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[p. 9] Aspect matériels et graphiques des documents mérovingiens

En raison de notre contact prolongé avec les originaux d’époque mérovingienne et de l’expérience que nous avons ainsi acquise1, nous entendons consacrer cet exposé à leurs aspects matériels et graphiques. Nous n’avons pas l’intention d’aborder le côté strictement diplomatique car il a été magistralement traité par GEORGES TESSIER et PETER CLASSEN2 qui ont, l’un et l’autre, exprimé l’estime qu’ils portaient à leurs travaux respectifs. D’autre part, CARLRICHARD BRÜHL est engagé depuis de nombreuses années dans la préparation d’une édition critique des diplômes royaux mérovingiens3 et il projette d’écrire un nouveau traité de diplomatique qui serait consacré non seulement à l’État Franc, mais aussi aux autres états qui ont succédé à l’Empire romain dans sa partie occidentale.

Pour commencer, rappelons très brièvement les faits connus. Parmi les cinquante-quatre documents mérovingiens conservés en original, trente-huit ont été établis au nom du roi et s’échelonnent chronologiquement des environs de 600 jusqu’au premier quart du VIIIe siècle4. Cette documentation est peu nombreuse si l’on songe aux innombrables actes royaux qui ont été expédiés au nom des souverains mérovingiens ; mais elle prend tout son relief par rapport aux deux cents documents de cette nature que nous connaissons grâce à des copies et dont la moitié s’est révélée falsifiée5. Depuis le XVIIe siècle, elle a retenu l’intérêt des plus grands diplomatistes. La valeur documentaire de ce dossier se manifeste pleinement si l’on considère l’ampleur, la fréquence et la diversité des actes royaux dont on peut encore soupçonner l’existence grâce à des mentions diverses dans des sources historiographiques et documentaires.

Par conséquent, malgré son intérêt, on ne peut pas regarder le groupe des actes conservés comme représentatif de la réalité telle qu’elle se présentait à l’époque mérovingienne. Bien au contraire, on peut considérer plutôt comme un handicap que comme un avantage le fait que, si l’on fait abstraction de deux documents, expédiés l’un pour Saint-Germain-des-Prés (ChLA XIV, 584) et l’autre pour Saint-Maur-des-Fossés (ChLA XIV, 583), tous les autres étaient destinés à l’abbaye de Saint-Denis ou ont été transmis par ses archives. Cette documentation peu nombreuse nous oblige donc à prêter attention aux plus petits détails susceptibles de servir à vérifier nos hypothèses, tout en étant conscients de son caractère partiel qui interdit des généralisations imprudentes.

Malgré les observations faites par quelques savants à propos de leurs détails graphiques, une paléographie des documents du haut Moyen Âge est encore loin d’être établie. Au contact direct des documents royaux mérovingiens et carolingiens, mais aussi à celui des documents de même époque, désignés d’une manière peu satisfaisante sous le terme d’actes privés, nous avons été amenés à penser que, [p. 10] paléographiquement parlant, une distinction entre actes royaux et actes privés n’est pas aussi nette, à cet époque, que celle qui a été établie en partant de la théorie de l’existence d’une chancellerie royale mérovingienne6. Sans pouvoir entrer dans les détails, contentons-nous seulement d’évoquer le problème de la rédaction matérielle des actes par l’expéditeur ou par le destinataire. Il est en fait ni neuf ni faux de constater qu’à cette époque seul le bénéficiaire avait à sa disposition tout le matériel documentaire, soit en original, soit en copie, nécessaire pour préparer des documents collectifs comme les confirmations ou même pour rédiger des faux. Étudié sous cet aspect, le dossier, qui, nous le rappelons, été transmis dans sa presque totalité par les archives de Saint-Denis, présente éventuellement des avantages exemplaires par sa cohérence.

Le fonds d’archives de Saint-Denis n’a jamais fait l’objet d’une étude moderne d’ensemble ni d’un recueil d’actes, sans même parler d’analyses7. Il contient pourtant la plus riche collection de documents sur papyrus de l’époque médiévale et particulièrement mérovingienne au nord des Alpes. Cette collection comprend quatorze diplômes royaux, cinq chartes privées et le procès-verbal d’un synode. Nous ne citerons que pour mémoire trois lettres, une d’un empereur byzantin8, une autre du pape Adrien Ier et la troisième de Maginarius, abbé de Saint-Denis, (ChLA XVI, 629 et 630) qui n’appartiennent plus à notre époque et un certain nombre de faux. Au total, les archives de Saint-Denis ont conservé jusqu’à nos jours trente-deux documents sur papyrus.

On peut s’étonner de constater que le nombre de ces documents est nettement supérieur à celui des feuilles de papyrus conservées, soit une vingtaine seulement. Cette différence s’explique surtout par les manipulations subies par cette documentation afin de fabriquer des actes destinés à défendre les intérêts de l’abbaye de Saint-Denis vis-à-vis de l’évêque de Paris et ses droits de possession. Ces faux ont visiblement été confectionnés au même moment en vue d’un procès jugé en 1065 par le pape Alexandre II à Rome9. Pour les réaliser, on a presque exclusivement utilisé comme support le papyrus. A cette fin, on a employé des originaux anciens sur papyrus qu’on a collés deux à deux, partie écrite contre partie écrite, afin de confectionner des supports vierges10.

