La diplomatique du document notarié italien à l’époque des Communes
31 mars 2005
Au printemps 1164 Milan est détruit par Barbarossa. L’empereur dut se donner bien peu de peine si l’on considère la typologie des maisons de l’époque. Le plus grand travail fut peut-être causé par la démolition des murs d’enceinte de la ville. Ce qui nous intéresse ici cependant, c’est que Milan perd le status de civitas pour être transformé, ou mieux déclassé, à un simple bourg, voire à un ensemble de bourgs.
Cela a aussi des conséquences sur le status juridique des notaires. Si une corporation, on dirait presque une societas, existait, bien qu’avec des liens souples à son intérieur, elle arrive à disparaître.
Les mêmes jours apparaissent à Vercelli (fig. 1), dans une ville aux horizons culturels et politiques certainement plus étroits par rapport à Milan, mais son alliée fidèle, quelques notaires, parmi lesquels figurent Otto de Buxoro (fig. 2) et Girardus (fig. 3).
Ils y exercent la profession, tout en étant tous les deux ouvertement milanais : ils signent en effet au bas des documents, en faisant parfois suivre à leur propre nom l’adjectif indiquant leur provenance de la métropole lombarde : « Mediolanensis ».
Avec la restitution à Milan du rang de civitas en 1167, Girardus cesse d’opérer à Vercelli, probablement parce qu’il rentre à son siège originaire. Otto, en revanche, reste dans sa nouvelle patrie pendant plusieurs lustres, vraisemblablement jusqu’à sa mort, au début des années 80. Et il continue à y exercer son activité de notaire, on ne sait pas si en qualité d’affilié à la corporation notariale de Vercelli, dont on ne fait pas mention dans les documents à disposition. Une corporation qui, tout en admettant qu’elle existe, ne devait pas comporter beaucoup de contraintes.
On dispose de l’édition presque centenaire en deux volumes des Carte dell’Archivio Capitolare di Vercelli (fig.4) tout comme de l’édition d’autres parchemins provenants d’archives mineurs de Vercelli. Deux tiers, c'est-à-dire à peu près quatre cents, des presque six cents documents du XIIe siècle, en particulier depuis les années ’30 jusqu’à la fin du siècle, sont à attribuer à un notaire nommé Otto.
Une activité frénétique, on dirait même inhumaine. Mais l’édition, réalisée selon des critères obsolètes et approximatifs même pour l’époque (début du XXe siècle), ne fournit ni de tables des matières, ni une clé de lecture dans les notations introductives aux documents pour expliquer cela.
S’agit-il vraiment, dans tous ces cas, de cet Otto milanais ?
Un contrôle dans les originaux conservés dans les archives à Vercelli a montré ce qu’une édition hâtive et approximative avait couvert et rendu invisible. Et cela nous met aussi en garde : plusieurs éditions obsolètes et mal faites risquent de nous faire perdre beaucoup d’informations quant à la connaissance du passé et à l’exploitation intensive de ce que les documents peuvent nous dire, non seulement avec le sens littéral de leur prescription, mais aussi à travers les lignes ou grâce à leurs caractères extérieurs. Ces derniers véhiculent, en effet, des messages subliminaux voire même des informations qui, avec une attention majeure, nous pouvons récupérer, malgré la distance temporelle.
En réalité Otto Mediolanensis (fig.5 ; comparaison entre les deux signa), exerce à Vercelli à la même période qu’Otto de Rodobio, un notaire local à la professionnalité totalement différente.
Otto de Rodobio (fig.6 ; carte de Robbio) s’occupe d’affaires banales telles que des achats et ventes et des locations, en limitant son cadre d’action, en tout cas, à celui qu’aujourd’hui nous définirions le champs du droit privé, tandis qu’Otto Mediolanensis traite parfois des affaires qu’on dirait internationales, en tout cas en rapport même avec les activités de la commune.
Dans ce cas l’édition des parchemins, destinée à être imprimée dans la Biblioteca della Società Storica Subalpina, ne se révèle fonctionnelle qu’à des recherches au caractère génériquement historique ; mais, du point de vue de la diplomatique, elle est sans doute fourvoyante. D’un autre côté, au début du XXe siècle et dans le milieu turinois on ignorait complètement, voire, dirais-je, on s’opposait nettement, aux travaux de Diplomatique.
C’est, du reste aussi, le péché original d’autres éditions publiées successivement. Il suffit de penser à celle des Atti privati milanesi e comaschi del secolo XI, éditée d’abord seulement par Cesare Manaresi, ensuite par Cesare Manaresi et Caterina Santoro.
La publication frénétique de beaucoup de matériel pour satisfaire le faim de documents des historiens finit par fournir non pas un bon service mais une arme à double tranchant.
La situation, dans toute la Lombardie et dans le Piémont occidental – à Vercelli et Novara à l’ouest, jusqu’à Mantoue à l’est et même en Émilie – est vraiment mauvaise pour que l’on puisse exploiter pleinement les documents. L’édition des cartes de Novara est du même type que celle de Vercelli. Les parchemins de Plaisance sont inédits à partir du Xe siècle et pour tout le XIe et le XIIe siècles (il s’agit de plusieurs centaines de documents). Les documents de Mantoue, tout comme ceux de Parme, sont édités avec le système des regestes. Torelli à Mantoue et Drei à Parme ont bien fait des transcriptions, mais seulement des parties qu’ils considéraient comme significatives. Si on fait des contrôles dans les originaux, on découvre souvent des éléments très importants qui n’ont pas été transcrits ; par exemple certaines citations du Corpus Iuris Civilis de Justinien, qui montrent la diffusion du droit romain, provenant de Bologne au cours du XIIe siècle, ont été considérées négligeable et ont été effacées dans l’édition. Sans parler des cas de documents restés inédits parce qu’inexplicablement ils n’ont pas été transcrits (c’est le cas des parchemins de Parme transcrits par Drei) ou publiés avec une date erronée même de 90 ans.
