L'accès aux archives au Brésil et en France : convergences et divergences
Introduction
Du point de vue de la discipline archivistique, le thème de la communication des archives se détache comme champ de recherche, que ce soit comme thématique isolée ou associée à d’autres sujets. Pourtant, d’après Michel Duchein, « l’idée que les archives doivent être accessibles au public est une notion très récente dans l’histoire »1. Accès aux archives, aujourd’hui plus que jamais, implique aussi transparence, surtout des actes gouvernementaux. Le chercheur brésilien Marco Cepik, par exemple, affirme que « le thème de la transparence des actes gouvernementaux est de plus en plus récurrent dans la discussion actuelle sur la démocratie »2. Aussi, avant d’aborder le sujet proprement dit de cette conférence, nous aimerions faire une brève évocation rétrospective du rôle du Conseil international des archives en ce qui concerne l’accès aux archives.
Dans l’acte constitutif adopté lors de la session inaugurale du conseil provisoire réuni par l’Unesco du 9 au 11 juin 1948, parmi les objectifs généraux du Conseil international des archives on trouvait : « faciliter une utilisation plus fréquente des archives et une étude plus efficace et plus impartiale des documents qu’elles contiennent, en en faisant mieux connaître le contenu, en multipliant le nombre des reproductions disponibles et en s’efforçant de rendre l’accès plus aisé ».3
À partir du milieu des années 1950, les revendications pour que les gouvernements rendent compte de leurs actes ont acquis plus de force4. C’est ainsi qu’en 1959, presque une décennie après la fondation du Conseil international des archives, lors de la conférence internationale de la Table ronde des archives (CITRA) à Lisbonne, cette organisation traitait ce sujet, bien que de manière secondaire. L’approbation du Freedom of Information Act (FOIA), aux États-Unis, en juillet 1966, semble avoir amplifié les préoccupations en la matière. Pour beaucoup de chercheurs5, cette loi a une importance particulière dans l’évolution de la théorie de l’accessibilité des documents publics6. En fait, en 1966, dans les recommandations finales de son congrès extraordinaire, qui a eu lieu à Washington, le Conseil international des archives défendait la « libéralisation » de l’accès aux archives7. Le même thème sera repris à la Xe CITRA, tenue à Copenhague en 1967, quand furent discutés les « problèmes concrets posés à la direction des archives par les projets de libéralisation8 en matière de communication9 des documents ». Presque dix ans après, en 1976, le IXe congrès international du Conseil international des archives aura pour thème « La révolution dans l’accès et l’usage des archives ».
En 1981, la XXe CITRA, tenue à Oslo, a choisi comme thématique un des aspects de l’accès, à savoir les instruments de recherche et la formation à la recherche des usagers des archives ; les actes furent publiés sous le titre L’information et les usagers des archives. Dans l’introduction des actes de cette CITRA, on peut lire que le thème des débats de cette conférence représente alors « un élément essentiel dans l’effort continu vers la libéralisation de l’accès aux archives, à savoir le droit à l’information (souligné par nous), très affirmé dans de nombreux pays ». Comme on peut l’observer ici, le Conseil international des archives associait déjà la « libéralisation » de l’accès à un « droit à l’information », ce qui suggère un changement de perspective des pays membres du Conseil.10
La nécessité d’une systématisation et d’une plus grande diffusion du sujet afin d’orienter l’adoption de politiques d’accès dans les pays membres a conduit le Conseil international des archives à parrainer, en 1983, une vaste étude sur le sujet, dans le cadre des études RAMP (Records and Archives Management Program) du Programme général d’information (PGI) de l’Unesco relatif aux archives. L’archiviste français Michel Duchein fut le responsable de l’étude intitulée Les obstacles à l’accès, à l’utilisation et au transfert de l’information contenue dans les archives11. L’année suivante, le même partenariat entre le Conseil international des archives et l’Unesco aboutissait à la publication d’une étude centrée sur les usagers des archives, cette fois sous l’autorité du britannique Hugh Taylor, qui apporta une contribution essentielle à la question12. Tandis que l’étude de Michel Duchein se limitait à indiquer les quatre grandes catégories de documents classifiés comme secrets - ceux touchant à la sécurité nationale, à l’ordre public, à la vie privée des personnes ainsi que les autres secrets protégés par la loi –, Hugh Taylor chercha à spécifier ce que nous appellerions les trois « niveaux » de l’accès aux documents archivistiques : a) l’accès physique13, en relation avec la conservation matérielle des documents ; b) l’accès légal, régi par des lois et des normes ; c) l’accès intellectuel, représenté par les instruments de recherche. Des restrictions à l’un quelconque de ces niveaux empêchent effectivement le plein accès aux archives14.
La fin des années 1980 et les années 1990 peuvent être considérées comme une période charnière dans la question du droit d’accès aux documents d’archives. Michael Cook, dans la ligne de Michel Duchein, nous rappelle que « ce principe [le droit d’accès aux informations] se diffusa très largement » entre la fin des années 1980 et le début des années 199015. Pendant cette période, rappelle le professeur de l’université de Liverpool, la majorité des pays ont procédé à une révision de leur législation à ce sujet, y compris les pays qui passèrent par un processus politique dictatorial. Selon Michael Cook « l’événement le plus important des dix dernières années doit être l’ouverture, à la disposition effective du public, d’archives volumineuses et détaillées, auparavant inaccessibles en raison de la nature des régimes qui les produisirent ». Avec la chute du Mur de Berlin, en 1989, il devint évident que les archives des pays communistes devenaient un problème politique, historique et archivistique. Ainsi, en 1993, dans sa XIXe CITRA, tenue à Mexico, le Conseil international des archives fut incité par des directeurs des archives nationales de différents pays à discuter des questions relatives à la gestion des archives de la répression. À cette occasion, fut créé un groupe de travail, formé de spécialistes de diverses nationalités. L’année suivante, le groupe tenait sa première réunion, dont les objectifs, entre autres, étaient de définir ce que sont les « archives de la répression ». Le groupe défendit, avec les archivistes confrontés au processus législatif concernant ces archives, la nécessité d’une législation spécifique à ces archives16.