Parmi les treize documents royaux sur papyrus, deux seulement n’ont pas servi à faire des faux, un précepte de Dagobert Ier (ChLA 554) et un acte synodal du 22 juin 654 (ChLA 558) intitulé au nom de Clovis II. Ce dernier document, le seul complet, entre dans la tradition représentée par les recueils réunissant à partir du XIe siècle des copies intéressant la gestion de Saint-Denis11. Les autres documents ont servi comme support pour des forgeries. Ils ne figurent pas dans la tradition médiévale des actes de Saint-Denis12. Dom JAQUES DOUBLET, en 1625, ignore encore leur existence13. Certains sont découverts et publiés pour la première fois par dom JEAN MABILLON, à l’exception de l’acte synodal que DOUBLET avait édité, sans doute d’après les cartulaires14. Trois documents (ChLA 552, 553 et 555) ne seront mis au jour qu’au XIXe siècle ; ils seront publiés pour la première fois par ALEXANDRE TEULET, HENRI-LEONARD BORDIER et JULES TARDIF15.

[p. 11] Nous ignorons pourquoi ces documents ont été utilisés pour créer le support nécessaire à la confection de faux. Sans doute avaient-ils perdu leur intérêt historique et documentaire, à l’exception de l’acte synodal qui est resté intact. Quoiqu’il en soit, cet emploi de documents sur papyrus afin de faire des faux a sans doute assuré leur conservation16.

Il est d’autre part intéressant de constater que les actes sur papyrus ne portent aucune mention dorsale alors que des archivistes de Saint-Denis ont transcrit de nombreuses indications au dos des parchemins, analyses et cotes notamment, et cela dès le VIIIe siècle au moins17.

Pour terminer, rappelons que le dernier acte royal sur papyrus peut être daté entre 659 et 673 (ChLA 562). Le papyrus a encore servi en 691 pour transcrire un acte d’échange entre Magnoald et Lambert (ChLA 563). Maginarius, abbé de Saint-Denis, en voyage en Italie du sud, a utilisé du papyrus pour écrire une lettre en 788 (ChLA XVI, 629).

Le premier document mérovingien sur parchemin est un acte privé émané d’une dame Clotilde en 673 (ChLA 564). Le premier acte royal sur ce support est intitulé au nom de Thierry III et il date de 677 (ChLA 565). Désormais le parchemin sera le seul support utilisé pour les actes royaux dans les états Francs, du moins c’est ce que laisse penser la documentation subsistante.

Au premier abord, on est frappé par la variété des écritures employées dans les documents royaux. Cette variété est évidemment due pour une part à l’évolution subie par l’écriture au cours de deux siècles ; mais aussi, pour une autre part, aux caractéristiques personnelles des différents scribes. La différence entre écriture des actes royaux et écriture des actes privés ne paraît pas toujours aussi évidente qu’on a pu le dire quelques fois. Cette variété des écritures n’invite en aucun cas à imaginer un service, encore moins une institution émanant de l’autorité royale, chargé de veiller sur l’uniformité graphique de ce genre de documents qu’on constate, au plus tôt, à l’époque de Louis le Pieux. En effet, la plus grande confusion règne dans les écritures des actes des premiers carolingiens18.

Une analyse détaillée conduit à constater que ces écritures varient presque d’un document à l’autre et nous n’avons pas repéré de documents différents copiés par le même scribe. Contrairement à ce qui se passe dans la plupart des documents dits privés dont on possède le texte complet, comme par exemple l’échange de bien entre Magnoald et Lambert (ChLA 563), la charte de donation de Clotilde (ChLA 564) et l’échange entre l’abbé Uualdromarus et Adalricus (ChLA 582), jamais les scribes ne font connaître leur nom dans les documents royaux. La comparaison entre l’écriture des actes et celle des signatures des personnages qu’on appelle habituellement « référendaires » montre qu’en aucun cas ceux-ci n’ont transcrit le texte des actes qu’ils souscrivent afin d’en reconnaître la validité.

Tous les documents royaux mérovingiens portent, souvent juste après les derniers mots du texte, une souscription dont l’autographie ne fait pas de doute et qui donne à l’acte toute sa valeur juridique. La souscription royale qui apparaît dans certains documents, comme nous le verrons bientôt, apporte seulement un élément [p. 12] de solennité recognoscens, est suivi de l’abréviation recog pour recognovi ou recognovit. Dans les simples jugements, le nom du signataire, c’est-à-dire du accompagnée ou non du participe passé iussus. Dans les préceptes, la souscription est suivie de optol ou optul pour optuli ou optulit, formule qui indique que le recognoscens a présenté l’acte au roi afin qu’il le souscrive. On retrouve à plusieurs reprises la souscription du même recognoscens : trois fois pour Uulfolaecus dans des préceptes de Thierry III (ChLA 570) et Childebert III (ChLA 577 et 654) datés de Compiègne en 688, 694 et 697 ; trois fois aussi pour Actulius qui souscrit en 709, 710 et 716 un jugement et deux préceptes de Chilpéric II (ChLA 568, 588 et 591). Dans les deux cas, nous avons affaire, de toute évidence, à des souscriptions autographes dont l’auteur était habitué à écrire couramment. L’aspect des lettres, les nombreuses ligatures qui les unissent sont le fait de personnages pour lesquels l’écriture cursive était d’un emploi usuel. On peut faire les mêmes remarques à propos des souscriptions d’Aghilus (ChLA 573 et 574) au bas de deux jugements de Clovis III.

Toutes les autres souscriptions de recognoscentes, qu’on observe à un seul exemplaire sur des préceptes ou des jugements, présentent aussi un caractère marqué d’autographie. Elles n’ont pas l’aspect appliqué et quelque peu artificiel qui caractérise les suscriptions royales des préceptes, à l’exception, peut-être, de celles de Chilpéric II (ChLA 588, 591, 593). Nous pouvons être assurés qu’il s’agit d’une marque de l’intervention personnelle de hauts fonctionnaires du Palais chargés de vérifier l’authenticité des actes dont ils garantissent la valeur juridique par l’apposition de leur souscription. Celle-ci est normalement complétée par une formule de clôture : bene ual et par l’apposition d’un sceau. A deux reprises (ChLA 581 et 587), ce n’est pas le recognoscens en personne qui souscrit l’acte, mais un personnage agissant ad vicem.

