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À quoi sert un archiviste départemental ?

Résumé

Dans l’esprit de la plupart de nos contemporains, le métier d’« archiviste » renvoie d’un côté à l’image dépréciative d’un vieil érudit poussiéreux, de l’autre à celle d’un savant un peu hors du monde. La profession de son côté essaie, depuis plusieurs décennies, d’imposer une vision différente d’un archiviste administrateur et gestionnaire, dont la contribution méthodologique serait indispensable au bon fonctionnement des structures administratives. L’une comme l’autre de ces conceptions ne reflètent que très imparfaitement la réalité beaucoup plus complexe et plus foisonnante du métier de conservateur du patrimoine documentaire : s’il est évidemment un fonctionnaire, membre à part entière de l’administration, l’archiviste ne doit jamais oublier la dimension scientifique et culturelle qui fonde un métier dont le maître mot doit être, aujourd’hui plus que jamais, la communication. C’est ce que tente de démontrer l’auteur de cette intervention, à la lumière d’une expérience de plusieurs années à la tête d’un service d’archives départementales.

Entre 1931 et 1936, la Société de l’École des chartes a organisé un certain nombre de « causeries » – comme on disait alors – recueillant les expériences professionnelles de confrères dans les domaines les plus divers. Ces conférences ont été réunies en un volume intitulé Les chartistes dans la vie moderne, publié en 19381. Parmi celles-ci, je souhaite évoquer celle que prononça, le 7 avril 1932, Raoul Busquet, archiviste en chef des Bouches-du-Rhône2, et qui forme le quatrième chapitre de cet opuscule3. En effet, en dépit du temps écoulé, dont on pourrait croire qu’il ait conduit à l’obsolescence les considérations développées par Raoul Busquet, ce texte d’une vingtaine de pages me paraît refléter une position très saine et, pour une large part, encore très actuelle sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui : quel est le rôle d’un archiviste départemental ? Le contexte institutionnel a certes évolué, notamment en raison de la décentralisation qui, depuis 1986, a placé nos services sous la dépendance des conseils généraux et rend en partie caduque les observations de Raoul Busquet sur les rapports entre les archivistes et l’administration préfectorale, mais, d’une manière générale, les différentes facettes du métier sont analysées avec une distance, une hauteur de vue et un humour qui ne peuvent qu’en recommander la lecture à tous ceux qui s’intéressent et se destinent à ce métier. C’est essentiellement dans la droite ligne de Raoul Busquet, et, en quelque sorte, pour tenter une actualisation de son article, que je vais m’exprimer aujourd’hui.

Comme lui, j’aurais pu intituler mon propos « le chartiste "archiviste départemental" », mais l’École des chartes n’ayant plus le monopole sur cette fonction compte tenu de la réforme récente du recrutement des conservateurs du patrimoine de la spécialité archives4, je ne saurais le reprendre à mon compte. Pour faire écho à un ouvrage récemment paru, sous la plume d’un professeur de cette institution5, j’aurais pu aussi titrer mon intervention : « propos dissidents sur les archives départementales ». Ce que j’ai prévu de vous dire en effet est centré sur ma propre analyse du métier et des enjeux professionnels, tels que je peux les vivre depuis sept ans que j’occupe la fonction de directeur d’archives départementales ; à n’en point douter, cette conception très personnelle n’est pas et ne saurait refléter l’avis de tous mes collègues. Au contraire, un certain nombre des idées que j’exprime me semblent malheureusement très minoritaires actuellement ; vous aurez tout loisir au cours de votre carrière d’entendre des opinions différentes pour qu’aujourd’hui, à l’invitation de l’École des chartes, j’exprime des positions moins convenues. Mais, pour ne pas forcer sur les aspects volontiers provocateurs de mes propos, j’ai adopté, avec « à quoi sert un archiviste départemental ? », un titre volontairement plus neutre. Il ne faut point douter cependant qu’en y développant mes idées personnelles sur ce métier, je veux simplement créer un débat et une réflexion qui me paraissent salutaires pour qui veut se lancer, en toute connaissance de cause, dans une profession dont il ignore encore tout.