L’édition numérique peut peut-être rendre possible en des temps plus brefs par rapport à l’édition de papier, une publication de fonds encore inédits, et permet aussi de les mettre immédiatement à disposition en réseau, malgré tout ce que cela peut comporter de négatif, et surtout avec le risque qu’après une décennie ou même moins, l’évolution des logiciels rende tout le travail illisible avec les nouveaux ordinateurs.
En Lombardie deux initiatives existent dans lesquelles je suis directement impliqué :
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L’édition des cartes de San Benedetto di Leno (http://www.popolis.it/abbazia) ;
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Le Code diplomatique numérique de la Lombardie où sont insérés les documents jusqu’à 1200 (http://plain.unipv.it).
Une pareille négligence saute aux yeux dans l’absence d’observation sur les notaires. A une époque à laquelle les notaires utilisent presque toujours seulement leur nom propre, parfois très répandu (Petrus, Guilielmus…), il serait utile même de comprendre simplement s’il s’agit toujours de la même personne sans devoir chaque fois aller vérifier dans les archives.
Par exemple, en revenant aux deux Otto de Vercelli, il suffit de jeter un coup d’œil aux deux signa pour éviter toute confusion.
Otto de Rodobio a un signum moins caractéristique, dont la forme rappelle une clessidre (fig. 7); Otto Mediolanensis, en revanche, adopte le signum typique de Milan, celui qui caractérise les professionnels de la métropole lombarde ; deux traits parallèles en vertical, je dirais une petite colonne, entrecoupés perpendiculairement par trois ou plusieurs traits horizontaux (fig.8). À droite et à gauche, là où les lignes horizontales dépassent les marges, ordonnées du haut jusqu’en bas, d’abord à gauche ensuite à droite, les lettres ou les syllabes du nom. De cette même façon nous reconnaissons comme milanais un autre notaire des années ’60 de ce même siècle, émigré lui aussi à Vercelli avec Otto et Girardus, pour être exact Vercellinus (fig.9).
Quelques exemples de notaires, ou encore mieux de juges de Milan qui ont écrit des documents montreront le caractère typique des signa milanais (figg. 10, 11, 12).
Il s’agit d’un cas de déplacement de notaires d’une ville à l’autre qui ne s’était jamais vérifié ailleurs au XIIe siècle.
Tortona (fig. 13) est elle aussi, en 1155, détruite par Barbarossa pour les mêmes raisons pour lesquelles Milan avait été détruit. Il existait à Tortona une longue tradition notariale (il s’agit en effet d’une ville jadis siège épiscopal, aujourd’hui encore chef de diocèse ; de son territoire, ainsi que de celui d’Asti a été formée la diocèse d’Alessandria en 1168). Aucun notaire de Tortona, cependant, quitte sa ville ou apparaît ailleurs. Malgré cela les notaires de Tortona se caractérisent, eux aussi, par quelques caractères extérieurs, surtout par le signum.
On ne peut rien dire de Crema (fig. 14), ville détruite elle aussi par Barbarossa après un très long siège. L’ancienne Insula Fulcherii s’était dressée quelques dizaines d’années auparavant dans un endroit désert et marécageux aux frontières du territoire de Crémone et était peuplée, du moins à l’époque, par des gens dont les affaires ne nécessitaient pas de l’instrumentum des notaires. Une origine que les habitants de Crémone aiment, aujourd’hui encore, rappeler avec une touche polémique : dernier souvenir de leur participation active aux événements et de leur soutien économique au siège et à la destruction de Crema il y a plusieurs siècles.
Les notaires de Crémone, dans le champ opposé à celui de Milan, ont eux aussi un signum spécifique, qui revient chez plusieurs notaires de cette ville et dans quelque notaire de Parme, cas unique parmi les nombreuses villes de la plaine du Pô : l’étoile à cinq pointes (précisément celle qui fut, ensuite, adoptée en Italie aux années ’70 par les Brigades Rouges) (fig. 15).
Ne parlons même pas de Vérone : là, les notaires adoptent parfois des signa qui parlent. Marcus Ostiarius (= concierge), montre en deux vignettes, l’une au début du documents, l’autre juste avant sa signature, les instruments du concierge : une clé et un porte entrouverte (fig. 16).
Si on descend le long du Pô, on trouve qu’il existe une différence énorme au niveau de l’habileté graphique, entre les notaires de Plaisance et de Parme. On remarque le soin graphique des notaires de Plaisance (soigneux même pour le contenu et pour la capacité de gérer les formulaires et les connaissances linguistiques), qui était à ce moment-là l’une des capitales financières d’Europe (figg. 17, 18, 19) ; les notaires de Parme, en revanche, sont, quant à eux, plutôt arriérés du point de vue graphique (mais aussi linguistique et dans la gestion des formulaires) (fig. 20) d’autant plus qu’ils sont beaucoup moins nombreux du fait que cette ville avait à cette époque-là une importance marginale. Exactement à l’opposé de la situation actuelle. Les notaires des deux villes ont, cependant, des caractéristiques spécifiques qui font qu’on ne les confond pas avec ceux de la ville voisine : Reggio Emilia (fig. 21).
Ces considérations étaient nées, à l’origine, suite au travail effectué pour l’édition des cartes de Pavie, en particulier de celles du monastère de S. Pietro in Ciel d’Oro, aux années ’70 et au début des années ’80.
S. Pietro in Ciel d’Oro, comme du reste tous les monastères du Haut Moyen-âge, possédait un patrimoine qui allait au-delà du territoire de Pavie et s’étendait même à des zones plus éloignées. : dans le territoire de Tortona (et successivement dans celui d’Alessandria), dans le Monferrato, dans le domaine des Malaspina le long d’une des routes dans les vallées qui conduisent à la mer (Valle Staffora, Val Trebbia, Val d’Aveto), dans le territoire génois et en Ligurie, à Parme, dans le Tessin.
Cette situation comportait la présence de documents de provenances différentes dans le même fond d’archives : non seulement des notaires de Pavie mais aussi des turinois, des parmesans, des notaires d’Alessandria et de la Ligurie, de Plaisance, de Parme, dont les documents, écrits dans les territoires les plus éloignés, avaient ensuite été transportés dans les archives du monastère de Pavie. Le même problème se posait d’ailleurs pour les documents d’archives d’autres monastères de fondation lombarde : S. Maria Teodote et S. Maria del Senatore, dont on projetait à ce moment-là l’édition.