Parmi les différents types de documents intitulés au nom du roi mérovingien, on distingue ceux qui sont appelé praecepta et qui portent, à côté de la souscription du recognoscens, celle du roi au nom duquel l’acte a été expédié, tracée au moyen d’une écriture agrandie. Les deux préceptes les plus anciens (ChLA 550 et 552) ont pour auteur Clotaire II. Ils sont datés tous les deux d’Étrépagny, le premier entre 584 et 629 et le second en 625. La souscription royale comporte une formule assez développée : le nom du roi suivi d’un monogramme et des mots « in Christi nomine rex, hanc praeceptionem sub ». Le texte de chacun des préceptes a été transcrit par un scribe différent alors que les deux souscriptions royales sont apparemment de la même main. Dans le premier document seul, on peut encore lire en entier la souscription du recognoscens « C. Ursinus optul. SR. NT  ». Deux préceptes de Dagobert Ier (ChLA 551 et 554), successeur de Clotaire II, sont encore conservés. La formule de souscription est considérablement simplifié ; elle ne comprend plus que le nom du souverain, sans monogramme, suivi des deux mots : rex sub (scripsi) ou sub (scripsit). Dans ces deux documents, aussi, la souscription royale est visiblement de la même main, une main particulièrement intéressante avec ses lettres allongées à l’aspect archaïque alors que l’écriture de la souscription de Clotaire II ne se distingue pas de l’écriture documentaire, si ce n’est par son manque de régularité.

[p. 13] Dans les deux cas qui viennent de retenir notre attention, le roi était suffisamment âgé pour tenir la plume lui-même. Un précepte de Clovis II, datable entre 639 et 642 (ChLA 556), se présente d’une manière différente. Le roi était mineur ; il avait entre 4 et 7 ans. Sa souscription est accompagnée de celle de sa mère, la reine Nanthilde. Le document est malheureusement très mutilé et la formule qui précède les souscriptions royales est presque entièrement illisible. Nous avons pu déchiffrer la ligne 11 dont la formulation semble indiquer une incapacité du roi et de sa mère à tracer de leur propre main leur souscription. De fait, le scribe de l’acte a écrit sur la dernière ligne la formule suivante : « Sig (num), M. dom (ni) Chlodouio regi. Sig (num), M. praecelsae Nantechildae reginae ». Nous le verrons plus en détail, les signa présents sur un acte sont normalement tous écrits par la même main, ordinairement celle du scribe, et semblent indiquer que la personne mentionnée dans le signum ne pouvait ou ne savait pas écrire.

Plusieurs textes confirment cette manière de voir. Ainsi, dans les Formules wisigothiques, on relève ceci : « et quia litteras ignoro… ego vero manu propria signum feci »19. Childéric II déclare que son jeune âge l’empêche de souscrire : « et ego propter imbecillem aetatem minime potui subscribere, manu propria subter signavi »20.

Nous verrons plus loin une souscription du même Clovis II sur un document expédié de Clichy le 22 juin 654 (ChlA 558), document dont nous étudierons la nature particulière un peu loin. Elle est tracée selon la formule « Chlodovius, M., rex sub ».

Dans le dernier quart du VIIe siècle, exactement en 677 et en 688, trois préceptes portent la souscription du roi Thierry III (ChLA 565, 566, 570). La formule employée pour les trois souscriptions est exactement la même : « +, in Christi nomene, Theudericus rex, sub : » Celles-ci se ressemblent d’une manière extraordinaire, malgré une différence de plus de 10 ans, et ont sans aucun doute été tracées par la même main qui utilise non pas l’écriture courante employée pour transcrire les chartes et les diplômes, mais des littere elongatae de même nature que celles qui ont servi au scribe à inscrire sur la première ligne de ces documents particulièrement solennels la titulature du roi. Bien entendu, la souscription royale est toujours accompagnée de celle d’un recognoscens, qui est due, au reste, à un personnage différent dans chacun des trois cas. On ne peut donc pas prétendre que la souscription royale a été tracée par ce recognoscens.

Il existe trois préceptes originaux de Chilpéric II datés des années 716 et 717 (ChLA 588, 591 et 593). Leur première ligne est tracée en litterae elongatae très hautes et très étroites. La souscription royale, à la différence de celle de Thierry III, est tracée au moyen d’une écriture courante cherchant, mais sans vraiment y parvenir, à rappeler les litterae elongatae. Ces trois souscriptions se composent d’un chrismon, des mots « Chilpericus rex » suivis de l’abréviation par suspension « sub » enclavée dans un signe de recognition. Elles paraissent avoir été tracées par la même main alors que les préceptes ont été présentés par deux personnages différents, Actulius et Raganfridus. L’examen de ces trois documents montre très nettement [p. 14] que le texte des actes a été transcrit par des mains différentes de celles qui ont tracé les souscriptions.

En revanche, les souscriptions de quatre préceptes de Childebert III, expédiés entre 694 et 711 (ChLA 577, 579, 583 et 654), laissent une impression différente. Elles sont écrites sur le même modèle : « C. Childebertus rex s (u) b, S. R. » en litterae elongatae comme la première ligne ; mais de l’une à l’autre, on n’ose pas reconnaître la même main. On penserait plutôt à trois traitements différents du même modèle, en particulier en ce qui concerne le signe de recognition.