Un préliminaire sémantique s’impose pour expliciter ce que recouvre le terme d’« archiviste départemental » que j’emploie à dessein. Les modes administratives ont en effet multiplié, au fil des ans, les appellations qui qualifient ce fonctionnaire chargé de diriger, depuis leur création en 1796, par la loi du 5 brumaire an V, les dépôts d’archives créés dans chaque chef-lieu de département par la volonté réformatrice de la République naissante : « archiviste en chef du département » en 1940, puis « directeur des services d’archives » à partir de 1957, il est, depuis 1990, connu sous le titre de « directeur des archives départementales », qui s’est imposé jusqu’à aujourd’hui mais qui n’est probablement pas définitif6. Ce bref historique protocolaire montre en effet combien fragile est le titre administratif dont est gratifié ce fonctionnaire, qui occupe par ailleurs, sur le plan statutaire, le grade de « conservateur du patrimoine », du moins depuis la création, récente au demeurant, de ce corps7. Il y a quelques années, alors précisément que je venais d’être nommé pour occuper cette fonction dans la Manche, Pierre Aguiton, ancien président du conseil général et homme de culture auquel on ne rendra jamais assez hommage8, m’avait demandé, sous forme de boutade, s’il fallait m’appeler « monsieur le directeur » ou « monsieur le conservateur » : pris de court, je n’avais alors su que bredouiller une réponse assez évasive. Mais à la réflexion, c’est bien le titre de « monsieur l’archiviste » que je préfère relever et que je revendique avec fierté, d’abord parce que la réalité à laquelle celui-ci renvoie me paraît suffisamment noble pour n’avoir pas à en rougir, ensuite parce qu’il met en valeur la singularité de ce métier bien plus que le titre de « directeur », qui nous réduit à l’ordre administratif, ou celui de « conservateur », qui fait référence à une notion beaucoup plus large (et donc plus floue) du patrimoine. Quant à l’adjectif « départemental » que j’y accole, il renvoie, simplement mais sûrement, à la circonscription territoriale dans laquelle s’exerce depuis plus de deux cents ans la juridiction de cet archiviste.

Pourquoi parler spécifiquement du rôle de l’archiviste départemental ? Sans doute parce que plus qu’aucune autre et plus que jamais, cette fonction est celle dans laquelle s’incarnent le mieux toutes les dimensions de l’activité d’un archiviste. Vous connaissez tous les missions d’un conservateur, que l’on peut résumer par les trois notions conjointes d’inventorier, de préserver et de valoriser le patrimoine. Vous savez aussi que les archivistes ont décliné cette triple mission dans ce qu’on appelle la « règle des cinq "C" » : contrôler, collecter, classer, conserver et communiquer. Dans ce cadre, c’est, à mon avis, la fonction d’archiviste départemental plus qu’aucune autre – à la rigueur celle encore d’archiviste municipal pour peu que la commune où l’on exerce ait quelque importance – qui permet à l’archiviste de mettre en œuvre l’intégralité de ces cinq missions dans toutes ses dimensions. Dans les postes de conservateur qui exercent leur action au niveau central, il y a, le plus souvent, tant aux Archives nationales que dans les autres services de l’État, une spécialisation de mission, de terme chronologique ou de type documentaire, qu’on ne retrouve pas sur le terrain départemental, où le champ d’action est, par essence, multiple, et n’est limité que par l’aire géographique de la circonscription administrative qui est confiée à l’archiviste départemental.

J’envisagerai successivement les rapports qu’entretient celui-ci avec l’administration, puisqu’il est un fonctionnaire ; ensuite, son rôle d’acteur de la vie culturelle de son département, puisque ces deux aspects, administratif d’un côté, scientifique de l’autre, coexistent de manière parfois conflictuelle dans la fonction même de l’archiviste.

