jamais égalé la dimension et la beauté artistique des rotae du royaume de Castille. Introduite vers 1151/1153, la rota portugaise disparaît à la fin du règne de D. Afonso II (1218–1223), ce qui s’explique par les conflits du monarque avec le clergé, spécialement avec l’archevêque de Braga, D. Estêvão Soares da Silva, ainsi que par les interventions et sanctions papales contre le monarque et le royaume.

[p. 289]
Fig. 1 A.N.T.T. Corporações religiosas. Arouca, m. 4, n. 1 – 1153, février, 17 – D.M.P.D. Régios. Tábua XXVI.
[p. 290]
Fig. 2 A.N.T.T. Corporações religiosas. Alcobaça, Docs. régios, m. 1, n. 1 – 1153, avril, 8 – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXVI.
[p. 291]
Fig. 3 A.N.T.T. Santa Cruz de Coimbra. Docs. Régios, m. 1, n. 32 – 1158, mars. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXVIII.
[p. 292]
Fig. 4 A.N.T.T. – Gaveta 7, m. 3, n. 8 – 1159, février. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXIX.
[p. 293]
Fig. 5 A.N.T.T., Lorvão, m. 4, n. 25 – 1169, septembre. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXX.
[p. 294]
Fig. 6 A.N.T.T., Sé de Zamora, caj. C, leg. 1, n. 26 – 1169, novembre. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXXI.
[p. 295]
Fig. 7 A.N.T.T., Mosteiro de Ansede, m. único, n. 9 – 1170, août 10. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXXII.
[p. 296]
Fig. 8 A.N.T.T., Santa Cruz de Coimbra. Docs. Régios. m. 1, n. 49 – 1180, juillet 10. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXXV.
[p. 297]
Fig. 9 A.N.T.T., Sé de Viseu, m. 4, n. 28 – 1183, juillet 10. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XXXVI.
[p. 298]
Fig. 10 A.N.T.T., Sé de Coimbra. Docs. Régios. m. 2, n. 42 – 1218, COSTA, Pe. Avelino de Jesus da, Álbum de Paleografia e Diplomática portuguesas, 4a ed., n. 67.
[p. 299]
Fig. 11 A.N.T.T., Mosteiro de Alcobaça, m. 1, n. 6 – 1159, février. – D.M.P. – D. Régios. Tábua XLII.
[p. 300]
Fig. 12 A.N.T.T., Sé de Coimbra. m. 8, n. 39 – [1187, avril – 1188, juillet]. COSTA – O. c., n. 55.
[p. 301]
Fig. 13 Sé de Coimbra. m. 9, n. 20 – 1206, avril – COSTA – O. c., n. 57.
[p. 302]
Fig. 14 A.N.T.T., Sé de Coimbra. m. 9, n. 31 – 1258, août, 21 – COSTA – O. c., n. 76.
[p. 303]
Fig. 15 Paço Arquiepiscopal de Braga, ms. s.n., fl. 1 – 1444, février, 5 – COSTA – O. c., n. 131.
[p. 304]
Fig. 16 Biblioteca de Braga, ms. 871 – 1477, décembre, 11 – COSTA – O. c., n. 132.
[p. 305]
Fig. 17 1 – A.D.B., Gaveta das Religiões e Mosteiros, n° 1. (Bula Religiosam vitam, de Alexandre III., de 1163) ; 2 – A.D.B., Gaveta dos coutos, n° 4 ; 3 – D.M.P. I. D.R., Tábua XXII ; 4 – A.N.T.T., Sé de Coimbra, m. 9, n. 31 ; 5 – D.M.P. I. D.R. Tábua XL. 2.

1 La mention de ces deux dates se doit au fait qu’il n’y a pas de consensus entre les différents auteurs sur la date à laquelle fut institué le Comté Portucalais (Condado Portucalense).
2 Ferdinand le Grand était pleinement conscient de ces tendances indépendantistes et essaya de les neutraliser par une nouvelle réorganisation du territoire en unités administratives ou terras, dont il confia le gouvernement à des infanções ou nobles de second plan, laissant ainsi en marge les figures principales de la noblesse comtale portucalaise.