Les exigences de situer les notaires dans le cadre dans lequel ils avaient exercé naissaient de raison d’ordre bien pratique:
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résoudre les problèmes chronologiques (chaque ville faisait des calculs différents de l’ère chrétienne : en tout cas l’année utilisée pour dater les documents ne commençait jamais le 1er janvier) pour attribuer une datation exacte aux documents en la comparant à nos conventions chronologiques (qui sont bien des conventions pourtant très utiles) et donc pour rétablir leur ordre chronologique correct dans le volume.
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repérer d’autres documents du même notaire pour vérifier d’éventuelles restitutions du contenu dans des parties détériorées du parchemin ou pour contrôler si un terme inhabituel pour la graphie ou si quelque phrase particulièrement mal formulée et embrouillée du point de vue syntaxique est un lapsus occasionnel ou représente une évolution typique de la langue de cette zone.
Toutes ces questions, qu’un moderne éditeur de documents se pose, peuvent, évidemment, se résoudre seulement à travers la comparaison avec d’autres documents du même notaire ou avec des documents rédigés par des notaires qui exerçaient leur profession à la même époque et dans le même milieu urbain et culturel. Les méditations solitaires dans la tentative de trouver une solution aux problèmes de l’édition ne se concentrant que sur le document qui fait naître ces questions conduisent dans une impasse.
On a ainsi donné vie, au début des années ’80, à un outil fonctionnel à résoudre ces exigences : le Repertorio dei notai (= Répertoire des notaires).
Ce répertoire est resté longtemps manuscrit à cause de son coût trop élevé et des difficultés de l’édition en papier. Et aussi à cause du fait que, malgré tout, il s’agit d’un outil qui pourra difficilement avoir un rangement définitif, sans plus d’adjonctions et d’intégrations.
Aujourd’hui par contre, grâce aux opportunités techniques offertes par le numérique, il est possible de le publier avec les nouvelles technologies.
Le Repertorio avait été limité au XIIe siècle, car au XIIIe siècle la quantité de documents augmente de manière exponentielle. Sa construction est d’ailleurs déjà difficile pour le XIIe siècle, lorsqu’il s’agit de villes riches en documents telles que Plaisance ou Vérone.
Il comprend documents deja edités et beaucoup d’inedits.
Le Repertorio a, quand même, mis en relief quelques inexactitudes dans plusieurs éditions traditionnelles (excepté les meilleures). Dans plusieurs cas le volume de documents imprimé sur papier ne peut pas substituer la recherche directe sur les parchemins dans les archives.
Les cas de Otto de Buxoro, Girardus et Vercellinus, milanais émigrés pour une période plus ou moins longue à Vercelli, sont clairs.
Un catalogage minutieux de chaque document des notaires (une enquête policière, selon les méthodes les plus modernes d’intelligence, utilisées pour dénicher des arnaques financiers, des déplacements illégaux de grosses sommes d’argent…) a laissé beaucoup moins d’espace à l’improvisation, à l’intuition improvisée et a fourni des directions de recherche intéressantes basées sur des indices échappés jusqu’à ce jour à l’attention des chercheurs.
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On a tout d’abord vérifié quel était le nombre des notaires et s’ils étaient plus ou moins nombreux dans une ville. Ils n’étaient pas très nombreux à Parme ou à Vercelli, tandis qu’ils l’étaient à Plaisance et à Pavie.
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On a individué, parmi les notaires, différents niveaux de professionnalité.
On trouve, en effet, d’un côté des notaires de campagne, qui rédigent des contrats, en faisant le tour dans une zone, dans plusieurs villages en un rayon de quelques dizaines de kilomètres. Dans ce cas, ils s’adaptent aussi à faire le travail qui est aujourd’hui celui des géomètres : mesurer le terrain, objet du contrat : « scripsi et suprascriptas terras mensuravi ». « J’ai écrit le contrat et j’ai pris les mesures ». « Scripsi et perticam zitavi » = « J’ai écrit le contrat et j’ai pris les mesures avec la perche». Aujourd’hui encore, dans cette zone-là, on raisonne pour mesurer l’extension des terrains, en termes de perche, non pas d’hectare. Un exemple est celui du notaire Catius (fig. 22) ; il n’exerce pas uniquement dans un petit village mais se rend dans divers endroits de l’Oltrepò (territoire au-delà du Pô au sud de Pavie, dorénavant désigné avec sa dénomination italienne) pour des contrats agricoles. Parfois, il rédige même des inventaires de biens agricoles, sans que cela soit finalisé à un contrat. Il fait aussi, quelquefois, des travaux collatéraux, en plus de rédiger des instruments.
Il existe aussi un groupe important de notaires qui, même par tradition familiale, fait vraiment ce que nous nous attendrions : le notaire. Grâce au Repertorio, et uniquement grâce à lui, on est parvenus à individuer quelques dynasties de notaires entre le XIIe et le XIIIe siècle, en le surprenant carrément les mains dans le sac comme après une longue filature, dans les rares cas où ils se laissent échapper une allusion à des liens de parenté réciproques ou déclarent le nom qui révèle un lien de famille. Les Cariani, les de Sucino, les Mangiaria.
Il existe enfin l’empyrée des notaires, un niveau tellement élevé de professionnalité qu’ils sont souvent utilisés comme chanceliers ou fonctionnaires de niveau supérieur.
Grâce au Repertorio, j’ai individué la figure pour moi la plus charmante et celle qui admet, pour certains côtés avec une réticence vaguement aristocrate, son importance. Suite à celle-ci, on a découvert un petit nombre de notaires VIP, ainsi qu’un courant « politique » du notariat. Messieurs, voilà Martinus Filippi, notaire de Pavie et de la cour impériale (fig. 23). Je ne suis pas surpris par une certaine froideur vis-à-vis de lui…Au fond, il se présente en tenue de loisir, aristocratiquement de loisir…
C’est justement du fait de rédiger des documents peu visibles qu’il était passé inaperçu. On l’avait presque pris pour un notaire tel que Catius, aux prises avec des mesures de terrains, des propriétaires locaux et des locataires, en somme avec la vie quotidienne.