1. L’archiviste départemental et l’administration

Sa place au sein de la hiérarchie administrative, ou la « cinquième roue du carrosse »

En effet, il faut être bien conscient que dans le monde patrimonial, les archives sont la seule entité à ne pas avoir un rôle exclusivement culturel, contrairement aux bibliothèques, aux musées ou aux monuments historiques. On conserve des archives d’abord et avant tout pour des raisons administratives, pour établir et justifier des droits. Il en résulte que les archives sont consubstantielles à l’administration et, de même qu’on ne peut envisager d’administration sans archives, on ne peut imaginer d’archives sans administration, quand bien même – et c’est le premier paradoxe des archives – cette administration traite fort mal ses archives et ses archivistes, les reléguant le plus souvent dans les caves ou les greniers et les traitant comme « la cinquième roue du carrosse ». Je voudrais à cet égard citer longuement Raoul Busquet parce que ses propos, qui visent le préfet (mais on était alors avant la décentralisation), sont adaptables à la situation actuelle et à nos autorités administratives de tutelle d’aujourd’hui, exception faite de certains de nos élus – les meilleurs – qui sont au moins sensibles à la dimension patrimoniale de nos collections s’ils ne sont toujours conscients de leur portée administrative : « Le préfet ne connaît pas les archives et ne peut pas s’y intéresser. Sa formation, ses origines ne lui ont procuré, la plupart du temps, aucune notion précise sur l’intérêt qu’elles peuvent présenter. Très occupé par les mille affaires qui sollicitent sa décision ou son intervention (et dont certaines sont pour lui constamment obsédantes), par toutes les manifestations de sa vie officielle, par des nécessités impérieuses de relations et de parade ; destiné par la loi de sa carrière à passer – le plus rapidement possible – d’un poste à un autre poste plus important ; n’étant jamais ou presque jamais "du pays", il n’a pas le temps de s’arrêter aux archives de la préfecture qui l’héberge, généralement pour peu d’années ; le passé contenu dans les documents qu’elles conservent n’est rien pour lui. Bien plus : il ignore complètement les archives en tant qu’organe de l’administration. Pour lui, le dossier que lui apporte un chef de division ou un chef de bureau, et que du reste il a rarement le temps d’étudier, ne vient pas des archives même si, par aventure, il en arrive tout droit. ; et, bien entendu, il lui est tout à fait indifférent qu’il y aille ou qu’il y retourne. – Il faut le dire parce que c’est la vérité : les Archives n’existent pas sur son horizon. [...] De par ses fonctions, l’archiviste n’a donc rien à attendre du préfet, – si ce n’est de son indifférence et de sa courtoisie. Fort heureusement, les préfets ont l’habitude d’être fort courtois. »9

Cette situation paradoxale illustre bien la position de l’archiviste départemental au sein de l’organisation administrative : il en voit fonctionner tous les rouages, il peut en examiner les réussites et les dysfonctionnements mais en aucun cas il ne prendra une part active aux grandes actions décisionnaires. Dans un conseil général, quoi qu’il arrive, son poids sera toujours minime par rapport au directeur de l’action sociale, qui représente à lui seul la moitié du budget et la moitié du personnel de la collectivité, ou au directeur des routes départementales, qui tient dans un seul rond-point plus d’argent que les archives départementales n’en pourront jamais rêver en plusieurs exercices budgétaires. Pourtant, la grande ambition des archivistes, au cours des trente dernières années, peut-être plus, a été de devenir des acteurs de premier plan au sein de l’administration : sous couvert d’amélioration des processus administratifs, poussés par l’administration centrale et par les discours fumeux de quelques idéologues, les archivistes ont développé des théories sur les procédures d’enregistrement, hérités de la Registratur allemande, et d’expériences anglo-saxonnes : je veux parler du records management et des phantasmes sur les archives électroniques, envisagées comme le cheval de Troie des archivistes pour pénétrer enfin les sphères de la haute administration et établir leur règne incontesté sur les procédures administratives. Toutes ces tentatives ont connu quelques effets ici ou là mais globalement, elles me paraissent vouées à l’échec.

