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[p. 271] Les sceaux des chancelleries de Valachie et de Moldavie

Bien que j’aie voulu approcher le sujet prévu pour notre réunion de cette année « les documents de chancellerie avant le XIIIe siècle » il n’a pas été possible puisqu’aucun document de chancellerie de cette époque n’a été conservé aux institutions qui ont rempli cette fonction sur le territoire de la Roumanie.

Le manque de sources n’est pas une conséquence du fait qu’on n’y a pas déroulé des activités socio-économiques – mais le résultat des grandes pertes subies par le trésor documentaire du pays, du fait des vicissitudes du temps.

La recherche archéologique tout comme les sources documentaires externes prouvent que sur le territoire de l’ancienne Dacie du bas Moyen Âge a existé une population roumaine qui pendant les IXe–Xe siècles s’efforçait à passer à une forme supérieure d’organisation1. Sur le territoire de la Dobrudja il y avait des dirigeants (seigneurs) tout comme « Jupan Dimitrie » cité dans un document de 943.

Pendant le Xe siècle on saisit, au sud et à l’est des Karpates, des débuts d’une organisation politique significative pour le processus de cristallisation des relations féodales. En Transylvanie on mentionne trois formations politiques « des Voïvodats » (cnezates) l’un dans le Banat sous la règne de Glad, l’autre dans Crisana où Menumorut s’était imposé et le troisième dans le plateau de la Transylvanie, pays « vaste et riche » gouverné par Gelu2.

La conquête de la Transylvanie par les Arpadiens, à la suite des combats pendant les XIe–XIIIe siècles, a empêché le développement de ces formations.

A l’époque de l’État roumaino-bulgare (les XIIe–XIIIe siècles) les sources historiques valident l’existence de quelques liaisons entre cet État et les princes régnants des formations politiques du nord du Danube.

Pour mieux évaluer l’évolution de la société roumaine située entre les Karpates et le Danube, au milieu du XIIIe siècle, c’est à prendre en considération la bulle du roi de Hongrie, Bela IV, par laquelle il offrait aux Chevaliers Ioanites le 2 juin 1247 le Pays de Severin3. Conformément à ce document au sud des Karpates il y avait une société évoluée, des formations politiques à haut niveau de développement.

On mentionne les voïvodats régnés par Litovoi et Seneslau et les cnezates de Joan et Farcas, les derniers étant sous l’autorité de l’ordre mentionné ci dessus, les premiers étant restés « sous le règne des roumains » toute comme auparavant4.

En 1272–1273 un autre Litovoi, probablement le successeur de celui mentionné dans le diplôme du roi Bela IV, va essayer d'échapper à la suzeraineté de la royauté magyare en conséquence il a refusé de payer encore le tribut. L’intervention de l’armée magyare va ramener en 1277 le voïvodat régné par Litovoi (tué en combat) sous dépendance magyare.

[p. 272] Mais il est significatif que son frère Barbat étant tombé prisonnier, va parvenir à se faire racheter par une importante somme d’argent.

L’évolution de la société se poursuivit au début du XIVe siècle, Basarab voïvode ayant réussi à unifier les formations politiques de la droite et la gauche de l’Olt, constituant un État grand et puissant, la Valachie, qui va gagner son indépendance en 1330 envers le royauté magyare à la suite du combat de Posada, une lutte décrite d’une manière si expressive dans « Chronicon pictum Vindobonense ». Un processus semblant a eu lieu sur le territoire de la Moldavie aussi : des sources externes et des vestiges archéologiques certifient l’existence de quelques formations politiques dont la royauté hongroise s’est emparée. Dans la période 1352–1353 on y institue « une marque » (petit État de frontière) dirigée par Dragos, voïvode roumain de Maramures, sujet du roi hongrois, celle-ci étant fondée dans le but de repousser les attaques des tatars5. Mais les gens du pays étaient mécontents de cet État de dépendance voilà pourquoi ils vont passer au côté de Bogdan voïvode roumain de Maramurs, qui était venu en Moldavie (1359) comme insurgé envers le roi magyar. Ainsi la Moldavie devient indépendante la même année6.

La Transylvanie, conquise comme on a déjà mentionné, par les magyars, va s’organiser comme voïvodat (une formation spécifique roumaine) dirigé par un représentant du roi.