Mais voyons où il a été présent pour les actes qu’il a écrit en qualité de fonctionnaire « public ».
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1173 janvier et juin, Pavie (deux documents cette année-là ; deux jugements).
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1177, août 22, Venise, palais du Doge (deux documents ; transaction entre l’empereur et le marquis du Monferrato à la présence du chancelier impérial et d’autres dignitaires) (figg. 24, 25).
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1178 juin 21 et juin 23, respectivement Vercelli et Turin, à Vercelli dans le palais de l’évêque, à Turin dans celui de l’empereur ; et il y reste jusqu’au 7 juillet.
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1185 juin 8, encore à Turin dans le palais de l’empereur.
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1186 juin 8 à Castrum Manfredi près de Crema dans la tente de l’empereur pendant le siège.
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1186 octobre 22 dans le castrum de Brettenoro près de Sienne, dans le porche de la maison (privée) où séjournait le roi Henri.
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1187 novembre 17, Como, dans le palais épiscopal.
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1189 novembre 20, Parme (jugement des juges impériaux de Pavie).
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1193 décembre 10, Pavie, dans le monastère de Teodote.
Les documents sont édités dans plusieurs recueils, depuis les actes de Vercelli jusqu’aux Biccherne de Sienne ; d’autres sont inédits. Il y a quand même une figure de notaire qui émerge, car elle a une professionnalité hors du commun, voire au-dessus de la presque totalité des autres notaires contemporains.
C’est une figure qui apparaît déjà formée lors des premières apparitions et qui continue pendant presque un quart de siècle toujours à un niveau de qualité très haut.
C’est un notaire qui se sert rarement de son nom/surnom qui, du reste, ne nous dit pas grand-chose : c’est un simple nom patronymique, Filippi/de Filippo = <fils> de Philippe. Mais, quand il opère en dehors du territoire de Pavie il se définit toujours comme Papiensis : plutôt que citoyen de Pavie je dirais membre de la corporation notariale de Pavie. Grâce à cette indication nous pouvons l’identifier parmi les notaires du même nom, bien que peu nombreux, de Pavie et d’autres villes.
Martinus naît et commence son activité dans une époque à laquelle les notaires nous disent encore très peu de leur paternité, de leur famille et de leur résidence en ville : situation bien différente, pour cet aspect comme pour beaucoup d’autres, par rapport à la fin du XIIIe siècle et au XIV-XVe siècle.
Ce n’est que la découverte d’ultérieurs documents inédits de Martinus (actuellement en cours d’impression) dans la Bibliothèque Nationale de Naples (où ils étaient parvenus après une vie très aventureuse qui, de Pavie, les a portés, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, à transmigrer à travers l’Italie, d’abord jusqu’à Sala Consilina dans le Vallo di Diano (fig. 26), aux frontières de la Calabre, et peu après à Naples à l’époque de la Révolution napolitaine) qui nous a apporté beaucoup d’informations sur lui.
On le voit ainsi pour la première fois en ville, en train de rédiger des documents de droit privé. Il n’y a pas beaucoup de parchemin mais ils sont tous pour la famille des Grogni.
Nantelmus Grognus est consul dans le collège consulaire de 1112 à Pavie (le tout premier) avec des personnages de la portée du juriste Ugo de Gambolato (nom qui révèle la provenance de sa famille, de Gambolò, près de Pavie) (fig. 27). Cependant, après cinquante ou soixante ans, les Grogni n’ont plus gardé cette position de prééminence à l’intérieur de la commune de Pavie, ou il reste encore pour peu de temps d’autres familles de l’aristocratie locale, surtout de celle qui est liée aux monastères.
Nantelmus Grognus (son nom/surnom est du type de ceux qui sont transmis à la descendance et souligne soit son opposé, une qualité – ils étaient peut-être très beaux – soit un défaut physique, dans le cas spécifique un visage peu rassurant ou du moins pas très agréable à la vue : un grugno), appartient peut-être, avec Ugo de Gambolato, à une famille liée à la tradition des juristes du palatium, détruit physiquement en 1024, mais dont il reste longtemps à Pavie la culture juridique qui s’était formée parmi ses fonctionnaires au service du roi.
Ces Grogni habitaient une grande maison avec une cour, à laquelle était annexe uns église familiale survécue jusqu’aux premières années du XIIIe siècle, l’église de Saint Barthélemy de Grognis (remarquez l’identité du Saint titulaire de l’église et le nom récurrent dans la famille). Les Grogni étaient peut-être en déchéance déjà à l’époque de Martinus (par exemple le testament de la veuve de Barthélemy Grognus en 1181 révèle son inquiétude pour la mort prématurée de ses fils et de ses neveux), mais celle-ci est peut-être la famille d’origine de Martinus : ce n’est pas par hasard que les seuls actes de droit privé sont (à ce qui résulte pour l’instant) pour les Grogni et pour l’église de famille, quand il se trouvait à Pavie.
Ces documents pour sa famille sont donc quatre nouveaux documents :
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1172 juillet 7, Pavie.
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1174 août 27, Pavie.
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1181, août 7, Pavie.
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1194 février 25, Pavie.
Et voici le développement d’une carrière hors du commun (fig. 28).
On explique ainsi le choix de celui qui était peut-être à ce moment-là le membre le plus en vue de la famille, de se consacrer complètement à la bureaucratie impériale, vraisemblablement à cause de l’espace professionnel exigu qu’il trouvait en ville, en adhérant à celui qui apparaît un projet grandiose du Barbarossa : la création d’une élite italienne de notaires, les notarii imperiales.
