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[p. 337] Traces d’influence pontificale dans les actes épiscopaux et royaux français (XIIIe-XVe siècle)

I. Introduction

À quiconque a tant soit peu approché la production diplomatique du roi et des évêques de France dans les trois derniers siècles du Moyen Âge, rechercher les manifestations d’une influence pontificale apparaîtra, légitimement, comme une double gageure, dans la quête des sources comme dans le constat. Le jeu pourtant mérite d’être tenté, tant la diplomatique dite « spéciale » – qui est pourtant loin d’avoir rempli le programme analytico-descriptif qui lui a été assigné il y a un peu plus de trois siècles – appelle à une réflexion sur le jeu subtil qu’instaure la circulation des modèles, voire des modes, entre chancelleries. Disons-le d’emblée : on ne parlera ici de traces, au sens de la chimie, que sous bénéfice d’inventaire, et d’influence que par commodité de langage.

Analyser valablement ces traces supposerait d’abord la constitution de séries assez étoffées. On devra ici se satisfaire de la juxtaposition de quelques sondages. Pour les actes épiscopaux, l’essentiel est venu de quelques éditions, à commencer par l’inusable Gallia christiana,1 mais aussi de diverses séries des Archives nationales à Paris2 et de dépouillements effectués au hasard en trois départements,3 le tout conforté par les matériaux choisis [p. 338] qu’ont charitablement communiqués d’obligeants collègues.4 Pour les actes royaux, des difficultés similaires ou presque se rencontrent au plan archivistique, avec l’éparpillement des originaux et la sous-représentation des actes de gestion courante ; mais l’échantillonnage, surtout pour les deux derniers siècles, se fait plus sûr avec l’apparition, même tardive, de formulaires5 et de registres d’enregistrement d’une large part des actes à valeur perpétuelle, avec aussi la masse de documents publiés depuis le XVIIIe siècle ;6 j’ai eu le privilège de pouvoir y joindre, pour les préambules du règne de Jean le Bon, le résultat des admirables recherches de Sébastien Barret.7 S’il est impossible, pour l’heure, de livrer des constatations assez fines sur l’évolution chronologique, voire, dans le cas de la diplomatique épiscopale, sur le jeu des traditions locales, quelques lignes de force d’évolution se dégagent néanmoins.

Par ailleurs, parler d’influence, c’est présupposer que des auteurs ont été amenés, plus ou moins consciemment, à refléter dans leur production leur soumission à un pouvoir, ou encore à aller chercher des solutions diplomatiques leur permettant de combler un vide. Or, dans le cas d’auteurs et de rédacteurs qui disposent déjà de traditions éprouvées et fonctionnelles, comme ceux qui nous retiennent ici, l’interprétation doit se faire plus prudente et plus nuancée : mais c’est là précisément que réside son intérêt, si elle parvient à discerner quelques types d’actes, quelques moments où l’importation de formules mises au point par la Curie se fait plus insistante.

II. Les actes épiscopaux

Du champ d’observation, il faut naturellement exclure les actes des évêques qui sont aussi cardinaux ou légats (l’influence pontificale est ici patente), [p. 339] tout comme les actes co-intitulés avec le chapitre cathédral ou un autre dignitaire. Il faut aussi prendre acte de la difficulté, éprouvée dans les terres méridionales, à constituer l’acte épiscopal en production indépendante : fréquents, tout particulièrement au XIIIe siècle, les actes de tiers simplement validés par le sceau épiscopal ; plus longtemps en vigueur, le syncrétisme qui, en fait d’acte épiscopal, donne naissance à un acte notarié plus ou moins hybride.8 En certains cas (je pense ainsi à une belle série d’actes des évêques de Saint-Flour), on aboutit à un acte épiscopal autonome, mais établi par notaire public, qui instille dans le texte tout un formulaire notarial, où viennent s’enchâsser quelques formules « épiscopales ».

Par ailleurs, et pour en finir avec cette mise en garde – simple appel à une diplomatique épiscopale qui se constitue aujourd’hui pour les XIe–XIIe siècles, mais qui fait encore défaut pour la période suivante –, l’acte épiscopal s’est dessaisi, dès le début du XIIIe siècle, de nombreuses interventions au bénéfice de l’acte d’officialité ; mais encore et surtout, il semble affecté par une variété de formes et de types qui ne fait que refléter, peut-être la pluralité des intervenants dans sa genèse, et sûrement l’étendue du champ qu’il doit couvrir, au spirituel et au temporel : acheter une terre, recevoir un hommage, fonder une messe anniversaire, gérer le diocèse ou le chapitre cathédral, confirmer les statuts d’une confrérie, délivrer une indulgence…, types à la fois plus fréquents et moins bien conservés, en l’absence quasi générale de registres d’enregistrement. En sorte que, sous réserve d’une véritable enquête, l’on en arrive même à se demander s’il existe [p. 340] bien, à la fin du Moyen Âge, une diplomatique propre aux évêques, et si les prélats disposent bien d’une « chancellerie » unitaire. Ici prédomine le style de l’officialité, là celui du notaire ; tantôt tranche la personnalité d’un secrétaire,9 tantôt se recopient des modèles manifestement diffusés d’un centre unique vers une série de sièges épiscopaux.10 Malgré cet éclatement, se dégagent, pour notre propos, quelques points saillants, qui appellent autant de vérifications.

1. Loin de Rome

L’acte épiscopal est immergé dans un contexte de production, et dans une communauté de formation des rédacteurs, qui expliquent la reproduction à l’identique, entre toutes les séries discontinues prises en compte, de formules-clefs qui charpentent le discours diplomatique chez toutes sortes d’auteurs. Il en va ainsi, par exemple, de l’indispensable corroboration, qui se perpétue dans les formules du type In cujus rei testimonium, ou Quod ut ratum et stabile permaneat, et leurs multiples variantes ; mais aussi de la rédaction prédominante en forme épistolaire ; et encore de l’adresse, sans cesse martelée, omnibus (universis) presentes litteras inspecturis (et audituris) ; et d’un salut qu’il faudrait bien de la témérité pour qualifier de pontifical, puisque pas une seule fois ne s’est rencontré le salutem et benedictionem tant attendu.11 Au mieux trouve-t-on la bien maigre consolation d’une très fréquente abréviation en « salt », qui pourtant laisse le champ libre (dans la proportion d’environ un acte sur quatre pour les originaux rencontrés) à toutes les autres formules abréviatives possibles, « salutem », « salute », « salut », « salm », « sal »… Et qui, surtout, appelle presque toujours un complément, avec le classique salutem in Domino, ou avec tout le spectre des variations les plus raffinées, inspirées de l’ars dictaminis : salutem in [p. 341] vero Salutari12, salutem in Eo qui est omni vera salus,13 formules parfois enrichies, surtout aux XIVe–XVe siècles, et qui constituent parfois, presque mieux que le préambule, comme l’espace de liberté laissé aux rédacteurs les plus personnels.14

Tout, en bref, se passe comme si l’habitus du rédacteur impliquait, comme si la réception de l’acte épiscopal exigeait l’emprunt de formules autochtones, pour ne pas dire gallicanes…

Mêmes constatations si l’on passe aux caractères externes : au premier coup d’œil, rarissimes sont les productions épiscopales dont l’écriture montre une imitation pontificale, qui avait fourni quelques beaux spécimen au XIIe siècle, surtout dans le domaine du privilège.15 Contre-exemple, presque, à Sens en 1257, un unicum de mon maigre corpus : les formes graphiques (guère plus que les grandes ligatures « ct »/« st ») semblent d’autant plus une survie des traditions d’imitation introduites ici dans la seconde moitié du XIIe siècle, qu’elles subissent un traitement particulariste, qui s’écarte de la production pontificale contemporaine.16 Face à un acte de l’archevêque de Lyon, en 1259, je serais encore plus prudent :17 une [p. 342] vague allure commune avec la disposition et l’écriture des lettres pontificales est d’autant moins probante qu’elle ne transparaît en rien dans le formulaire ni dans la grammaire abréviative (ainsi du salut, cum salute). Ailleurs, quand bien même quelque formule sent sa Curie, l’imitation ne va jamais s’insinuer jusque dans les caractères externes.

2. Des emprunts clairsemés

Car il est vrai aussi que, disséminées de-ci de-là, des expressions, des habitudes de rédaction renvoient plus nettement aux productions romaines.

L’acte épiscopal parisien du XIIIe siècle en témoigne parfaitement. En 1228, un emploi insistant du cursus accompagne (ou détermine ?) l’emploi d’expressions qui donnent au texte une saveur vaguement curiale : insolentiam extulisse, multifarie molestabant, tangere viderentur, duxerimus committendum, fuerint revocati, duximus statuenda pour le velox ; violenter intrare, studere nolentes pour le planus ; studere volentium pour le tardus.18 En 1229, on remploie le vieux préambule pastoral : Cupientes ex debito pastoralis officii divini cultus ampliare servicium operumque pietatis fructum necnon et fratrum ordinis sancte Trinitatis… sanctum et laudabile implere desiderium19 La même année, se lit la mention caractéristique d’acquiescement aux demandes : dilectorum in Domino fratrum et filiorum de ordine Vallis Scolarium piis et devotis peticionibus annuentes, eisdem divine pietatis intuitu plenam et liberam concessimus potestatem20 On retrouve la même veine et, hautement significatif, un embarras croissant sur la transposition du dilectus filius en 1263 : supplicationi dilecti nobis in Christo et fidelis domini Radulphi de Chevry, archidaconi in ecclesia Parisiensi, favore benivolo obsequentes, considerato ipsius pio proposito et affectu quem gerit erga Parisiensem ecclesiam, spirituali[s] vinculo matrimonii sponsam nostram.21 Plus ténus encore, plus insistants aussi, sont les décalques des formules romaines du dispositif : dignum duximus statuendum en [p. 343] 1243,22 plus subtilement adapté en de auctoritate ordinaria concessimus usque ad nostre beneplacitum voluntatis en 1257.23 Mais, semble-t-il, très rare la tentative, observée en 1260, de charpenter l’acte avec un préambule24 et des scansions bien pontificales : Licet de cujus munere venit ut sibi a fidelibus suis digne ac laudabiliter serviatur et abundantia pietatis sue… Sane, dilecti in Christo filii… Nos vero dicti capituli devotum propositum attendentes … Assemblage typique, qui n’empêche de clore l’acte du rituel In cujus rei testimonium25

Autrement plus nette, au premier regard, l’imitation, pourtant jamais déterminante, de l’acte royal. Voici, en 1335, un acte de l’archevêque de Sens :26 l’écriture et la disposition se situent de plain-pied dans la mouvance royale, au même titre que les pratiques administratives décrites et que bien de formules.27 Les exemples, étonnamment concordants dès les années 1320–1330, pourraient être multipliés sans peine, à Sens,28 à Rouen,29 en d’autres cas encore que l’on détaillera plus bas. On se prend à rêver de pouvoir un jour pouvoir cartographier, dans ses variantes spatiales et temporelles, le jeu qui semble d’être dès lors instauré entre l’acte royal et [p. 344] l’acte épiscopal. Pour l’heure, remarquons que l’influence royale est assez pesante pour marquer même, dans quelques cas, des actes épiscopaux qui touchent au plus près de la gestion de la société ecclésiale et de l’encadrement des âmes.30

3. Évêques sous influence

Ici encore sous bénéfice d’inventaire, il semble que jamais l’acte épiscopal n’a été plus autonome qu’au XIIIe siècle, au moment même où il a été le plus ouvert aux formes internationales de l’ars dictaminis florissant, quand ce n’est au vocabulaire des praticiens du droit – et l’on sait que les deux sont allés volontiers de pair.

