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Gaby Knoch-Mund, université de Berne — 2 novembre 2009

La construction de la mémoire privée et collective et l’archivistique en Suisse.

Se souvenir comme impératif personnel, collectif et professionnel.

1. Introduction

La thématique de la mémoire est en vogue depuis une vingtaine d’années. Issue des réflexions philosophiques, téléologiques et théologiques d’après guerre, des recherches de la neuropsychologie et de la neurolinguistique, elle préoccupe également les archivistes et les records managers, les bibliothécaires et les conservateurs de musées qui, tous, prétendent collecter, conserver, établir et mettre à disposition la mémoire ou le patrimoine, la mémoire des institutions ou même la mémoire de la nation. Mais peut-on vraiment définir la bonne mémoire ou la bonne sélection des documents ?

La politique, les sciences et la littérature s’en mêlent. EIles parlent chacune de témoignage dans un sens différent du mot. Le témoignage politique est fondé sur les lois qui, selon leur interprétation, leur adaptation et leur évolution au cours du temps, ont permis de sauver ou de détruire des actes et des documents considérés aujourd’hui comme indispensables pour la compréhension d’une époque. On parle en Suisse d’une politique de la mémoire nationale, une mémoire qui n’est plus seulement conservée par les archives de l’État – comme on le réalise de plus en plus.

Les sciences naturelles constatent que la mémoire de la nature est en danger avec le changement du climat. Les glaciers se retirent. Mais ce sont aussi les résultats des recherches des scientifiques qui ne sont pas assurés à long terme et c’est maintenant que les grandes écoles techniques mettent en route des programmes pour sauver les données matérielles et immatérielles. En lettres, les positions sont autres. La littérature avec une thématique mémorielle est immense. Ce sont des textes qui mettent au centre les émotions, les événements de chaque guerre, de chaque génocide et les amours perdues. Mais ce n’est pas l’horreur qui constitue la mémoire, ce sont les images, les photos, les sons, les odeurs, la musique.

Cette discussion sur la mémoire dans les champs variés des sciences, de la politique, et de l’art pourrait renforcer la position de l’archiviste. Il ou elle n’est plus la seule personne qui s’occupe de la mémoire, mais c’est l’archiviste qui est le professionnel organisant la mémoire. Il ne doit pas se battre avec les autres institutions ou se mettre en concurrence avec les autres professions ou théoriciens de la mémoire, parce que le monde des archivistes n’aurait aucune chance contre les bibliothèques et les musées, dominants en nombre et en rayonnement. Mais l’archivistique pourra prendre la position de « leader », de chef de file, dans la réflexion académique sur la définition de la mémoire, en étant responsable d’une partie de la conservation patrimoniale. L’archivistique, qui n’occupe que très peu de chaires universitaires en Europe centrale ou occidentale, dispose des théories permettant d’animer la discussion et des pratiques à mettre en œuvre.

L’exemple suisse va montrer que la discussion sur la construction de la mémoire est permanente. La constitution de la mémoire est une thématique qui ne concerne pas seulement les Archives fédérales suisses ou les services d’archives cantonaux. Ce sont surtout des organisations privées qui sont souvent placées au premier rang, en sauvant des archives privées, en reconnaissant et découvrant des sources récentes et nouvelles. Ce sont les initiatives privées qui établissent une vraie politique de « mémorisation » (terme utilisé par le professeur Knoepfel de l’Institut de hautes études en administration publique à l’université de Lausanne). Ce sont souvent des institutions privées ou semi-privées qui prennent l’initiative de la mise « à l’abri de l’oubli », comme nos collègues québécois le déclarent dans leur brochure sur les archives privées1. Mais les initiatives privées, souvent dispersées, perdent tout leur pouvoir si elles ne sont pas institutionnalisées et, plus encore, financées à long terme. C’est donc le devoir de l’État que de se mêler de la construction de la mémoire et d’établir un partenariat, une collaboration public-privé (« privat-public-partnership »).

Ce ne sont pas seulement l’argent ou les intérêts particuliers qui jouent là un rôle ; ce sont aussi les bases juridiques établies par les lois sur les archives ou sur l’archivage, qu’elles soient nationales, cantonales ou exceptionnellement communales, qui permettent d’agir et de réagir aux besoins de la mémoire ou de l’«  Überlieferungsbildung », terme allemand désignant le processus de formation et d’établissement d’une tradition et construction de la mémoire. Les lois et la théorie actuelle de l’évaluation2 influencent les possibilités d’action des archivistes. Et les archivistes peuvent agir, même si le domaine privé est encore très fermé et bien protégé en Suisse ; il a d’ailleurs été récemment plusieurs fois remis en cause, lors de la discussion importante autour des comptes juifs en déshérence dans les années quatre-vingt-dix ou lors de la mise en question du secret bancaire aujourd’hui.

Mais en tout état de cause je suis optimiste, comme vous pourrez le constater à la fin de ma conférence, où je donnerai quelques indications et remarques sur l’enseignement archivistique en Suisse, un enseignement universitaire à Berne et à Lausanne où les universités collaborent pour le développement d’une meilleure pratique archivistique – laquelle a aussi pour but de montrer les développements, les devoirs et les défis d’une société du savoir qui sait gérer sa production documentaire classique et numérique3, une société qui, dans le futur, ne devrait pas rester sans mémoire4.

2. Positions philosophiques

La littérature scientifique traitant des concepts de mémoire collective et individuelle est immense. Il est devenu extrêmement difficile d’en avoir une vue d’ensemble. Ce sont la théologie, la philosophie et l’histoire culturelle qui occupent ce champ et dominent le discours intellectuel – ou se concurrencent.

Pour cette raison, je renonce à en dresser un panorama exhaustif. Vous connaissez vous-mêmes tous les points de vue et les étapes importantes5, et je n’évoquerai que certaines positions marquantes dans le débat allemand et français en philosophie, en sociologie et en histoire culturelle ; j’aborderai ensuite la transposition de la pensée et des idées philosophiques en littérature.

En Allemagne, Jan Assmann et Aleida Assmann sont des scientifiques extraordinaires qui ont marqué la recherche. Jan Assmann avec sa connaissance des cultures anciennes, Aleida Assmann avec sa capacité à développer de grands concepts politiques et culturels6. Tous deux mettent l’accent sur les concepts d’éducation classique et de culture. Mais pourquoi ne pas les utiliser aussi pour des archives dont les fonds et les collections dépassent l’administration publique ? C’est aussi grâce à des scientifiques de culture générale qu’on parle si souvent de mémoire. Friedrich Beck, archiviste et paléographe allemand, cite Jan Assmann dans les Mélanges Botho Bachmann7 : « Ohne Archive ist keine Geschichtsschreibung möglich » (pas d’historiographie sans archives)8. Et il laisse Dragan Kujundic lui répondre dans le même article : « Kein Gedächtnis ist ohne Archiv möglich » (pas de mémoire sans archives).

Mais je reconnais que ce sont surtout des auteurs français qui ont tiré le débat vers les archives. Heureusement leurs textes sont traduits dans de multiples langues et ils ont enrichi la discussion partout dans le monde.

Les Lieux de mémoire de Pierre Nora, commencés en 1984, ont mis l’accent sur les institutions d’une nation. Le concept de « lieu », non seulement comme lieu physique mais aussi comme lieu symbolique qui détermine la pensée collective d’un groupe, a initié beaucoup de recherches postérieures. Nora a aussi créé un langage nouveau pour parler du passé, de l’héritage immatériel, matériel et symbolique d’une nation sur la longue durée, pour animer l’historiographie critique de notre temps et remettre en question le concept de commémoration. Son influence se voit certainement en Allemagne, qui commémore en 2009 plusieurs dates problématiques du siècle passé. Pour cette raison, les recherches du Sonderforschungsbereichs 434 « Erinnerungskulturen » (section spéciale de recherche « Cultures de la mémoire ») à l’université de Gießen prolongent la réflexion, par exemple avec l’ouvrage suivant : Erinnerungsorte : das Konzept der « Lieux de Mémoire » in der deutschsprachigen Geschichtswissenschaft (Lieux de mémoire : le concept des lieux de mémoire dans la science de l’histoire en langue allemande)9.

Ainsi la réinterprétation de l’œuvre de Nora pourrait lier plus étroitement l’histoire événementielle à l’histoire culturelle, une voie rarement utilisée par les archivistes qui défendent la démocratie et l’accès aux documents. Mais après que l’histoire sociale est devenue pour longtemps l’approche dominante, les publications et les études récentes autour de l’histoire et de la mémoire culturelle, de Peter Burke dans un contexte anglophone à Astrid Erll pour le contexte allemand, enrichissent la discussion10. L’approche culturelle peut éventuellement surmonter les barrières nationales comme dans le premier volume paru l’année passée de Vice versa. Deutsch-französische Kulturstudien11. Elle permet d’ouvrir au contexte européen les notions de mémoire et de réminiscence.