Ces différentes observations, faites sur un matériel trop peu nombreux, sont difficiles à interpréter. On admet généralement que ces souscriptions ont été tracées par le roi en personne. Plusieurs exemples cités ici paraissent donner consistance à cette manière de voir, d’autant plus, a contrario, que Clovis II et sa mère Nanthilde ne peuvent pas souscrire manu propria un précepte expédié entre 639 et 642 alors que le roi était encore enfant (ChLA 556) le scribe avait tracé un signum pour chacun d’eux. En revanche, on ne s’étonnera pas de voir le même roi, âgé de 19 ans, souscrire de sa main un document (ChLA 558). Les variations existant entre les différentes souscriptions de Childebert III permettent toutefois de se demander si, en certains cas tout au moins, différents personnages n’avaient pas la charge de tracer la souscription royale, un peu comme on a vu, à partir du XVIe siècle, s’en répandre l’usage en bas des lettres dites de commandement21.

On connaît un certain nombre d’actes synodaux de l’époque mérovingienne à la fin desquels est transcrite la liste des personnes qui ont assisté au synode et en ont souscrit les actes. On connaît aussi des listes de grands laïcs et ecclésiastiques ayant participé à des assemblées. Toutefois ces listes ne sont jamais conservés dans leur forme originale. C’est pourquoi un document (ChLA, 558) qui porte les souscriptions du roi Clovis II et du recognoscens Beroaldus, « Beroaldus optul (it) » présente un intérêt exceptionnel à cause d’une cinquantaine de souscriptions différentes, dont la plupart peuvent être sans aucune réserve qualifiées d’autographes22.

Ces souscriptions sont dues à des personnalités importantes, ecclésiastiques et laïques. Une dizaine d’entre elles ont été tracées par des évêques parmi lesquels on reconnaît s. Éloi de Noyon et Landry de Paris. Le patrice Auderadus, les maires du Palais Ébroïn et Radobertus ainsi que le comte du Palais Aigulfus figurent parmi les souscripteurs laïques.

Presque toutes ces souscriptions sont tracées en écriture usuelle, sans aucune recherche de style, comme si leurs auteurs avaient une pratique utilitaire de l’écriture et n’avaient aucun souci de calligraphie. Elles attestent la continuité de l’usage courant de l’écriture, du moins relativement, tel qu’on peut déjà le constater dans les graffiti de Pompéi et dans de très nombreux papyrus administratifs de l’Antiquité. Il est à ce propos très intéressant de comparer ces souscriptions avec celles des actes de même nature, les synodes de Soissons et de Pîtres de 861, donc postérieurs d’un peu plus de deux siècles. Le contraste est frappant. Les évêques carolingiens, Hincmar en tête, calligraphient leurs souscriptions avec une écriture qui rappelle beaucoup celle des livres contemporains23.

[p. 15] Dans l’acte synodal de 654, les souscriptions se composent presque régulièrement de trois ou quatre éléments différents : une invocation monogrammatique, le nom du souscripteur, la formule de souscription qui comprend assez souvent son titre : episcopus, vir inluster etc. et, en dernier lieu, un signe de recognition qui peut parfois être accompagné de notes tironiennes. Vu la complexité de ces souscriptions, on ne peut pas douter qu’on se trouve ici, comme c’était le cas pour les souscriptions des recognoscentes en présence de véritables signatures dont chaque élément porte une marque d’individualité dans son dessin et dans son tracé ainsi que dans la manière de lier les lettres ou d’abréger certains mots. Ces souscriptions ne laissent aucun doute sur la capacité de leurs auteurs à maîtriser l’acte d’écrire.

Trois souscriptions cependant, celles d’Aegyna, de s. Éloi et d’Ochelpincus, se présentent sous un aspect particulier. Leurs auteurs les ont dessinées, plutôt qu’écrites, lettre par lettre, en utilisant les formes capitales ou onciales. Ces souscriptions sont très vraisemblablement autographes ; mais leur maladresse traduit un manque d’entraînement de leurs auteurs dont la connaissance de l’écriture devait se limiter à savoir tracer les lettres de leur nom.

A côté de ce remarquable ensemble de souscriptions autographes, on observe dans le même document neuf signa composés du mot signum abrégé sign suivi d’un signe graphique après lequel sont indiqués le nom, la qualité et le titre du témoin. Les signes graphiques sont ordinairement constitués par des croix de formes très variées. Ils prennent place dans un espace laissé vide intentionnellement. Compte tenu de la variété des formes revêtues par ces signes graphiques, on ne peut guère douter de leur caractère autographe. Ils servent à exprimer la présence et l’intervention des témoins qui les ont tracés. Ces signa concernent tous des laïcs, et en particulier, huit viri inlustres parmi lesquels le comes palatii Aigulfus, le domesticus Ermenrico et le maior domus Radobertus. En revanche le patrice Auderadus ainsi qu’Ébroïn, le futur maire du palais, ont souscrit de leur propre main.

A côté des écritures que nous venons de présenter et d’analyser, il convient de prendre en considération toutes les autres traces graphiques laissées par les scribes. Certaines de ces traces possèdent une fonction symbolique comme les chrismon, les croix ou les monogrammes d’autres présentent une signification technique, comme les bouts de ligne ou le bene ual.

On observe très souvent dans les documents mérovingiens, royaux et autres, un signe graphique qu’on désigne par le nom de Chrismon. Ce signe apparaît sous une forme plus ou moins compliquée au début des documents royaux, c’est-à-dire devant la première ligne qui est presque toujours tracée en lettres agrandies ou allongées. Il est souvent assez développé et il n’est pas rare que sa hauteur égale deux ou trois interlignes, voire davantage. Comme nous le verrons, il est tracé par le scribe qui a transcrit le texte du document24.