Il est hors de doute que ces formations politiques ont émis des documents, se sont crées des relations qui ont exigé des actes. Malheureusement il n’y a plus de documents provenant des formations politiques en sujétion de la royauté magyare ni des premiers princes régnants des pays roumaines devenus indépendantes. La première information sûre concernant un document émis par la chancellerie valaque (une mention dans le document du 13 Novembre 1618) remonte à 1352 et atteste que le voïvode Nicolae Alexandru a fait don du village Bãdesti à l’église de Cîmpulung7.

Il y a de même des données selon lesquelles le prince régnant de Valachie, mentionné plus haut, a envoyé aux représentants de la Grande Église de Constantinople plusieurs lettres sollicitant l’envoi d’un dignitaire religieux en Valachie, mais nous ignorons complètement leur contenu et leur aspect8.

Le document le plus ancien émis par la chancellerie de Valachie, conservé jusqu’à nos jours, est le privilège commercial octroyé le 20 Janvier 1368 par Vladislav Ier, le prince régnant de Valachie, aux commerçants de Brasov9.

Le premier document de la chancellerie de Moldavie conservé remonte au 1er Mai 1384 et concerne les dons fait par le Voïvode Petru Ier (Petru Musat 1375–1391) à l’église Saint Jean Baptiste de Tirgu Siret, édifiée au frais de sa mère Margareta, avec le revenu de la douane de ce bourg10.

En faisant une analyse au principal moyen de validation des actes émis par la chancellerie, le sceau, on constate qu’il y avaient en Valachie plusieurs impressions sigillaires.

La plus importante, qui est considérée à désigner le « pays », a comme représentation un oiseau des montagnes, bec voûté, des serres forts et pennage riche. Au [p. 273] début, ce vautour était accompagné d’une croix qui semble sortir de son pennage et deux astres (une étoile et un croissant) situés en canton senestre supérieur11.

Pendant le XVe siècle cette composition va évoluer – l’oiseau va devenir, l’aquila, serra représentée la croix au bec, les deux astres séparés et l’étoile remplacée par un soleil12. Dorénavant il y auront quelques transformations peu significatives, le sceau héraldique à « l’aigle porte croix », estimé par les spécialistes comme étant le dérivé d’un prototype ancien, avant la formation de la Valachie comme État indépendant13, est resté le même étant présent au patrimoine héraldique roumain jusqu’au XXe siècle. Sa mention est la preuve du maintien au long des siècles, de l’ existence des États roumains.

Quant à la signification de l’aigle héraldique dans les armoiries de Valachie, les spécialistes soutient que sa source se trouve dans le patrimoine spirituel roumain, l’aquila étant, c’est chose connue, le symbole le plus cher des légions romaines. La croix, que l’aigle porte au bec, est une évocation codifiée de l’assimilation par des indigènes, toujours pendant l’antiquité, du christianisme, par l’intermédiaire du monde romain. Il est significatif le fait que l’aquila est devenue le symbole officiel de Principauté Roumaine qui confirme, même par sa dénomination, (Valachie) sa descendance des romains.

Nous soulignions le fait que ces interprétations n’ont pas été faites dans la période contemporaine. Le premier ayant énoncé une telle opinion a été DIONISIO FOTINO ; l’auteur de l’ouvrage « Histoire générale de la Dacie » publié en 1812 à Vienne14. Ces idées ont été ensuite reprises et développées par les révolutionnaires de 1848 et soutenues, à l’aide des arguments de plus en plus forts par les héraldistes et les historiens du XXe siècle15.

Une autre composition d’armoiries qui date dès le début du XVe siècle – considérée comme étant l’emblème secondaire de la Valachie comprend deux têtes couronnées séparées par une tige. Cette composition, assimilée par certains spécialistes au type de majesté utilisée dans les chancelleries de l’Occident16, va évoluer. On va avoir deux bustes ; des personnages représentés à moitié puis trois-quarts et, enfin, les personnages vont apparaître complètement. Suivant l’évolution des personnages, la tige est devenue une plante, un arbuste et ensuite un arbre17. On a eu des discussions animées dans l’historiographie roumaine sur la signification des éléments décrits ci-dessus. Tout compte fait on a conclu que ces personnages avaient été au début le prince régnant et son fils, le prince héritier, ensuite le couple princier et finalement les Saints Constantin et Hélène. L’arbre qui se trouve entre les deux personnages est l’arbre de la vie, le phénomène dendrographic étant tout à fait puissant dans la mentalité de la société roumaine de l’ époque.