En 1995, à nouveau dans le cadre du Programme général d’information de l’Unesco, une autre étude sur l’accès aux documents d’archives était publiée. L’auteur en était l’archiviste canadienne Gabrielle Blais, qui a adopté comme toile de fond les changements en Europe depuis la chute du Mur de Berlin17. Le cas des archives de la Stasi, la police politique de l’ex-République démocratique allemande (RDA), y apparaît comme emblématique de l’intrusion de l’État dans la vie privée des individus. Cette surveillance, on le sait maintenant, a produit des milliers de documents archivistiques d’État contenant des informations personnelles qui nécessitaient un traitement spécial. Par ailleurs, des historiens français, par exemple, commençaient à donner l’alerte sur des questions éthiques liées à l’ouverture de ces archives et à leur exploration sans prise en compte du contexte de production de ces documents18.
Le modèle français dans la configuration archivistique brésilienne : quelques remarques.
Ces considérations initiales étant faites, soulignons que certains aspects de cette conférence s’insèrent dans deux programmes de recherche complémentaire, coordonnés par nous, dont une des étapes fut effectuée en France dans le cadre d’un post-doctorat, en 2008-2009 19: le premier programme de recherche est intitulé « Mémoire et secret dans les sociétés contemporaines » et le second « L’institutionnalisation de l’archivistique en tant que discipline scientifique au Brésil ». Les données recueillies pour ces recherches pointèrent une étroite collaboration du Brésil avec la France, ce qui nous conduisit à mener une étude comparative des deux pays, focalisée cette fois sur la législation de l’accès aux archives, un des axes du programme de recherche « Mémoire et secret dans les sociétés contemporaines ».
Cette étude axée sur les archives est due au fait que, dans une certaine mesure, le modèle institutionnel des archives d’État au Brésil, particulièrement des Archives nationales du Brésil (Arquivo nacional do Brasil,au singulier20 et non au pluriel, contrairement à la France), a essayé de suivre le modèle français : « les archives brésiliennes viennent d’une tradition très semblable à celle du modèle français » affirmait Celina do Amaral Moreira Franco, alors directrice des Archives nationales du Brésil, dans un article publié en 198621.
Créées en 1838, sous la dénomination d’Archives publiques de l’Empire (Arquivo público do Imperio), les Archives nationales du Brésil ont toujours joué un rôle fondamental dans la formation du personnel habilité au traitement des archives, dans la production bibliographique et dans la traduction et la divulgation d’œuvres essentielles pour l’archivistique. Actuellement, l’institution fait partie du Système national d’archives (SINAR22) et est responsable de « la collecte et de la gestion des documents produits et reçus par le pouvoir exécutif fédéral », de même que de « l’accompagnement et [de] l’application de la politique nationale d’archives23 ». Un mémoire que nous avons dirigé en 2007 a montré, à partir des archives des Archives nationales elles-mêmes, la présence de missions françaises pour un diagnostic de la situation de l’institution et la formation de personnels qualifiés24. D’après cette recherche, à la fin des années 1950, en l’absence d’un cours spécifique pour la formation des fonctionnaires du principal service d’archives du pays, le directeur des Archives nationales du Brésil d’alors sollicita de l’ambassade de France la collaboration d’un archiviste français pour des conférences sur l’organisation des archives françaises. L’archiviste français Henri Boullier de Branche25 fut alors invité à Rio de Janeiro à la fin des années 1950 et élabora un Rapport sur les Archives nationales du Brésil, dont la première édition date de 1960 et la seconde de 197526. Dans ce document, il analyse les principaux problèmes des Archives nationales, comme le remarque Angelica Alves da Cunha Marques. Des recherches que nous avons faites aux Archives nationales de France ont montré que, quelques années auparavant, des Brésiliens avaient déjà participé au stage27 technique international des archives, organisé par la Direction des archives de France depuis 1951. Entre 1951 et 2007, 53 Brésiliens sont venus en France participer à ce stage, avec l’appui de la Direction des Affaires culturelles du ministère français des Affaires étrangères, autre indice de la présence française dans l’archivistique brésilienne.
À la fin des années 1970, la coopération avec la France continue et, en 1978, Michel Duchein, alors inspecteur général des Archives de France, vient au Brésil en mission officielle d’étude sur la situation archivistique du pays. Michel Duchein visite des dépôts d’archives publics de quelques États brésiliens et publie son rapport sous l’égide de l’Unesco la même année. Parmi les aspects signalés par Michel Duchein figure « l’absence de législation et réglementation des archives ». Michel Duchein met en avant la nécessité de créer un système national d’archives, en rappelant que celui-ci a été mentionné par le président de la République d’alors, le général Ernesto Geisel, en 1975, dans un message au Congrès national (le Parlement brésilien). Michel Duchein plaide pour la promulgation d’une loi sur les archives fédérales comme une « mesure des plus nécessaires, pour que soit assuré le bon fonctionnement du système, de la documentation administrative et une bonne conservation du patrimoine documentaire de la Nation ». Évidemment, sous une dictature, Michel Duchein ne pouvait pas pousser plus loin. Il reste quand même qu’après son départ le système national d’archives a été mis en place au Brésil. De l’avis du chercheur brésilien Luis Carlos Lopes, Michel Duchein « a eu une juste perspective des problèmes archivistiques du Brésil ». Michel Duchein revint au Brésil en mission officielle en 1982, occasion d’insister sur la nécessité d’une législation fédérale sur les archives28.