Très souvent, des chrismon précèdent les souscriptions des recognoscentes et des témoins. Dans les documents royaux qui nous sont parvenus sous leur forme originale, tous les recognoscentes sans exception, font précéder leur nom et la [p. 16] formule de corroboration qui l’accompagne par un chrismon. De la même manière, on reconnaît facilement la plupart des souscriptions autographes de témoins au chrismon tracé devant alors que celui-ci manque régulièrement dans les signa, ces mentions des noms de témoins, tous écrits par la même main. On remarque aussi que quelques témoins ont ajouté une invocation verbale au monogramme.

Enfin, dans certains actes intitulés au nom de rois comme Childebert III (ChLA 577, 579 et 654) et Chilpéric II (ChLA 588 et 591) le nom du souverain est précédé par un chrismon.

Plusieurs documents royaux présentent au début de la ligne de date un chrismon tracé de la même manière (ChLA 567, 575, 578, 581) ; mais, à la différence de ce qui se passe au commencement de la première ligne, il semble qu’il s’agisse d’une exception.

Un examen, même rapide, de la centaine de chrismon qu’on relève dans les documents mérovingiens manifeste la variété des formes revêtues par ce signe. Celle-ci s’explique, comme le font facilement reconnaître la couleur de l’encre et l’allure du tracé, par le fait que les souscriptions autographes et ces signes ont été apposés en même temps. C’est ce qu’on peut observer à plusieurs reprises dans des souscriptions des rois Childebert III et Chilpéric II, aussi bien que des recognoscentes Actulius, Aghilus et Uulfolaecus.

Malgré la grande variété des formes individuelles revêtues par les chrismon, il est possible de dégager un dessin de base. Il y a toujours à sa partie supérieure un trait décoratif ondulé qui se prolonge par une ligne de longueur variable dirigée vers le bas. Cette ligne est parfois droite, parfois courbe et se termine ordinairement par une sorte de noeud. Elle est traversée par un ou plusieurs petits traits perpendiculaires. Le milieu de ces traits est marqué par des lignes ondulées ou enroulées qui se prolongent souvent sans solution de continuité dans les premières lettres du nom du souscripteur placé à droite.

A côté de leur décor graphique, on a reconnu dans l’un ou l’autre chrismon que certains traits dessinaient des notes tironiennes. MAURICE JUSSELIN a proposé de les lire : « Christus », « ante », « ante omnia » ou « in nomine »25. Il en était arrivé à la conclusion que le chrismon des documents mérovingiens devait être interprété comme une stylisation du signe tachygraphique signifiant « Christus ». PETER CLASSEN a montré qu’on pouvait reconnaître dans le chrismon mérovingien la forme altérée du christogramme ; il estimait vraisemblable de l’expliquer par la continuité de la tradition des documents administratifs de l’Antiquité tardive dans lesquels ce signe a la forme de la lettre P avec la haste descendante traversée par un trait horizontal P représentant les lettres chi-rhô26.

On observe dans les documents mérovingiens des croix de diverses formes qui se distinguent aussi par leur fonction et leur emplacement.

Dans les souscriptions de s. Éloi (ChLA 558) et du roi Thierry III (ChLA 565, 566 et 570), les croix occupent la place où l’on attendrait normalement un chrismon. Chaque fois, elles ont visiblement été tracées en même temps que la souscription.

[p. 17] Les souscriptions qui commencent par le mot signum sont très souvent accompagnées d’une croix. On trouve plus rarement d’autres signes. La croix est toujours tracée entre le mot signum, habituellement abrégé, et le nom du souscripteur. Ces souscriptions sont souvent groupées de manière à former des lignes complètes. Elles sont fréquemment tracées par la main du scribe qui a transcrit l’acte.

D’autre part, comme on le voit dans le document de Clovis II de 654 (ChLA 558), à plusieurs reprises, un espace blanc est laissé entre le mot signum et le nom du souscripteur. Ce dernier pouvait ensuite y apposer sa marque. Les croix qui ont été tracées dans ces emplacements laissés libres sont de forme et de grandeur très différentes, ce qui souligne qu’il s’agit de réalisations individuelles. La forme la plus simple se rencontre dans les signa d’Austrobertus et de Gundobertus. Dans la souscription de Probatus, des diagonales rejoignent les extrémités d’une croix potencée. Dans la croix de la souscription de Madalfridus, quatre points sont placés dans les cantons délimités par les bras de la croix – à l’imitation de ce qu’on observe dans des monnaies mérovingiennes – et les bras de la croix sont terminés par quatre arcs de cercle. La souscription d’Aigulfus consiste en une croix gammée cantonnée par quatre points.

Plusieurs croix de formes différentes figurent dans des signes de recognition. Dans les plus anciens documents, elles sont plutôt « dessinées  » qu’écrites. Les traits horizontaux commencent à gauche par une verticale dirigée vers le haut ou vers le bas ; ils se terminent à droite par un arc orienté vers le bas. Dans deux cas (ChLA 552 et 558) les cantons délimités par les bras de la croix sont aussi ponctués. Trois souscriptions récentes (ChLA 566, 577, 583) présentent à l’intérieur des signes de recognition de simples petites croix aux bras égaux. Nous ignorons la signification et la fonction de ces signes.