Pourtant, dans les réunions professionnelles, il est toujours question de circulaires, de règlements et d’approches juridico-technico-administratives, bien moins souvent en revanche d’histoire et de science. On nous a vanté par exemple les mérites d’une circulaire de 2001 enjoignant aux préfets de nommer des correspondants archives au sein de tous les services déconcentrés de l’État10 : cela a été pendant plusieurs années la grande affaire des archivistes du réseau – comme on dit à la direction des Archives de France. Las ! Étant donné que cette circulaire n’était assortie d’aucune motivation financière, elle n’a connu que des développements très limités même si quelques réussites conjoncturelles ont pu ponctuellement voir le jour. Force est de constater, plus que jamais, l’actualité des conceptions développées par Raoul Busquet il y a plus de trois quarts de siècle ; la réalité du terrain montre que les archives ne suscitent, pas plus aujourd’hui qu’hier, d’intérêt chez nos modernes administratifs, et que nos propositions d’améliorations du fonctionnement de l’administration n’éveillent en eux qu’un silence étonné, et parfois tout juste poli. Quoi qu’il arrive et quelqu’envie que soit la nôtre, nous ne serons jamais des dirigeants et nous continuerons à occuper, sur l’échelle administrative, un rôle subalterne de soutier destiné à récupérer le linge sale que l’administration consentira à lui laisser ; à nous seulement, de nous faire respecter suffisamment pour ancrer quelques règles de saine gestion et essayer de collecter le moins mal possible les éléments constitutifs du patrimoine archivistique de demain.

L’art de se faire respecter, ou le triomphe de la science

Comment acquérir ce respect ? Tout d’abord, je pense, en jouant sur ce qui fait notre spécificité dans le monde administratif : en étant avant tout des scientifiques et en insistant sur notre rôle d’acteur culturel, au lieu de nier et de minimiser sans cesse cette dimension ; si nous devions jouer un rôle insigne au sein de l’administration, à quoi bon apprendre la paléographie et le latin ! Il vaudrait mieux privilégier le droit et les finances publiques et substituer l’École nationale d’administration à l’École des chartes. Nous n’en sommes, Dieu merci, pas encore là. Il faut au contraire cultiver notre image d’hommes et de femmes de science : l’École des chartes jouit toujours d’un grand prestige qu’il faut savoir entretenir. Dans son département, l’archiviste est d’abord celui qui sait lire les textes anciens, qui sait les décrypter, les rendre intelligibles ; sans en faire son quotidien, il maîtrise les arcanes qui ont pour nom paléographie, philologie, codicologie, diplomatique, et cette somme de connaissances lui apporte une considération non négligeable. Nos hiérarchies comme nos autorités de tutelle y seront sensibles, bien plus qu’à nos capacités dans des domaines que, par nature, par formation et par fonction, ils maîtriseront toujours bien mieux que nous. Je doute fort, par exemple, que l’on m’aurait proposé en 2006, lors de la réorganisation des services du conseil général, de prendre la tête d’une direction du patrimoine, regroupant deux autres services11 en sus des archives, si je m’étais simplement contenté, depuis mon arrivée, de recevoir, même avec le plus grand zèle, les versements de l’administration.

À négliger cette dimension essentielle de notre métier, ce qui fait sa noblesse, nous avons depuis trente ans perdu du terrain par rapport à nos collègues des autres spécialités patrimoniales qui ont su, eux, dans le même temps, valoriser au mieux leur rôle d’acteur culturel : en organisant des expositions, en développant des animations, en publiant des ouvrages de grande qualité éditoriale. Il est vrai qu’ils n’avaient pas à résoudre le dilemme douloureux des archivistes tiraillés entre culture et administration : quoi qu’il en soit, le résultat est là. Imaginerait-on de construire un musée ou une bibliothèque à la périphérie des villes ou au milieu des champs de betteraves ? Assurément, non. C’est pourtant ce qui arrive aux archives ; j’en veux pour preuve le projet même du nouveau centre des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine : même si on ne peut que se réjouir de voir enfin l’État prendre ses responsabilités pour donner à ses archives centrales des conditions d’existence plus dignes – il était temps ! – force est de constater que c’est en banlieue qu’on implante le nouveau centre, ce qu’on n’a fait ni pour la Bibliothèque nationale de France, ni pour le musée des Arts premiers. Il est vrai qu’en faisant le choix de l’administration, les archivistes se sont eux même rangés dans la catégorie des gardiens de papiers périmés plutôt qu’en conservateurs du patrimoine et de l’histoire de la France. Que dire enfin de l’image traditionnelle des archivistes, que déplore la profession toute entière dans les réunions ou sur les forums spécialisés : serions-nous vraiment ces vieux érudits un peu moisis, un peu poussiéreux, un peu bancroches veillant sur une masse de documents inutiles, que voit en nous l’imagerie d’Épinal de nos contemporains ? C’est en négligeant notre dimension scientifique et culturelle au profit des fumées administratives que notre profession a nourri et continue à nourrir ce type de clichés.