Un exemple saisissant en est offert avec la belle série des actes épiscopaux qu’enregistre l’archevêque de Rouen Eudes Rigaut, à la fin des années 1240 :31 pour ses actes (ou plutôt lettres) relatifs à la gestion des établissements religieux, le mineur devenu prélat dispose manifestement d’un formulaire, rôdé et bien tourné, mais où les passages originaux et les formules retravaillées (comme la terrible sanctio) le disputent sans peine à quelques tournures-clefs assaisonnées à la mode pontificale.32 Tout comme éclate l’originalité des préambules dont lui-même en 1247 et surtout son successeur Guillaume en 1280 assortissent des actes de fondation d’anniversaires [p. 345] ou de fêtes,33 ce qui vaut aussi pour tel préambule, contemporain, de l’archevêque de Tours.34

Le paysage a bien changé aux XIVe–XVe siècles : les productions épiscopales sont alors plus nettement sous influence : des influences divergentes, qui semblent adaptées au type d’acte. Rapports avec les princes, gestion du temporel, parfois aussi gestion ordinaire du diocèse : autant de canaux rêvés pour des emprunts, dans le fond et dans la forme, aux modèles royaux,35 ainsi quand l’évêque de Paris traite des aides et subsides versés au roi en 1340,36 quand en 1344 l’archevêque d’Auch s’adresse aux gens des comptes au sujet des décimes,37 quand en 1378 celui de Reims décalque presque au mot près le formulaire des dons royaux à un fidèle serviteur.38 Cette constatation faite, il faut supposer à la diffusion des modèles royaux d’autres voies que l’emprunt direct et délibéré : une belle série d’actes des évêques de Metz et de Verdun au XVe siècle39 est là pour montrer que les prélats n’agissent pas autrement, dans leurs choix diplomatiques, que les grands, [p. 346] laïques, qui les entourent et qui, eux aussi, reproduisent les formes royales. L’influence de ces dernières n’en est pas moins éclatante, qui se marque dans l’écriture comme dans la diffusion et le remodèlement des mentions hors-teneur, dans des clauses aussi typées que la clause de réserve40 ou la clause injonctive,41 comme dans les noms mêmes décernés à l’acte, littere patentes par exemple.42

Par ailleurs, les types d’actes qui relèvent le plus directement de la gestion des âmes sont aussi les plus perméables à l’importation, plus ou moins massive, de formules pontificales dans le texte (mais, beaucoup plus rarement, du cadre du discours, et en tout cas jamais des protocoles initial et final). Il en va ainsi des lettres d’indulgence, dès le XIIIe siècle :43 lettres d’indulgence qui semblent avoir rapidement emprunté à des formulaires très typés, répandus par le double canal de la chancellerie apostolique et des actes de Latran IV.44 Il en va encore ainsi de statuts donnés aux confréries ; [p. 347] d’autorisations de célébrer en période d’interdit ; de fondations de chapellenie.45 C’est dans ce type d’actes (qui appelle du reste tout uniment le latin) qu’à Paris, aux XIVe–XVe siècles, se lisent le mieux la prégnance du préambule pastoral, des formules sur l’acquiescement aux suppliques, voire de la structuration du discours par les Sane, Eapropter et autres Igitur… pas toujours à bon escient du reste.46 Traits qui tous ou presque se retrouvent [p. 348] à Saint-Flour47 aussi bien qu’à Tournai48 et Cambrai.49 Influences parfois confondues avec les formules royales et qui, dans certains cas, aboutissent à un véritable « patchwork ».50

[p. 349] Il reste, et c’est bien sûr le plus important, à pénétrer le pourquoi de cette situation, je le répète, toute en nuances. Chercher dans les influences (royale, pontificale…), dans les traces d’influence, le reflet direct d’options plus profondes, comme on pouvait le faire, pour la fin du XIe et le début XIIe siècle, en recherchant les traces d’un ralliement aux mots d’ordre grégoriens – traces, du reste, aussi voyantes que clairsemées dans le discours –51, serait trop simple. On ne peut que le répéter : auraient-ils eu la volonté de donner à leur acte une consonance pontificale, les évêques ou leurs clercs auraient dû encore l’adapter à un contexte diplomatique qui imposait le cadre et plusieurs solutions. Mais cette volonté, ils ne l’ont eu clairement que pour quelques catégories, quelques formules typées. Et était-ce une volonté ? Car après tout, les solutions importées de la Curie s’imposaient pour ainsi dire d’elles-mêmes, qu’il s’agît de mettre le prélat dans la position du pasteur ou dans celle de l’ordinaire répondant aux suppliques – des suppliques qu’en retour eux-mêmes adressaient au pape selon des modèles contraints –, ou que l’on puisât dans un stock tout prêt (formules et arrière-plan juridique tout uniment) pour encadrer les dévotions. Comme après tout l’acte royal fournissait un modèle éprouvé, reçu par la société, pour donner des ordres, gérer les relations civiles ; un modèle, aussi, que suivaient directement les prélats, toujours plus nombreux à participer directement à l’administration royale.

En dernier ressort, on lira moins ici les traces d’une véritable influence pontificale (ou royale) que les échos d’une reconnaissance accordée à telle [p. 350] ou telle formule diplomatique et juridique. C’est donc, accessoirement, sans surprise que l’on verra des abbés, et plus encore des chefs d’ordre, se mouvoir beaucoup plus librement et avec plus de constance dans le jeu de l’imitation des formules pontificales.52

III. Les actes des rois de France

Sur un autre mode, les mêmes constatations s’imposent en fin de compte pour les actes royaux. D’influence formelle, on n’en voit guère ; le remodelage séculaire des formulaires, la mise au point très lente d’une typologie des actes jusqu’au début du XIVe siècle,53 semblent eux aussi largement échapper à toute influence pontificale. À peine en saisit-on quelques bribes, dans un mouvement parallèle, souvent un peu plus tardif et en tout cas moins net, aux pratiques imitatives de la chancellerie impériale.54 Bribes qui, du reste, s’introduisent en plusieurs étapes : sous Louis VI, dès 1108 et presque exclusivement à compter de 1112/1113, avec la récognition de chancellerie Data per manum…,55 timidement dans les quinze dernières années du règne de Louis VII, avec une clause de réserve (salvo jure regio, etc.) qui fera des progrès décisifs, encore que progressifs, sous Philippe Auguste (peut-être plus en écho des solutions adoptées par l’empereur que par importation directe de la Curie),56 avec une imitation plus nette, dans la lente adoption des lacs de soie, verts et rouges, pour les actes à valeur perpétuelle et, plus directe, dans la mise au point d’une forme solennelle de charte, caractérisée, comme à la chancellerie pontificale, par la formule [p. 351] de perpétuité Ad perpetuam rei memoriam, qui ici et là donne son nom au type diplomatique, apparu au milieu du XIIIe siècle.57

Une fois mis en série les emprunts postérieurs les plus caractéristiques, on voit sans peine qu’ils jouent sur deux registres : à Rome, on reprend, par morceaux, un modèle juridico-administratif et un modèle que l’on pourrait, faute de mieux, appeler idéologique et qui concerne la représentation du pouvoir.58

1. Modèle juridico-administratif

Le modèle, plutôt performant, offert par les pratiques curiales en matière d’enregistrement semble bien lointain à Paris. Il est vrai que le clerc du roi, Étienne de Galardon, en 1220, nomme registrum, de façon précise et technique, la troisième des compilations entreprises pour Philippe Auguste, alors que la première n’avait aucun nom, et que la deuxième était simplement qualifiée de liber ou de codex,59 mais, dans sa conception, c’est le moins que l’on puisse dire, le « registre » n’avait pas grand-chose à voir avec les modèles pontificaux, et le terme a pu être aussi bien puisé chez les auteurs ecclésiastiques ou chez les canonistes. Il s’imposera de lui-même quand le roi de France « enregistrera » vraiment, au début du XIVe siècle, un moment où, à nouveau, l’imitation des pratiques pontificales n’est guère plus évidente.60 Il faut chercher ailleurs des emprunts plus évidents ; ils intéressent plus la genèse des actes que leur forme.

Dans les années 1420–1430, le formulaire d’Odart Morchesne montre bien l’imprégnation du jargon de chancellerie par des termes dès longtemps utilisés en Curie : il y est plus d’un renvoi à la « forme commune »,61 comme aux « lettres communes », plutôt opposées ici aux lettres de justice.62

[p. 352] C’est sans doute dans le dialogue entre supplique et grâce que l’influence se fait la plus patente. Même s’ils n’allèrent jamais, comme tels seigneurs italiens (les Malatesta par exemple), jusqu’à tenir registre des suppliques, les rois de France savent y apposer leur fiat. Un bel exemple, de 1352, est célèbre :63 à une série d’articles proposés par le comte de Flandre, le Conseil du roi Jean applique des apostilles où le fiat revient avec quelque régularité ; mais il touche parfois au registre diplomatique (fiat littera justicie ballivo Ambianensi), parfois au fond (fiat, impedimentis indebitis cessantibus, etc.), et parfois aussi l’on use d’autres formules (ostendatur littera…).

Quoi qu’il en soit de ce cas précis, un peu marginal, l’imprégnation du vocabulaire (plus encore que des pratiques administratives) a un répondant beaucoup plus large dans l’application, à la théorie naissante de l’office royal, des conceptions pontificales en matière de bénéfice. La chancellerie française distribue des expectatives sans le nom, usant du formulaire pontifical dès 1291 au moins, date à laquelle le roi mande à un sénéchal de conférer un office si quod vacet ad presens in vestra senescallia vel quam primum vacaverit ; l’imprégnation se lit des deux côtés, puisque les détenteurs d’offices, en butte à des interdictions plus efficaces en matière d’expectative (expectatio) se mirent, pour les offices « impétrables » (c’est-à-dire non électifs) à jouer de la resignatio in favorem avec la même habileté qu’en Cour de Rome, imposant par contrecoup les formules pontificales à la chancellerie royale au moins dès le règne de Charles V.64 Formules dont les requérants n’étaient pas les derniers à s’inspirer dans leurs suppliques au roi, qui, sur la fin du XVe siècle, hésitent toujours entre le Plaise au roy… et le Supplie tres humblement65

Le jeu de la supplique et de la grâce induit aussitôt celui de la requête illégitime, de la grâce obtenue à l’insu du prince, des grâces concurrentes. Comme les papes, chez qui la formule court tout au long des XIIIe–XIVe [p. 353] siècles,66 les rois de France se disent pressés par l’« importunité des requérants », abusivement comblés de donations, tel Charles V révoquant des aliénations du domaine consenties par importunité de requerant ou autrement,67 ou encore Charles VII réformant ses finances et accablé pour ce que, par importunité de requerans, nous avons aucunes foiz de legier donné et octroyé68 Mais il n’est pas sûr que sous Philippe VI et Charles V l’expression n’ait été employée dans un sens plus large, ainsi pour désigner l’empressement (intempestif, mais manifestement efficace) de certains procureurs à retirer l’acte de leur client avant qu’on ait pu l’enregistrer.69