On peut distinguer quelques monogrammes plus ou moins bien conservés dans de très anciens documents royaux mérovingiens écrits sur papyrus27. Les deux plus anciens exemples sont des monogrammes de Clotaire II (ChLA 550 et 552). Le monogramme est placé entre le nom du roi et une invocation verbale suivie du titre royal : « Chlothacharius, (Monogramme), in Christi nomine, rex, hanc preceptionem sub. ». L’exemplaire le mieux conservé montre qu’un H de grandes dimensions constitue un élément central autour duquel sont groupées les lettres C, L, O, T, A, C, A et R. Comme le montre particulièrement bien le document de Clovis II du 22 juin 654, le monogramme est tracé entre le nom et le titre du roi : « Chlodovius, (Monogramme), rex, sub. ». Le monogramme de Clovis II utilise aussi un grand H pour organiser les autres lettres, parmi lesquelles on reconnaît C, L, O, I, S. (ChLA 558). Un document sur papyrus de Clovis II fortement endommagé, établi entre 639 et 642, présente dans l’avant dernière ligne le nom du roi et celui de sa mère, la reine Nantchechilde : « Sign (um), […], dom (ni), Chlodovio regi. Sign (num) […] praecelsae [N]antech [il] dae [r]eginae ». Entre les mots sign (um) et les mots dom (ni) et praecelsae, il y a deux espaces vides (ChLA 556). On peut penser que les traces d’écriture qui subsistent dans ces deux endroits sont les restes de deux monogrammes. Assurément, la présence de monogrammes dans les souscriptions [p. 18] des documents royaux mérovingiens n’était pas rare. C’est ce que laissent penser certains fac-similés qu’on observe dans des copies des IXe et Xe siècles28.

Le document de Clovis II daté de 654 auquel nous avons fait allusion à plusieurs reprises (ChLA 558) se distingue des autres actes royaux. En dehors de la souscription du roi et de celle du recognoscens il présente quarante-huit autre souscriptions dont trente, au moins, sont autographes. Les autres sont toutes introduites par le mot sign(um). Dans deux d’entre elles, celles de Radobertus et de Merulfus, à l’endroit où l’on attendrait normalement une croix, il y a des signes que, comme PHILIPPE LAUER et CHARLES SAMARAN29, nous pensons pouvoir qualifier de monogrammes.

D’une manière comparable à ce qui se passe de nos jours lorsqu’on veut montrer qu’un document est complet, certains actes mérovingiens présentent des signes graphiques qui servent à indiquer ou bien qu’une ligne est entière ou bien l’endroit où se termine le texte de l’acte. C’est ainsi que dans certains documents (ChLA 575, 579, 581, 584, 591 par ex.), la dernière lettre d’une ligne est prolongée par un trait qui remplit l’espace vide entre cette lettre et le bord droit du support de l’écriture.

Lorsque le texte d’un acte ne se termine pas en bout de ligne et qu’il subsiste après son dernier mot un espace blanc plus ou moins grand, on a utilisé deux méthodes différentes pour signifier que le texte s’arrêtait bien en cet endroit précis, afin d’empêcher de faire des additions au texte. Dans le premier cas, le personnage chargé de reconnaître la validité de l’acte pouvait tracer sa souscription immédiatement après le dernier mot du texte (ChLA 558, 560, 561, 567, 570, 584, 585, 589, 590). Dans deux diplômes de Chilpéric II (ChLA 588 et 591), c’est la souscription royale qui marque la fin de l’acte ; la souscription du recognoscens, Actulius dans les deux cas, suit celle du roi.

Dans le second exemple, le dernier trait de la dernière lettre du texte peut être prolongé jusqu’au bout de la ligne (ChLA 587 et 593) ; mais le plus souvent, le bout de ligne est rempli par un trait dessinant un zig-zag. Dans d’autres cas, ces traits sont remplacés par des signes qui imitent les notes tironiennes. Il est possible que plusieurs de ces signes aient été tracés par le recognoscens, ce qui paraît logique (ChLA 566, 573, 575, 577, 581, 584) ; au moins deux fois, ils paraissent dus au copiste de l’acte (ChLA 586 et 587). Des traits tracés de la même manière apparaissent aussi à la fin des lignes de date de certains diplômes (ChLA 565, 567, 578, 579, 581).

Dans les documents royaux mérovingiens transmis en original et dont l’état de conservation permet de faire des observations précises, à deux exceptions près (ChLA 568, 577), on trouve régulièrement dans l’angle inférieur droit une formule écrite sur deux lignes, abrégée le plus souvent bene ual, interprétée bene ualete, ualeas ou ualiat. Cette formule se présente comme un signe graphique particulier destiné à établir l’authenticité du document30. Son étude est rendue possible par plus de vingt-cinq exemples qui apparaissent tous comme des variantes de la même figure fondamentale. La première lettre du mot bene a toujours la forme d’une spirale plus ou moins fortement enroulée qui se prolonge vers la droite par un trait [p. 19] oblique. Ce trait est ordinairement très long et va ordinairement jusqu’à la marge du document. Il représente la haste verticale de b dont la panse est formée par la spirale. La première lettre de ual montre une stylisation comparable, le premier trait de u étant représenté par une spirale dirigée vers la gauche. Les autres lettres de la formule font suite, sur deux lignes parallèles aux spirales.

Le modèle de base que nous venons de décrire peut être modifié par d’autres traits qui partent presque toujours des dernières lettres, e de bene et l de ual. Quelques uns de ces traits décoratifs adoptent la forme d’un double s dont la signification demeure inexpliquée mais qui peuvent servir à vérifier si le bene ual été ou non tracé par le scribe de l’acte (cf. par ex. ChLA 586, 589 et 591). Une seule fois, on a ajouté des notes tironiennes que MAURICE JUSSELIN a proposé de lire : « per anolum »31.