La réforme administrative, ou la « révolution permanente »

Qu’on ne se méprenne pas cependant : je ne cherche pas à nier ou à rejeter la fonction administrative du métier d’archiviste. Elle existe et on doit en accomplir les tâches consciencieusement. Mais il ne faut jamais oublier que l’administration est avant tout un moyen, non une fin. En tout état de cause, il ne faut donc jamais la placer au premier rang de nos préoccupations, même si nos hiérarchies et nos autorités de tutelle chercheront toujours à accroître le poids de nos responsabilités dans ce domaine et multiplieront à l’envi les réunions et les copies à rendre : comme fonctionnaire, vous serez en effet confrontés sans cesse à ce qu’on appelle la réforme administrative, c’est-à-dire la (fausse) modernisation technocratique, que j’ai même entendu baptiser du néologisme encore plus malsonnant d’« agilisation administrative ». Durant toute votre carrière, vous en entendrez parler : elle prendra différentes formes, s’appellera successivement, au gré des modes, « livre blanc », « projet de service », « évaluation des politiques publiques », ou s’habillera d’acronymes barbares comme « PASED » (plan d’action stratégique de l’État en département), « GPEEC » (gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences), ou encore « RGPP » (réforme générale des politiques publiques), mais vous la trouverez sans cesse sur votre chemin, parce qu’elle justifie à elle seule l’existence de pans entiers de l’administration et du fameux « rendre compte » qui est un des ressorts de l’action administrative. La réforme administrative, c’est en réalité la révolution permanente mais une révolution comme les prône le prince Salina, le héros du Guépard12 : « il faut tout changer pour que rien ne change » ! Car en réalité, il ne faut jamais être dupe des grandes réformes dont on vous rebattra les oreilles. J’en ai déjà vécu une dizaine au moins, dans mes presque douze années de service, et il n’y a pas de doute que j’en subirai encore une bonne trentaine d’ici à mon départ à la retraite. Les financiers par exemple, qui sont eux vraies gens de pouvoir, vous feront croire que leurs activités répondent à des règles intangibles que rien ne saurait transgresser ; ils noieront bien souvent vos demandes dans des refus fondés sur des arguties et des principes comptables dont les logiques vous échapperont le plus souvent : mais pour peu qu’on prenne la peine d’examiner leur activité au jour le jour, on s’apercevra rapidement que ce qui est présenté comme science exacte peut subir des accommodements au gré des circonstances et des décisions politiques, voire, parfois, se contredire d’une fois sur l’autre dans le maquis des règlements à observer. Dans ce domaine comme dans tous les autres qui relèvent de l’administratif, il y a toujours des marges de manœuvre, parfois non négligeables. Le responsable administratif qu’est nécessairement l’archiviste doit donc s’assurer une maîtrise minimale de ces principes pour négocier au mieux des intérêts du service.

Le rôle difficile de « gestionnaire des ressources humaines », ou la dialectique du maître et de l’esclave