Comme le pape, apparemment un peu plus tard que lui, avec moins de continuité aussi, le roi de France délivre des lettres motu proprio.70 Comme le pape aussi, le roi va jouer de la certa scientia. La formule fait nettement son apparition à la Curie quand les causes et les requêtes affluent ; elle est glosée dès les années 1177–1179 et très vite du reste les glossateurs étendent son champ au prince aussi bien qu’au pape.71 Innocent III déjà – je ne fais à mon tour que gloser les belles études d’Othmar Hageneder – a opposé la conscientia certa au mendax precator, citant à la rescousse droit romain et droit canon.72 Mais le plus intéressant est que l’expression est à [p. 354] double détente : au versant, disons négatif, opposant un pontife bien informé aux manœuvres subreptices (et accessoirement majorant l’acte portant cette formule), l’expression adjoint rapidement un versant positif, magnifiant le pouvoir pontifical, source de décisions non sollicitées (de certa scientia injungamus).73 Ambiguïté de la formule, si l’on veut ; plus largement, conséquence de toute la réflexion des juristes, qui lient si fort les deux volets tout au long du XIIIe siècle. Association, en tout cas, dont les rois de France vont eux aussi apprendre à jouer, comme le prouve la conjonction insistante, selon des configurations variées, de la certa scientia, de la regia auctoritas et encore de la plenitudo potestatis, autre emprunt manifeste à Innocent III et à ses émules (de nostre certaine science, pleine puissance et auctorité royale). Jacques Krynen a montré comment la célèbre formule « ternaire » a fait une entrée fracassante dans les actes royaux du temps de Philippe le Bel.74 De fait, ses différents ingrédients ne se trouvent qu’à peine dans les actes des prédécesseurs du roi. Telle était l’opinion de Georges Tessier,75 des dépouillements hélas sélectifs, avant que l’édition des actes de saint Louis soit plus avancée, la confirment. Notons tout de même que le processus est déjà en acte sous saint Louis : dans une ordonnance de décembre 1254, dont le préambule nous retiendra bientôt, le roi évoque déjà la retenta nobis plenitud[o] regie potestatis.76 Mais l’on rencontre ici déjà un autre type d’emprunt.

2. Modèle idéologique

Ce sont bien sûr les préambules des actes royaux, dont l’étude est encore si peu avancée, si l’on met à part les recherches prometteuses de S. Barret, qui nous livreront ici le matériau de base. Esquissons, sous bénéfice d’inventaire, l’évolution du genre dans les trois derniers siècles du Moyen Âge. Le préambule est moribond à l’époque d’un Philippe Auguste, où les modèles [p. 355] anciens achèvent d’expirer : dans les sept dernières années du règne (1217–1223), en 425 actes conservés, on n’en trouve qu’un seul muni d’un préambule, usé jusqu’à la trame, Ad regiam sollicitudinem summopere respicit77 Mais, première surprise, le préambule ne semble avoir guère plus de vigueur sous saint Louis, qui s’y entendait pourtant en propagande – autre terme à recevoir faute de mieux. La pratique renaît, explose même, totalement régénérée, sous Philippe le Bel. Limité à certains types d’actes (qui, par chance, sont aussi ceux qui intéressaient au XVIIIe siècle les compilateurs des Ordonnances), limité dans sa thématique (les fins et moyens du gouvernement royal, déclinés sur tous les modes) beaucoup plus que dans son emploi (un simple mandement peut s’attirer un aussi bel exorde qu’une ordonnance), le préambule n’a pas de limites dans ses affirmations, ni parfois dans son art. Les successeurs du roi, derniers Capétiens directs, mais aussi premiers Valois, marchent dans les traces de Philippe le Bel, limitant progressivement la part de l’inventivité, vivant un peu du fond extraordinairement riche accumulé à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, avant que le XVe siècle n’enregistre qu’un nouvel appauvrissement – raréfaction du nombre, ronronnement des formules.

J’insiste un peu sur ces notations, présentées non sans témérité (elles demanderont de longues vérifications), car elles nous mettent au cœur de notre thème. Pour faire bref : quand au roi de France (Philippe le Bel surtout, Louis X encore), il a fallu, haut et fort clamer de grands principes (quitte à les limiter au préambule…), c’est en large partie vers les formes, vers les incipit, vers les thèmes des bulles pontificales que ses clercs se sont tournés, au moment du reste où la « certaine science » prenait tout son essor. Ce que faisant, le roi et ses clercs, sans le savoir, reproduisaient ce qui s’était passé, près d’un siècle et demi auparavant quand la chancellerie de Louis VII, à la première « ordonnance » en date des Capétiens, alla mettre un préambule pontifical, Pervenit ad nos78

[p. 356] Au juste, les clercs de saint Louis avaient un peu ouvert la voie. Sous son règne, des incipit sonnent « pontificaux », tel Cupientes…,79 des échos romains se retrouvent parfois aussi au détour d’une formule, pensata… utilitate totius regni nostri,80 visis petitionibus et discussis quas fideles nostri… nobis obtulerunt (qui est aussi un incipit).81 La grande ordonnance de réformation des mœurs en Langue d’oïl et Langue d’oc (décembre 1254) offre, sans surprise, le préambule le plus nettement pontifical que j’aie pu lire : Ex debito regie potestatis pacem et quietem subjectorum nostrorum, in quorum quiete quiescimus, precordialiter affectantes et adversus injuriosos et improbos, qui tranquillitati eorum invident et quieti, zelum indignationis habentes, ad hujusmodi propulsandas injurias et statum regni reformandum in melius ad presens tempus subscripta duximus ordinanda.82 Remarquons au passage que, pas plus qu’ensuite, l’importation n’est servile : les textes pontificaux fournissent ici une formule bien frappée, là un cadre, ailleurs un incipit qui claque comme un drapeau, mais partout l’on voit un remodelage des formules (le visis petitionibus et discussis évoque la délibération, le conseil, thèmes récurrents s’il en est de l’acte royal), une réappropriation tout autre que passive des images, facilitée du fait que le roi était lui aussi pasteur responsable de son troupeau.

Ces traits perdurent mais, on l’a dit, avec une tout autre ampleur sous Philippe le Bel.83 Ampleur numérique, mais aussi élargissement du champ : sous bénéfice d’inventaire, les actes de saint Louis où apparaît le mieux l’imitation pontificale touchaient au gouvernement chrétien (lutte contre les hérétiques, réforme des abus, correction des mœurs…) ou aux affaires ecclésiastiques (liberté d’élection…), ce qui semble valoir encore sous son fils Philippe III.84 Philippe le Bel, tout particulièrement dans les dernières [p. 357] années du XIIIe et dans les premières du XIVe siècle, et ses successeurs étendent cette conception chrétienne/pontificale à tous les aspects du gouvernement, comme en une vue plus globale, plus totale, plus haut affirmée en tout cas : trace, peut-être, de la vigoureuse évolution, par ailleurs bien connue, qui fait du roi de France le Très-chrétien par excellence.85 Extension visible aussi, sous Philippe le Bel, au niveau diplomatique : des préambules (à tout le moins du type « Kurzarenga »), et des préambules d’inspiration pontificale, se trouvent jusque dans des mandements, pour notifier des mesures d’urgence, mais avec un souci inédit de leur légitimation, ce qui n’exclut pas le bricolage parfois, le « patchwork » presque toujours.

Le roi doit-il, en juin 1307, exposer le bien-fondé de ses prétentions sur Lyon ? Un long argumentaire dissèque des textes dans un esprit juridique, après un rappel historique. Mais, pour l’ouvrir, le Capétien ne trouve rien de mieux à faire que de se présenter comme affligé des soucis qui ne cessent de tarauder les successeurs de Grégoire le Grand : Inter curas nostre sollicitudinis, quibus animus noster invigilat, mens indefessa laborat, meditatur assidue, modos exquirit et vias quibus mediantibus pacis tranquillitate subjecti nostri fruantur, presertim ecclesie quarum ministri liberius cultum divinum adimpleant, ac in pacis quiete populi gaudeant justitieque fructus desiderati sequantur.86 Enjoint-il aux baillis et sénéchaux, en 1303, d’empêcher les exportations d’or et d’argent ? C’est en affichant une indignation toute pontificale : Turbamur non modicum et movemur quod, cum olim87 Justifie-t-il, la même année, la levée d’une nouvelle décime auprès de l’évêque d’Amiens ? C’est en traitant, subtilement, les Flamands révoltés dans les termes que le pape réserve aux hérétiques.88 En 1309, doit-il contenir les [p. 358] « excès » de ses représentants locaux, autre enjeu essentiel en ces temps de construction monarchique ? C’est encore avec le ton pontifical, comme transcendé et assené sur le ton du Miroir royal : Ad corrigendum subditorum suorum excessus tanto diligencius superior debet exsurgere quanto dampnabilius eorum offensus deserunt diucius incorrectas ne licet Hely89 Ici et là, retentissent les incipit pontificaux : Digne nos agere credimus…,90 Decens reputamus et congruum…,91 Regi regum per quem vivimus92 La chancellerie puise certes à des filons variés, mais plus souvent qu’à son tour dans le trésor des formules pontificales.

Comme on l’a dit, la supplique, la décision sont volontiers présentées comme en Curie : prelatorum regni nostri supplicationibus annuentes… duximus concedendum,93 pro ecclesiarum utilitate… sic duximus ordinandum,94 ex dilectorum… gravi querimonia ad nostrum pervenit auditum…,95 significavit nobis dilectus et fidelis noster96 Mieux, c’est en des poses pontificales que l’on met un roi (la fusion est ici particulièrement habile) soucieux de la paix des sujets (pax, quies) comme de l’utilitas des églises, de la communis utilitas comme de la libertas regiminis [regis] et de la regni necessitas. Le roi sait s’informer (ex fide dignorum relatu), s’entourer de conseil et mûrir sa décision (pensata utilitate, deliberatione super hoc prestita diligenti, plenioris habita deliberatione consilii), tourner des pietatis oculos97 et étendre la regie liberalitatis dexteram98 vers ses sujets, et tout cela pour répondre dûment aux nécessités d’une charge attribuée par décret divin.99

[p. 359] On retrouve la même veine chez son fils Louis X, la plus éblouissante avec la reprise de l’incipit pontifical Novit ille100 Pourtant, dès les règnes des deux derniers Capétiens directs, le besoin de proclamation, d’une proclamation qui emprunte et qui recompose mots et thèmes, semble se faire moins fort. Charles IV prise le Inter curas sollicitudinis, mais on y sent déjà comme une routine.101 Le premier Valois, Philippe VI, brille moins encore.102

Les emprunts semblent redevenir un peu plus profonds, et susciter des variations à nouveau raffinées, sous Jean le Bon : si le roi reprend un Inter curas et sollicitudines banalisé, encore que le pauvre ait vraiment eu beaucoup de soucis,103 on notera surtout l’incipit Cupientes desideratis affectibus et assidue cura sollerti intendentes…, dans un préambule habilement adapté à l’évocation d’une justice réformée après la fin d’une guerre,104 ou encore l’incipit Regis eterni providentia…, qui ouvre un règlement de la [p. 360] boulangerie à Amiens.105 Mieux, deux actes décernés à la confrérie des notaires et secrétaires eux-mêmes, en 1351 et 1358, reprennent une grande part du préambule pontifical De summis celorum ad yma mundi descendens unigenitus Dei filius…, avant d’ajouter, deux fois plus long, un passage original sur les Évangélistes, notarii doctissimi106

Passé le milieu du XIVe siècle, une certaine routine semble s’installer (et bientôt s’aggraver) dans les emprunts pontificaux décelables dans les préambules. Sous Charles V, certes, la chancellerie fait encore de beaux et longs préambules quand il le faut, mais avec une manière de maturité qui les rend totalement imperméables aux phrases et aux thèmes pontificaux.107 Parfois, l’on retourne, comme sous Jean le Bon, puiser aux vieilles racines carolingiennes.108 Plus caractéristique encore : les préambules des actes ressentis comme les plus lourds pour la dynastie (majorité des rois de France, tutelle des enfants royaux) sont aussi incroyablement longs que totalement originaux, et directement adaptés à leur objet.109 Il y a, certes, du pontifical en [p. 361] certaines productions royales, mais seulement pour quelques formules répétées en des actes qui se spécialisent dans un domaine précis, en particulier dans les sauvegardes royales à des établissements ecclésiastiques. Dans ces cas – et avec quelle monotonie ! –, le roi dit agir Inter ceteras nostre sollicitudinis curas, quand bien même sa chancellerie ne recourt pas à l’accumulation de formules emboîtées : Rationi congruum arbitramur si inter curas et sollicitudines….110 Il y a encore des traces de formes pontificales dans les préambules, plus secs, plus routiniers, que j’ai pu lire de Charles VII : ici Inter cunctas et urgentes sollicitudines,111Justum et racioni congruum arbitramur,112 et des emprunts encore plus stéréotypés chez Louis XI, qui reprend l’amalgame Racioni congruum arbitramur si inter curas et sollicitudines….113 L’impression se renforce quand on constate que ces préambules à saveur pontificale semblent réservés à des destinataires ecclésiastiques. Activement sollicitées pour la construction d’une certaine idée de la monarchie, sous Philippe le Bel, les formules curiales sont devenues un tic de style, puis une routine.