Citons un autre auteur francophone : Paul Ricœur propose une approche existentialiste avec son opus monumental La mémoire, l’histoire, l’oubli12. La mémoire est existentielle, il y a de l’us et de l’abus dans sa fonction de réminiscence. Et l’histoire sert comme correctif et approche critique pour établir ensuite une conscience historique.

Les archives ont leur fonction comme lieu physique et lieu social de production de l’histoire, elles ne sont pas seulement « lieu de mémoire », « patrimoine national » ou moyen populaire pour créer une identité nationale.

La sociologue Elena Esposito et le philosophe Hermann Lübbe ont influencé la pratique archivistique13. La mémoire a, dans la réflexion d’Esposito, toujours une connotation archivistique, comme « réservoir (Speicher) », « archives » ou « réseau (Netz) »14. Ce qui nous intéresse le plus, ce sont les deux derniers chapitres de son œuvre sur l’oubli social où elle développe les concepts de « culture comme mémoire » et de « réseau ». Elle formule des paradoxes, des parallèles entre le passé et le présent, entre la mémoire et l’oubli15 : simultanéité ou contemporanéité du passé et du présent, de la subjectivité et de l’objectivité. En termes archivistiques, ceci nous placerait entre l’acquisition et l’évaluation. Mais c’est la caractéristique de notre métier que de vouloir éliminer le hasard et résoudre l’incompatibilité entre subjectivité et objectivité.

Lübbe est encore plus pragmatique qu’Esposito, avec son texte Im Zug der Zeit : Verkürzter Aufenthalt in der Gegenwart (Au cours du temps : bref séjour au présent)16 : on peut l’utiliser pour fonder une pratique archivistique qui doit prendre des décisions et trouver le juste moment pour éliminer les documents (numériques) ou fixer les règles de conservation. Ses textes sont intéressants, mais les évolutions techniques dépassent vite les constats philosophiques. Dans un article pour la revue des Archives fédérales suisses paru en 2001, Lübbe insistait sur trois points importants : 1° les archives sont les « lieux de transcription permanente du passé » ; 2° les archives non gouvernementales gagnent en importance (et avec elles les archives privées) ; 3° la fonction des archives comme service au public se développe17.

L’auteur qui m’est plus proche que les autres est Jacques Derrida avec son essai Mal d’archive18, qui réagit non seulement à des positions freudiennes, mais aussi à l’appel traditionnel juif de Yosef Hayim Yerushalmi, historien et chercheur américain qui était professeur invité chez le professeur Gérard Nahon à l’École pratique des hautes études à la Sorbonne, en 1988, l’année où j’ai commencé mon doctorat à Paris19.

Avec Derrida, j’aimerais également faire référence au professeur Christoph Graf, ancien directeur des Archives fédérales suisses, pionnier et premier directeur des études du programme de formation continue en archivistique, en bibliothéconomie et en sciences de l’information des universités de Berne et Lausanne. Il cite deux passages importants de Derrida que je reprends ici. Voici le premier : « La question de l’archive n’est pas […] une question du passé […] c’est une question de l’avenir, la question de l’avenir même […] »20. Et le deuxième passage : « La démocratisation effective se mesure toujours à ce critère essentiel : la participation et l’accès à l’archive, à sa constitution et à son interprétation »21. Avec Derrida nous revenons à la dimension légale et politique des archives. Avec sa réplique à Yerushalmi, nous ouvrons le concept de mémoire sur le plan de l’histoire des religions. Le fameux livre de Yerushalmi, Zachor, et son deuxième ouvrage, Un champ à Anatot, forment un plaidoyer pour une mémoire collective contre l’oubli, tout en en montrant l’ambiguïté. Des questions identiques se posent aussi à l’archiviste de notre temps confronté à des masses de documents, aux problèmes techniques et au numérique. « Es ist entsetzlich, sich an zu viel erinnern zu müssen ; noch entsetzlicher ist aber das Vergessen » (C’est affreux de devoir se souvenir de trop de choses, encore pire est l’oubli)22. Chez Yerushalmi et dans la tradition juive, j’ai trouvé ce besoin absolu et l’impératif assez catégorique de se souvenir, de maintenir, construire et constituer la mémoire. Une mémoire qui ne répond pas toujours à des critères scientifiques, surtout si on essaie de replacer le texte biblique (par exemple la lecture du passage de la Torah nommé traditionnellement Sahor23) dans le contexte politique actuel, dans lequel les religions se définissent comme communautés de la mémoire (Erinnerungsgemeinschaften), où l’évocation de la mémoire est constituante pour l’existence dans le présent et dans le futur. Ainsi la réminiscence, le processus de se souvenir ou de se rappeler le passé (en anglais, remembrance) devient parfois dangereusement anhistorique ou anachronique.

Permettez-moi de donner un autre exemple pour terminer ce petit chapitre : l’Exode (et la commémoration de la sortie d’Égypte) est déterminant dans la liturgie juive, que ce soit dans les bénédictions du sabbat ou dans la Haggadah, récit de la sortie d’Égypte. Ainsi aux lieux de mémoire, aux communautés de mémoire, aux collectivités de mémoire, s’ajoute la notion de temps de mémoire. Dans ce récit commenté de l’Exode on lit, la première nuit de Pessah : « Souviens-toi que tu étais un esclave en Égypte et raconte, comme si c’était toi qui étais sorti d’Égypte »24. La mémoire et son processus actif (Sahor, seher leziat mizrajm) sont ainsi transformés spirituellement en impératif religieux pour chaque génération25. Les représentations de la transmission à Moïse des Dix Commandements au Sinaï, de l’Exode ou du récit de cet événement de libération dans des manuscrits médiévaux en font preuve et réinventent le narratif ininterrompu26.

3. Positions littéraires

La mémoire, le grand besoin de se souvenir, ou son contraire la fuite du passé, la négation de toute transmission de génération en génération, marquent la littérature moderne en langue allemande ainsi que celle en langue française, non seulement après la Guerre, mais jusqu’à aujourd’hui. Permettez que je vous en donne cinq exemples : trois en allemand, deux en français ; quatre hommes, une femme ; trois auteurs suisses, un auteur allemand et un auteur français. Tous ont gagné des prix respectables pour leurs récits de mémoires : le prix Schiller en Suisse, le prix Heimito von Doderer en Allemagne, le prix Goncourt en France.

Urs Faes est un écrivain suisse de langue allemande, né en 1947 dans le canton d’Argovie. Il a publié plusieurs romans et est historien de formation. Pour son dernier roman, Liebesarchiv (Les Archives d’amour), paru en 2007, il a reçu le prix littéraire le plus renommé en Suisse, le prix de la Fondation Schiller. L’auteur raconte une histoire de famille compliquée, une histoire d’amour pendant la deuxième guerre mondiale en Suisse, entre une femme suisse et un réfugié polonais. C’est lors des funérailles de cette femme que les enfants des deux protagonistes se rencontrent pour la première fois. Ils découvrent le passé en héritant d’une valise avec des photos où la mémoire et les souvenirs apparaissent. En voici un petit passage :

« Ich bin nicht mein Vater. — Aber sein Sohn. — Ist das ein Verbrechen? […] Du kannst jetzt nicht einfach davonlaufen. — Möchte ich aber […] Warum kann man nicht vergessen, loslassen, endlich, was gewesen ist? […] Weil etwas bleibt, geblieben ist, ob wir das wahrhaben wollen oder nicht. — Dieses Archiv meinst du ? »27.

Ici, ce qui a survécu, ce sont des traces matérielles, des archives, qui suscitent des réflexions sur la mémoire. Une mémoire qui exclut l’oubli. Mais il faut replacer les photos de la valise dans leur contexte ; on a besoin de connaissances qui, dans ce roman, proviennent de l’échange direct entre les deux personnages qui se mettent à explorer le contenu de leur histoire et de leur mémoire en partie communes.

Jacques Chessex est un des plus grands auteurs romands, le seul Suisse à avoir reçu le fameux prix Goncourt pour son roman L’ogre. Il vient de décéder le 10 octobre 2009, à l’âge de 75 ans, pendant une séance publique à la bibliothèque d’Yverdon. Son dernier texte paraîtra en janvier 2010. J’évoque aujourd’hui son avant-dernier livre, Un juif pour l’exemple28. Dans ce bref récit – ce n’est pas un roman –, il raconte le meurtre d’Arthur Bloch, marchand de bétail et juif suisse, persécuté par les frontistes à Payerne, en 1942. N’est-il pas étonnant que Chessex n’évoque ces événements que soixante-six ans plus tard ? Ce sont les souvenirs et les recherches historiques que l’écrivain a minutieusement menées dont il doit se débarrasser avant de mourir, même s’il n’était qu’un enfant à l’époque et qu’on ne peut rien lui reprocher. Il n’est pas coupable et je ne retiens pas le concept de culpabilité collective (Kollektivschuld). C’est l’histoire, au sens scientifique du mot, que Chessex voulait compléter. Est-ce ce un apport à la construction de la mémoire ? En voici un passage :

« Mais il se passe, là encore, un autre phénomène étrange. Car il arrive que le vieil écrivain qui a assisté à cette histoire quand il était jeune garçon, parfois se réveille en plein nuit hanté et blessé […]. Il demandait où était l’homme qu’on avait assassiné et coupé en morceaux près de chez lui. Il demandait s’il reviendrait. Et quel accueil on lui ferait [...]. Tu veux parler d’Arthur Bloch, lui répondait-on très bas. Arthur Bloch, c’était avant. Histoire ancienne. Histoire morte. Donc c’est avant ? Et c’est maintenant ? »29.