L’emblème à deux personnages a subi une influence byzantine, influence déjà fortement ressentie dans les Pays Roumaines, les seuls d’origine latine et religion orthodoxe dans cette partie du continent18.

Nous n’avons pas assez de temps pour insister sur d’autres représentations comme le sceau du Grand Voïvode Mircea le Vieux, ayant un lion en champ19 ou sur les deux emblèmes récemment étudiés par les spécialistes roumains, attribués à [p. 274] un roi de Valachie (« le roi de Blaquie ») par le plus ancien armorial français Wignbergen, rédigé pendant 1265–128520.

Les armoiries de la Moldavie, dont la première représentation remonte au XIVe siècle21, représente un écu chargé d’une tête d’aurochs ayant une étoile entre ses cornes et accompagné au début d’une rose22 et un croissant, ensuite par l’astre du jour et de la nuit23. Cette composition aussi va durer dans les sceaux, jusqu’au XXe siècle24.

Des recherches approfondies et de longue durée ont attesté tout comme dans le cas de la Moldavie, le symbole principal, la tête d’aurochs, bien que rencontrée dans les armoiries comme symbole de l’État féodal indépendant (XIVe siècle) étant un symbole dont la tradition se perds dans la nuit des temps (Dragos, le prince régnant de l’État moldave, sujet de la couronne hongroise – 1352–1353 – a eu un autre symbole).

Quelques chercheurs ont attribué à la tête d’aurochs une signification mythique rituelle en faisant rapport à quelques pratiques d’un culte ancien développé dans la zone des Karpates qui comprenait un rituel du sacrifice d’un animal au bord d’une rivière. Les éléments qui l’accompagnent – le soleil et la lune – ont permis de supposer qu’il s’agissait d’un animal, symbole du culte solaire, d’une tradition ancienne appartenant aux mythes concernant la genèse d’un état.

On peut donc constater que les éléments compris dans les sceaux utilisés en Valachie et en Moldavie pendant le XIVe siècle ont une tradition lointaine. Bien que pour nous elles soient connues comme représentant un certain siècle, elles renferment, dans des codes plastiques, une histoire antérieure, évoquent des processus et des phénomènes déroulés beaucoup de siècles auparavant. Ce sont les raisons qui m’ont déterminé à suggérer d’inscrire à l’ordre du jour de cette réunion, le sujet que j’ai brièvement exposé.

Je vais achever ma brève intervention en priant le Bureau de la Commission de prendre en considération l’état des sources de documentation dans les pays de l’Europe de l’Est où les processus sociaux sont très différents de l’Europe occidentale ou centrale. Selon nous, se serait très important et naturel pour l’album projeté d’inclure des sources documentaires provenant de toutes les chancelleries européens en admettant une certaine limite ou des critères (les plus anciens documents émis par une chancellerie officielle qui a évolué et s’est maintenue au long des siècles). Je crois qu’on pourrait ainsi renforcer le caractère international de l’ouvrage.

Ce serait une possibilité de comparer en temps et espace les intéressants actes émis par les chancelleries des souverains et des princes, de mettre en évidence d’une manière plus expressive le rôle de ces institutions dans la diffusion de la culture tout comme la permanente circulation des idées.


1 STEFAN PASCU, Voievodatul Transilvaniei, I (2. ed.), Cluj, 1972, p. 160 ; DIMITRIE ONCIUL, Originile Principatelor Române (Les origines des Principautés Roumaines), Bucuresti ; 1899.

2 STEFAN STEFANESCU, Istoria medie a Românei (L’histoire moyen de Roumanie), I, Bucuresti, 1991, 1991, p. 30–77.

3 Documenta Roumaniae Historica (DRH), C. Relatii între Tãrile Române (Relations entre les Pays Roumaines), I, Bucuresti, 1977, p. 21–28.