IV. Conclusion

Je dois confesser que la recherche, à peine esquissée, a fourni des résultats contrastés et contraires aux attentes : ce sont plutôt la faiblesse globale des importations pontificales chez les évêques, et l’éclat des quelques formules curiales enchâssées dans l’acte royal, qui m’ont frappé. Les évêques, si bien avertis des formes et des styles pontificaux,114 n’empruntent que des éléments (bribes de formules, cadre entier ou solutions juridiques) strictement [p. 362] pertinents pour leur propos. La position de la chancellerie royale est autrement plus intéressante, mais il reste à apprécier ses motifs.

Le roi de France joue-t-il au pape ? Les clercs que démange son service sont-ils influencés par le style pontifical de ces bulles qu’ils connaissent, qu’ils lisent, qu’ils recopient en mille occasions, et, plus largement, par tout ce qui en est passé, de musicalité, d’expressions reçues, dans l’ars dictaminis ? Des clercs, du reste, dont les lectures et les emprunts montrent tout l’éclectisme, puisqu’ils emprunteront à Frédéric II comme à Boniface VIII.115 Entre ces deux hypothèses qui peuvent sembler extrêmes, sans être du reste antagonistes, n’existe-t-il pas une troisième voie ? Elle est suggérée par d’autres variations des actes royaux, d’empreinte non plus pontificale mais non moins chrétienne, voire théologique : tels ces actes récompensant des fidèles, où le service du roi est assimilé au service de Dieu ; les souffrances des temps de guerre, mises sur le plan du martyre ; les fidèles serviteurs amassant des « trésors de noblesse », comparés aux saints accumulant des « trésors de mérites ».

N’est-ce pas, en fin de compte, que la papauté, comme tout le droit de l’Église, a ouvert des voies à la construction de l’État comme au gouvernement des diocèses ? Et qu’en conséquence, les rois, les prélats et leurs savants rédacteurs ont comme nécessairement emprunté des formules comme des modèles d’administration. Pour mieux le dire : ne peut-on se demander avec Jacques Verger ce qui l’a emporté, de la présence de clercs ou de la fascination exercée par l’Église, pour susciter la reproduction de modèles romains partout si prégnants ?116 Une reproduction, en tout cas, mesurée dans sa place et modérée dans son emploi.

[p. 363]
Planche n° 1. – Acte de l’archevêque de Sens, juin 1257. (Paris, Arch. nat., J 261, n° 8 ; cliché Arch. nat.)
[p. 364]
Planche n° 2. – Acte de l’archevêque de Sens, 23 juillet 1335. (Paris, Arch. nat., J 166, n° 21 ; cliché Arch. nat.)
Planche n° 3. – Acte de l’archevêque de Reims, 17 avril 1378. (Paris, Arch. nat., J 185B, n° 40 ; cliché Arch. nat.)