Chessex raconte des événements historiques avec sa passion d’auteur. Il joue un rôle politique et son œuvre n’a pas seulement laissé des traces littéraires. Ses archives privées forment un des premiers fonds en langue française des Archives littéraires suisses, associées à la Bibliothèque nationale suisse, qui ont été fondées après le décès d’un autre grand auteur suisse, Friedrich Dürrenmatt, en 199130. Ainsi, et à plusieurs niveaux, Chessex a largement contribué à la constitution de la mémoire et du patrimoine littéraire suisses.

Jenny Erpenbeck est une jeune auteur allemande, née en 1967. Elle a obtenu des prix respectables, le prix Ingeborg Bachmann à Klagenfurt en 2001, le Solothurner Literaturpreis et le Heimito von Doderer-Preis en 2008. Son roman Heimsuchungen, dont le titre joue avec la double notion d’afflictions et de visitation31, raconte l’histoire d’un petit terroir aux alentours de Berlin. En douze récits, l’auteur décrit dans une langue simple, poétique, parfois lacunaire, deux siècles d’histoire allemande et européenne : le désir des individus à la recherche du bonheur et de la paix, les troubles et les afflictions dues aux crises politiques et aux nazis. C’est encore une fois la mémoire d’un lieu. Mais est-ce pourtant un lieu de mémoire ? La critique a évoqué les grandes notions de mémoire collective littéraire formée par les personnages représentés dans ce petit livre. Le texte a été récemment traduit dans une douzaine de langues, la traduction française vient de paraître à l’automne 2009. En voici un extrait, résumé ensuite en français :

« Heim wolle er, nur noch heim, hatte der als Bürgermeister eines kleinen Städtchens im sogenannten Warthegau eingesetzte deutsche Beamte in sein Tagebuch geschrieben, nachdem sein Kollege ihm berichtet hatte, dass während seines Urlaubs sämtliche Juden aus der Gegend in der Kirche zusammengetrieben [...] worden waren [...]. Als sie das Tagebuch dieses Bürgermeisters in Händen hielt, hatte es sie angewidert, dass der deutsche Beamte, wie aus dem Verlauf des Tagebuchs hervorging, dann doch auf seinem Posten und in seinem Büro geblieben war [...]. Dennoch hatte sie seinen Satz niemals vergessen können, heim wollte er, nur noch heim, hatte er gerufen, wie ein Kind, das alles darum geben würde, nicht zu sehen, was es sieht, aber gerade in diesem einen kurzen Moment [...] hatte dieser [...] Beamte gewusst, dass daheim niemals mehr Bayern, niemals mehr Nordseestrand oder Berlin heissen würde, daheim hatte sich in die Zeit selbst verwandelt, die hinter ihm lag, Deutschland sich auf Nimmerwiedersehen in etwas Körperloses, in den verlorenen Geist, mit dem man all jene Schrecken weder wusste, noch sich vorstellen musste. H-e-i-m. Warte, nur balde. »

« Rentrer chez lui, il voulait juste rentrer chez lui ». Je résume : Le maire d’une petite ville occupée écrivait dans son journal intime qu’il voulait absolument rentrer chez lui après avoir appris qu’on avait tué les Juifs pendant son absence. La protagoniste du roman lit ces lignes et commence à réfléchir ce que signifie la notion de patrie, pays ou berceau, « heim » ou « Heimat » en allemand traduit ici par « son chez-lui, domicile fixe et pays perdu »32. La protagoniste de ce chapitre, ou plutôt l’auteur, met l’accent sur le fait que le fonctionnaire avait réalisé qu’il avait perdu cette place assurée à la maison, que la notion de Heimat avait changé pour toujours, même si le mot subsistait, que Heimat ne désignait plus un lieu, mais une abstraction mise en question par les les événements de l’histoire »33.

Christian Haller, né en 1943, est un auteur de Suisse allemande dont l’œuvre sort de notre petit pays pour s’étendre à l’Europe. Sa trilogie du souvenir et de la réminiscence, Trilogie des Erinnerns, est de grand intérêt pour tout historien. Les prix littéraires qui lui ont été décernés (le prix du canton d’Argovie en 2006, le prix de la Fondation Schiller en 2007) témoignent du respect porté à son œuvre. Les volumes de sa trilogie ont paru entre 2001 et 2004, le texte entier en a été publié en 200834. Ce roman, qui couvre l’histoire de plusieurs générations, se déroule en Suisse et en Roumanie, à Bucarest, pendant tout le xxe siècle, avec une insistance sur les années 1920 à 1950. Les lieux de mémoire physiques sont clairs, mais les souvenirs personnels et la mémoire collective mettent au centre du roman – autour de l’histoire industrielle suisse – une partie de l’histoire des intellectuels de l’opposition en Roumanie ainsi que l’histoire des immigrants juifs en Suisse dans un contexte européen. Dans ses descriptions dépouillées et presque arides, on respire l’angoisse effrayante de milieux très divers et la confrontation entre les cultures et les mentalités.

En voici trois citations :

« Man hat mich immer wieder aufgefordert, über meine Erlebnisse im Gefängnis und auch danach, in der Klinik, zu schreiben. Ich kann es nicht. Ich kann nicht einmal vergessen. Täglich kämpfe ich gegen die Erinnerung an. Jetzt zum Beispiel »35.

« Grossvater hatte keine Geschichte. Und so hatten auch Vater und seine beiden Brüder keine. Die H.s waren nur einfach da, wie ein Naturereignis, das sich in vulkanischen Ausbrüchen manifestiert »36.

« — Ich erinnere mich nur noch an Dinge, die weit zurückliegen. Sie streckte die Hand nach dem Glas aus. So weit zurückliegen, dass ich mich nicht mehr an sie erinnern kann »37.

Les passages cités évoquent la mémoire individuelle et collective en même temps. Les écrivains ont la possibilité d’accentuer, d’exagérer, de désigner librement ce qui caractérise une époque, contrairement aux historiens dans leur fonction d’historiographe et aux archivistes dans leur travail de collecte ou de tri. On aimerait toujours exclure la subjectivité, être neutre, être politically correct. Mais les archivistes – en désignant des concepts d’acquisition et en respectant des règles de tri et d’évaluation – essaient d’avoir sous contrôle la production documentaire et de conserver l’important et le représentatif des années passées, du temps présent. Ils s’attachent à créer des bases légales et informatisées afin que la documentation actuelle soit elle aussi conservée dans le futur.

Il faut garder la mémoire et il faut la dire. Telle est la thématique du dernier texte littéraire que j’aimerais vous présenter maintenant. Le psychanalyste et auteur français Philippe Grimbert fut couronné par le prix Goncourt en 2004 pour son roman Un secret38. Dans ce texte qui contient des éléments autobiographiques, il raconte l’histoire de ses parents, de son frère et ainsi sa propre histoire. Autour de l’histoire personnelle cruelle des individus et de leur incapacité de parler, il découvre son passé. Le narrateur s’invente un frère pour calmer sa solitude et il découvre qu’il avait un vrai frère réel, déporté et assassiné pendant la Shoa. Ses parents gardent et cachent la mémoire, mais ils ne parlent pas. C’est une réaction typique de la génération survivante, réaction lourde à porter pour les enfants qui sont exclus d’une partie de l’histoire familiale et de la mémoire commune. Elle a été de nombreuses fois commentée, transposée sous forme littéraire ainsi que mise sur scène, entre autres par l’auteur israélienne Savyon Liebrecht avec sa pièce de théâtre Regarde-moi et parle39. Le psychanalyste y provoque la catharsis avec le suicide de la mère consécutif à l’assassinat de la deuxième guerre mondiale. La mémoire demande son tribut, le secret est mis à jour. Je vous en cite quelques lignes40:

« Après une profonde inspiration j’ai continué. J’ai prononcé le nom d’Hannah et celui de Simon. Surmontant ma crainte de le blesser je lui ai livré tout ce que j’avais appris, ne laissant dans l’ombre que l’acte suicidaire d’Hannah. Je l’ai senti se raidir, serrer ses mains sur ses genoux. J’ai vu blanchir ses jointures mais, décidé à poursuivre, je lui ai donné le numéro du convoi, la date du départ de sa femme et de son fils pour Auschwitz, celle de leur mort. Je lui ai dit qu’ils n’avaient pas connu l’horreur quotidienne du camp. Seule la haine des persécuteurs était responsable de la mort d’Hannah et de Simon. Sa douleur d’aujourd’hui, sa culpabilité de toujours ne devait pas permettre à cette haine d’exercer encore une fois ses effets. Je n’ai rien dit de plus. Je me suis levé, j’ai tiré les doubles rideaux, ouvert la porte et demandé à ma mère de nous rejoindre. Et j’ai tout répété, afin qu’elle sache, elle aussi. […] Je venais de délivrer mon père de son secret. »

La dimension existentielle est au centre de la mémoire individuelle de Grimbert. La mémoire collective et la mémoire individuelle se croisent et se tuent. À la fin il ne reste que la mémoire. Les souvenirs forment une partie importante de l’individu, les événements doivent être révélés, mais juger le passé pour vivre dans le futur ne devrait pas conduire à détruire les traces du passé. La volonté de détruire les traces est une réaction populaire après la chute d’un régime politique. En Suisse, cela a été vécu lors des différentes crises politiques des trente dernières années : l’affaire des fiches (« documents établis par le Service de police du Ministère public de la Confédération pour assurer la sécurité de l’État »)41, les dossiers de « L’œuvre des enfants de la grand-route » (les enfants des Sinti et Roma enlevés à leurs parents pour les socialiser dans des familles suisses)42, les dossiers de police perdus ou plutôt détruits des réfugiés juifs de la deuxième guerre mondiale, les comptes en déshérence etc.43.