Finalement, les relations diplomatiques entre le Brésil et la France s’insèrent dans un cadre d’échange séculaire, incluant des aspects politiques, économiques et culturels, et la présence culturelle française fut vraiment importante, surtout jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, quand les États-Unis étendirent leur hégémonie, non seulement au Brésil, mais dans diverses parties du monde29. Toutefois, en ce qui concerne les échanges avec la France dans le domaine des archives, cette collaboration ne cessa pas, bien que partagée avec d’autres pays. Comme nous le verrons plus loin, le projet brésilien de loi sur les archives fut, dans ses lignes générales, inspiré par la loi française sur les archives de 1979.
Genèse, trajectoire et situation actuelle de l’accès aux archives au Brésil
Du point de vue d’une politique d’accès aux documents publics, la tradition brésilienne est d’abord restrictive. L’historien José Honório Rodrigues, ancien directeur des Archives nationales du Brésil, montre, dans un chapitre de son livre publié en 196930, les tentatives qu’il a faites pour renverser la situation, particulièrement en ce qui concerne la législation du ministère brésilien des Affaires étrangères et il évoque ses propres décisions quand il a assumé la direction des Archives nationales, afin d’élargir la liberté d’accès aux archives conservées par cette institution. À l’époque, en 1959, il écrivit un rapport intitulé « La situation des Archives nationales » où il signale, entre autres questions, le fait que les Archives nationales brésiliennes n’ont jamais eu « autorité en matière archivistique ». Soulignant l’absence d’une politique d’accès unifiée s’appuyant sur une législation nationale, José Honório Rodrigues rappelle qu’au Brésil ce qui a toujours existé fut la soumission des archives au seul « critère personnel » de leurs directeurs. S’appuyant sur la législation pertinente, il observe qu’au ministère des Affaires étrangères du Brésil, par exemple, a toujours régné le secret, dû au fait que ce ministère a eu un attachement constant au « caractère sacré, secret et interdit » de ses archives. Cette tradition du secret fut même suivie par la Bibliothèque nationale qui, d’après José Honório Rodrigues, adopta des restrictions à l’accès de certains manuscrits sous sa garde. Les réflexions d’Honório Rodrigues furent publiées en 1969. À cette date, quelle était la situation légale de l’accès aux archives au Brésil ?
Comme l’a affirmé Honório Rodrigues, il n’existait pas de politique archivistique nationale, ce qui ne signifie pas l’oubli par l’État brésilien de la « protection » de ses informations. C’est dans ce sens que, dans notre étude, nous adoptons comme un des repères principaux dans l’évolution de la législation archivistique brésilienne, le décret n° 27.583 du 14 décembre 194931. Il naît, évidemment, dans le contexte de la Guerre froide et est considéré par la chercheuse brésilienne Priscila Carlos Brandão Antunes comme « le premier instrument légal à avoir pour objectif principal de protéger et classifier les informations jugées par l’État brésilien, sensibles pour sa sécurité »32. Toutefois, la portée de ce décret va au-delà de la sphère militaire et cherche à réglementer et définir ce qui est de l’intérêt de la sécurité nationale, en incorporant, en réalité, toute l’administration. Ceci est clair dès le chapitre I du décret, « Généralités », donnant la définition des « informations qui intéressent la sécurité nationale » : « Les informations qui intéressent la sécurité nationale sont celles qui sont initiées sous le contrôle et la juridiction soit du Conseil de sécurité nationale, à travers son secrétariat général, soit de l’état-major des forces armées, ou celles qui présentent le plus haut intérêt pour ces organes. Cette définition se réfère plus à l’idée de contrôle, juridiction, origine, ou degré d’intérêt, que de contenu de l’information ». Toutefois, comme on peut le constater, le contrôle des informations ne se restreint pas à celles produites dans le domaine militaire. Ce décret est très extensif et détaillé, incluant des définitions de catégories de secret, des typologies de documents soumis au secret, des formes de classification, d’attribution de responsabilités, de procédures, et même des règles de destruction des documents, pour un total de près de cinquante pages. Le but du décret est de toute évidence la restriction de l’accès.
Alors que les États-Unis avaient le FOIA, le Brésil, après le coup d’état militaire de 1964, adoptait un nouveau décret restrictif, sous le n° 60.417 le 11 mars 196733, dans le sillage de la nouvelle constitution, promulguée en janvier de la même année. Dans la Constitution fédérale de 1967, la préoccupation était davantage la limitation des libertés civiles, due au contexte de durcissement du régime, donc loin d’une conception de droit d’accès à l’information. Un an auparavant, le Congrès national avait été suspendu pendant dix jours et des opposants au régime en place dénonçaient la torture. Le Service national d’informations (SNI) avait été créé en juin 1964 et, selon le chercheur nord-américain Alfred Stepan dans un livre sur les militaires brésiliens, il détenait le monopole des informations et de la sécurité au Brésil de manière « complètement inusitée dans n’importe quel pays démocratique »34.
Ainsi, dans la constitution fédérale de 1967, au chapitre IV, « Des droits et garanties individuels », art. 150, § 34, nous avons la seule référence à ce qui pourrait être un droit et une obligation de l’État de fournir des informations : « La loi assure l’expédition de certificats demandés à l’administration pour la défense de droits et la clarification de situations ». Dans la « dictature affichée », pour reprendre l’expression du journaliste brésilien Elio Gaspari (2002)35, le décret 60. 417, pris pour réglementer la « protection des informations secrètes », n’utilise même plus l’artifice de la sécurité nationale.
Dix ans plus tard, le décret n° 79.099 du 6 janvier 1977 venait réglementer encore la protection des informations secrètes36. Nous étions sous le gouvernement du général Ernesto Geisel et vivions, en théorie, ce qui serait considéré comme une « ouverture » du régime, une sorte de glasnost à la brésilienne, un relâchement dit à l’époque « graduel ». Comment pouvons-nous discerner cette « ouverture » dans ce décret ? Commençons par la répartition des responsabilités entre les militaires et les ministères civils, explicitée dans l’article 3 du décret :
Art. 3 Les ministères militaires et civils et les organes de la présidence de la République (souligné par nous) devront élaborer ou actualiser leurs propres instructions ou ordres, sur la base des prescriptions du règlement pour la protection des informations secrètes, et les diffuser aux organismes qui en dépendent afin de déterminer les modalités spécifiques d’exécution propres à chaque ministère ou organisme subordonné.