1 Gallia christiana in provincias ecclesiasticas distributa, t. 1–16 (Paris 1715–1785, 1856–1865).
2 Les actes rassemblés au Trésor des chartes du roi de France (aujourd’hui Paris, Archives nationales, série J) couvrent tout le royaume ; ils ont été pour une bonne part repérés d’après le catalogue de Louis Douët d’Arcq, Inventaire de la collection des sceaux des Archives de l’Empire, t. 1–3 (Paris 1863–1866), systématiquement exploité. Mais ils surreprésentent les lettres adressées au roi et les actes concernant le temporel. Le catalogue de L. Douët d’Arcq a permis d’enrichir les sondages dans les séries ecclésiastiques (L, M et S).
3 Archives départementales du Cantal (Aurillac), du Puy-de-Dôme (Clermont-Ferrand), de la Seine-Maritime (Rouen).
4 Pour les actes des évêques de Paris, par Sylvie Claus, qui m’a communiqué les textes d’institution ou de confirmation de confréries qu’elle a patiemment regroupés dans sa récente thèse d’École des chartes (Religion, pouvoir et sociabilité : les confréries parisiennes aux derniers siècles du Moyen Âge ; résumé dans École nationale des chartes, Positions des thèses… 1996, p. 65–69). Pour ceux de Tournai (et, près du royaume, de Cambrai), par Jacques Pycke et son assistante, Françoise Van Haeperen, qui ont mis à ma disposition le résultat de vastes dépouillements.
5 Voir la contribution de Hans-Günther Schmidt dans le présent volume. Le matériau sera renouvelé, pour les formulaires du temps de Charles V, quand on disposera de la thèse d’École des chartes, en cours de préparation, d’Isabelle Auzet.
6 Les dépouillements se sont ici largement appuyés sur Eusèbe de Laurière, L. G. Oudart de Bréquigny, Jean-Marie Pardessus et al., Ordonnances des roys de France de la troisième race…, vol. 1–21, Paris 1723–1849 (désormais : Ordonnances).
7 S. Barret, Les préambules des actes royaux pendant le règne de Jean II le Bon, thèse d’École des chartes, Paris, 1997, 3 vol. (résumé dans École nationale des chartes, Positions des thèses… 1997, p. 29–36).
8 Lorsque l’évêque de Clermont, Henri de La Tour fonde, le 26 avril 1398, un anniversaire, son acte, à la rédaction précise et technique, est à la fois validé par un seing notarial et par le sceau épiscopal ; mieux, dans la notification comme dans la corroboration, il est qualifié de presentes littere seu presens publicum instrumentum (Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 G 20, n° 22). Même chose à Saint-Flour en 1430 (n. st.) : presentes litteras feci presens instrumentum per notarium publicum infrascriptum fieri et publiquari… (création et statuts de chapitre, Arch. dép. Cantal, 7 G 3) ; même procédure en 1368 (fondation de chapelle, Arch. dép. Cantal, 5 G 2). Solution lourde, mais non exclusive d’autres, plus simples (acte notarié ou acte scellé), et peut-être choisie pour des actes que l’on voulait particulièrement renforcer.
9 Un cas exceptionnellement documenté à Clermont-Ferrand, avec le secrétaire de l’évêque Jacques de Comborn, Roger Benoiton, qui est aussi chanoine du chapitre cathédral et notaire et secrétaire du roi Charles VII. L’un et l’autre sont des humanistes éclairés : André Bossuat, Jacques de Comborn, évêque de Clermont, et son secrétaire : note sur l’humanisme en Auvergne au XVe siècle, dans : Recueil de travaux offerts à M. Clovis Brunel, t. 1, Paris, 1955, p. 152–162 ; l’inventaire de la bibliothèque du second, dressé par ses soins dans son livre de raison (Arch. dép. Puy-de-Dôme, 3 G Supplément 838, fol. 96–99, qui doit être prochainement édité et commenté par Anne-Marie Chagny et Geneviève Hasenohr dans les Mélanges André Vernet) révèle des livres nombreux, des intérêts variés, une formidable connaissance de la grammaire (première des sections méthodiques de l’inventaire), la possession de plusieurs formulaires de la chancellerie royale mais, notons-le par avance, aucune source directe pour une possible imitation des actes pontificaux.
10 En témoignent ainsi plusieurs séries d’actes ou de lettres d’évêques conservés au Trésor des chartes, depuis Philippe Auguste jusqu’aux derniers Capétiens directs, et dont les fortes similitudes semblent s’expliquer par la diffusion de patrons imposés par l’administration royale, qu’il s’agisse de notifier la bulle de légitimation des enfants de Philippe Auguste et Agnès de Méranie, d’écrire au roi au sujet d’une levée de régale ou d’élections, de constituer des procureurs pour une réunion à la Cour, et ce quand bien même, ici ou là, une rare formule emprunte aux formulaires pontificaux (Arch. nat., J 362, J 346–347, J 443–444). Sur le dernier point, voir une lettre de l’archevêque de Reims en 1297 (J 347, n° 111 : auctoritate metropolitana duximus confirmandam), une autre de l’évêque de Soissons en 1303 (J 347, n° 120 : auctoritate pontificali duximus admittendam), toutes deux pour la notification d’élections abbatiales.
11 C’est au diplomatiste des époques modernes de dire quand la formule commence à se diffuser, depuis Rome. Le salut et bénédiction apparaît, par exemple, dans un mandement imprimé de l’évêque de Clermont relatif à la fête du 15 août 1802 (Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 J 1314).
12 Carcassonne, 1303 : Arch. nat., J 485, n° 306.
13 Pour cette dernière formule, par exemple : Tournai, 1312 (communication Jacques Pycke) ; Paris, 1450 (Arch. nat., K 1043, n° 61) ; Saint-Flour, 1387, qui ajoute perpetuam et felicem (Arch. dép. Cantal, 6G5) ; Uzès, 1424, salutem in Eo qui creaturarum omnium [est] vera salus et salvator (Gallia christiana, t. 6, Instrumenta, col. 309, n° xx) ; Lyon, 1408, salutem in Eo qui est omnium vera salus et nostris firmiter obedire mandatis (Arch. dép. Seine-Maritime, G3588).
14 Plus rares ou plus recherchées, par exemple : salutem in filio Virginis (Paris, 1288 : Gallia christiana, t. 7, Instrumenta, col. 121, n° clx) et salutem in filio Virginis gloriose (Paris, 1448 : Arch. nat., K 951, n° 72) ; salutem in Eo qui genus humanum per missionem sui Unigeniti a vetere servitute liberavit (Cambrai, 1400, éd. dans Bulletin de la Commission royale d’histoire, 113, 1948, p. 147). – Avec d’autres éléments : salutem et sinceram in Domino (Deo) caritatem (Sens, 1252 : Arch. nat., J 198, n° 96 ; Cambrai, 1359 : éd. dans Bulletin de la Commission royale d’histoire, 79, 1910, p. 586) ; salut en notre Seigneur et abondance continuelle de bonnes œuvres (Paris, 1415, traduction ancienne dans une copie du XVIIIe siècle : Arch. nat., L 551, n° 8). – Choisi avec à propos en tête d’une lettre au roi de France : salutem in Eo per quem reges regnant et principes dominantur (Le Mans, 1279, cf. Prov. 8, 15 : Gallia christiana, t. 14, Instrumenta, col. 142, n° xxiii). – Plus proche encore des formules inspirées de l’acte d’officialité : rei geste notitiam cum salute (Toul, 1265 : Arch. nat., J 201, n° 47). – Synthèse originale, incorporant un thème typique des préambules pontificaux et épiscopaux : salutem pastoralis officii (Arles, 1200 : Gallia christiana, t. 1, Instrumenta, p. 104, n° xxxvii).
15 Olivier Guyotjeannin, L’influence pontificale sur les actes épiscopaux français, provinces ecclésiastiques de Reims, Sens et Rouen, XIe–XIIe siècles, dans : L’Église de France et la papauté, Xe–XIIIe siècle/Die französische Kirche und das Papsttum, 10.–13. Jahrhundert, actes du XXVIe colloque historique franco-allemand, hg. Rolf Grosse, Bonn 1993 ; Studien und Dokumente zur Gallia Pontificia, 1, p. 83–102 et pl. 2–5.
16 Arch. nat., J 261, n° 8 (voir planche n° 1). Pour les actes du XIIe siècle, Guyotjeannin, p. 96–97 et pl. 2–5.
17 Arch. nat., J 202, n° 36.
18 Chartularium Universitatis Parisiensis, éd. Heinrich Denifle et Émile Châtelain, t. 1–4 (Paris 1889–1897), t. 1, p. 116, n° 60 (statut pour les écoliers de Saint-Thomas du Louvre).
19 Chartularium Universitatis Parisiensis, t. 1, p. 118, n° 63. Voir aussi, à titre de comparaison, dans un acte de l’archevêque de Tours : Ex injuncto nobis divine dispensationis officio tenemur locis competentibus pro modulo nostro religionem fundare, fovere et diligere lapsusque quos in ea reperire potuimus erigere et formare in meliorem statum… (union de monastères, 1203 : Gallia christiana, t. 14, Instrumenta, col. 88–89, n° lxviii). L’intrusion massive de ces préambules « pastoraux » dans la diplomatique épiscopale avait été, fin XIe–début XIIe siècle, l’un des meilleurs marqueurs de la diffusion des grands thèmes de la réforme grégorienne.
20 Chartularium Universitatis Parisiensis, t. 1, p. 123, n° 68 (règle donnée aux frères du Valdes-Écoliers installés à Paris).
21 Gallia christiana, t. 7, Instrumenta, col. 112, n° cl (institution d’une fête double pour sainte Marie l’Égyptienne).
22 Gallia christiana, t. 7, Instrumenta, col. 105, n° cxxxix (organisation de la chapelle épiscopale).
23 Chartularium Universitatis Parisiensis, t. 1, p. 371, n° 323 (autorisation de construction d’un oratoire).
24 Les préambules dont l’incipit au moins « sonne » pontifical sont plutôt rares au XIIIe siècle, à Paris comme ailleurs. Pour Paris, voir aussi en 1269 : Summi patris qui suam semper ecclesiam foetu novo multiplicat, cui proprium est prestare religionis augmentum, exemplum, prout possumus, imitantes… (confirmation d’une fondation d’abbaye : Gallia christiana, t. 7, Instrumenta, col. 114, n° cliii).
25 Gallia christiana, t. 7, Instrumenta, col. 111, n° cxlix (décret sur les clerici matutinales de l’église cathédrale).
26 Arch. nat., J 166, n° 21 (voir planche n° 2).
27 L’archevêque s’inspire de la pratique (et de la formulation) royale de la lettre d’attache : esqueles ces nostres presentes sont annexees (ligne 2). Le dispositif adapte simplement à la dignité épiscopale le dispositif des chartes royales : greons, approuvons et confermons sciemment de nostre auctorité ordinaire… (lignes 4–5).
28 En 1339, toujours à Sens, l’imitation de la charte royale se lit aussi dans la mention de commandement, portée à gauche du repli (Per dominum archiepiscopum, presente domino J. de Sancti Germani Monte, cancellario domini regis Navarre : Arch. nat., S 1170, n° 1) ; mais le formulaire de l’acte est surtout sous l’influence du vocabulaire juridique de l’acte de juridiction gracieuse. Dans un autre acte, de 1351, le dispositif est toujours décalqué de l’acte royal, cette fois en latin (laudavimus, approbavimus, auctorizamus et confirmavimus, laudamus, approbamus, auctorizamus et nostra auctoritate ordinaria tenore presentium confirmamus : Arch. nat., J 462, n° 48).
29 Bon exemple d’imitation dans la forme et d’intrusion de formules royales dans un acte de 1326 (c’est pourtant une institution de juges délégués : Arch. dép. Seine-Maritime, G 1228), plus patente encore dans un acte de 1328 (notification d’un accord sur le droit de patronat d’une chapelle : ibid.) et en un autre, de 1351 (donation de l’archevêque : Arch. dép. Seine-Maritime, G 3571).
30 Quand, en 1325, l’évêque de Paris annule la sentence de son prédécesseur sur les thèses de Thomas d’Aquin, il reprend bien l’incipit de préambule Magistra rerum experientia…, il parle bien de sacrosancta Romana ecclesia fidelium omnium mater et magistra, mais il ne peut autrement formuler son dispositif qu’en ex certa scientia tenore presentium totaliter annullamus, à la façon d’un ordre royal (Chartularium Universitatis Parisiensis, t. 2, p. 280, n° 838). De la même façon, quand, en 1408, l’archevêque de Lyon enjoint de publier l’élection du nouvel archevêque de Rouen : la forme (écriture et format), nettement royale, l’emporte très largement sur de maigres emprunts au formulaire pontifical (humiliter nobis fuit supplicatum, ou considerantes quod greges Domini diu carere non debent cura pastoris), qui le disputent à grand-peine aux emprunts royaux du type districte precipiendo mandantes (Arch. dép. Seine-Maritime, G3588).
31 Registrum visitationum archiepiscopi Rothomagensis, éd. Théodore Bonnin, Rouen, 1852.