3 Costa, Pe. Avelino de Jesus da, O. c., pp. 146 et 88.
4 Costa, Pe. Avelino de Jesus da, O bispo D. Pedro e a organização da diocese de Braga, vol. I, Coimbra, 1959, p. 68.
5 24 du gouvernement de D. Henrique (1095–1112) et 52 du temps de D. Teresa (1112–1128).
6 Documentos medievais portugueses. I. Documentos régios, Lisboa, Academia Portuguesa da História, 1958, p. XXII.
7 Azevedo, Rui Pinto de, Diplomática de D. Afonso Henriques (1128–1185), in D.M.P. I. D.R. (v. adn. 6), p. LXVII.
8 Azevedo, Rui Pinto de, O. c., p. LXII.
9 Ostos Salcedo, Pilar, Pardo Rodriguez, Maria Luisa, Signo y simbolo en el privilegio rodado, in Sevilla, ciudad de privilégios, Sevilla, 1995, p. 43.
10 Bischoff, Bernhard, Paléographie de l’Antiquité Romaine et du Moyen Âge Occidental, Paris, 1985, p. 43.
11 Ostos Salcedo, Pardo Rodriguez, Signo y simbolo (adn. 9), p. 21.
12 Azevedo, Rui Pinto de, O. c. (adn. 7), p. XCVIII. Il est fort étonnant que João Pedro Ribeiro n’ait pas développé le problème de l’influence des bulles sur la documentation royale portugaise ; se bornant pratiquement à admettre une telle influence sur les inscriptions à caractère biblique de plusieurs seings de D. Sancho Ier.
13 Azevedo, Rui Pinto de, O. c., p. XCIX.
14 Ibidem.
15 Voir la bulle Bracharensem metropolim d’Innocent II, de 1139-4-26, Latran (A.D.B., Bulas, cx. 1, n° 2).
16 Voir la bulle Bracharensem metropolim d’Innocent II, de Luce II, de 1144-4-30 (A.D.B., Bulas, cx. 1, n° 3) – Voir aussi la bulle Officii nostri, d’Eugène III, de 1149-9-8, Bréscia (A.D.B., Bulas, cx. 1, n° 2).
17 C’est le cas dans la bulle Effectum iusta postulantibus, de Luce III, de 1184-5-6, Veroli (A.N.T.T., Colecção especial, cx. I, no. 17), et dans la célèbre bulle Manifestis probatum, d’Alexandre III, de 23 de Maio de 1179 (A.N.T.T., Casa Forte).
18 A.D.B., Bulas, cx. 1, n° 1 (Bracarensem metropolim insignem, de 1121-6-20).
19 A.D.B., Bulas, cx. 1, n° 2 (Bracarensem metropolim insignem, de 1139-4-26).
20 A.D.B., Bulas, cx. 1, n° 3 (Bracarensem metropolim insignem, de 1144-4-30).
21 A.D.B., Bulas, cx. 1, n° 4. (Officii nostri, de 1148-9-8).
22 A.N.T.T., Casa Forte. (Manifestis probatum, de 23-5-1179).
23 A.N.T.T., Colecção especial. (Effectum iusta poscentibus, de 1184-5-6).
24 A.N.T.T., Colecção especial, cx. 1, nos. 4 e 8.
25 Deux bons exemples de cette influence représentent la charte d’immunité (cautum) du monastère d’Ansede, et la copie figurée respective. Cette influence est particulièrement visible sur le second seing dont le scribe était un fin connaisseur de l’écriture des bulles.
26 D.M.P. I. D.R., p. 296. Doc. 242. (Fig. 1).
27 D.M.P. I. D.R., p. 297. Doc. 243. (Fig. 2).
28 A.N.T.T., Santa Cruz de Coimbra. Docs. Régios, m. 1, n° 32. (Fig. 3).
29 Santa Rosa de Viterbo, Fr. Joaquim de, Elucidário … attribue à l’an 1152 un sceau de ce type à l’inscription plus complexe, mais que nous n’avons pas retrouvé. Il ajoute qu’il s’agit du premier sceau de ce monarque avec cette figure « que ao depois se acha com frequência. » Il faut remarquer que dans un long article qu’il a consacré à ces seings en forme de croix, insérés en sceaux ronds, il ne fait aucune allusion à leur origine dans les bulles papales.