4 Ibidem.

5 STEFAN GOROVEI, Dragos si Bogdan întemeietorii Moldovei. Probleme ale formarii statului feudal Moldova (Dragos et Bogdan les fondateurs de la Moldavie. Problèmes de la formation de l’État féodal de Moldavie), Bucuresti, 1973, p. 70–85.

6 Ibidem.

7 D. R. H., B, Tara Românescã (Valachie), I, 1966, p. 11.

8 FRANZ MIKLOSICH, Acta patriarchatus Constantinopolitani ; Vindobonae, 1960.

9 Archives d’État Brasov, Collection Privilèges, Nr. 7.

10 D. R. H., Moldava (Moldavie), 1975, I, p. 1–2  :

11 EMIL VÎRTOSU, Din sigilografia Moldovei si a Tãrii Românesti (Sur la sigilographie de la Moldavie et de la Valachie), Documente privind istoria României, Introducere, II, Bucuresti 1956 ; p. 333–537.

12 MARIA DOGARU, Sigilii marturii ale tretului istorie (Les sceaux témoignages du passé historique), Bucuresti 1976, p. 19–108.

13 Cet emblème héraldique a été utilisé en même temps qu’un autre remarqué sur des monnaies, l’écu à fasces dans la première partie et à croissant ou champ libre dans la deuxième, un écu timbre a l’aigle dans le XVe siècle. Quant au rapport de ces deux composition nous sommes d’accord avec les héraldistes qui soutiennent que l’emblème héraldique est antérieur aux armoiries gravées sur des monnaies (JEAN N. MÃNESCU).

14 L’ouvrage a été rédigé en langue grec.

15 MARIA DOGARU, Conceptiile revolutionaliror pasoptisti oglindite în sigilli (Les conceptions des révolutionnaires de 1848 reflétées dans les sceaux), Revista Arhivelor, 1973, Supliment, p. 134–138.

16 EMIL VÎRTOSU, Din sigilografia Moldovei, p. 354–356.

17 MARIA DOGARU, Sigiliile de tip iconografic utilizate de domnii Tãrii Românesti (Les sceaux du type iconographique utilisés par les princes de Valachie), Revista Arhivelor, 1979, XLI / 3, p. 333–337.

18 NICOLAE IORGA, Byzance après Byzance. Continuation de l’histoire de la vie byzantine, Bucarest, 1935.

19 C. MOISIL, Sigiliile lui Mircea cel Bãtrîn (Les sceaux de Mircea l’Ancien), Revista Arhivelor, 1944–1945, VII, p. 256–286.

20 DAN CERNOVODEANU, Les armoiries des souverains du sud-est européen dans les rôles d’armes français, anglais et allemands du XIIIe au XVe siècles, Communication présentée au XVIIe Congrès International des Sciences Généalogiques et Héraldiques, Lisbonne, 7–13 septembre 1986.

21 Le premier sceau ayant cette représentation valide le traité de Pierre Musat voïvode de Moldavie avec la Pologne (1387). Le plus ancien document de la chancellerie de Moldavie (30 mars 1392) conservé dans les Archives roumaines est authentifié par le grand sceau du prince Roman Musat. Nous voyons en l’emblème les armes du pays : la tête d’auroch ; l’étoile entre les cornes, la rose à droite et le croissant à gauche. Archives d’État de Bucarest, collection Sectia Istoricã, D. R. H., Moldavie, I, p. 2–3.

22 LEON SIMANSCHI, Cele mai vechi sigilii domnesti si boieersti din Moldova (Les plus anciens sceaux des princes régnantes et des boyards moldaves), Analele Universitãtii Al. I. Cuza, XVI, 1980, p. 141–158.

23 STEFAN GOROVEI, Les armoiries de la Moldavie et de ses princes régnants (XIVe – XVIe siècles), Recueil du XIe Congrès International des sciences Généalogiques et Héraldiques, Liège 29 mai – 2 juin 1972, Braga, 1972, p. 263–270.

24 LIA BATRÎNA – ADRIAN BATRÎNA, Mãrturii heraldice cu privire la începuturile statului feudal independent Moldova (Témoignages héraldiques concernant les débuts de l’État féodal indépendent de Moldavie), dans Constituireastatelor feudale românesti, Bucaresti, Edit : Academici, 1980, p. 195–208.