Deux ans avant la loi d’amnistie (1979), ce décret, à la différence des précédents, incorpore dans son article 2 le concept d’accès, dans les termes suivants : l’accès est la « possibilité ou l’opportunité d’avoir connaissance d’un sujet secret ». C’est-à-dire que, bien que de manière très particulière – il s’agit d’un privilège et non d’un droit –, cet article donne une définition de l’accès, ce qui est compréhensible si nous considérons le contexte politique de l’époque, dans lequel le secret était la règle et non l’exception. L’implication des militaires dans l’appareil étatique, où ils occupent des postes de direction proches du pouvoir civil, semble être la raison pour laquelle les ministres d’État civils ont le pouvoir de classifier des documents au plus haut niveau de secret, à savoir ultrasecret, comme indiqué dans l’article 6 du décret 79.099. L’hypothèse que nous avançons ici est que ces décrets, étant donné le haut niveau de décision nécessaire, furent conçus au sein d’une « communauté d’informations », le Service national d’informations alors en première ligne.
En 1981, toujours sous la dictature militaire, est publié l’avant-projet de loi portant dispositions sur les archives publiques et privées37. Dans les documents des Archives nationales du Brésil il est indiqué que cet avant-projet fut le résultat d’« études effectuées pendant huit mois sur les législations de divers pays et de motions, recommandations et observations présentées dans des séminaires et réunions archivistiques, auxquels ont participé des personnalités de renom international ». Inspiré de la législation française, cet avant-projet cherchait à garantir la préservation des documents publics, ainsi que des documents privés d’intérêt public. En ce domaine, le Brésil suivait la tendance internationale.
Trois ans après que l’avant-projet de loi sur les archives a été publié au Journal officiel, à la fin du régime militaire, au milieu du mouvement pour des élections libres et immédiates, l’exécutif fédéral envoie le projet de loi au Congrès national : le ministre de la Justice38 d’alors, Ibrahim Abi-Akel, remet au président de la République, le 30 novembre 1984, un projet de loi instituant la politique nationale d’archives publiques et privées, qui allait faire la navette entre les deux chambres législatives (Chambre des députés et Sénat fédéral) pendant six ans. La navette du projet fut interrompue en raison de l’installation de l’Assemblée nationale constituante en 1987, et de ses travaux pendant toute l’année 1988. Ainsi, c’est seulement le 7 décembre 1989 que la commission de Constitution et Justice de la Chambre des députés présente un nouveau texte39 au lieu du projet original, en alléguant que celui-ci n’était plus à la hauteur de la nouvelle constitution. « L’avènement du nouveau texte constitutionnel a démontré la nécessité de réétudier le sujet du point de vue archivistique et juridique », y lit-on. Le nouveau projet de loi est repris en février 1990, examiné dans cette chambre législative jusqu’au 21 décembre de la même année, date de son approbation en séance plénière par la Chambre des députés. Le 8 janvier 1991, le Président Fernando Collor de Mello envoie un message au Congrès national sanctionnant la loi n° 8.159 qui « prend des dispositions sur la politique nationale d’archives publiques et privées et autres mesures ».
Législation d’accès au Brésil après la dictature militaire : le gouvernement Fernando Henrique Cardoso, l’accent sur le secret et la démocratie « réactive » du gouvernement Lula.
À la fin de la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-2003), une série de décrets relatifs aux archives furent signés, mettant l’accent sur les archives secrètes. Les ressorts de cette histoire ne sont pas encore connus, mais le fait est que le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso alla davantage dans le sens de la restriction de l’accès, avec l’argument de réglementer et évaluer les documents secrets. À la lumière de ce que nous savons aujourd’hui sur les négociations politiques assurant la transition de la dictature militaire vers un régime démocratique civil, ces décrets faisaient sens. Comme l’affirment des études sur les transitions politiques, le passage de la dictature à la démocratie est souvent négocié pendant des années et les compromis qui en résultent perdurent longtemps après.
Dès 2002, la presse ainsi que des chercheurs mettaient en question le décret n° 4.553, signé par le Président Fernando Henrique Cardoso, qui rallongeait les délais de confidentialité. Ce décret prévoit, en cas de documents ultrasecrets, un « secret éternel ». Quand Fernando Henrique Cardoso conclut son second mandat, il laissa alors un legs, en termes de législation archivistique, qui privilégiait le secret ; son successeur, Luis Inácio Lula da Silva, n’avança en rien jusqu’à l’irruption du passé sur la scène politique nationale, c’est-à-dire des échos de la répression politique pendant la dictature militaire.
Depuis la fin des années 1980, a commencé le processus de collecte des archives produites par les organes directement responsables de la répression et de la surveillance des mouvements sociaux, des partis politiques et des personnes qui s’opposaient au régime : le rôle des institutions archivistiques et, par conséquent, des archivistes, prend une dimension inédite dans l’histoire récente du Brésil. De son côté, la loi n° 9.140 du 4 décembre 1995, qui définissait les conditions de réparation morale en faveur des personnes décédées pour des raisons politiques et l’indemnisation financière de leurs familles, « mit toute la charge de la preuve sur le dos des familles ». Selon Nilmário Miranda et Carlos Tibúrcio, la Commission spéciale sur les morts et disparus politiques40, pour ses recherches d’informations sur les disparus politiques, « ne pouvait compter que sur les archives des polices politiques (DOPS) de Rio de Janeiro et de São Paulo […] et de celles des États de Pernambouc et du Paraná, ouvertes au public sur ordre des gouverneurs Carlos Wilson et Maurício Requião 41». Les mêmes auteurs indiquent que bien que « ces archives aient été épurées avant leur ouverture, ce fut à partir de celles-ci qu’on est arrivé à la vérité dans des dizaines de cas ». Parmi les « fantasmes » qui persistaient à troubler ce qui apparemment était en ordre, ceux relatifs à la guérilla de l’Araguaia42 furent les premiers à provoquer une réaction du gouvernement de Lula, dès la première année de son mandat, ce qui nous autorise à qualifier l’attitude gouvernementale de « réactive »43, et dans ce cas, donnant une réponse ponctuelle, en l’absence d’une vraie politique archivistique.