Pour en terminer avec l’ordre administratif, je voudrais évoquer enfin une part importante de l’activité d’un archiviste départemental, qui a connu une importante évolution dans les vingt ou trente dernières années ; je veux parler de la dimension humaine et de la gestion du personnel. L’idée de l’archiviste voué à ses études, retiré du monde dans son cabinet tour d’ivoire est depuis belle lurette à reléguer aux orties : plus que jamais, et sous l’effet notamment de la décentralisation qui a contribué à un développement parfois considérable de nos services, nous avons pris la tête et la responsabilité d’équipes de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux formées. Il n’est pas rare qu’un archiviste départemental ait plusieurs dizaines de personnes à encadrer. Il en résulte bien évidemment une amélioration de la qualité de nos services dans toutes les missions qui sont les nôtres. Mais pour le conservateur, qui n’y est pas nécessairement préparé, il en résulte aussi qu’il devient de moins en moins celui qui fait pour devenir celui qui fait faire. La « gestion des ressources humaines » – ou, pire encore, le « management » – s’apprend essentiellement, à mon avis, par l’expérience : il y faut d’abord une bonne dose de psychologie, beaucoup de sens pratique et surtout un immense respect pour les personnes qui sont placées sous notre responsabilité. Celle-ci nous donne assurément les droits que nous confère l’autorité hiérarchique mais, plus encore, des devoirs : le chef de service doit travailler plus que ses subordonnés, il est le dernier parti s’il n’est le premier arrivé ; il doit connaître toutes les activités et toutes les tâches de ses agents dans leurs difficultés, s’il n’en maîtrise tous les rouages dans le détail ; il ne doit pas se substituer à eux mais donner les grandes inflexions, organiser le travail et contrôler que les tâches ont été correctement accomplies ; enfin, il doit créer une ambiance de travail saine, basée sur le respect mutuel et rassurer ses collaborateurs dans l’exercice de leurs tâches : on n’imagine pas à quel point, même dans un secteur aussi peu sensible que les services culturels, les gens peuvent s’inquiéter d’incidents parfois mineurs, sans prendre toujours le recul nécessaire pour ramener les choses à leur juste proportion ; au chef de service d’assurer ce rôle de modérateur. Il veillera tout particulièrement à éviter, dans l’exercice de son activité, les écarts d’humeur qui sont extrêmement déstabilisants pour tout subordonné placé en situation de dépendance hiérarchique. Tout l’art du chef de service résulte dès lors dans la délégation : celle-ci présuppose d’une part d’être suffisamment assuré de sa propre légitimité et d’avoir assez de confiance en soi pour pouvoir faire confiance aux autres, d’autre part de savoir estimer à leur juste niveau les capacités de ses collaborateurs pour leur confier seulement les tâches qu’ils sauront assumer, afin d’éviter de les placer en situation d’échec. C’est un art difficile et qu’il faut sans cesse remettre sur le métier, car nombreuses sont les situations et les évolutions qui peuvent remettre en cause tout l’équilibre d’un service. Et quand on aura tout fait, au quotidien, pour assurer le bon fonctionnement de son établissement, il n’en faudra attendre aucune récompense : on trouvera normal que tout se passe à peu près bien dans un service mais c’est toujours – et souvent fort justement – à la tête qu’on s’en prendra pour expliquer des dysfonctionnements.

L’archiviste en Janus, ou la conciliation du fonctionnaire d’État avec la collectivité territoriale qui l’emploie

Si les considérations que je viens de développer valent évidemment pour tous les chefs de service et les cadres d’autorité, il est une idée farfelue, propre au statut de l’archiviste départemental, sur laquelle il convient de s’attarder car elle encombre encore trop souvent la tête de certains collègues, mal remis des effets de la décentralisation. Vous n’ignorez pas en effet que le directeur des archives départementales occupe depuis 1986 une situation quasi-unique au sein des départements : fonctionnaire d’État, payé par le ministère de la Culture via la direction régionale des Affaires culturelles (bien qu’il ne soit pas soumis à la tutelle hiérarchique de son directeur), le directeur des archives départementales est un chef de service de la préfecture, pour laquelle il assure la mission régalienne du contrôle des archives publiques, et il est en même temps mis à disposition du conseil général pour diriger le service des archives départementales, décentralisé sous l’autorité du président de cette collectivité. L’archiviste partage cette double casquette avec quelques collaborateurs fonctionnaires d’État, comme lui – au minimum un quand le poste est pourvu – mais cela a entraîné, chez certains collègues, une dérive quasi schizophrénique qui leur fait interdiction de confier cette mission de contrôle à des fonctionnaires territoriaux, bien que ceux-ci forment le gros de nos bataillons. Vous imaginez bien que, lorsqu’on a plusieurs centaines de communes à inspecter – auxquelles il faut ajouter l’ensemble des services déconcentrés de l’État, le conseil général, les autres collectivités, les établissements publics et tous les officiers publics et ministériels du département – ce peut être un travail à temps plus que plein ; vous imaginez bien encore que si l’archiviste départemental ne confie pas pour partie cette tâche à des adjoints, y compris ses attachés de conservation payés par la collectivité, il ne pourra accomplir les autres missions que requièrent sa fonction et ses responsabilités. On voit encore cependant des conservateurs du patrimoine qui, vingt ans après la décentralisation, se font une gloire d’être les seuls, avec leurs adjoints de l’État, à inspecter les archives communales de leurs départements. Mais il est permis d’espérer que la nouvelle génération d’archivistes qui n’a pas connu la période antérieure à la décentralisation, surmontera cette fausse difficulté technocratique : une fois encore, la raison et le sens pratique doivent primer.