Ils n’apparaissent qu’à Pavie et dans le domaine du marquis du Monferrato, fidèle allié de l’empereur à Casale S. Evasio (actuellement Casale Monferrato) (fig. 29). Ils n’apparaissent absolument pas à Plaisance, à Brescia, à Vercelli, à Tortona (qui, en plus, avait été détruite par l’empereur en 1155) : cela pour différentes raisons ; soit parce que des villes, bien que grandes et avec une classe notariale importante telles que Plaisance, Milan, Gênes, étaient plus ou moins ouvertement hostiles à l’empereur ; soit parce que la classe notariale d’autres villes (je pense à Crémone) n’était probablement pas considérée adéquate à son devoir, en considération de la tradition juridique qu’elle exprimait.
La défaite du Barbarossa à Legnano en 1176 et la paix de Constance en 1184, marquent le déclin substantiel des notarii imperiales : ils retournent dans un cadre exclusivement local (excepté Martinus Filippi) et beaucoup de notaires auront ce titre aussi au cours du XIIIe siècle mais le désireront surtout pour des raisons de prestige ; quelque chose de semblable à ce qui arrivait en Italie avec le libre enseignement de la médecine.
A Vérone plusieurs notaires obtiennent l’investiture professionnelle du duc Guelfo di Baviera mais, même après la défaite de l’empereur, ils se rendent chez le Barbarossa pour se la faire confirmer. Et chaque fois qu’ils signent un document, ils répètent leur parcours professionnel : « notaire du duc Guelfo et ensuite confirmé par l’empereur Frédéric ». à Pavie ils ne disent que :« notaire impérial/ du barreau impérial », mais vraisemblablement il faisaient de même que leur collègues de Vérone. L’orientation politique des villes se révèle donc aussi dans les choix de leurs notaires. A Vérone, par exemple, à la fin du XIIIe siècle on trouve un notaire qui déclare avoir reçu son investiture par le roi Corrado. On ne parviendrait à dénicher aucun roi du nom de Corrado au cours du XIIIe siècle si on ne pensait pas qu’à Vérone, en 1267, était passé et était resté pour quelques mois Corradino di Svevia, avant de descendre à Tagliacozzo, étre battu et mourir sur l’échafaud à Naples. Il était passé à Vérone et dans peu d’autres villes mais avait été reconnu comme roi (nominal ou, comme on dirait aujourd’hui, virtuel) de Jérusalem et, en tant que tel, en mesure de créer des notaires. Son fidèle sujet véronais s’était fait justement nommer par lui, dernier descendant de celle qui était tenue à Vérone pour la dynastie légitime de l’empire, et avait continué pendant plus de trente ans à déclarer son lien avec le feu roi qui l’avait créé notaire, bien que Corradino n’eût pas effectivement régné.
Si on parvenait à mettre en relief toutes ces figures professionnelles, si différentes de ville en ville, avec une infrastructure culturelle qui conditionne leurs choix professionnels, on arriverait à comprendre bien plus autour des documents que l’on étudie.
Pendant tout le XIIe siècle les communes n’ont pas de structure bureaucratique, et utilisent très peu le document, surtout si on pense à la situation de la fin du XIIIe siècle et au XIVe siècle.
Dans le cadre de cette nouvelle réalité des communes du XIIe siècle les notaires ont une position privilégiée.
Les communes sont souvent, en effet, au ban de l’empire (Milan, Tortona, Brescia, Vercelli …) ou, du moins, en position ambiguë. Seulement très peu de communes se sont rangées du côté du Barbarossa (Pavie, Vérone, Crémone), mais font chanter l’empereur, en échangeant leur soutien avec des concessions, passées sous silence, des mêmes droits que les autres avaient usurpés.
Créer des notaires est une regalia, un droit du roi qui n’est absolument pas cédé. Dans la paix de Constance il y a réticence autour de ce droit et Henri VI, mais surtout Frédéric II, reviendront sur le sujet. En particulier dans les constitutions de Melfi de 1231, Frédéric II établira des normes qui conditionneront l’avenir du notariat dans l’aire méridionale.
Les notaires de plus grand prestige étaient donc ceux qui avaient été créés directement par le souverain (que l’on pense aux notarii imperiales de Pavie ou à ceux qui avaient été confirmés par l’empereur à Vérone). Par contre, les moins prestigieux étaient ceux qui avaient été créés directement par les autorités locales, en particulier en cas de conflit avec l’empire. A Milan, les notaires, à la fin du XIe siècle et dans la première moitié du XII, sont si discrédités qu’une bonne partie des documents sont rédigés par des juges (fig. 30), bien que cette tâche n’était pas de leur ressort.
Quoi qu’il en soit, les communes ne sont pas en mesure de créer d’emblée une chancellerie : il faut parfois attendre même jusqu’à la fin du XIIe siècle pour en voir des embryons. On a le cas précoce de Gênes, où le notaire Giovanni porte le surnom de Scriba, c'est-à-dire de scriba consulum, en d’autres mots chancelier de la commune. Mais à Pavie par exemple les notaires n’enregistrent pas nécessairement tout par écrit, au contraire, ils sont fréquemment absents des jugements arbitraires des consuls. La tâche de se procurer un notaire et de faire enregistrer les décisions prises par les consuls est souvent confiée à la partie gagnante.
Parfois même, c’est le consul qui, après le jugement, explique au notaire ce qu’il a décidé de faire et le notaire, selon les indications reçues, rédige la sentence. Les notaires, chaque fois, habillent avec un latin approximatif et coloré les indications que le consul leur fournit au regard du jugement. Un latin tellement approximatif qu’il est même parfois difficile de comprendre quel est l’objet de la dispute et qui a eu gain de cause.
Le cas le plus évident est le jugement du mois de juin 1186. Le consul en service à ce moment-là décide à propos d’un problème de dettes. Le paiement des dettes se fera à travers l’assignation des revenues des biens du débiteur au créancier jusqu’au solde complet de la somme due ; le débiteur recevra, quant à lui, une rente fixe pour sa subsistance.
La nouveauté émerge des témoignages portés par le débiteur en soutien de ses propres droits. Cela faisait déjà trois fois que les consuls devaient revenir sur le sujet, au cours de quelques ans : les deux fois précédentes, le jugement avait été le même, et plusieurs témoins le confirment. Le débiteur, cependant, n’avait pas pris la précaution de faire écrire noir sur blanc l’issue du jugement.