32 D’un côté, par exemple : tractatu habito diligenti, ou Scientes quod si alique contradicentes fuerint aut rebelles, ipsas taliter puniremus quod pena unius erit aliis in terrorem, ou encore Scituri quod si quem circa premissa negligentem invenerimus aut rebellem, ipsum taliter puniemus quod pena unius erit aliis in terrorem ; si vero abbas vel prior qui presunt capitulo in hac parte negligentes extiterint, nos ipsos gravius puniemus. De l’autre côté, à saveur plus nettement pontificale : prout nobis intimastis, ou per vestras litteras nobis exhibitas… ut dignaremur electionem hujusmodi confirmare… ipsas duximus approbandas, ou encore Cum nos in prioratu vestro multa nuper que ad statum communem pertinent invenimus corrigenda et ex injuncto nobis officio teneamur ea, quantum in nobis est, ad statum reducere regularem…, exemples pris comme au hasard dans Bonnin, p. 4 et 6 [1248], p. 44 et 56 [1249].
33 Au préambule assez commun que donne Eudes en 1247 : Legimus esse scriptum quod sancta est et salubris cogitatio pro defunctis exorare ut a peccatis solvantur, en succèdent de mieux polis en 1280 : Noveritis quod nos, cultum ampliare volentes, attendentes etiam quod illi magno digni sunt honore venerari in terris quos in celis Rex regum inmensa gloria cumulavit, ob devocionem quam habemus ad sanctum Ansbertum, quondam Rothomagensem archiepiscopum, de pago Vulgasino in vico Calceio oriundum, apud Deum meritis excelsum, dedimus et concessimus venerabilibus et discretis viris dilectis in Christo filiis decano et capitulo…, et d’autre part Noveritis quod nos, attendentes secundum beatum Augustinum defunctorum animas pietate suorum vivencium relevari, cum pro illis sacrificium Mediatori offertur vel elemosine fiunt in ecclesia, et quod, prout in libro Machabeorum legitur, sancta et salubris est cogitacio pro defunctis, maxime domesticis, exorare, dedimus et concessimus… (Arch. dép. Seine-Maritime, G 3587).
34 Acte de dédicace d’église, 1283 (Gallia christiana, t. 14, Instrumenta, col. 92, n° lxxi) : Etsi Deum cum sanctis suis et loca sanctorum qui, suscepta de manu Dei superna benedictionis laurea, in perenitate laudis et glorie delectantur venerari jubemur, multo magis loca genitricis Dei, virginis Marie, quae castitatis est mater, pudoris aula, pudicitie conservatrix, vas munditie Deique et hominum mediatrix, cum summa reverentia frequentare debemus, ut eadem existens assiduo ad Christi dexteram super ordines angelorum pro nobis peccatoribus apud ipsum Dei unigenitum intercedat
35 Et ce même en écartant les cas de lettre au roi ou à un prince royal, où les formules de salut empruntent à la vulgate des salutem, reverentiam et honorem (Lisieux, 1221 : Arch. nat., J 344, n° 1), saluz avec toute enneur et reverence et foi appareillie a sa volenté en toutes choses (Meaux, 1299, lettre à Charles de Valois : Arch. nat., J 165, n° 70), et autres salut, ensemble honneur (Arles, 1479 : Arch. nat., J 343, n° 130).
36 Forme royale, formules royales : sachent tuit que nous, considerans plusieurs grands biens, honneurs … li avons donné, remis et quittié, donnons, remetons et quittons de notre pure volenté (Arch. nat., J 152, n° 21).
37 Forme royale à une missive : Arch. nat., J 442, n° 183.
38 On y ajoutera l’inscription, sur la gauche du repli, de la mention de commandement (Par monseigneur) et du paraphe du scribe : Arch. nat., J 185B, n° 40 (voir planche n° 3).
39 Arch. nat., J 585, J 914, J 985, J 987, J 989…
40 Meaux, 1299 : sauz tout notre droit (lettre à Charles de Valois : Arch. nat., J 165, n° 70). Tournai, 1333 (n. st.) : salvo jure quolibet alieno (ordonnance sur l’admission à la maison des prêtres émérites de Tournai, communication Jacques Pycke). Metz, 1485 : saulf notre droit et l’autruy (Arch. nat. J 987, n° 15).
41 Verdun, 1411 : car ainsi le voulons estre fait (Arch. nat., J 914).
42 Albi, 1307 (Arch. nat., J 392, n° 21ter). Mais ceci, il est vrai, aussi bien à Bordeaux en 1263 (lettre de l’archevêque à celui de Bourges pour excuser son absence à un synode : Gallia christiana, t. 2, Instrumenta, p. 293, n° xxxvi).
43 Langres, 1247, pour le préambule et l’ouverture de l’exposé : Cum ordo Cisterciensis tanquam quoddam speciale speculum religionis et sanctitatis… effulgeat, tanto ei liberalius et habundantius in suis est necessitatibus succurendum, quanto ipse necessitatibus omnium propensiori caritatis largitate dinoscitur subvenire. Quia igitur, sicut credimus, non absque nutu et aspiratione divina… (Chartularium Universitatis Parisiensis, t. 1, p. 208, n° 177).
44 Particulièrement caractéristique, cet acte d’indulgence délivré par l’archevêque d’Auch en 1251 : … universis Christi fidelibus per Aucitanam diocesim constitutis, salutem et in bonis semper operibus abundare. Quoniam, ut ait Apostolus, omnes stabimus ante tribunal Christi, recepturi prout in corpore gessimus, sive bonum fuerit sive malum, oportet nos diem messionis extreme misericordie operibus prevenire ac eternorum intuitu seminare in terris quod reddente Domino cum multiplicato fructu recolligere valeamus in celis, firmam spem fiduciamque tenentes ; quoniam qui parce seminat parce et metet et qui seminat in benedictionibus de benedictionibus et metet vitam eternam. Cum igitur monasterium … caritatem vestram rogamus, monemus et exhortamur in Domino, in remissionem vestrorum peccaminum injungentes quatenus de bonis vestris collatis a Deo reparationi dicti monasterii pias elemosinas et grata caritatis stipendia per latorem presentium transmittatis… (Gallia christiana, t. 1, Instrumenta, p. 168, n° xviii). Le préambule cite Rom. 14, 10 (omnes stabimus ante tribunal Christi), II Cor. 5, 10 (ante tribunal Christi ut referat unusquisque propria corporis, prout gessit, sive bonum sive malum) et textuellement II Cor. 9, 6 (qui parce seminat… de benedictionibus et metet). Pour ne prendre que quelques exemples, presque au hasard, le préambule et quasi tout le formulaire se retrouvent, à de minimes variantes près, d’une part dans une série d’indulgences épiscopales (Nikolaus Paulus, Geschichte des Ablasses im Mittelalter, vom Ursprunge bis zur Mitte des 14. Jahrhunderts, Bd. 2, Paderborn 1923, Kap. XIV, p. 61–72, en cite plusieurs mais sans signaler le phénomène) : Thérouanne en 1256 (Gallia christiana, t. 10, Instrumenta, col. 411, n° xxix), mais encore Spire en 1264 (copie défectueuse en fac-similé dans Catherine Grodecki, Guide des sources de l’histoire de l’art et de l’architecture en Alsace, XIe–XVIIIe siècle, Strasbourg 1996, p. 120–121) ; d’autre part dans une lettre d’indulgence d’Innocent IV, en date du 5 mars 1246, en faveur des frères mineurs de Compiègne (Cartulaire de l’abbaye de Saint-Corneille de Compiègne, éd. Chanoine Morel, t. 2, Paris 1909, n° 540, p. 300–301). La recherche serait à faire plus méthodiquement, mais il se peut que ce formulaire très homogène se soit diffusé progressivement, sur l’actuel territoire français, dans les années 1230–1250. À s’en tenir aux actes recensés par August Potthast et à leur incipitaire, les premières indulgences pontificales pourvues de ce préambule émanent d’Honorius III (sur l’emploi, en 1224–1225, par un légat pontifical : Falko Neininger, Konrad von Urach [… 1227], Zähringer, Zisterzienser, Kardinallegat [Paderborn 1994], p. 576) ; mais il faut attendre 1230 pour en voir une adressée à un destinataire français, qui développe peu ou prou toutes les formules ensuite reprises par les évêques français (Potth. 8558 = éd. dom Michel Félibien, Histoire de la ville de Paris, t. 3, Paris 1725, p. 67–68). Cette observation concorderait avec le fait que des indulgences épiscopales « françaises » antérieures, à Grenoble en 1219, à Chartres en 1224 (resp. Gallia christiana, t. 16, Instrumenta, col. 92–94, n° xxvi, et t. 11, col. 143, n° xvi), n’offrent que dans leur dispositif quelques expressions communes au formulaire ensuite diffusé, qui est encore en usage au XVe siècle (voir note 47, pour Saint-Flour). Une formule toute prête, à l’origine de bien de celles qui sont ici signalées (tout le préambule à deux minimes variantes près, et une partie du dispositif), était proposée par Latran IV, canon 62, pour les indulgences épiscopales confiées à des quêteurs : Conciliorum oecumenicorum decreta, éd. Giuseppe Alberigo et al., editio altera (Bâle 1962), p. 239. Dans l’adoption de ce formulaire par les évêques, la réception du concile le dispute donc à l’influence pontificale stricto sensu.
45 Voir p. ex. Vaison, 1319 : Ad Vasionensem ecclesiam, cui licet immeriti disponente Deo presidemus, mentis nostre oculos dirigentes… et desiderabiliter affectantes in ea cultum divini numinis augmentari… (Gallia christiana, t. 1, Instrumenta, p. 151, n° ii). Ou encore Uzès, 1424 : Sane petitio pro parte vestra nobis exibita continebat quod vos pro zelo devotionis… Verum quia… concedere dignaremur… Nos igitur… susceptum propositum et devotionem in Domino commendantes… (confirmation de la fondation d’un ermitage : Gallia christiana, t. 6, Instrumenta, col. 309–310, n° xx).
46 En 1380 : Etsi cunctorum justa petentium votis ex debito pastoralis officii nobis injuncti teneamur favorabiles inveniri, multo magis illorum quorum petitiones in divini cultus ordine augmentum ac aliorum redundant commodum pariter et honorem. Sane, dilectus noster venerabilis vir magister Michael de Dainvilla… (Arch. nat., M 118, n° 6). En 1415 : Porrecta nobis pro parte dilectorum nobis in Christo [toujours pas de filiorum !] religiosorum prioris et conventus… continebat… Nos igitur cupientes… (Arch. nat., L 912, n° 38). En 1448 : Exhibita siquidem pro parte nonnullorum devotorum… nobis petitio continebat… Nos igitur, qui pia fidelium vota eorumque salubria sesideria [sic] in illis maxime per que cultus augmentatur divinus et divini servicii cultoribus… prout ex commisso nobis astringimur officio pastorali… suum devotum et Deo amabile propositum laudantes et approbantes… (copie défectueuse dans un vidimus du roi Louis XI : Arch. nat., K 951, n° 72). En 1450 : Ad illa devocionis opera libenter inclinamur pastorali sollicitudine coartati quibus pia fidelium vota eorumque salubria desideria in divini cultus augmentum inardescunt… Sane pro parte magistrorum… porrecta nobis humilis peticio continebat… Eapropter… nobis humiliter supplicarunt… Hinc est quod nos commissi nobis gregis… omni sollicitudine confovere et adaugere cupientes devotis… petitionibus… devotum propositum laudantes… (Arch. nat., K 1043, n° 61). En 1481 : Sollicitudo pastoralis nobis commissi officii animum nostrum pulsare non cessat ut subditarum nostrarum, presertim religiosarum, ecclesiarum paci et tranquillitati invigilemus et sanctorum patrum instituta in eisdem, quantum cum Deo possumus, irrefragabiliter observari faciamus. Sane cum nuper visitationis officium… Quapropter… (notification d’un accord entre l’abbé et le convent de Saint-Victor de Paris : Gallia christiana, t. 7, Instrumenta, col. 135, n° clxxvi). Le phénomène est d’autant plus net que ce formulaire se transmet d’un évêque à l’autre : les formules, préambule compris, de l’acte cité de 1450 se retrouvent presque à l’identique dans un autre acte épiscopal, délivré en 1496 en faveur d’une autre confrérie (Arch. nat., L 912, n° 41).
47 En 1387 : Exposuerunt nobis venerabile collegium… qualiter… humiliter supplicarunt quatenus super hiis taliter providere de opportuno remedio dignaremur… Vestris igitur supplicationibus inclinati, premissis attentis et diligenter consideratis, de speciali gracia vobis concedimus… (dispense accordée aux chanoines de la collégiale Notre-Dame de Murat d’assister aux synodes : Arch. dép. Cantal, 6G5). En 1429 : [Meritorium…] et Deo placentem facere credimus si ea concedimus, creamus et approbamus que ad ipsius laudem et divini cultus exultationem, honorem et gloriam ac salutem [les répétitions ne sont guère pontificales] populi necnon fidelium animarum et ea ad eternam rei memoriam approbamus. Eapropter noveritis quod nobis humiliter et benigne signifficare curaverunt pie devotionis effectu… (création et statuts du chapitre Saint-Étienne d’Oradour : Arch. dép. Cantal, 7G3). En 1454 : Quoniam, ut ait Apostolus, omnes stabimus ante tribunal Christi… Cum igitur pro parte dilectorum nostrorum… expositum… extitit quod… Eapropter compacientes… et ne divini cultus officium in dicta ecclesia valeat diminuiri et alias intuitu pietatis et paterni amoris… (octroi d’une indulgence aux corroyeurs de Notre-Dame de Saint-Flour : Arch. dép. Cantal, 1Fi1, affiche n° 1).