Toujours sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, en 2001, à la demande des familles de guérilleros morts en Araguaia, trois enquêtes furent ouvertes dans les États de São Paulo, Pará et du District fédéral pour rechercher des détails sur la localisation des corps. C’est seulement en 2003, sous le gouvernement Lula, qu’une décision d’une juge du District fédéral ordonnait la levée du secret des informations sur la guérilla de l’Araguaia. Le gouvernement fédéral réagit de deux manières : en faisant appel du jugement, alors que le président Lula signait le décret n° 4.850 du 3 octobre 2003 « instituant une commission interministérielle dont la finalité est d’obtenir des informations menant à la localisation des restes des participants de la guérilla de l’Araguaia »44. L’article 4 de ce décret autorisait les membres de la commission à accéder aux « données, informations, documents, matériels et zones ou installations, qui seraient pertinents pour la finalité de la commission, indépendamment du degré de secret qui leur aurait été attribué » et fixait que « les données, informations, documents et matériels obtenus et produits par la commission seront classifiés, à la fin de leurs travaux, en fonction du document ayant le degré le plus élevé de secret parmi ceux répertoriés par la commission, et resteront sous la garde du ministère de la Justice ». Ce décret, bien que palliatif à une véritable politique de l’accès, ouvre une brèche élargissant le débat sur la question de l’accès aux archives de la période de la dictature.
Le cas Herzog45, qui provoqua des modifications ponctuelles dans la législation sur l’accès, représente un tournant en la matière. Le 17 octobre 2004, le journal de Brasília Correio Braziliense divulguait en première page deux photographies d’un homme nu, une photo de profil et l’autre de face. Sur les photos, l’homme se cache partiellement ou totalement le visage avec les mains, ce qui rend difficile son identification, mais la une du journal est catégorique : « Exclusif : Herzog, humiliation avant l’assassinat ». Une avalanche de reportages occupe les premières pages des plus grands journaux du Brésil. Dans les jours qui suivirent, la vague de nouvelles à ce sujet fait sortir de l’ombre la question des archives de la dictature et émerger des pistes fiables sur leur existence, au contraire de ce qu’affirmaient les autorités gouvernementales, y compris la sphère militaire. Entre cette date du 17 octobre 2004 et le 31 du même mois, il y eut plus d’une centaine de publications : articles signés par des intellectuels, colonnes de journalistes réputés, éditoriaux, lettres de lecteurs, caricatures et reportages spéciaux. Les termes « archives », « dictature », « répression » et « régime militaire » apparaissent d’innombrables fois dans ces publications, isolément ou associés. Le 23 octobre, les journaux annonçaient que le « Planalto étudie la divulgation de documents de la dictature »46. En fait, à la fin de cette année 2004, le 9 décembre, le gouvernement prenait une mesure législative provisoire, sous le n° 228/0447, dont l’objectif était, sans doute, de donner une réponse immédiate à la société face aux répercussions du cas Herzog. Cette mesure provisoire, sorte de raccommodage de dernière heure, revenait au modèle de la loi sur les archives de 1991, en dehors du transfert à une commission au sein de l’État lui-même de la responsabilité de décider ou non de l’accès.
En mai 2005, était signée la loi n° 11.111/0548, comprenant cette fois des articles qui, en théorie, constituaient une réponse plus concrète du gouvernement aux demandes d’accès aux archives de la dictature militaire. Les articles 2 et 4 renforçaient l’idée que le gouvernement avait une réelle intention d’élargir l’accès, y compris par la création d’une commission interministérielle – Commission d’investigation et analyse d’informations secrètes – qui veillerait à la bonne exécution de la loi Le 28 octobre suivant, l’ANPOCS (Association nationale de recherche en sciences sociales) publiait un manifeste pour l’ouverture des archives et demandait la révocation de la loi n° 11.111 qui, selon les chercheurs, « attribue à la Commission d’investigation et analyse d’informations secrètes le pouvoir de gérer les documents ultrasecrets et de maintenir la permanence de l’exception pour le délai stipulé ».
Finalement, pour démontrer qu’il agissait, le 18 novembre 2005, le président Lula signe le décret n° 5.584, portant disposition sur le « versement aux Archives nationales des documents archivistiques publics des fonds du Conseil de sécurité nationale (CSN), de la Commission générale d’investigations (CGI) et du Service national d’informations (SNI), qui étaient sous la garde de l’Agence brésilienne d’intelligence (ABIN). Le transfert des fonds au siège de la coordination régionale des Archives nationales à Brasília, le 21 décembre 2005, est largement couvert par la presse. Entre cette date et l’envoi du projet de loi sur l’accès aux informations, actuellement examiné au Congrès national, il se sera passé plus de quatre ans comme nous allons le voir.