Pour résumer les approches littéraires – librement choisies selon mes lectures et préférences de l’année précédente – et leur apport à notre idée et concept de constitution de la mémoire, je constate que les textes littéraires reflètent et condensent la politique archivistique. Ils reconnaissent l’importance des archives. Les romanciers discutent des concepts d’archivage sans être des professionnels en archivistique. Ils mettent en question des tendances patrimoniales en niant le nationalisme.

Mémoire, déjà il y a longtemps, et archives, dans des temps plus récents, sont devenues des thèmes littéraires. Pourquoi ne pas profiter de cette voie populaire et utiliser le pont culturel et littéraire ? La discussion sur la mémoire culturelle ainsi que la production littéraire peuvent être utiles aux archivistes. Les auteurs cités ci-dessus reflètent ainsi des idées centrales de notre profession parce qu’eux-mêmes participent comme auteurs et professionnels (historien, professeur de littérature et homme politique, artiste-régisseur, zoologue, psychanalyste) à notre société et qu’ils y jouent un rôle actif.

La mémoire individuelle est importante. Elle démontre que la subjectivité influence la pensée générale. Les émanations littéraires sont une abstraction de l’individu et de l’individualisme, ainsi elles influencent ou renforcent à leur tour l’opinion publique.

4. Les archives publiques et privées en Suisse et la construction de la mémoire : positions archivistiques dans le contexte des sciences de l’information

Revenons aux archivistes et à leurs concepts de construction ou de constitution de la mémoire dans un contexte pragmatique en Suisse. Mais soyons conscients qu’eux aussi – et nous-mêmes – dépendons et sommes prisonniers de notre temps, de la situation personnelle et politique, même si nous nous cachons derrière des besoins techniques et administratifs ou des contraintes financières.

A Berne, en Suisse allemande où je vis, l’école allemande d’archivistique est plus visible et – par méconnaissance (des décrets, des règlements, des inventaires etc.) – semble être également plus solide et plus pragmatique (avec le concept de la « Registratur » et du « Registraturplan ») que l’archivistique française dont les concepts dépendent d’une structure étatique assez différente. Ce n’est que lentement et avec le développement d’une formation universitaire nationale que le concept franco-canadien du calendrier de conservation est pris en considération en Suisse allemande. Pour cette raison, j’ai choisi des exemples d’auteurs français pour la réflexion autour de la mémoire et je vais maintenant mettre l’accent sur des institutions dans la partie alémanique. Je vais parler moins de la mémoire, mais évoquer l’évaluation (« Bewertung ») comme archiviste. Les théories sur l’évaluation ont fait l’objet de discussion tout au long du siècle passé et sont encore un objet de discussion aujourd’hui en Allemagne ou en France – mais ce n’est pas mon propos de vous présenter l’histoire de l’évaluation en Allemagne et en France ou sa relation avec la construction de la mémoire.

L’oubli fait partie intégrante de la mémoire. L’élimination et la sélection conscientes sont des fonctions clé de l’archivistique et de la bibliothéconomie. On parle d’achat et de réseaux dans le contexte bibliothéconomique. Dans les deux domaines, on parle d’ » information retrieval » et de « data mining » pour localiser les données et trouver les réponses pertinentes. Dans le monde des archives, influencé par les théories du cycle de vie des documents et les processus du « records management », on établit des politiques d’évaluation prospective et de prise en charge des archives avant même leur création. Les processus et les délais de conservation sont les bases de l’évaluation et de la constitution de la mémoire ou en allemand de l’» Überlieferungsbildung ». Des théories souvent adoptées et discutées sont les modèles « top down », le « sampling » (l’échantillonage), le plan documentaire (« documentation strategy » ou en allemand, « Dokumentationsplan »), critiqué par Frank Bischoff (jusqu’en juillet 2009 directeur de l’école archivistique de Marbourg)44. Les modèles doivent faire la preuve qu’ils répondent aussi aux besoins de l’ère numérique, « parce que le numérique n’est pas immatériel ». Ce constat formait le point de départ d’un colloque de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales en mai 2008 dont une manifestation publique fut intitulée « Que signifie la notion de “patrimoine immatériel” pour le monde scientifique ?»45.

L’équilibre entre le privé et l’administration, entre les personnes physiques et morales, entre le local, le national et l’international est fragile. C’est une des conclusions du livre de Bruno Delmas46, professeur à l’École des chartes, et d’une publication des Archives fédérales suisses sur la Constitution du patrimoine international des archives47. On y trouve la même ambiguïté dans la notion de patrimoine, avec un risque d’abus.

Ces dernières années, nous avons pu voir en particulier la fin de quelques mythes nationaux suisses (par exemple le rôle de la Suisse pendant la deuxième guerre mondiale, le secret bancaire suisse etc., le premier encore une fois évoqué dans la presse suite au décès, fin octobre 2007, du président de la Commission indépendante d’experts suisse « Seconde guerre mondiale », le professeur Jean-François Bergier48).

On n’a pas seulement abandonné des mythes, mais on a créé une nouvelle notion pour décrire l’activité et la méthode visant à constituer le patrimoine national, c’est la « memopolicy » ou « mémopolitique ». Peter Knoepfel, professeur à l’IDHEAP (Institut des hautes études en administration publique à l’université de Lausanne), et son assistante Mirta Olgiati, ont dessiné ensemble une politique de la mémoire nationale. Au cours de ce projet de recherche et d’analyse des politiques publiques sur le plan national, ils ont exploré la stratégie de la politique d’acquisition et d’achat dans les institutions, c’est-à-dire la collecte, le traitement et la préservation de l’information et du patrimoine documentaire au niveau national.

© Mirta Olgiati et Peter Knoepfel

Mandatés par l’office fédéral de la Culture, ils ont exploré le processus entier de traitement des documents jusqu’à la conservation à long terme, la mise à disposition des données ainsi que leur communication. Il est remarquable qu’ils aient essayé d’harmoniser les fonctions bibliothéconomiques et archivistiques.

Les deux chercheurs de l’IDHEAP font la différence entre données mémorisables et données mémorisées, entre le principe général d’une valeur de « mémorisabilité », la dignité à la mémorisation et la mémorisation réelle. Ils n’utilisent pas la terminologie technique du cycle de vie ou du « records continuum » pour les fonctions clés des bibliothécaires et archivistes (ou « records managers »). Il apparaît que les deux chercheurs en « public management » sont parfois moins exacts et très éloignés de la terminologie archivistique et des réalités des institutions. Ils décrivent les fonctions en quatre étapes49, en laissant de côté l’acquisition ou l’achat : capacité de production, jugement, stockage, mise en valeur. Malgré ces différences ou négligences, leurs résultats méritent d’être discutés et contestés. Ils ont atteint au minimum un des buts de leur recherche parce qu’ils ont donné une nouvelle voix aux institutions qui ont pour mission le service public, dans un langage qui peut être compris par les acteurs politiques.

Knoepfel et Olgiati50 prennent également en considération les institutions privées ou semi-publiques qui gardent des archives privées parce qu’elles jouent un rôle toujours plus grand dans la constitution de la mémoire nationale. Il faut revenir « au cœur de la problématique » et c’est la question centrale qu’ils posent dans leur rapport final de 2009 : « Est-ce que les politiques helvétiques en matière d’archivage, préservation de l’information, sauvegarde du patrimoine documentaire sont adéquates en regard de l’évolution du domaine ? »51.

5. L’acquisition des archives privées : bases légales et pratique actuelle

Permettez-moi d’esquisser brièvement le paysage des archives en Suisse, un pays fédéraliste où les cantons et les communes défendent leur indépendance et refusent toute tendance centralisatrice. En outre, comme je l’ai déjà mentionné plus haut, la Suisse est toujours un pays qui protège la sphère privée.