30 A.N.T.T., Gaveta 7, m. 3, n° 8. (Fig. 4).
31 A.N.T.T., Lorvão, m. 4, n° 25. D.M.P. I., pp. 383–384. (Fig. 5).
32 Sé de Zamora, caj. C., leg. 1, n° 26. D.M.P. I. p. 390. (Fig. 6).
33 A.N.T.T., Mosteiro de Ansede, m. Único, n° 9. Faux des XIIè-XIIIè siècles. D.M.P. I., pp. 404–405. (Fig. 7).
34 A.N.T.T., Santa Cruz de Coimbra. Docs. Régios, m. 1, n° 49. D.M.P. I., pp. 454–455. (Fig. 8).
35 A.N.T.T., Sé de Viseu, m. 4, n° 28. D.M.P. I., p. 474. (Fig. 9).
36 Voir la collection de reproductions de documents qui accompagne le vol. I des D.M.P. I. D.R.
37 A.N.T.T., Ordem de S. Tiago, m. 1, n° 1. D.M.P. I. p. 479. Tábua XXXVII.
38 La donation de Vila Meã, aux environs de Viseu, à Martinho Salvadores et son épouse, sert d’exemple (A.N.T.T., Sé de Viseu. Docs. Régios, m. 1, n° 5). Publ. par Costa, Pe. Avelino de Jesus da, Álbum de Paleografia e Diplomática portuguesas, 4a ed., Coimbra, 1983, n° 60.
39 Par « normalement » nous attirons l’attention sur les exceptions. Les cas suivants peuvent servir d’exemples : A.N.T.T., Sé de Viseu. Docs. Régios, m. 1, n° 5. – Publ. par Costa, O. c., n° 60, e A.N.T.T. Mosteiro de Chelas, m. 1, n° 11. – Publ. par Costa, O. c., n° 62.
40 Azevedo, Rui Pinto de, Pereira, Marcelino, Costa, Pe. Avelino de Jesus da, Documentos de D. Sancho I (1174–1211), vol. I, Universidade de Coimbra, 1979.
41 Ribeiro, João Pedro, Observações historicas e criticas para servirem de memorias ao systema da Diplomática Portuguesa, Lisboa, 1798, p. 140.
42 A.N.T.T., Sé de Coimbra. Docs. Régios, m. 2, n° 42. (Fig. 10).
43 A.N.T.T., Mosteiro de Alcobaça, m. 1, n° 6 (Fig. 11).
44 A.N.T.T., Sé de Coimbra, m. 8, n° 39 (Fig. 12).
45 A.N.T.T., Sé de Coimbra, m. 9, n° 20 (Fig. 13).
46 A.N.T.T., Sé de Coimbra, m. 9, n° 31 (Fig. 14).
47 A.N.T.T., Sé de Coimbra, m. 9, n° 21. – Costa, O. c., n° 76.
48 A.N.T.T., Sé de Coimbra, 2a incorporação, m. 46, n° 1820. – Costa, O. c., n° 92.
49 A.N.T.T., Mosteiro de Ferreira de Aves. Publ. Santa Rosa de Viterbo, Fr. Joaquim, Elucidário, s, v. Ferreira. – Costa, O. c., n° 58.
50 A.D.B., Gaveta dos coutos, n° 4.
51 Paço Arquiepiscopal de Braga, ms., s. n., fl. 1 (Fig. 15).
52 Biblioteca Pública de Braga (B.P.B.), ms. 871 (Fig. 16).
53 Censual do Cabido da Sé do Porto, Biblioteca Pública Municipal, 1924, p. 463.
54 Voir figs. 17. 3 et 5.
55 A.D.B., Gaveta dos coutos, n° 4. Publ. par Marques, José, Povoamento e defesa na estruturação do Estado medieval português, in : Revista de História, Porto, 1988, pp. 25–26.
56 Voir figs. 14 et 17.4.
57 Ribeiro, João Pedro, Dissertações chronologicas e críticas sobre a historia e a jurisprudência eclesiástica e civil em Portugal, vol. I, Lisboa, 1860 – Idem, Observações historicas e criticas para servirem de memorias ao systema da Diplomática Portuguesa, Lisboa, 1798.
58 De ce même auteur, voir les oeuvres citées dans cette étude.
59 De ce même auteur, voir les oeuvres citées dans cette étude.