Tous les documents qui permettent une observation montrent que le bene ual se trouve toujours à proximité immédiate de l’endroit où est pratiquée une incision en forme de croix servant à fixer le gâteau de cire du sceau. Comme le montrent non seulement les sceaux conservés, intacts ou en partie, mais aussi des restes de cire, la formule était plus ou moins complètement recouverte par le sceau. Ordinairement, une ou deux lettres et une partie des traits décoratifs demeurent visibles du côté droit (ChLA 576, 581, 585). D’autres fois, le sceau ne couvrait qu’une très petite partie du côté gauche du bene ual (ChLA 565, 566). Ces constatations permettent de penser que le bene ual était toujours tracé sur le document avant le scellement afin d’indiquer l’endroit où le sceau devait être fixé au dessous du texte de l’acte.

On peut se demander si le bene ual était tracé par le copiste de l’acte ou par le recognoscens. LÉON LEVILLAIN a émis l’hypothèse que le bene ual représentait « un ordre transmis par le recognosces ou son substitut au service du sceau »32. En revanche, PETER CLASSEN, s’appuyant sur des exemples de la basse Antiquité, a montré qu’il s’agissait plus vraisemblablement d’une « Marke des Textschreibers » à cause de la signification de la formule bene ual33. Le scribe exprimait ainsi la fin de son activité dans l’établissement du document jusqu’à ce qu’il soit approuvé par le recognoscens et scellé. Cette hypothèse est confirmé par des documents de Thierry III, Childebert III et Chilpéric II où la même main a très vraisemblablement transcrit le texte et tracé le bene ual, alors que l’écriture du recognoscens est visiblement différente (ChLA 565, 566, 686, 587, 588, 589, 591).

Dans de nombreuses souscriptions de recognoscentes, l’auteur a ajouté à son signe de recognition des notes tironiennes qui reprennent certains éléments de cette souscription ou apportent des renseignements sur son inscription. On en observe très peu dans les documents sur papyrus (ChLA 550 ?, 552 et 560 ?) ; mais beaucoup plus dans les actes sur parchemin (ChLA 565–568, 570, 572–579, 581, 583–591 et 593). Les souscriptions de deux témoins, Chradobercthus et Rauracus, dans d’acte synodal de 654 (ChLA 558) sont accompagnées de signes qu’on peut interpréter comme des notes tironiennes. Il en va de même pour les trois souscriptions du roi Thierry III (ChLA 565, 566, 570) et aussi d’un bene ual (ChLA 566).

Le déchiffrement de ces notes est très difficile et les spécialistes ont souvent [p. 20] proposé des lectures fort différentes du même texte en invoquant la nature irrégulière des notes qui ne sont pas toujours tracées conformément aux normes que nous connaissons pour le IXe siècle. Tout se passe comme si les lettrés et les administrateurs de VIIe siècle possédaient une pratique beaucoup plus grande des notes que leurs descendants de l’époque carolingienne et qu’ils les traçaient de façon beaucoup moins scolaire. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’ils aient souvent donné à certains signes une forme particulière qui en rendait la lecture difficile pour tout autre que à leur auteur.

Les diplômes et les plaids étaient scellés en bas et à droite. Nous avons vu que le scellement était presque toujours annoncé par la formule bene ual plus ou moins cachée par la cire. Dans les documents sur parchemin, une fente cruciforme servait à fixer le gâteau de cire plaqué. Les actes sur papyrus sont généralement trop mutilés pour qu’on puisse savoir clairement s’ils ont été scellés ou non. Toutefois, un précepte de Clotaire II expédié à Étrépagny entre 584 et 629 (ChLA 550) présente la formule bene ual bien visible. Un trou à peu près circulaire dans le papyrus, situé à environ 2 cm de cette formule, marque très vraisemblablement l’emplacement du sceau. Un diplôme de Clovis II (ChLA 556) et un jugement royal datable entre 658 et 679 (ChLA 557) présentent aussi des marques de scellement suffisamment claires. Un précepte de Clotaire II (ChLA 552) a dû, lui aussi, être scellé.

Aucun sceau ne subsiste sur les documents sur papyrus. En revanche, de rares actes écrits sur parchemin nous ont conservé des sceaux en plus ou moins bon état. C’est ainsi que nous connaissons les sceaux de Thierry III (ChLA 567), Clovis III (ChLA 572, 576), Childebert III (ChLA 578, 581, 585) et Chilpéric II (ChLA 589). Sur ces sceaux, le souverain est représenté en buste, de face, les cheveux descendants sur ses épaules.

Les documents royaux mérovingiens conservés nous révèlent des pratiques de transcription et de validation complexes qui permettent de les classer en plusieurs catégories, préceptes, jugements etc. Par leur disposition formelle, souscription du recognoscens et du roi, bene ual, présence d’un sceau, ils se distinguent nettement des actes contemporains dits privés, sauf sur un point important, l’écriture, qui est de même nature dans les deux genres de documents, ce qui ne permet pas d’affirmer qu’il existait une véritable chancellerie constituée auprès des souverains. Il est aussi permis d’imaginer que ces actes ont pu être rédigés par le destinataire avant d’être soumis au visa du recognoscens qui les authentifiait. D’autre part, le nombre des souscriptions autographes, parfois complexes, tracées en écriture très cursive par des clercs ainsi que par des grands laïcs est un indice intéressant de l’usage courant de l’écriture dans une partie au moins de la classe dirigeante. Les choses changeront semble-t-il au IXe siècle où l’on voit des hommes fort lettrés souscrire en employant une écriture livresque calligraphiée dépourvue de spontanéité.


1 Chartae Latinae Antiquiores. Facsimile edition of the latin Charters prior to the ninth Century ed. by ALBERT BRUCKNER,… and ROBERT MARICHAL,… Part XIII, France I, XIV, France II, published by HARTMUT ATSMA et JEAN VEZIN, Dietikon-Zürich, 1981–1982 ; abrégé : ChLA.