L’État est marqué par le fédéralisme et le principe de subsidiarité : sont producteurs de documentation l’administration fédérale (la Confédération), 26 cantons (y inclus les demi-cantons), 2715 communes, environ 1500 bourgeoisies et coopérations de montagne, près de 310 000 entreprises, les paroisses, un grand nombre d’organisations politiques et internationales, 7,5 millions d’habitants52.

Le fédéralisme favorise le morcellement. Beaucoup d’archivistes travaillent assez isolés dans de petites institutions, mais l’Association des archivistes suisse a reconnu ce danger et elle promeut et encourage la collaboration, l’échange et l’établissement de réseaux. En particulier, elle a établi des groupes de travail où les archives collaborent sur le plan national, par exemple dans le domaine du « records management », de la numérisation, de l’évaluation, de la constitution de la mémoire locale ou nationale. En plus, elle met l’accent sur la professionnalisation : nous sommes ainsi très heureux que l’Association nous ait toujours soutenu moralement dans notre projet de formation universitaire en archivistique.

Sur le plan national, nos principales institutions sont les Archives fédérales suisses et la Bibliothèque nationale suisse (sans mentionner ici les bibliothèques des écoles polytechniques fédérales suisses, l’ETH à Zurich et l’EPFL à Lausanne), et les nouvelles institutions nationales que sont la Phonothèque nationale suisse, la Cinémathèque suisse, la Fondation suisse pour la photographie53. Le secteur privé est très hétérogène et je ne mentionne que quelques services d’archives : les Archives sociales suisses, Documentation et Archives de SRG SRR idée suisse (la radio, émetteur de TV), les Archives de l’économie suisse (Schweizerisches Wirtschaftsarchiv), les Archives d’histoire contemporaine (Archiv für Zeitgeschichte ETH Zürich) et les Archives littéraires suisses (associées à la Bibliothèque nationale suisse).

© Mirta Olgiati

Toutes ces institutions sont engagées dans le processus de constitution du patrimoine national, dont les archives privées représentent une partie importante. Pour ce qui est des archives administratives, nous constatons un changement de paradigme sur deux points. Premièrement, les autorités et l’administration sont obligées de verser leurs documents aux archives. Le versement des archives pour l’archivage définitif n’intervient qu’après leur évaluation, leur inventaire et leur indexation. Deuxièmement, l’évaluation des documents se fait au début du processus (d’archivage ou du « records management ») lors de la création du document numérique ou même avant. Ce changement devrait permettre d’éviter des lacunes patrimoniales et une société sans mémoire. Ce processus est de plus en plus réglé par des lois sur les archives ou l’archivage. On a besoin de bases légales et de critères de sélection clairs ainsi que de processus normés pour la production de la mémoire nationale. C’est indispensable pour le contrôle de qualité, la cohérence, l’efficacité et le transfert du savoir. Il en va de même pour la transparence, la sécurité juridique, l’impartialité et la responsabilité54.

En ce qui concerne les archives privées conservées dans les services d’archives publics et officiels ou dans des institutions privées, la situation est beaucoup moins évidente. Les auteurs du premier volume de la Pratique archivistique suisse ont intitulé leur contribution ainsi : « Accroissement et collecte : les archives sur le marché patrimonial »55.

Je vous cite l’exemple des Archives fédérales suisses. La loi fédérale sur l’archivage, adoptée il y a dix ans, décrit l’acquisition des archives privées dans l’article 17 (LfA, Recueil systématique du droit fédéral 152.1, art. 17/2) :

Art. 17. Autres tâches incombant aux Archives fédérales    
2. Elles s’emploient à prendre en charge les archives et les documents provenant de personnes de droit privé ou de droit public et qui sont d’importance nationale. Elles peuvent conclure des contrats réglant la reprise de telles archives.    
Art. 16. Consultation de legs et de dépôts    
1. La consultation de documents légués ou déposés par des personnes physiques ou morales est régie par les contrats de reprise.    
2. Si un tel contrat fait défaut, la législation relative aux archives de la Confédération est applicable.

A la fin des années quatre-vingt-dix, les Archives fédérales ont élaboré leur politique d’acquisition des archives privées – une politique volontariste d’acquisition – en accord avec d’autres institutions actives sur le plan national. En notre qualité de responsable des archives privées entre 1996 et 200456, nous avons pu augmenter le nombre et l’importance des fonds57. En étroite collaboration avec la direction des Archives fédérales, nous avons défini les priorités thématiques d’acquisition, établi des règles de comportement avec les autres institutions, préparé des conventions et des procédures de négociation, d’entrée et de description. Il n’en est pas moins clair que les archives privées restent une thématique de troisième priorité pour les institutions étatiques, et que les restrictions budgétaires influencent la politique dans ce domaine. Une influence budgétaire imparable, mais qui a provoqué de nouvelles coopérations avec les sociétés d’amis des archives, par le biais du mécénat – impossible pour des versements des autorités et de l’administration –, ou par l’engagement direct des propriétaires privés (personnes physiques et, avec plus de succès et plus d’efficacité, personnes morales). Le second point que je voudrais souligner n’est intervenu que ces dernières années, lorsqu’autour de 2003, il a été décidé, avec raison, de traiter les archives privées comme les versements de l’administration : l’évaluation de leur valeur archivistique est devenue un point central de la stratégie d’acquisition. C’est un second changement de paradigme – l’évaluation archivistique comme fonction déterminante de la collecte et de la constitution du patrimoine privé.

Je vous ai donné l’exemple des Archives fédérales suisses, mais de nombreuses institutions, services d’archives spécialisés ou archives d’organisations non-gouvernementales, réagissent souvent plus vite aux besoins des déposants ou donateurs que des institutions publiques58. En outre, les archives des entreprises sont aussi en Suisse un trésor et un réservoir souvent trop négligé.

Faut-il des règlements et de nouvelles lois qui mettent un accent plus fort sur le privé ? C’est une question qu’il faut se poser. Peut-on trouver – et comment – des moyens pour financer l’archivage définitif des archives privées59 ? Les institutions devraient-elles se mettre d’accord et définir en commun des stratégies d’acquisition, de collecte et de sauvegarde et les communiquer pour constituer une politique nationale sur les archives privées comme source importante d’une mémoire individuelle et collective ? Comment harmoniser et coordonner les intérêts assez divergents entre archives publiques et privées, entre bibliothèques et dépositaires d’archives privées ? Entre archives et bibliothèques qui évitent d’acheter des archives privées et les Archives littéraires qui disposent d’un budget respectable pour l’acquisition de fonds littéraires60 ? Faut-il développer un plan d’archivage pour les archives privées comparable à la définition des priorités de collection, « Sondersammelgebiete », des grandes bibliothèques allemandes ? En d’autres termes, est-il utile de fixer les priorités d’action des archives publiques et de se mettre d’accord sur un plan national d’acquisition ?

Jusqu’à présent, ni la Suisse ni la France ne sont allées si loin dans l’organisation de l’archivage des fonds privés, comme je le constate après la lecture de l’excellent manuel pratique et juridique sur Les archives privées61, publié sous la direction de Pascal Even et de ma collègue Christine Nougaret – que je remercie vivement de m’avoir invitée.

6. Résumé et enseignement universitaire en sciences de l’information

J’arrive à la fin de ma présentation et j’aimerais en résumer les points importants :

Les services d’archives institutionnels – étatiques – doivent se situer et prendre position dans la discussion sur la politique de la mémoire nationale. Ils doivent défendre leur rôle crucial pour la transparence politique, la démocratie, la mémoire individuelle, privée et collective dans la société de l’information et du savoir. Les archives privées y jouent un rôle central non seulement pour les personnes physiques, pour lesquelles nous avons élaboré en 1992 le répertoire des fonds privés dans les institutions suisses62, mais encore et surtout dans le secteur de l’économie privée qui doit prendre en considération ses archives et leur valeur pour l’histoire contemporaine et future.

On peut définir la mémoire collective ou le patrimoine national de plusieurs façons. Il ne s’agit pas seulement de la transmission réglée des documents (« gestaltete Überlieferung ») de l’État, mais aussi d’autres domaines de l’économie ou de la société civile. Sous ces aspects, il faut mettre en œuvre une coordination globale de la politique documentaire ou, au minimum, coordonner la tradition et la transmission de documentation.

Si les archives n’élaborent pas de politique de la mémoire privée, ce sont les bibliothèques qui occuperont le terrain, quand elles ne l’ont pas déjà investi. La Bibliothèque nationale suisse a ouvert ses HelveticArchives63 l’année passée. Les HelveticArchives – où la notion d’archives est revendiquée – sont principalement « la base de données en ligne des fonds d’archives de la Bibliothèque nationale suisse ». La bibliothèque y ajoute un choix de liens au sujet des archives, bibliothèques et musées suisses avec ISplus, plateforme qui englobe le « Répertoire sommaire des fonds manuscrits conservés dans les bibliothèques et archives de Suisse ». Ainsi complété, le site web de la Bibliothèque nationale se présente lui-même comme « une vaste source d’informations au sujet des institutions patrimoniales suisses. » Non seulement les intitulés de mémoire ou de patrimoine national sont adoptés par les bibliothèques, mais les bibliothécaires commencent aussi à utiliser une terminologie archivistique, du moins pour ce qui est du secteur des archives et des bibliothèques spécialisées. Est-ce dramatique ou un danger pour les archivistes ? En général non. Nous avons un grand respect pour les Canadiens et les Québécois qui développent une politique commune entre archives et bibliothèques et qui essaient de trouver le bon équilibre entre des attentes divergentes ou parfois contradictoires.