Cependant, dans une ville telle que Pavie, où le notariat a une longue tradition, les notaires traitent la commune comme un normal client particulier. Ce n’est pas la commune qui donne du prestige au notaire, en lui confiant des fonctions de chancelier ; c’est le notaire, au contraire, qui permet à la commune d’acquérir une documentation valable erga omnes. A cause de cela, les notaires ne prennent jamais leur titre de la commune. Cela aurait causé des dommages à leur prestige.
Surtout après la fin de l’aventure italienne du Barbarossa, les communes commencent à se structurer bureaucratiquement, et cela en particulier au début du XIIIe siècle, lorsque commence l’ère de la commune du podestat.
Au cours du XIIIe siècle les communes et les corporations notariales sont en un rapport dans lequel, si d’un côté toutes les deux ont un besoin absolu de la certitude et de la fiabilité de la documentation, de l’autre, contrairement au siècle précédent, s’interpénètrent au-delà de toute limite.
Les notaires, à l’intérieur de leur corporation, veillent sévèrement sur l’honnêteté professionnelle de leurs affiliés, en expulsant les faux-monnayeurs et les malhonnêtes. De l’autre côté ils entrent nombreux dans l’administration bureaucratique et judiciaire de la commune. A Pavie, par exemple, ils deviennent, après 1240, des consuls de justice ; mais ils envahissent aussi les bureaux de la commune, dans lesquels il y a au moins un notaire dans chaque bureau. Et les statuts des notaires règlent de façon très rigide les modalités d’élection, empêchant les alliances, les « cordées électorales », dirait-on aujourd’hui.
Que s’était-il passé ?
Nous avons une documentation particulièrement explicite à Pavie. En 1226, à cause des grandes disputes civiles, Frédéric II avait supprimé toutes les corporations professionnelles. Nous avons témoignage d’une maior societas notariorum : le comparatif la met, sans aucun doute, en relation avec une societas minoritaire. Après la suppression de toutes le societas professionnelles (le nom rappelle une association plus souple par<rapport à la corporation), les habitants de Pavie demandent avec insistance et obtiennent immédiatement la reconstitution de la corporation notariale, la seule à être réintégrée en 1229, mais en qualité de collegium, c'est-à-dire de corporation figée et rigidement structurée, telle qu’elle apparaît dans les statuts de quelques décennies plus tard.
Quelle était la motivation pour être si convaincante ? La nécessité de garantir la régularité et la fiabilité de la documentation.
Nous sommes en 1226. Cinq ans après, en 1231, Frédéric II promulguera les constitutions de Melfi, où apparaissent des normes très sévères pour les notaires.
Pendant tout le XIIIe siècle il y aura un écartement très net entre le notariat des communes de l’Italie du nord et celui du Regnum de l’Italie méridionale et de la Sicile.
Dans les communes du septentrion tout l’iter de la formation et l’examen technique pour l’admission est dans les mains du collegium : études et stage chez un notaire ; examen technique, des compétences professionnelles fait par une commission de notaires nommée par le collegium ; aucune limite dans le nombre des admis ; il n’y a que l’investiture formelle qui est conférée par les autorités communales, généralement par le consul de justice qui est lui aussi notaire.
Dans le Regnum et en Sicile l’examen se fait dans la curia de la capitale, à Naples ; le nombre de notaires est fixé au préalable pour chaque ville, et est très limité.
Il faut ajouter à cela quelques normes qui limitent beaucoup le prestige professionnel du Sud. Le notaire doit avoir l’assistance du juge aux contrats, un personnage qui jouit de la confiance de la communauté et qui garantit la régularité de ce qui arrive et est décrit dans la rédaction écrite dans le contrat, mais qui n’est pas expert en droit et, surtout, est pourvu d’une culture juridique nettement inférieure à celle du notaire. Cinq témoins qui doivent souscrire de façon autographe et non pas être simplement mentionnés.
Comment est-ce que cela se passait, au contraire, dans le Nord ? Le notaire agit tout seul, devant les contreparties du contrat. Les témoins, sauf pour le testament qui en nécessite depuis toujours sept (vue la délicatesse du moment, surtout si le testateur est sur le point de mourir et n’a pas la possibilité de vérifier ce que le notaire a écrit), sont deux, rarement trois. Mais ce sont surtout de faux témoins ; c’était en effet le collegium, vigilant et inflexible, qui aurait puni avec sévérité tout faux idéologique.
Nous avons ainsi les registres des actes du notaire Amselmus Iugumicuppa (encore une foi un nom qui souligne un défaut physique : il était probablement bossu), pour deux ans, 1229 et 1235, et ceux de quelques années d’activité de son collègue et successeur Arditus Vaca, tous les deux résidents près de la nouvelle implantation aux frontières nord de la ville autour du monastère de S. Pietro in Ciel d’Oro (figg. 31, 32). Ici on voit combien d’actes ils rédigeaient chaque jour de leurs propres mains, Dans la plupart des cas il s’agit de quatre ou cinq personnes qui fonctionnent comme témoins, toujours les mêmes. Professionnels de la mémoire ? Non, simplement des voisins, des artisans toujours présents dans leur boutique qui, grâce à cela, pouvaient être considérés, selon les cas, comme des témoins fiables. Personne n’aurait pu démontrer qu’ils se trouvaient ailleurs. Mais si nous pouvions maintenant les interroger, ils tomberaient des nues : on dirait des témoins à leur insu.
Nous avons la preuve de cette différence dans les documents des Lombards de Corleone.