Le projet de loi n° 5.228/2009 : la persistance du secret
Le 13 mai 2009, le président Lula dépose au Congrès national un projet de loi sur l’accès aux informations qui a deux mérites. Premièrement, celui d’affronter la question de l’accès aux informations, en particulier celles considérées comme étant à caractère secret, sujet très discuté au Brésil ces dernières années en relation avec les archives de la dictature militaire ; la polémique autour de ces archives révèle les limites de la transition politique au Brésil, ainsi que la permanence d’un « trauma historique » dans la société brésilienne contemporaine. En second lieu, celui de proposer la réduction des délais d’accès aux informations classifiées secrètes, avec trois niveaux de secret (ultrasecret, secret et réservé) et deux délais, un délai maximum de vingt-cinq ans (ultrasecret et secret) et un délai minimum de cinq ans (réservé). D’innombrables observations sur l’ensemble du texte s’imposent, y compris d’ordre conceptuel, car il conserve encore des définitions héritées de l’ère militaire et du ministère des Affaires étrangères.
Ce projet de loi sur l’accès aux informations porte sur les archives, essentiellement les archives produites par le pouvoir public, quel qu’en soit le support. Il n’y a pas de doute que les archives publiques sont la cible principale du projet, parce que réglementer, par exemple, l’accès aux livres, n’aurait aucun sens, ceux-ci n’ayant d’existence que par leur publication. En ce qui concerne les bibliothèques, les avancées quant à l’accès, ne font de la situation décrite par Umberto Eco dans Le Nom de la Rose – où l'accès aux bibliothèques était le privilège de quelques moines – qu’une délicieuse fiction. On ne peut pas dire la même chose des archives, car elles sont constituées de documents probatoires, uniques, reflets des actes et transactions des gouvernements, institutions, organisations ou individus.
L’examen du projet de loi suscita quelques perplexités. La première, d’ordre quantitatif, est le nombre de fois où apparaît le terme « secret » et « secrète » dans un texte qui cherche à garantir, selon son article 4, « une gestion transparente de l’information ». Le secret et ses variantes apparaissent quarante-cinq fois dans le texte, contre quatre pour « transparent ». « Sécurité » apparaît quinze fois et, face à une objection possible qu’il pourrait s’agir de sécurité au sens de « sécurité de l’information » – thème si cher au monde de l’informatique –, les termes associés au mot « sécurité » démontrent qu’il s’agit d’autre chose : « sécurité », dans le projet de loi, est associé une seule fois à « intégrité de l’information ». Dans les autres cas, « sécurité » est rattaché à « société » et « État » (dans ce dernier cas, dans le sens français de « sûreté » de l’État), aux personnes du président, du vice-président et à leurs familles (une fois), à la santé de la population (une fois), à la sûreté des institutions et hautes autorités internationales (une fois). Finalement, dans l’article 32, qui attribue à l’exécutif le rôle de surveillant de l’accès à certaines informations, l’apparition du terme « sécurité » (quatre fois) est révélatrice des intentions de l’exécutif. Ainsi, le projet maintient l’actuel Cabinet de sûreté institutionnelle, dont l’existence n’est pas remise en question, mais au contraire, confirmée, et prévoit, en outre, la création, sous sa tutelle, d’une « Cellule de sécurité institutionnelle », chargée de « promouvoir et proposer la réglementation de l’habilitation de sécurité […] pour le traitement d’informations secrètes » et pour « garantir la sécurité des informations secrètes ».
La deuxième surprise que suscite ce projet de loi concerne la volonté, clairement exprimée dans le texte, de « protéger » – de qui ? de quoi ? – le président de la République, le vice-président et leurs familles, comme nous pouvons le constater au paragraphe 2 de l’article 18 : « Les informations qui pourraient représenter un danger pour la sécurité du président et du vice-président de la République et de leurs familles respectives, seront classifiées réservées (souligné par nous) et resteront sous le secret jusqu’au terme du mandat en cours, ou du dernier mandat en cas de réélection ». Les questions inévitables sont : a) quel type d’information peut mettre en danger la sécurité du président, du vice-président et de leurs familles ? ; b) qui décidera et avec quels critères de cette typologie ? D’autre part, pour ces informations « réservées », il est prévu un délai de secret plus long en cas de réélection, en flagrante contradiction avec le délai prévu dans le même article 18, § 1, II, qui est de cinq ans.
Ainsi, l’histoire de la législation brésilienne sur les archives depuis 1991, peut être divisée en trois périodes. Sous la présidence de Fernando Collor de Mello (1990-1992), les archives sont régies par la loi n° 8.159 du 8 janvier 1991, dont le paragraphe 2 de l’article 23 prévoit un délai de restriction d’accès de trente ans pour ce qui concerne la sûreté de l’État et la sécurité publique, et le paragraphe 3 un délai de cent ans pour ce qui touche à l’honneur et à l’image des personnes. Sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002), une série de huit décrets institue notamment les diverses commissions d’accès dans l’administration, réglemente l’accès aux documents secrets et met l’accent sur le secret. Sous la présidence de Luis Inácio Lula da Silva (2003-2010), sont adoptés : un décret permettant des recherches sur la guérilla de l’Araguaia ; un décret réglementant l’accès aux documents et créant la Commission d’évaluation et analyse d’informations secrètes, dont le rôle sera renforcé par la mesure provisoire du 9 décembre 2004 ; une loi qui définit la composition de cette commission et sa méthodologie ; enfin, un décret permettant le versement aux Archives nationales de fonds sensibles : Conseil de sécurité nationale (CSN), Commission générale d’investigations (CGI) et Service national d’informations (SNI).