Nous soulignons nous-mêmes, dans notre programme de formation continue des universités de Berne et Lausanne, les points communs entre les deux professions, les convergences, sans nier les différences dans la pratique. Ainsi les fonctions-clé du cycle de vie en archives et en bibliothèques sont toujours enseignées en les comparant les unes aux autres et en élargissant le champ d’études à d’autres centres d’information64. La constitution ou la construction de la mémoire a une place importante dans notre programme65, avec un enseignement de Carol Couture (Québec) sur le calendrier de conservation. Un séminaire à l’Archivschule de Marbourg permet enfin à nos étudiants de s’immerger dans la discussion théorique allemande sur l’évaluation.

J’ai commencé ma conférence avec des remarques sur le principe de mémoire en philosophie, dans l’histoire culturelle et en littérature. Permettez que j’y revienne à la fin.

L’archivistique et les archivistes participent à la société. Société qui se développe par de nouveaux moyens techniques, mais également par les discussions théoriques et philosophiques. Pour cette raison je pense qu’on pourra intégrer de façon encore plus fructueuse les recherches en histoire culturelle dans nos réflexions d’archiviste, comme celles-ci ont été prises en considération, il y a longtemps, en histoire politique, économique et sociale.

Le besoin de se souvenir, de constituer ou de construire la mémoire a ainsi une connotation éventuellement religieuse, mais jamais nationaliste ou particulariste. C’est dans cette direction que vont les contributions au volume Judéité. Questions pour Jacques Derrida66 de 2003. Le moteur des archivistes pourrait être la question permanente qu’a de nouveau évoquée la philosophe Myriam Bienenstock, professeur à l’université François-Rabelais à Tours et professeur invité au printemps prochain à l’université de Zurich (Sigi-Feigl Gastprofessur) : « Y a-t-il une obligation de mémoire ? »67.Je pense que oui.


1 À l’abri de l’oubli. Petit guide de conservation des documents personnels et familiaux, Québec, 2008. Voir également les petites guides suivants : Archives privées. Un patrimoine méconnu. Petit guide à l’usage des propriétaires, Paris, 2005 ; Gaby Knoch-Mund, Privatarchive im Schweizerischen Bundesarchiv. Übernahme und Erschliessung, Berne, 2004.
2 Le terme « évaluation » ou « Bewertung » est l’acte intellectuel permettant de décider ou non de l’archivage d’un fonds, d’un dossier ou d’un document.
3 Daniel J. Caron (bibliothécaire et archiviste du Canada), « État démocratique, société du savoir et gestion de la production documentaire: quels arrangements institutionnels pour la société numérique ? », conférence publique aux Archives fédérales suisses, 14 octobre 2009.
4 Voir Bruno Delmas, La société sans mémoire. Propos dissidents sur la politique des archives en France, Paris, 2006.
5 Par exemple en débutant par un survol chronologique des époques biblique, hellénistique et romaine, ou en commençant par l’abondante littérature qui aborde le concept de memoria. Je renonce également à évoquer l’œuvre pourtant combien importante sur la mémoire collective de Maurice Halbwachs. Je remercie Gaëlle Béquet pour m’avoir signalé cette publication récente : Maurice Halbwachs : le temps, la mémoire et l’émotion, dir. Bruno Péquignot, Paris, 2007. 
6 Aleida Assmann, Erinnerungsräume – Formen und Wandlungen des kulturellen Gedächtnisses, Munich, 1999 (Habil. 1992) ; Aleida Assmann, Der lange Schatten der Vergangenheit, Erinnerungskultur und Geschichtspolitik, Munich, 2006.
7 Archive und Gedächtnis. Festschrift für Botho Bachmann, éd. Friedrich Beck, Eckart Henning et al., Potsdam, 2005, p. 24.
8 Il se réfère à Jan Assmann, Das kulturelle Gedächtnis, Munich, 1999.
9 Tilman Robbe, Erinnerungsorte : das Konzept der « Lieux de Mémoire » in der deutschsprachigen Geschichtswissenschaft, Göttingen, 2009. Voir également la collection d’articles réunis dans Erinnerung, Gedächtnis, Wissen. Studien zur kulturwissenschaftlichen Gedächtnisforschung, éd. Günter Oesterle, Göttingen, 2005 (Formen der Erinnerung, 26), en particulier Marcus Sandl, « Historizität der Erinnerung – Reflexivität des Historischen. Die Herausforderung der Geschichtswissenschaft durch die kulturwissenschaftliche Gedächtnisforschung », ibid., p. 89-119 et Hartmut Bergenthum, « Geschichtswissenschaft und Erinnerungskulturen. Bemerkungen zur neueren Theoriedebatte », ibid., p. 121-162.
10 Peter Burke, What is Cultural History ?, 2004 ; trad. all. Was ist Kulturgeschichte ?, Francfort-sur-le-Main, 2005. Cultural Memory Studies: an International and Interdisciplinary Handbook, éd. Astrid Erll et al., Berlin, 2008. 
11 Kulturelles Gedächtnis und interkulturelle Rezeption im europäischen Kontext, éd. Eva Dewes et Sandra Duhem, Berlin 2008 (Vice-versa. Deutsch-französische Kulturstudien, 1).
12 Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, 2000. Voir aussi L’histoire entre mémoire et épistémologie. Autour de Paul Ricœur, éd. Bertrand Muller, Lausanne, 2005.
13 Rupert Tiefenthaler, « Das Archiv als Metapher – Vom statischen und dynamischen Archivbegriff in Philosophie und Soziologie », dans Hausarbeit im Rahmen des Weiterbildungsprogramms für Archiv-, Bibliotheks- und Informationswissenschaft an den Universitäten Bern und Lausanne, Feldkirch, 2009. Il a choisi les auteurs suivants pour ses recherches : Jacques Derrida, Paul Ricœur, Elena Esposito, Hermann Lübbe.
14 Voir ibid., p. 7 ou Astrid Erll, Kollektives Gedächtnis und Erinnerungskulturen, Stuttgart, 2005, p. 129.
15 Elena Esposito, Soziales Vergessen. Formen und Medien des Gedächtnisses der Gesellschaft, trad. de l’italien, Francfort-sur-le-Main, 2002, p. 11 : « Alles, was man darüber sagen kann, lässt sich auch als Paradoxie formulieren : das Gedächtnis ist gleichzeitig Vergangenheit und Gegenwart, subjektiv und objektiv, persönlich und unkontrollierbar, Erinnerung und Vergessen – und in jedem Fall bildet die eine Seite der Unterscheidung die Bedingung für die Existenz der Entgegengesetzten ».
16 Hermann Lübbe, Im Zug der Zeit : Verkürzter Aufenthalt in der Gegenwart, Berlin, 1992.
17 Hermann Lübbe, « Freie Vergangenheitsvergegenwärtigung und die Archive. Orwell hat Unrecht behalten », dans Études et sources, t. 27, 2001, p. 144 sqq et 148.
18 Jacques Derrida, Mal d’archive, Paris, 1995 ; trad. all. Dem Archiv verschrieben. Eine Freudsche Impression, Berlin, 1997.
19 Études doctorales financées par une bourse du Fonds nationale suisse de la recherche scientifique. Thèse : Disputationsliteratur als Instrument antijüdischer Polemik. Leben und Werk des Marcus Lombardus, eines Grenzgängers zwischen Judentum und Christentum im Zeitalter des deutschen Humanismus (Diss. masch., Berne, 1991), publiée dans la série Bibliotheca Germanica, 33, Tübingen/Bâle, 1997.
20 Christoph Graf, « L’erreur archivistique. Une impression “grafienne” », dans L’erreur archivistique. De la compréhension de l’erreur à la perception et à la gestion des incertitudes, éd. Cathy Schoukens et Paul Servais, Louvain-la-Neuve, 2009 (Publications des archives de l’université catholique de Louvain, 22), p. 37-50, à la p. 38 (renvoi à J. Derrida, Mal d’archive…, p. 60). Voir Études et sources, t. 27 : Les archives et l’écriture de l’histoire, 2001, entre autres l’article de Christof Graf, « “Arsenal der Staatsgewalt” oder “Laboratorium der Geschichte” ? Das Schweizerische Bundesarchiv und die Geschichtsschreibung », p. 65-81.
21 J. Derrida, Mal d’archive…, p. 15.
22 Yosef Hayim Yerushalmi, Zakhor. Jewish History and Jewish Memory, Seattle/Londres, 1982 ; trad. all. Zachor : Erinnere Dich ! Jüdische Geschichte und jüdisches Gedächtnis, Berlin, 1988. Voir aussi id., Ein Feld in Anatot. Versuche über jüdische Geschichte, trad. de l’américain, Berlin, 1993, p. 19.
23 Lecture d’un passage biblique qui était souvent utilisé comme paradigme de l’histoire juive: 2 M 27, 20-30, 10 et 5 M 25, 17-19. Haftara (texte des prophètes en combinaison avec la lecture de la semaine) : Sm 15, 2-34.
24 Extraits de la Haggadah de Pessach : « Seher leziat mizrajim. / Behol dor wa dor hajaw adam lir’ot et azmo k’ilu jaza mimizrajim » (Ce jour de fête des azymes, époque de notre délivrance, jour que tu as consacré à une sainte convocation en mémoire de la sortie d’Égypte. / À toutes les époques nous devons nous considérer comme étant sortis nous-mêmes d’Égypte) (La Haggadah de Pessach, trad. Loeb Blum, Tel Aviv, 1964).
25 Y. H. Yerushalmi, Zachor…, p. 22.