Un nombreux groupe de Lombards principalement originaires de l’Oltrepò, une zone de la diocèse de Tortona obtient de Frédéric II en 1248 d’être conduit par deux nobles de Brescia dans le centre de la Sicile, à Corleone. A Tortona les partisans de l’empire étaient certainement une minorité. Surtout après qu’en 1155 Frédéric I, aieul de l’empereur actuel, avait détruit la ville à l’aide des ennemis jurés des gens de Tortona, les citoyens de Pavie. La guerre pour le contrôle de l’Oltrepò était commencée avant 1155 et se poursuivra après le déclin de Frédéric II. Dès l’époque romaine l’Oltrepò de Pavie, objet de la dispute, appartenait à l’ouest à Tortona et à l’est à Plaisance (fig. 33). Le territoire du Ticinum/Pavie restait au nord du Pô. Déjà à partir de la fin du XIe siècle, dans les années de la Ière Croisade pour comprendre, Pavie exerce une forte pression territoriale sur Tortona et sur Plaisance pour pénétrer au-delà du Pô. Bien sûr, dès qu’il y a une guerre généralisée, ces villes mettent dans le panier aussi leurs petites guerres de frontière. Et il ne manque pas de témoignages à propos de raid très banals pour déplacer les frontières, profitant de la guerre en cours dans cette zone à l’époque de Frédéric I.
En 1248 la permanence de la minorité fidèle à l’empire dans le territoire de Tortona devient impossible, et rend acceptable pour eux l’énième projet de construction ethnique de Frédéric II, semblable au déplacement des Sarrasins de la Sicile à Lucera dans les Pouilles et à d’autres greffes ethniques. Le territoire est au centre de la Sicile, Corleone, une vaste aire inhabitée d’où les Normands, au cours du siècle précédent, avaient chassé les Sarrasins. Ces Lombards traversent la mer et, au cœur désert de l’île, bâtissent leur nouvelle ville, appliquant les modèles urbains de leur lieu d’origine : par exemple, les rues bordées par des arcades. Ils abandonnent les noms de famille et utilisent en revanche comme nom la dénomination des petites localités desquelles ils provenaient : de Pontecorono, de Nazano, de Riturbio, de Sarçano, de Rosano, voire même de la ville principale, de Tertona. C’est justement ce fait qui m’a permis (lorsque j’enseignais à l’Université de Palerme et sondais la documentation locale) d’identifier avec précision ces localités, où mes familles paternelle et maternelle ont vécu pendant plusieurs siècles. Dans les études précédentes, conduites par des chercheurs siciliens, qui ignoraient donc les petites localités encore existantes dans l’Oltrepò, elles n’avaient pas été identifiées ou l’avaient été mal tout au long du XXe siècle. Par exemple Rosano avait été identifié avec Rossano Calabro (fig. 34). Parler d’un lombard provenant de Rossano Calabro correspond, pour un italien à parler d’une huître de la Normandie provenant de Marseille. Un poète mineur des débuts de la littérature italienne, un poète de l’école qui s’est développée dans la curie de Frédéric II a, lui aussi, le nom de Sarçano et le prénom de Paganino. Ce prénom, Pagano/Paganino, est typique de l’Oltrepò, non pas de la Sicile normande, En réalité le nom typique des Lombards de Corleone et l’identification faite jusqu’ici du lieu de provenance avec Sarzana (fig. 35) est, lui aussi, fourvoyant. En réalité, un code parle explicitement de Sarezano, non pas de Sarzana ; mais cette indication avait été toujours forcée pour la faire coïncider avec la localité la plus connue, a il ne connaissaient pas Sarezzano, un lieu un temps d’une quelque importance. Comme on le voit ici, la portée d’une analyse et d’une lecture correctes des documents est fondamentale.
Il n’y a qu’un habitant de Tortona, le notaire Guilielmus Actpanus (exactement ainsi, un mot imprononçable) de Tertona, qui utilise à Corleone le nom originaire avec celui qu’il a fait dériver de sa ville d’origine. Mais il le fait sciemment. A Tortona sa famille était Acatapanem, comme d’habitude un nom péjoratif typique de l’Italie du nord : en bref pitocco, straccione (mendiant, miséreux) rien en tout cas dont on aurait pu se vanter. En Sicile et dans l’Italie méridionale était cependant encore vif le souvenir des noms des dignitaires byzantins, parmi lesquels figurait le catepanus. Une petite retouche et de mort de faim lombard tel qu’il était, ce notaire avait réussi à se faire passer par le descendant d’un haut dignitaire byzantin, comme si, chez nous, on parlait du fils ou du petit-fils d’un général (on parlerait aujourd’hui de trafic d’influence).
Ces Lombards gardent toutefois des relations commerciales avec l’Italie septentrionale et entament des liens aussi avec Pise (fig. 36). Parfois, étrangers désormais, après quelques décennies il retournent aussi, pour faire des commerces, dans les lieux d’origine de leurs familles. C’est le cas d’un habitant de Pontecurone, qui, au cours de quelques années, entre 1280 et 1285, apparaît à Pontecurone pour établir des commerces mais est aussi mis sous procès en contumace à Palerme car, pendant ses voyages de commerce, il n’avait pas dédaigné de faire le pirate dans la mer près d’Ustica, assaillant et vidant de leur charge quelques navires.
Eh bien, ces Lombards qui gardent, bien que chassés de leur terre, le cadre urbain dans lequel ils avaient grandi même loin, en Sicile, et qui prennent comme nom à transmettre à leur descendance celui des petits villages où ils étaient nés, ces mêmes Lombards doivent s’adapter rigidement aux normes des constitutions de Melfi pour le notariat.
A Tortona, leurs homologues ne citaient que deux ou trois témoins. En Sicile, ces notaires originaires de Tortona doivent au contraire agir rigoureusement à la présence effective de cinq témoins et du juge aux contrats. C’était surtout cette figure qui devait amoindrir beaucoup le prestige du notaire dans l’Italie méridionale. Non pas un juge professionnel, un expert en droit, une figure professionnelle supérieure par culture juridique à celle du notaire, mais simplement un expert en commerce, parfois un intermédiaire de profession qui jouissait de l’estime générale de la communauté. Il devait garantir la régularité des procédures suivies dans les contrats, en vérifiant aussi la conduite du notaire. Les villes les plus fidèles d’abord à Frédéric I, ensuite à Frédéric II, c'est-à-dire Pavie et Vérone, n’avaient absolument pas, elles non plus, accepté une telle prétention, surtout à cause du fait que les notaires y étaient très nombreux, prestigieux et puissants. Non seulement : à Corleone les notaires rédigeaient les documents en suivant un formulaire tout à fait différent par rapport à celui de leurs homologues du Nord. Une fois la rédaction terminée, ils doivent toutefois contacter les témoins et leur faire faire une signature autographe en bas de page. Il ne s’agit plus donc du simple artisan de la porte à côté, comme on l’avait vu à Pavie mais de personnes conduites par les parties en jeu comme témoins qui, tour à tour, devaient apposer leur signature.