L’accès aux archives en France
La France a diverses particularités par rapport au Brésil, qui, à notre avis, tiennent à son insertion dans l’Union européenne, à sa tradition démocratique et, pour les archives, à l’héritage de la loi du 7 messidor an II, dans son article 37, ainsi qu’à l’existence d’une loi sur les archives plus de douze ans avant le Brésil. Au sein de l’Union européenne, on se préoccupe depuis des années de la question. À titre d’exemple, les 25 et 26 septembre 1998 a eu lieu, à Bucarest, une « Table ronde européenne » consacrée entièrement à l’accès et à l’ouverture des archives publiques. Des spécialistes de divers pays et d’organismes internationaux, y compris le Conseil international des archives et le Conseil de l’Europe, des juristes, des historiens et des archivistes étaient présents. Les travaux des spécialistes s’articulaient autour des questions suivantes : ouverture des archives, transparence, protection de la vie privée, mémoire et secret d’État. À cette occasion, le secrétaire général du Conseil international des archives, dans son intervention sur La géopolitique de l’accès en Europe, divisa l’Europe en trois zones quant aux règles et à la politique de communication des archives : 1) zone où se pratique une politique d’accès plutôt ouverte ; 2) zone où la restriction concerne la guerre de 1939-1945 ; 3) zone où existe une forte tradition de secret et où toute recherche dans les archives est soumise à une autorisation préalable. La France, suivant cette classification, serait en zone 2 (avec la Suisse, la Hongrie et l’Autriche), c’est-à-dire celle où est pratiquée la restriction en raison d’événements historiques. Dans ces pays de la zone 2, souligne cet auteur, il y a une pratique d’autorisation « au cas par cas » (dérogation) avec l’« accord quasi-unanime des historiens ». Nous voudrions, à ce propos, attirer l’attention sur ce que nous pensons être l’une des similitudes entre la France et le Brésil, en ce qui concerne l’accès aux archives. Nous pensons, en particulier, à l’accès aux documents dits « sensibles », selon l’expression française, soit les archives qui amènent à la surface des « traumas historiques » : au Brésil, toutes les archives en rapport avec les périodes d’exception, spécialement celles de la dictature militaire (1964-1985) ; en France, spécialement, la période 1939-1945 et la guerre d’Algérie.
Examiner la situation de la France signifie, toutefois, considérer son insertion dans l’Union européenne, donc les politiques européennes en matière d’accès, et, pourquoi pas, prendre en compte le fait que Paris soit le siège du Conseil international des archives. Jusqu’en 2008, la France avait deux lois principales réglementant l’accès aux archives : la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 qui réglemente l’accès aux documents administratifs et la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, deux lois des années 1970, décennie pendant laquelle, au Brésil, était encore en vigueur la législation conçue et mise en œuvre par la dictature militaire. Ces lois françaises résultaient de discussions depuis les années 1960 avec des mouvements pour le droit à l’information. Pour certains analystes français, cela était dû à trois causes : a) l’existence d’un public plus éduqué dans le sens du « droit de savoir » ; b) la nécessité pour l’administration française, critiquée pour son « goût du secret », d’améliorer son image en ouvrant ses archives ; c) l’utilité de l’accès à l’information comme moyen de faire adhérer l’opinion publique aux projets collectifs.
À l’instar de ce qui s’est produit au Brésil dans les années 2000, comme analysé plus haut, une série d’événements dans la décennie 1990 mit le sujet de l’accès aux archives à la portée des principaux journaux français, suscitant divers débats entre autorités, organisations internationales, archivistes, historiens et juristes. Parmi ces événements, la publication du livre de Sonia Combe, Archives interdites. Les peurs françaises face à l’histoire contemporaine, édité pour la première fois en 1994, causa beaucoup de polémiques et de controverses, avec de fortes critiques du système français d’accès aux archives. Tout ceci conduisit à de nombreuses réflexions et actions sur la politique d’accès aux archives en France. Les lois existantes paraissaient ne pas tenir compte des exigences de la recherche scientifique et des nouvelles demandes d’accès aux archives. En conséquence, des mesures furent prises par le gouvernement français. En mars 1995, le Premier Ministre d’alors, Édouard Balladur, nomma Guy Braibant pour élaborer un rapport sur les conditions d’application de la loi sur les archives de 1979. Dans la lettre de mission n° 161/95/SG en date du 25 mars 1995, nommant Guy Braibant, le Premier Ministre français énumère les raisons de cette mission :
« […] Le régime des restrictions d’accès auxquelles sont soumises certaines catégories de documents doit être réexaminé. La loi de 1979 et ses textes d’application ont édicté des règles qui tentaient de concilier l’impératif de transparence des administrations avec le devoir de protection de la vie privée. Il faut s’assurer que l’évolution des mentalités n’a pas eu pour effet de déplacer le point d’équilibre entre ces deux exigences. »
En 1996, le rapport Braibant est publié et, la même année, l’Association des archivistes français (AAF) organisait un colloque (28 et 29 mars 1996) sur le thème « Transparence et secret : l’accès aux archives contemporaines », dont les actes furent publiés dans La gazette des archives, en 1997. Un an après la publication du rapport Braibant, une circulaire en date du 2 octobre 1997, émanant du Premier Ministre français de l’époque, Lionel Jospin, tentait, d’une certaine manière, de réparer certaines failles de la loi sur les archives alors en vigueur. La circulaire réglementait l’accès aux archives publiques de la période 1940-1945. L’année suivante, en 1998, un arrêté en date du 13 mai réglementait l’ouverture des fonds d’archives publiques relatif à la période 1940-1945. En 1999, une circulaire du 4 mai réglementait l’accès aux archives publiques relatives à la manifestation du 17 octobre 1961. En 2001, une circulaire du 13 avril portait sur l’accès aux archives publiques relatives à la guerre d’Algérie. Toutes ces initiatives démontraient qu’il y avait un problème de fond en rapport avec l’accès aux archives. La nouvelle loi sur les archives, promulguée le 15 juillet 2008, semble donc avoir résulté d’une insatisfaction croissante, depuis les années 1990, de la société française, en particulier des chercheurs, concernant les délais de communication des documents prévus dans la loi de 1979 et la politique de dérogation.