26 Voir l’exposition à la Bibliotheca Rosenthaliana de l’université d’Amsterdam : A Journey through Jewish Worlds / Een Reis door Joodse Werelden. Catalogue édité par Evelyn M. Cohen, Sharon Liberman Mintz et Emile G. L. Schrijver, Amsterdam, 2009. Je me suis référée aux manuscrits suivants :

- pour le récit de la sortie d’Égypte lors de la première nuit de Pessah et de la commémoration active : Haggada de Barcelone, Catalogne, milieu du xive siècle, Londres, British Library, Add. 14761, fol. 28v (illustration pour le pain azyme : « ha lahma anya », Voici le pain de la misère). La famille est réunie autour de la table pour le repas rituel de Pessah, le Seder. Les deux premiers soirs suivent un programme, formulé dans un petit livre, la Haggada. Le célébrant passe une grande assiette, le plat de Seder, remplie d’aliments symboliques, et la pose sur la tête des participants. Voir Therese Metzger et Mendel Metzger, Jüdisches Leben im Mittelalter nach illuminierten hebräischen Handschriften vom 13. bis 16. Jahrhundert, Fribourg, 1983, p. 378.

- pour la transmission des dix commandements à Moïse : Tripartite Mahzor, Allemagne du sud / lac de Constance, premier quart du xive siècle (vers 1320), Londres, British Library, Add. 22413, t. II, fol. 3. Extraordinaire est la représentation des personnes avec des costumes de l’époque : Moïse comme juif, Aaron comme évêque, les hommes avec les chapeaux typiques juifs, les femmes avec les têtes de différents animaux. Il s’agit ici d’un pyyut, d’un poème liturgique pour Shavuot. Voir Gabrielle Sed-Rajna, Le Mahzor enluminé. Les voies de formation d’un programme iconographique, Leyde, 1983, p. 20 et p. 25-26 ; Bezalel Narkiss, Hebrew Illuminated Manuscripts, Jérusalem, 1984, p. 134-135.

- pour l’illustration de l’Exode d’Égypte : Bible d’Urbino (Bible de Federico da Montefeltro), Urbino, 1476-1478, Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, ms. Urb. Lat. 1-2, ici t. I, fol. 27 ; peinture de la Renaissance florentine de Francesco di Antonio del Chierico et autres, office de Vespasiano da Bisticci, Florence. Voir Biblioteca Apostolica Vatcana, éd. A. M. Strickler et L. E. Boyle, Stuttgart/Zürich, 1986, p. 200.

27 Urs Faes, Das Liebesarchiv, Francfort-sur-le-Main, 2007, p. 88-89. Traduction : « Je ne suis pas mon père. — Mais son fils. — Est-ce un crime ? […] Tu ne peux pas partir comme ça maintenant. — Mais je l’aimerais […] Pourquoi donc, n’arrive-t-on pas à oublier, à lâcher, finalement, ce qui a été ? […] Parce que quelque chose reste, est resté, que nous l’admettions ou non. — Ces archives, penses-tu ? » (trad. Gaby Knoch-Mund). Concernant le désir de refouler la mémoire, voir Thomas Maissen, Verweigerte Erinnerung. Nachrichtenlose Vermögen und Schweizer Weltkriegsdebatte 1989-2004, Zürich, 2005.
28 Jacques Chessex, Un juif pour exemple, Paris, 2008.
29 Ibid., p. 101-102.
30 Voir l’interview de Marius Michaud, ancien conservateur aux Archives littéraires suisses, dans Le Nouvelliste,
31 Jenny Erpenbeck, Heimsuchungen, Francfort-sur-le-Main, 2008, p. 116-117. Renvoi au poème Erlkönig de J. W. von Goethe. Traduit en français avec le titre simplificateur : Le Bois de Klara, Arles, 2009, aux p. 111-115.
32 Jenny Erpenbeck, Le Bois de Klara…, p. 113-115, en particulier p. 114-115 : « Pourtant elle n’avait jamais pu oublier sa phrase, il voulait rentrer chez lui, il avait crié cela comme un enfant qui donnerait tout au monde pour ne pas voir ce qu’il voit, mais, au moment où il enfouissait pour ainsi dire son visage dans ses mains, même ce fonctionnaire allemand consciencieux savait que chez lui, ce ne serait plus jamais la Bavière, les plages du Nord ou Berlin, son chez-lui s’était transformé en temps, ce temps qui était derrière lui, l’Allemagne avait disparu pour toujours, métamorphosée en quelque chose d’immatériel, cet esprit perdu qui ignorait toutes ces horreurs et n’était pas contraint de les imaginer. C-h-e-z l-u-i. Le vers de Goethe : Attends, attends, bientôt… ». La version allemande n’ajoute et n’explique pas qu’il s’agit ici d’une citation d’un des plus fameux poèmes de la littérature allemande.
33 Voir la difficulté de traduire la notion de « Heimat » dans d’autres langues. À titre d’exemple : « Paradijs verloren » (2004), « Paradies verloren » (2005), « Perdu le paradis » (2006) et « Lost Paradise » (2007) (Marieke Frenkel-Kloosterman, Intertextualité et traduction chez Cees Nooteboom, conférence lors du colloque de relève « Traductions littéraires et transferts culturels », université de Lausanne (Formation doctorale interdisciplinaire — Centre de recherche en langues et littératures européennes comparées), 20-21 novembre 2008).
34 Christian Haller, Trilogie des Erinnerns, Münich, 2008 (t. I : Die verschluckte Musik, 2001 ; t. II : Das schwarze Eisen, 2004 ; t. III : Die besseren Zeiten, 2006).
35 C. Haller, Trilogie…, p. 164. Traduction : « On m’a toujours encouragé à rapporter par écrit mes expériences traumatisantes de la prison et après, de la clinique. Je n’arrive pas à le faire. Je ne peux même pas oublier. Je me bats contre la mémoire chaque jour. Même maintenant. » (trad. Gaby Knoch-Mund).
36 C. Haller, Trilogie…, p. 313. Traduction : « Grand-père n’avait pas d’histoire. Mon père et mes deux frères n’en avaient pas non plus. La famille H. existait seulement, comme un évènement naturel, manifesté dans une éruption volcanique. » (trad. Gaby Knoch-Mund).
37 C. Haller, Trilogie…, p. 297. Traduction : « Je ne me souviens que de choses distancées. Elle reprit son verre. Si distancées que je n’arrive plus à me les rappeler » (trad. Gaby Knoch-Mund).
38 Philippe Grimbert, Un secret, Paris, 2004.
39 Savyon Liebrecht, Sieh mich an und sprich, trad. all. Première européenne au Stadttheater de Berne le 28 octobre 2006. Voir le programme de Flurina Hefti et Armin Kerber, Berne, 2006.
40 P. Grimbert, Un secret…, p. 172-173 (y inclus la dernière phrase du livre).
41 Markus Büschi, « Fichiert und archiviert. Die Staatsschutz-Akten des Bundes 1960-1990 », dans Études et sources, t. 24, 1998, p. 319-380 ; résumé en français, p. 378-379. Le volume en général est intéressant pour notre propos et porte le titre suivant : Commémorations de l’histoire suisse 1798-1848-1998. Voir également un article récent : Georg Kreis, « Staatsschutz im Laufe der Zeit. Von der Skandalisierung zur Gleichgültigkeit — ein Blick zurück auf die Fichenaffäre vor zwanzig Jahren », dans Digma. Zeitschrift für Datenrecht und Informationssicherheit, t. 9/2, 2009, p. 54-59.
42 Walter Leimgruber, Thomas Meier et Roger Sablonier, L’œuvre des enfants de la grand-route. Étude historique réalisée à partir des archives de la Fondation Pro Juventute déposées aux Archives fédérales suisses, Berne, 2000 (Archives fédérales suisses, Dossier, 10). Sara Galle et Thomas Meier, Von Menschen und Akten. Die Aktion « Kinde der Landstrasse » der Stiftung Pro Juventute, Zürich, 2009.
43 Je ne cite ici que deux publications des Archives fédérales suisses, établies comme bases de recherches : « …Car tout cela est vrai ». Mémoire et histoire 1939-1999, Berne, 1999 (Archives fédérales suisses, Dossier, 11) ; Capitaux en fuite, biens pillés et fonds en déshérence. État de connaissances et perspectives de recherches, Berne, 1997 (Archives fédérales suisses, Dossier, 6).
44 Frank M. Bischoff, « Massstäblichkeit historischen Erinnerns. Anmerkungen zur Verbindlichkeit archivarischer Auslesteätigkeit, gestuften Archivwürdigkeit und Bewertungsdokumentation », dans Archive und Gedächtnis. Festschrift für Botho Bachmann, éd. Friedrich Beck, Eckart Henning et al., Potsdam, 2005, p. 253-275, à la p. 254. Il déclare que « die Massstäblichkeit historischen Erinnerns, die durch die archivarische Auslesetätigkeit beeinflusst wird, zu den unüberbrückbaren Differenzen führen » kann. Damit einher geht seine Frage, ob es eine « Wertstufung für unterschiedliche Zielgruppen » gibt.
45 Académie suisse des sciences humaines et sociales, manifestation publique, 30 mai 2008.
46 Bruno Delmas, La société sans mémoire. Propos dissidents sur la politique des archives en France, Paris, 2006.
47 Constitution du patrimoine international des archives (Archives fédérales suisses, Dossier, 14), Zürich 2007.
48 Jean-François Bergier, La Suisse, le national-socialisme et la seconde guerre mondiale : rapport final, commission indépendante d’experts suisse « Seconde guerre mondiale », Zürich, 2002. Voir Thomas Maissen (professeur d’histoire à l’université de Heidelberg), « Schweizer Geschichte mit weitem Horizont », dans Neue Zürcher Zeitung, 29 octobre 2009, en ligne, http://www.nzz.ch/nachrichten/zuerich/historiker_jean-françois_bergier_ist_tot_1.3942792.html (consulté le 30 octobre 2009). Voir les publications de la commission Bergier sur La Suisse et les réfugiés à l’époque du national-socialisme, le rapport sur les transactions sur l’or, etc.
49 Mirta Olgiati, dans Cahier d’IDHEAP, t. 224, p. 18, figure 2 (adapté de Peter Knoepfel et Mirta Olgiati, Politique de la mémoire nationale. Étude de base, Chavannes près Renens, 2005, p. 4).
50 Voir la présentation de Mirta Olgiati, MAS AIS 2008-2010, module 2b, 21 août 2009 : « Réflexions autour des politiques d’acquisition d’institutions d’importance nationale. Analyses réalisées sur la base d’études empiriques, six rapports de travail (entre 2005 et 2009) et un rapport final (2009) contenant des recommandations ». Peter Knoepfel et Mirta Olgiati, Politique de la mémoire nationale. Rapport final, Chavannes près Renens, 2009.
51 Ce n’est pas étonnant que les résultats de la recherche aient été beaucoup discutés et partiellement contestés par leurs mandateurs. Le rapport final montre qu’une vue de l’extérieur est utile, mais qu’elle ne peut pas remplacer l’évaluation des institutions elles-mêmes ou leur propre stratégie. Voir également la publication des résultats de l’audit sur la « mémopolitique » réalisé par l’office fédéral de la Culture (OFC), consultable sur : http://www.bak.admin.ch/bak/themen/kulturpolitik/02082/index.html?lang=fr (consulté le 16 décembre 2009).
52 Voir la présentation d’Anna Pia Maissen (présidente de l’AAS), MAS AIS 2008-2010, module 1a, 7 novembre 2008 : « Le paysage des archives en Suisse et www.vsa-aas.org ».
53 Voir la présentation de Mirta Olgiati, « Réflexions autour des politiques d’acquisition… ».
54 Voir Gaby Knoch-Mund, « Digitale Informationen und kollektives Gedächtnis », conférence lors du colloque Digitale Informationen : zwischen Bewahren und Vergessen, colloque annuel du Collegium generale, université de Berne, Münchenwiler, 25-26 avril 2008, avec référence à Andreas Kellerhals, « Normative Anforderungen : “Service public” und transparente Selektionskriterien in neuen Gebieten », présentation dans le module 3c du MAS AIS, 28 janvier 2008, p. 13.
55 Barbara Roth-Lochner et Johanna Gisler, « Accroissement et collecte : les archives sur le “marché” patrimonial », dans Pratique archivistique suisse, Baden, 2007, p. 303-319 (sur la politique de la mémoire, voir ibid., p. 317).
56 Je vous présente ici le développement jusqu’en 2004, ayant quitté les Archives fédérales en 2005 pour le projet et la direction des études du master en archivistique, en bibliothéconomie et en sciences de l’information. Gaby Knoch-Mund, « Das Sammlungskonzept für Privatarchive im Schweizerischen Bundesarchiv », dans Arbido, t. 10, 1999, p. 15-18 et dans Études et sources, t. 25, 1999, p. 273-309 ; ead., « Der Förderverein Schweizerisches Bundesarchiv als Promotorin von Privatarchiven », dans Arbido, 2002/1. Concernant une stratégie d’acquisition allemande, voir Ragna Boden, « Steuerung der Nachlassübernahme mittels Übernahmekriterien », dans Archivarbeit – die Kunst des Machbaren, éd. Volker Hirsch, Marburg, 2008 (Veröffentlichungen der Archivschule Marburg, 47), p. 47-79.
57 Archives privées aux AFS, état total en 2004 : 318 archives privées de personnes naturelles (section J 1), 276 archives privées de personnes juridiques (section J 2).