48 En 1343 : Igitur cum dilecti nobis in Christo filii… pie intentionis ducti proposito… Nos vero eisdem in hac parte benigno concurrentes assensu, mais en ajoutant aussitôt un fort peu pontifical immo congaudentes applausu, et après un préambule, original, à la gloire de la Vierge (indulgence : communication Jacques Pycke). En 1344 : Christi fidelium vota que ad divini cultus augmentum hanelant libenter inspicimus et ut suum sortiantur effectum libencius damus opem et operam efficaces. Cum igitur dilecti nobis in Christo filii… de bonis sibi a Deo collatis de novo fundaverint… nobisque ex parte ipsorum fundatorum humiliter extitit [lacune] supplicatum ut ad confirmationem dicte capellanie… auctoritate nostra ordinaria procedere dignaremur, nos volentes in negociis hujusmodi cum omni maturitate procedere… Propter quod nos attendentes…, mais avant un dispositif en laudamus, ratificamus, approbamus et presentis scripti patrimonio confirmamus (confirmation de fondation d’une chapellenie : édition, ici amendée, dans Frans De Potter, Geschiedenis der gemeenten van de provincie Oost-Vlanderen, 3de Reeks, Arrondissement St. Nicolaus [Gand 1877–1881], t. 2, note 3 aux p. 41–42). En 1360, bon exemple de réélaboration du préambule pontifical, ici adapté à l’institution d’une fête : Si populi nobis licet immerito a Deo crediti excitare devotionem et animarum salutem procurare ecclesiasque nostro regimini subjectas ac sanctorum et sanctarum in eis quiescentium reliquias a Christi fidelibus congrua devotione venerari desiderabiliter affectamus, gratum Deo pariter et acceptum famulatum impendere credimus nostrumque pastorale officium salubriter exercere (Bulletin de la Commission royale d’histoire, 73, 1904, p. 686–687).
49 En 1359 : Porrecte nobis vestre supplicationis continebat effectus quatenus ut, non obstante ecclesiastico interdicto aut cessu in loci parrochia apposito seu servato, missas et alia divina officia in ecclesia vestra januis clausis celebrari facere et eisdem interesse possetis… concedere dignaremur. Hinc est quod nos, Dei servitium augmentare devotionique ac animarum vestrarum saluti providere, quantum in nobis est, intime affectantes… de speciali gratia concedimus… [mais ensuite : per presentes] … jure parrochiali semper salvo (Bulletin de la Commission royale d’histoire, 79, 1910, p. 586–587). En 1379 : Gratum Deo prestare credimus obsequium cum Christi fideles ad id inducimus per quod divinus cultus augmentatur et salus acquiritur animarum. Cupientes igitur… (indulgence : Bulletin de la Commission royale d’histoire, 80, 1911, p. 605). En 1400 : Jugis illa devocio sub qua devotum et sedulum Altissimo impenditis famulatum nos inducit ut vestris votis, praesertim hiis quae ad vestra ordinis regularis observationis augmentum predisponuntur, quantum cum Deo possumus, favorabiliter annuamus. Exhibita siquidem pro parte vestra petitio continebat ut… rata et grata habere dignaremur [mais ensuite : atque presentium robore confirmare] … de nostra auctoritate indulgere misericorditer dignaremur. Nos itaque, vestris piis supplicationibus inclinati… ex nostra certa scientia vobis concedimus de novo, jurisdictione ordinaria in omnibus semper salva… (confirmation de l’établissement d’un couvent de chanoines réguliers : Bulletin de la Commission royale d’histoire, 113, 1948, p. 147–148).
50 Outre les remarques faites au fil des citations qui précèdent : jure vestro tamen in omnibus semper salvo, de devotione vestra in Domino confidentes (Tournai, 1341 [n. st.] : Cartulaire de l’église collégiale de Saint-Pierre de Lille, éd. Edouard Hautcœur, t. 2, Lille-Paris 1894, p. 696–697).
51 O. Guyotjeannin (voir note 15).
52 Ce qui est évident et bien connu des ministres franciscains dès le milieu du XIIIe siècle, ne semble pas moins vrai des abbés de Cluny. Un exemple parmi d’autres avec cet acte du 5 juillet 1447, où on lit, après un salut passe-partout : Cum ex cura gregis et administracionis nobis commissorum teneamur commodis nobis subditorum locorum et personarum diligencius invigilare, libencius intendimus ad illa per que commodius succurratur indempnitati venerabilium locorum ordinis nostri et conservacionis augmentacionem [sic] divini cultus et neccessitatibus personarum inibi Altissimo sub nostra obediencia famulancium. Cum itaque, sicut accepimus… Eapropter premissis indempnitatibus et necessitatibus providere volentes… (copie XVIe siècle, Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1G5, n° 5, fol. 11–12).
53 Georges Tessier, Observations sur les actes royaux français de 1180 à 1328, dans : BECh, 95, 1934, p. 31–73.
54 Premiers éléments de comparaison dans Engelbert Mühlbacher, Kaiserurkunde und Papsturkunde, dans : Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, Erg. Bd. 4, Innsbruck 1893, p. 499–518.
55 Recueil des actes de Louis VI, roi de France, éd. Jean Dufour, t. 3 (Paris 1993), Introduction, p. 42.
56 Georges Tessier, Diplomatique royale française (Paris 1962), p. 218.
57 L’imitation par le roi de France est plus précoce que ne le disent les commentateurs, qui ont insisté sur les développements du type aux XIVe et XVe siècles (Tessier, p. 241), alors que saint Louis, dès mars 1269 (n. st.), use de cette formule de perpétuité (Ordonnances, t. 1, p. 97).
58 Pour les actes d’administration courante, renvoi est fait à la contribution de Hans-Günther Schmidt dans le présent volume.
59 Comme le rappelle John Baldwin, Philippe Auguste (trad. fr. Béatrice Bonne, Paris 1991, éd. amér. 1986), p. 522.
60 Comme le souligne Robert Fawtier, dans son introduction à Registres du Trésor des chartes, inventaire analytique, hg. Jean Glénisson et Jean Guerout, t. 1 (Paris 1958), p. xviii–xix.
61 Paris, Bibliothèque nationale de France, ms fr. 5024, fol. 5v : le surplus comme en la forme commune ; fol. 96r : quant ilz sont en forme commune.
62 Ibid., fol. 95v : On doit garder le stile ancien au plus pres qu’on peut, mesmement au regart des lettres communes, car la forme en est visitee de si long temps qu’il n’est ja besoing de la muer ; fol. 96r : toutes lettres, tant communes comme de justice. Voir aussi cette mention hors-teneur : Transeat in gallico de gratia contra stillum cancellariae en 1351 (Arch. nat., JJ 80, fol. 212v).
63 Alain de Boüard, Manuel de diplomatique française et pontificale, t. 1 (Paris 1929), p. 80, et pl. vi (déjà signalé par Paul Thomas en 1925).
64 Olivier Martin, La nomination aux offices royaux au XIVe siècle d’après les pratiques de la chancellerie, dans : Mélanges Paul Fournier, Paris 1929, p. 487-501 ; Raymond Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois (Paris 1958, Bibliothèque elzévirienne, études et documents), p. 340–342 ; et surtout Françoise Autrand, Offices et officiers royaux en France sous Charles VI, dans : RH, 242, 1969, p. 285–338, spéc. p. 313–316 ; l’auteur cite (p. 316, n. 2) cette déclaration, qui montre une osmose parfaite, dans un registre du Parlement (Arch. nat., X1A 17, fol. 116r) : nulla concessio aut provisio beneficii seu officii sub expectatione valebat.
65 Voir à cet égard la belle collection de suppliques au roi, transmise par les papiers de Jean Bourré, secrétaire de Louis XI (Bibl. nat. de Fr., ms fr. 20495).
66 Per nimiam importunitatem sous Innocent III, importuna improbitas petentium chez Jean XXII : exemples cités par Othmar Hageneder, Probleme des päpstlichen Kirchenregiments im hohen Mittelalter, Ex certa scientia, non obstante, Registerführung, dans : Lectiones eruditorum extraneorum in facultate philosophica Universitatis Carolinae Pragensis factae 4, 1995, p. 65–66, n. 71, et p. 66, n. 75.
67 Ordonnances, t. 4, p. 418 (28 avril 1364).
68 Ordonnance sur le gouvernement des finances, 10 février 1445 (n. st.), § 4 : Documents relatifs à l’administration financière en France de Charles VII à François Ier, éd. Gilbert Jacqueton (Paris 1891), n° iii, p. 19.
69 Dans les années 1370, le notaire et secrétaire, garde des chartes du roi, Gérard de Montaigu, note, comme l’une des causes possibles de non-enregistrement des actes, la prosequencium festinacionem aut importunitatem : Alexandre Teulet, Notice préliminaire, [introduction à] Layettes du Trésor des chartes, t. 1 (Paris 1863), p. xxxviii. Expression apparemment consacrée à la chancellerie des Valois, que Georges Tessier (Diplomatique royale française, p. 290, note 1) a retrouvée, inscrite après le début de la transcription interrompue d’un acte de Philippe VI : reddita sine registr. propter importunitatem aliquorum prosequentium.
70 Exemple de 1343 relevé par Olivier-Martin, Lettres sur requête et lettres motu proprio, dans : Revue historique de droit français et étranger, 60, 1936, p. 407–408, qui insiste sur le succès mélangé de la formule : dès François Ier, la clause est insérée « au hasard » et très vite prévaudra l’idée qu’elle n’avait pas de valeur particulière pour empêcher les oppositions.
71 Ainsi, chez Huguccio, quod tunc videtur papa vel princeps ex certa scientia derogare precedenti… : cité par Jacques Krynen, « De nostre certaine science », remarques sur l’absolutisme législatif de la monarchie médiévale française, dans : Renaissance du pouvoir législatif et genèse de l’État, éd. André Gouron et Albert Rigaudière, Montpellier 1988 ; Publications de la Société d’histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, 3, p. 131–144, à la p. 139 et note 37.
72 Othmar Hageneder, Probleme, p. 49–77, resp. p. 71 et 68. Voir aussi son étude dans le présent volume.
73 Ibid., p. 71–72.
74 Jacques Krynen, « De nostre certaine science » ; rapidement résumé, dans : idem, L’Empire du roi, idées et croyances politiques en France, XIIIe–XVe siècle (Paris 1993 ; Bibliothèque des histoires), p. 397–400. La datation, trop basse, de l’apparition de la certa scientia à la chancellerie pontificale doit être maintenant revue à la lumière de l’article cité d’Othmar Hageneder. Cette rectification chronologique faite, l’important est bien dans la liaison avec des formules disant la grandeur royale : elle permet d’écarter une simple transmission depuis les formulaires de juridiction gracieuse, où la certa scientia garantissait aussi depuis un siècle la validité des actions juridiques.
75 Georges Tessier, Observations, p. 54, pour qui la remarque vaut aussi pour la formule de speciali gratia.
76 Ordonnances, t. 1, p. 75. Mais à l’inverse, confirmant un acte du duc de Bretagne (décembre 1268) qui utilisait les formules promittentes bona fide, ex certa scientia, voluntate spontanea, le roi de France laisse tomber celles-ci (Arch. nat., K 32, n° 11).
77 Ad regiam sollicitudinem summopere respicit ut ab ecclesiis sibi commissis importunam luporum rabiem arcendo procul exterreat et in ejus partem conservandam studium sancte sollicitudinis apponat ; hinc est quod progenitorum nostrorum vestigiis inherendo… (1221–1222 pour l’ordre de Cîteaux : Recueil des actes de Philippe Auguste, t. 4, éd. Michel Nortier, Paris 1979, n° 1757). Le décompte donné ci-dessus est fait sur l’ensemble de ce volume.
78 Ordonnance sur les juifs relaps de 1144 : l’emprunt a été remarqué par Gérard Giordanengo, Le pouvoir législatif du roi de France, XIe–XIIIe siècle, travaux récents et hypothèses de recherche (dans : BECh, 147, 1989), p. 283–310, à la p. 298, note 54.
79 Ordonnance d’avril 1228 (a. st.) contre les hérétiques du Languedoc : Cupientes in primis etatis et regni nostri primordiis illi servire a quo regnum recognoscimus et id quod sumus, desideramus ad honorem ipsius qui nobis culmen dedit honores [sic pour honoris] quod ecclesia Dei, que in partibus nostris longo tempore fuit afflicta et tribulationibus concassata, in nostro dominio honoretur et fideliter gubernetur… (Ordonnances, t. 1, p. 50–51). On notera le retour insistant du cursus velox à la fin du passage.
80 Acte pour l’évêque de Maguelonne, juin 1230 : Recueil général des anciennes lois françaises, éd. François-André Isambert, Decrusy et Athanase Jourdan, Paris, [1821]–1833, 29 vol. [désormais : Isambert], t. 1, p. 235.
81 Acte de réformation des abus du bailli de Beaucaire, juillet 1254 : Isambert, t. 1, p. 264.
82 Ordonnances, t. 1, p. 67.