L’accès aux archives au Brésil et en France : convergences et divergences
Nous avons dit précédemment que la loi brésilienne sur les archives de 1991 s’inspirait, dans une certaine mesure, de la loi française de 1979. Un point de similitude avec le Brésil se traduit dans le temps de gestation de la loi de 1979, laquelle, conçue en 1972, ne fut toutefois promulguée qu’en janvier 1979, soit sept ans plus tard. La loi brésilienne sur les archives, conçue en 1981, ne fut promulguée qu’en 1991, soit dix ans plus tard. À la différence de la France, dont l’avant-projet de loi sur les archives fut le produit d’une large concertation, au Brésil l’avant-projet fut conçu sous le régime militaire, donc avec des restrictions découlant de la conjoncture politique, même si, d’après mes recherches dans les archives du Sénat fédéral et de la Chambre des députés brésiliens, les archivistes, par la voix de l’Association des archivistes brésiliens et des Archives nationales, avaient proposé des amendements au projet initial. Parmi les contributions les plus importantes de la loi française à la loi brésilienne figurent l’établissement de délais de communication (inexistants jusque là) et la définition des archives publiques et des archives privées, ces dernières faisant l’objet de la protection de l’État en raison de leur intérêt public. Curieusement, contrairement à la loi française, le principe général qui guidait la loi brésilienne était que « les archives sont communicables de plein droit », ce qui ne va apparaître dans la loi française qu’en 2008 (chapitre III : « Régime de communication »). La loi brésilienne de 1991, comme la loi française de 1979, imposait des délais à certaines catégories de documents quand il s’agissait de sûreté de l’État et de sécurité publique (trente ans) ou de l’honneur et de la vie privée des personnes (cent ans). Toutefois, la loi brésilienne de 1991 ne détaillait pas les types de documents soumis aux deux délais (trente et cent ans) comme le fait la loi française. Ceci laissa une grande marge d’interprétations aux administrations. D’autre part, la loi française de 1979 souligne, dès l’article 2, la responsabilité du fonctionnaire quant au secret professionnel dans la communication de tout document « qui ne peut être légalement mis à disposition du public ». Cet aspect de la législation fut considéré « intéressant » par Ariane Ducrot. Ce principe a son équivalent dans la loi brésilienne de 1991 qui, dans son article 6, affirme que « le droit à indemnisation pour dommage matériel ou moral découlant de la violation du secret est garanti, sans préjudice des actions pénale, civile et administrative ». D’autre part – et c’est là une différence importante entre le Brésil et la France – la loi française sur les archives de 1979 fut promulguée après la loi de 1978 visant à « améliorer les relations entre l’administration et le public… », dont l’article 5 créait la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Cela peut ne pas avoir été suffisant pour la société française mais, en comparaison du Brésil, c’est déjà beaucoup.
Au-delà des aspects déjà cités précédemment, à partir des recherches que nous avons faites sur l’accès aux archives en France et au Brésil, nous avons identifié quelques convergences ou divergences entre les deux pays. Elles touchent d’abord à la formation des archivistes : en France, une formation séculaire dont les débouchés sont plutôt dans la fonction publique ; au Brésil, une formation très récente, dispensée dans les universités publiques, dont les débouchés peuvent être le secteur public, mais aussi le privé. En outre, il nous semble que cette formation différente a un impact sur la perception que les archivistes français et brésiliens ont des questions liées à la communication des archives. D’autre part, dans le cadre de cette formation, que ce soit au Brésil ou en France, il y a peu de place dans l’enseignement pour débattre des nouvelles demandes des citoyens et des chercheurs en matière de communication des archives. Nous pensons qu’en France de même qu’au Brésil, les archivistes en général sont encore figés dans leur rôle de « gardien » des archives, dans une fonction, en quelque sorte, de contrôle. Nous pensons que les archivistes, en tant que médiateurs des informations contenues dans les archives, au Brésil, en France ou ailleurs, vivent une sorte de tension permanente entre le droit d’accès des citoyens aux archives, la recherche scientifique et la protection des producteurs d’archives qu’ils soient publics ou privés. Néanmoins, à notre avis, en France, à la différence du Brésil, les archivistes discutent beaucoup plus de ces questions. Les colloques et les publications de l’Association des archivistes français, en faisant appel à des spécialistes et aussi à des chercheurs, en sont des exemples.
L’autre aspect que nous voudrions mettre en évidence tient à la manière dont l’un et l’autre pays sont en relation avec leur mémoire et l’écriture de l’histoire. En ce qui concerne le Brésil, y compris pour ce qui touche à la période de la dictature militaire, les gens ne se sentent pas aussi concernés qu’en France, particulièrement les historiens qui ont dans les archives leurs matériaux de recherche. En France, les chercheurs sont plus mobilisés et on y comprend beaucoup mieux, à notre avis, les enjeux des archives pour l’écriture de l’histoire.
Pour conclure cette conférence, quelques dernières remarques. Les lois récentes dans les deux pays (une déjà promulguée, celle de la France en juillet 2008 ; l’autre, au Brésil, encore en examen au Congrès national) démontrent que les lois des décennies 1970 (France) et 1990 (Brésil) et les tentatives de palliatifs comme des décrets, des arrêtés, des circulaires, des mesures provisoires ne tiennent pas compte des attentes de la société dite de l’information, où la transparence et la responsabilité des gouvernements sont à l’ordre du jour. Enfin, les législations des deux pays, y compris les plus récentes, nous offrent matière à réflexion. La loi française de 2008, par exemple, reflète la conjoncture relative au terrorisme, quand elle maintient incommunicables certains types de documents (art. L. 213-2, « II. ― Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d'entraîner la diffusion d'informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d'un niveau analogue»). Le projet de loi en examen au Congrès national brésilien insiste pour maintenir le secret sur les actes des gouvernements, déterminant, explicitement, un délai de secret pour tout document considéré comme mettant en danger la vie du président et du vice-président de la République et de leurs familles. Ces textes législatifs démontrent combien la législation sur les archives souffre des injonctions de la politique et de la conjoncture nationale et internationale.