2 GEORGES TESSIER, Diplomatique royale française, Paris, 1962 ; PETER CLASSEN, Kaiserreskript und Königsurkunde, diplomatische Studien zum Problem der Kontinuität zwischen Altertum und Mittelalter, Thessaloniki, 1977 (Byzantina keimena kai Meletai, 15).

3 CARLRICHARD BRÜHL, Das merowingische Königtum im Spiegel seiner Urkunden, dans La Neustrie, les pays au nord de la Loire de 650 à 850. Colloque historique international, publié par HARTMUT ATSMA, t. I, Sigmaringen, 1989, p. 523–526 ; en attendant cette édition, voir MGH Diplomatum imperii t. I, ed. KARL A.F. PERTZ, Hannovre, 1872.

4 PIERRE GASNAULT, Quelques documents originaux peu connus de l’époque mérovingienne, dans Bulletin de la société nationale des Antiquaires de France, 1969, p. 254–264.

5 BRÜHL, Das merowingische Königtum, p. 526–528.

6 HARTMUT ATSMA et JEAN VEZIN, Les autographes dans les documents mérovingiens et carolingiens, à paraître dans les actes du colloque tenu à Erice (Sicile) en septembre 1990. En cours de publication.

7 HARTMUT ATSMA et JEAN VEZIN, Les faux sur papyrus de l’abbaye de Saint-Denis en France. Communication donnée à Madrid le 29 août 1990 dans le cadre du colloque de la Commission internationale de diplomatique : « Urkundenfälschungen im Mittelalter. » En cours de publication.

8 Paris, Archives nationales, K. 17, n° 6.

9 LÉON LEVILLAIN, Études sur l’abbaye de Saint-Denis à l’époque mérovingienne, dans Bibliothèque de l’École des chartes, 87, 1926, p. 245–330. Cf. HARTMUT ATSMA et JEAN VEZIN, Le dossier suspect des possessions de Saint-Denis en Angleterre revisité (VIIIe–IXe siècle), dans Fälschungen im Mittelalter, t. 4, Hannover, 1988 (M.G.H. Schriften, vol. 33 / IV), p. 211–236.

10 ChLA 552 et 553, 556 et 557, 559 et 560, 592.

11 HARTMUT ATSMA et JEAN VEZIN, Les vicissitudes d’un document mérovingien depuis son expédition jusqu’à son dépôt aux Archives nationales : le privilège accordé par le roi Clovis II en faveur de l’abbaye de Saint-Denis en France en 654, dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1990, p. 353–360.

12 Voir par ex. les cartulaires de Saint-Denis, conservés aux Archives nationales (LL 1156 et 1157) et à la Bibliothèque nationale (lat. 5415).

13 JACQUES DOUBLET, Histoire de l’abbaye de Sainct-Denys, Paris 1625.

14 DOUBLET, Histoire, p. 682–684.

15 HENRI L. BORDIER, Diplômes mérovingiens, dans Bulletin de la Société de l’histoire de France, to. 18, 1855–1856, p. 260 ; LÉON-JULES TARDIF, Monuments historiques, Paris 1866, p. 13, n° 16 ; ALEXANDRE TEULET, p. 33, n° XXbis.

16 Rappelons pour mémoire que d’autres faux sur papyrus existaient à Saint-Denis au temps de dom DOUBLET et qu’ils ont disparu depuis. Cf. ATSMA et VEZIN, Les vicissitudes, note 7.

17 ChLA 575, 579, 581, 583, 587, par ex.

18 Cf. les documents que nous avons publiés dans les vol. XV et XVI des ChLA.

19 M.G.H. Formulae, publ. par KARL ZEUMER, Hannovre, 1886, p. 578, n. 7.

20 M.G.H., Diplomata regum Francorum, publ. par KARL A.F. PERTZ, Hannovre, 1872, p. 25–26, n° 25.

21 TESSIER, Diplomatique royal, p. 295–296.

22 ATSMA et VEZIN, Les vicissitudes, note 11, pass.

23 Paris, Archives nationales K 13, n° 4 et K 13, n° 10.

24 HARTMUT ATSMA et JEAN VEZIN, Signes graphiques dans les documents originaux de l’époque mérovingienne, dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1989, p. 275–278 ; Id., Graphische Elemente in den in zeitgenössischer Form überlieferten Dokumenten des Merowingerreiches, dans Historische Hilfswissenschaften, t. 3 (Graphische Symbole in mittelalterlichen Urkunden), publ. par PETER RÜCK, p. 319–334.

25 MAURICE JUSSELIN, Notes tironiennes dans les diplômes mérovingiens, dans Bibliothèque de l’École des chartes, 68 (1907), p. 481–508 ; Id., La transmissions des ordres à la chancellerie mérovingienne d’après les souscriptions en notes tironiennes, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, 74 (1913), p. 67–73.

26 CLASSEN, Kaiserreskript und Königsurkunde, p. 151.

27 TESSIER, Diplomatique royale p. 27–30 ; CLASSEN, Kaiserreskript und Königsurkunde, p. 161–164.

28 M.G.H., Diplomata regum Francorum, n° 46, 58, 62.

29 PHILIPPE LAUER et CHARLES SAMARAN, Les diplômes originaux des Mérovingiens, Paris, 1908, p. 7.

30 LÉON LEVILLAIN, La formule « bene valiat » et le sceau dans les diplômes mérovingiens, dans Bibliothèque de l’École des chartes, 92, (1931), p. 5–22.

31 JUSSELIN, Notes tironiennes, p. 505–508 ; Id., La transmission des ordres, p. 71–73.

32 LEVILLAIN, La formule, p. 5–22.

33 CLASSEN, Kaiserreskript und Königsurkunde, p. 161–163.