83 Du règne de saint Louis, autant les ordonnances mentionnées ci-dessus ont apporté, autant un rapide dépouillement du tout-venant des actes (Arch. nat., JJ 30A, fol. 90–207) a été décevant.
84 Ordonnance contre les usuriers de 1274 : Extirpare volentes de finibus regni nostri usurariam pravitatem quam quosdam Lombardos et Coarcinos [sic] … in eodem regno publice intelleximus exercere… (Ordonnances, t. 1, p. 299). Plus nettement encore, ordonnance sur les amortissements de 1275 : Ecclesiarum utilitati et subjectorum quieti providere volentes, deliberatione provida precedente, in forma que sequitur duximus ordinandum… (ibid., p. 303). On notera au passage que les royaux subjecti remplacent, avec une belle postérité, les pontificaux subditi. Plus originale, la réponse en forme de consultation à une demande de l’archidiacre de Ponthieu et d’un chanoine de Rouen : super singulis ad nos missis articulis, de quibus curiam nostram consulere voluistis, sic duximus respondendum (ibid., p. 301–302).
85 Jacques Krynen, Idéal du Prince et pouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge, 1380–1440, étude de la littérature politique du temps (Paris 1981), spéc. p. 228–239. Faut-il rapprocher, de cette forte emprise des thèmes pontificaux à la chancellerie royale, l’apparition, au sein de celle-ci, d’un « protonotaire », dont la titulature sonnerait « romaine » ? Il y a eu, en tout cas, jeu de mot derrière la saveur peut-être pontificale du terme : le protonotaire de Philippe le Bel, Geoffroy du Plessis, était chargé de conférer l’investiture royale aux notaires publics créés par le souverain.
86 Fritz Kern, Acta Imperii, Angliae et Franciae ab anno 1267 usque ad annum 1313, Dokumente vornehmlich zur Geschichte der auswärtigen Beziehungen Deutschlands (Tübingen 1911), n° 285, p. 226.
87 Ordonnances, t. 1, p. 379.
88 Quia Flamingorum rebellium nostrorum nefanda perversitas magis ac magis cotidie invalescens ad subversionem… : Ordonnances, t. 1, p. 382.
89 Acte du 13 juin 1309 : Edmond Cabié et Louis Mazens, Un cartulaire et divers actes des Alaman (Toulouse 1882), p. 164–166.
90 Privilèges concédés aux Lombards et Italiens, 1295 : Ordonnances, t. 1, p. 326.
91 Lettre aux évêques de Normandie contre les oppressions des baillis, 3 mars 1300 (n. st.) : ibid., p. 334.
92 Ordonnance en faveur des églises du Languedoc, 3 mai 1302 : ibid., p. 341.
93 Le roi autorise les ecclésiastiques à plaider par procureurs, 1290 : ibid., p. 318.
94 Ordonnance sur les amortissements, 1291 : ibid., p. 323.
95 Interdiction faite à des baillis de porter tort à des ecclésiastiques, 1299 : ibid., p. 331. À comparer avec : Graves clamores et multiplices frequenter tam ad nos quam gentes nostras perveniunt… (ordonnance sur les bâtardises et aubaines, 12 mars 1302 [n. st.] : ibid., p. 338).
96 Lettre en faveur du duc de Bretagne, 1302 : ibid., p. 369.
97 Dons aux Hôtels-Dieu, avril 1309 : ibid., p. 473.
98 Ordonnance déjà citée de 1295 pour les Lombards et les Italiens.
99 Interdiction d’exporter des marchandises, février 1306 (n. st.) : Liquet cunctis quod nobis ad regni regimen a Deo positis ex officii necessitate incumbit quod, videntes presentia, attendere debemus media et ad instar previsorum sagacium pensemus quae circa hec, secundum cursum futurorum temporum, de bonis necessariis ad subditorum necessariam sustentationem fuerint ordinanda, ut per subtilem et Deo placentem speculam ac meditationem sedulam nostri regnicole temporalibus non destituantur auxiliis sed, ad serviendum Deo prompti, bonis ipsis competenter valeant sustentari. Et quamquam nostris proximis, nobis et regno nostro benivolis, quos affectu sincero prosequimur bonum gerentes amorem, eos confovere fideliter proponamus, tamen, quia « ordinata charitas rite in quosquam a se ipsis incipit » crudelitatique proximum existat, agro in quo fons nascitur sitiente exhinc ad aliorum agrorum usum aquam duci, damnosumque foret ut nostri emuli et inimici nobis et regno confortentur et consolentur ex ipsis per hoc Deo et justitie repugnantes ex iis indebite confortari. Ideo circa hoc consulte et de nostrorum fidelium consilio ordinamus secundum Deum rationemque naturalem et justam… (Ordonnances, t. 1, p. 422). C’est le plus long, le plus intéressant, et aussi le plus composite des préambules repérés.
100 Ordonnance de 1315 sur la juridiction royale en Bretagne : Novit ille qui scrutator est cordium et cognitor secretorum quod, postquam ad apicem regie dignitatis divina clementia nos provexit, nostre semper extitit et adhuc est voluntatis intentio et ad hoc nostra desideria diriguntur ut subjectum nobis populum in quiete pacis et vigore justitie conservemus (ibid., p. 620).
101 Acte du 5 avril 1322 (n. st.) : Inter ceteras curas sollicitudinis sue en parlant de son frère défunt Philippe V, mais la formule est noyée dans l’exposé (ibid., p. 762). Inter curas assiduas et immensas sollicitudines en janvier 1325 : ibid., p. 784.
102 Souvenir pontifical, peut-être, mais sûrement pas style curial, dans le préambule d’un acte sur la solde des gens de guerre en juin 1338 (Ad populorum regimen et tutelam constituti sunt in orbe terrarum ab eo per quem reges regnant… : Ordonnances, t. 2, p. 122 ; le constituti sunt n’est pas de la meilleure venue). Et encore plus de platitude dans un règlement des monnaies adressé au prévôt de Paris en 1343 : Apres le sauvement de nostre ame, nous avons souverain desir et tres especiale affection de gouverner nostre pueple en pais et en tranquillité… (ibid., p. 195).
103 28 août 1356 : Ordonnances, t. 14, p. 106.
104 Ordonnance sur la Normandie, 5 avril 1351 (n. st.) : Cupientes desideratis affectibus et assidue cura sollerti intendentes regni nostri a pia Omnipotentis providentia et disposita gratia suscepta gubernacula ad ipsius gloriam et honorem nostramque salutem et utilitatem subjectorum prospicere, guerre finem optatum, devictis hostibus, imponendo et feliciter regere, reparatis subjectorum oppressionibus, cuilibet justitiam administrando sicque submissus ditioni nostre plus nostro tempore pace plena et tranquillitate perfecta frui valeat et gaudere, que absque ejusdem populi consilio et speciali auxilio ad desideratum produci non possunt effectum, eapropter… (Ordonnances, t. 2, p. 402).
105 En 1351 : Regis eterni providentia per quam vivimus et regnamus nostre mentis aciem inducit ut progenitorum nostrorum vestigiis inherentes, qui fide preclari, caritate ferventes, devotione sinceri, sibi et subditis proficientes verbo et exemplo, subditos suos multis libertatibus et privilegiis munierunt multarumque largitionum liberalitate ditarunt, eorum concessiones, illas potissime quas rationis decor accingit, insequamur. Eapropter per presens privilegium pandimus universis… (Ordonnances, t. 2, p. 429–430). On aura noté au passage le nouvel emprunt de l’eapropter pontifical, concurremment au précieux pandimus, et la reprise assez exceptionnelle de subditi à la place de subjecti.
106 Signalé par Sébastien Barret (voir note 7), qui a développé l’analyse des sources et de la composition, très savante, de ce morceau de bravoure.
107 Exemple assez commun avec l’acte d’union de la ville de Vaucouleurs au royaume, le 4 juillet 1365 : Nos, attento quod in solio presidentem decet perspicere suorum acta seu gesta subditorum fidelium contemplari (Ordonnances, t. 4, p. 582). Plus recherché, le préambule d’une ordonnance sur l’exécution des jugements, le 4 août 1374 : Cum nostre regie magestatis intersit pro reformacione regni nostri diu diversimode gravati et oppressi abusus quoscumque per officiarios nostros introductos corrigere et populo nobis subdito in suis perplexitatibus et angustiis subvenire et ipsum populum a vexationibus relevare et in pace et sub justitie viribus fovere et finem litibus imponere breviorem… (Ordonnances, t. 6, p. 22).
108 En particulier avec les préambules qui disent la nécessité de suivre les traces des prédécesseurs. Par les vidimus d’actes anciens, enregistrés en chancellerie, les rédacteurs étaient en contact direct avec ces textes prestigieux. Un emploi, sous Charles V, est d’autant plus remarquable qu’il ouvre une lettre de sauvegarde royale – un type d’acte qui s’attire le plus souvent les réminiscences pontificales – pour Saint-Vincent de Senlis, de juillet 1365 : Crescit regale fastigium gratiamque mereri credimus et honorem si predecessorum nostrorum regum Francie devotorum piis vestigiis adherendo ecclesiis… talibus prosequamur graciis (Ordonnances, t. 4, p. 586).
109 Longues digressions sur la famille, les rapports du père et de ses enfants, truffées d’appels incessants à la res publica, au regimen regni, au status regnorum, qui en font de véritables petits traités : p. ex., pour les ordonnances d’août et novembre 1374, Ordonnances, t. 6, p. 26–28 et 49–50 ; sur l’arrière-plan de ces textes et l’entrecroisement de sources variées, il faut renvoyer à l’analyse de F. Autrand, La succession à la couronne de France et les ordonnances de 1374, dans : Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge, éd. Joël Blanchard, Paris, 1995, p. 25–32.
110 Par exemple : Ordonnances, t. 4, p. 472 (juillet 1364), p. 518 (28 janvier 1365), etc. Au juste, S. Barret (voir note 7) vient de relever ces mêmes constructions sous Jean le Bon, dévoilant aussi la pratique d’un incessant retravail des formules : Racioni congruum…, Racioni consonum…, Racioni non dissonum, ymo justum
111 Acte de sauvegarde pour l’hôpital de Bordeaux, 1451 : Ordonnances, t. 14, p. 164 (repris pour l’église de Bayonne, ibid., p. 170).
112 Acte de sauvegarde pour Saint-Ambroix de Bourges, 1455 : ibid., p. 375.
113 Acte pour l’archevêque de Narbone, 1463 : Racioni congruum arbitramur, si inter curas et sollicitudines quas frequenter habemus in regendis nostris subdictis ad hec nostre mentis aspiret affectus per que status ecclesiasticus nostris temporibus sub commisso nobis regimine in pacis tranquillitate manutenere valeat et tueri… ut eo libentius circa divina vacere valeant quo liberalius et abundancius per eandem potenciam sciverint se adjutas. Hinc est quod… (Ordonnances, t. 16, p. 4).
114 Les illustrations en sont innombrables. Par exemple, lorsque l’évêque de Metz fait en 1202 une pertinente critique d’une fausse lettre pontificale, ses arguments les plus forts concernent le style de celle-ci : eo quod stylum Romane Curie minime redolerent (Martène-Durand, Veterum scriptorum… amplissima collectio, t. 1, Paris 1724, col. 1065–1067).
115 Déjà relevé par Françoise Autrand, Culture et mentalité, les librairies des gens du Parlement au temps de Charles VI, dans : Annales, Économies, sociétés, civilisations, 28, 1973, p. 1219–1244, aux p. 1233–1234, l’inventaire des livres de Nicolas de Baye, en 1419, cite les epistres de Cassiodore, d’Urbain [II], de Pierre des Vignes, comme les epistres missives a l’empereur Frederic [II] : Journal de Nicolas de Baye, greffier du Parlement de Paris, 1400–1417, éd. Alexandre Tuetey, t. 2 (Paris 1888 ; Société de l’histoire de France), spéc. p. lxxix–xciv, § 13, 50, 83, 173. La même année, un autre notaire et secrétaire du roi, Nicolas de l’Espoisse dispose par testament, non seulement de sa Somme au Breton et de son Manipulus florum, mais encore des Epistres de Pierre de Blois et de Vineis : Testaments enregistrés au Parlement de Paris sous le règne de Charles VI, éd. Alexandre Tuetey (Paris 1880), n° 45, p. 368 et 372 (les autres testaments édités ou cités par Tuetey, contrôlés sur les sources, n’ont pas apporté d’autres données à cet égard). Sur l’imitation de préambules impériaux, il faut renvoyer encore aux analyses de S. Barret (voir note 7).
116 Vues d’ensemble avec bibliographie dans Jacques Verger, Le transfert des modèles d’organisation de l’Église à l’État à la fin du Moyen Âge, dans : État et Église dans la genèse de l’État moderne, Madrid 1986 ; Bibliothèque de la Casa de Velázquez 1, p. 31–39 ; Jean-Louis Gazzaniga, Les clercs au service de l’État dans la France du XVe siècle, à la lecture de travaux récents, dans : Droits savants et pratiques françaises du pouvoir, XIe–XVe siècle, éd. Jacques Krynen et Albert Rigaudière, Bordeaux 1992, p. 253–278.