58 Voir Barbara Roth-Lochner, « Musées, bibliothèques et archives, collections et fonds », dans La Tradition rassemblée, journées d’études de l’université de Fribourg, éd. Guy Bedouelle, Christian Belin et Simone de Reyff, Fribourg, 2007, p. 201-214.

Barbara Roth-Lochner, « Manuscrits et archives », dans Patrimoines de la Bibliothèque de Genève. Un état des lieux au début du xxie siècle, éd. Danielle Buyssens, Thierry Dubois, Jean-Charles Giroud et Barbara Roth-Lochner, Genève, 2006, p. 120-145.

59 Voir Gaby Knoch-Mund, « Mittelbeschaffung für Archiv und Bibliothek : Methoden und praktische Beispiele », dans Actualité archivistique suisse, éd. G. Coutaz, N. Meystre et B. Roth, Baden, 2008, p. 216-258.
60 Voir la notice récente sur les archives privées de John Updike achetées par la bibliothèque de l’université de Harvard (15 octobre 2009). Les héritiers ont vendu les archives, la somme d’achat ne fut pas communiquée.
61 Les archives privées. Manuel pratique et juridique, dir. Christine Nougaret et Pascal Even, Paris, 2008.
62 Gaby Knoch-Mund et Anne-Marie Schmutz-Pfister, Repertorium der handschriftlichen Nachlässe in den Bibliotheken und Archiven der Schweiz. Im Auftrag der Vereinigung Schweizerischer Archivare und des Verbandes der Bibliotheken und der Bibliothekarinnen/Bibliothekare der Schweiz, 2e éd. augmentée, Bâle, 1992 (Quellen zur Schweizer Geschichte, N.F. IV. Abt., Bd. VIIIa). Gaby Knoch-Mund, « La banque de données et le nouveau Répertoire sommaire des fonds manuscrits conservés dans les bibliothèques et archives de Suisse. Méthodes et perspectives », dans Il futuro della memoria, journée du Conseil international des archives (Capri, 10 septembre 1991), Rome, 1998, p. 279-288.
63 Voir http://www.helveticarchives.ch/index_fr.html (consulté le 22 octobre 2009).
64 Voir le plan d’études 2008-2010 et la brochure sur notre site web http://www.archivistique.ch/modules.html et http://www.archivistique.ch/Broschuere_2008_frz%20_web.pdf (consulté le 22 octobre 2009).
65 Gaby Knoch-Mund, « Überlieferungsbildung – ein zentrales Thema im Weiterbildungsprogramm der Universität Bern in Archiv- und Informationswissenschaft », dans Arbido, 2007/3 : Überlieferungsbildung – Zusammenarbeit und gemeinsame Verantwortung für Transparenz / Constitution des archives – partager la responsabilité et garantir la transparence, p. 83-88.
66 Joseph Cohen et Raphael Zagury-Orly, Judéités. Questions pour Jacques Derrida, 2003 ; trad. all. « Judentümer ». Fragen für Jacques Derrida, Hambourg, 2006.
67 « Gibt es eine Pflicht zur Erinnerung ? », conférence publique à l’université de Zurich, 19 octobre 2009. Voir également Myriam Bienenstock, « Un devoir de mémoire : les noms », dans Les études philosophiques, t. 2, 2009, p. 207-217 et Der Geschichtsbegriff : eine theologische Erfindung ?, éd. Myriam Bienenstock, Würzburg, 2006. Voir J. Derrida, Mal d’archive…, p. 119 : « Il n’y va pas seulement de l’ouverture à l’avenir mais de l’historicité et de l’obligation de la mémoire, mieux, de l’obligation de l’archive ».