Dans le Nord aussi, à Tortona, ville d’origine de beaucoup de ces Lombards, les temps changent au XIVe siècle.
Pour Tortona nous avons les statuts promulgués en cinq livres en 1330,
L’articulation complète du texte imprimé, remontant au XVIe siècle, est en revanche de sept livres, c'est-à-dire avec l’ajout de deux livres.
Elle constitue un point d’arrivée d’une élaboration statutaire qui plonge ses racines dans les dernières décennies du XIIe siècle.
Beaucoup d’éléments lient ces statuts à la tradition de la plaine du Pô et de la Lombardie ; mais d’autres chercheurs mettent en revanche en relation la législation de Tortona avec celle de Gênes et de la Ligurie, surtout dans le cadre des fréquents rapports entre la ville et les centres de la côte.
Les statuts de Tortona sont même plus complexes, car ils accueillent aussi des éléments du ius commune, outre que des règles de la tradition impériale et apostolique du XIVe siècle.
Les derniers livres, en particulier le dernier, ajoutent aussi une série de règles qui montrent l’évolution de la législation jusqu’au moment de la rédaction imprimée en 1573.
Le point de plus grand intérêt dans l’étude des statuts de Tortona, s’ils seront transcrits et traduits correctement, est constitué par la possibilité de saisir une législation municipale à un moment encore évolutif de sa propre histoire et non pas à une étape conclusive, typique, par exemple, des rédactions lombardes de la fin du XIVe siècle, dans lesquelles chaque élément apparaît rangé et inséré à l’intérieur d’une discipline qui a atteint un rangement presque définitif grâce aussi aux lourds conditionnements extérieurs. Au contraire, les statuts de Tortona remontent à une époque antérieure, à laquelle la ville, bien que désormais privée du relief des siècles XIIe et XIIIe, apparaît encore en mesure d’avoir une caractérisation précise dans la fixation des ses propres lois et capable aussi d’imposer ces mêmes lois au centres voisins, bien qu’ils aient une certaine importance politique.
Le livre VII de l’édition du XVIe siècle contient également les statuts du collège des notaires et ceux du collège des juges et des avocats, c'est-à-dire de deux organismes qui, au-delà de leur nature d’associations corporatives, ont eu un rôle de premier plan dans la vie juridique et politique locale jusqu'au XVIIIe siècle.
Il reste quand même à signaler que ce sont les Visconti qui, aux environs de 1330, sont devenus seigneurs de Tortona ; les futurs ducs de Milan sont à l’époque, à partir de 1311, vicaires impériaux. La réticence traditionnelle de l’empereur vis-à-vis des notaires l’emporta aussi à Tortona. Les notaires sont très nombreux dans l’administration de la ville. Chaque organisme, judiciaire, financier, exécutif a son propre ou ses propres notaires, qui sont subordonnés au fonctionnaire respectif, soumis à un contrôle rigoureux et obligés à suivre scrupuleusement les normes rigides exposées avec précision au sujet de leurs obligations professionnelles. Les statuts prévoient leur salaire, les heures de permanence au bureau mais surtout les amendes, qui ne sont pas légères, à payer en cas de non respect des règles.
Ils sont, en somme, subordonnés en tout et pour tout. Ils ne peuvent pas prendre d’initiatives autonomes et ils doivent se ranger aux ordres bien précis de leur supérieur et se presser à verbaliser en un temps bref.
Cinquante ou soixante ans auparavant, à Pavie, les statuts des notaires donnaient une image très différente, de personnes qui exigeaient du respect de la part de tous, clients et commune. Ils étaient en effet eux-mêmes consuls de justice c'est-à-dire les supérieurs de leurs collègues qui agissaient en notaire du consul de justice.
Non seulement : ils prévoyaient des amendes pour le notaire qui, accompagnant pour un contrat un client hors de la ville, avait suivi à pied ce client qui, en revanche, voyageait à cheval.
Cela peut paraître presque un acte de superbe. Cependant si on interdit quelque chose, cela signifie que quelqu’un a agi d’une façon que l’on veut empêcher à partir de ce moment-là. Dans l’Italie du Sud le nombre des notaires était limité par loi et donc personne, probablement, par concurrence se serait adapté à tout pour avoir du travail comme notaire.
La commune du podestat du nord avait en revanche permis aux notaires d’accueillir sans limite de nouveaux adeptes dans la corporation, sans se préoccuper de créer une offre excessive par rapport à la nécessité effective de documentation écrite. Peut-être la décadence était-elle déjà en acte et la véritable époque d’or du notariat avait été celle des dernières décennies du XIIe siècle, ou mieux dans les dernières années de la commune consulaire et au début de la commune du podestat. La période pendant laquelle le notaire, dans beaucoup de villes, voire presque dans toutes, garantit lui-même l’authenticité de la documentation non seulement entre des sujets privés, mais aussi des traités dirait-on aujourd’hui internationaux, entre des communes différentes. Il est donc en même temps notaire au sens actuel et chancelier. Garant de l’authenticité de la documentation et, dans le cas des brebis noirs de la corporation, auteur aussi de falsifications.
Voilà l’origine de la figure hybride du notaire moderne, du moins en Italie. D’un côté choisi et contrôlé selon les règles des constitutions de Melfi, mais aussi doué de confiance publique ; investi de fonctions publiques mais aussi libre professionnel qui, en tant que tel, présente des notes d’honoraires très élevées aux clients tout comme un dentiste ou un autre médecin spécialiste.