2. L’archiviste départemental et l’action scientifique et culturelle

La communication envisagée comme la finalité du métier

Il me faut à présent envisager les aspects culturels et scientifiques de notre activité ; à trop vous parler d’administration, vous finiriez par croire que j’en oublie moi-même l’essentiel. Comment et sur quoi fonder la politique de nos services ? Je pars du postulat que parmi toutes nos missions, c’est la communication qui est la justification des quatre autres : contrôle, collecte, classement et conservation. Pour qui et pourquoi en effet collecter et préserver le patrimoine documentaire de la Nation si ce n’est pour le faire connaître et le valoriser ? Cela signifie qu’il faut mettre le public au cœur de nos préoccupations et de nos actions. C’est ainsi, à très juste titre, que la direction des Archives de France a consacré, lors de sa dernière réorganisation, un de ses quatre départements à cette question13 ; malheureusement, c’est aussi ce département qui peine le plus à se faire reconnaître par la profession.

Il faut dire que, pendant longtemps, et c’est encore parfois vrai hélas, le public n’avait pas vraiment sa place en salle de lecture : je n’évoquerai que pour mémoire les problèmes liés à la communicabilité des archives. La publication en 1994 de l’ouvrage de Sonia Combe sur les Archives interdites14 a fait, à l’époque, l’effet d’une bombe dans le ciel serein d’archivistes habitués à l’autocongratulation et sur lesquels aucun regard extérieur critique n’avait jusqu’alors été porté. Ce livre était pourtant parfaitement estimable car il pointait à juste titre des dysfonctionnements graves dans la communication des archives, qui montraient combien les archivistes se situaient davantage en gardiens des secrets de l’administration qu’en transmetteurs de l’information auprès de leurs concitoyens, ce qui est leur raison d’être dans une démocratie. Les polémiques qu’il a suscitées ont contraint la profession toute entière à réviser ses positions et à commencer à s’adapter aux attentes actuelles de notre société. Le processus s’inscrit dans la durée mais il est en cours et devrait se poursuivre : on ne saurait en tout cas en rendre trop hommage à ceux, Sonia Combe et quelques autres, qui en furent les initiateurs.

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Salle de lecture des archives départementales de la Manche.
Avant leur destruction dans les bombardements américains en 1944 ; en 2008.

Dans un autre domaine, la vogue de la généalogie a, depuis trente ans, considérablement transformé, et de manière durable, la fréquentation de nos services. Il a fallu agrandir nos salles de lecture pour répondre à cette attente et faire face à cet afflux en masse d’un public nouveau, bien moins formé à la recherche que les quelques érudits et universitaires auxquels nous étions habitués. Je connais encore des archivistes qui s’interrogent sur la légitimité de ce type de recherche : j’affirme pour ma part qu’il ne nous appartient pas de juger du bien fondé d’une demande mais que nous devons essayer d’y répondre par tous les moyens à notre disposition. Et même si la salle de lecture est le lieu de toutes les confrontations, de toutes les tensions aussi, car la pression sur le personnel y est très forte, elle est le cœur de l’activité des archives départementales : chacun s’y retrouve et chacun doit y trouver sa place, le personnel comme le public. Dans ce cadre en tout cas, il ne fait pas de doute que le rôle de l’archiviste est de faciliter le plus possible la vie du chercheur en lui communiquant les archives qu’il conserve, dans la limite évidemment des contraintes légales et réglementaires et, bien entendu, de la bonne conservation des collections dont la responsabilité lui est confiée ; cependant, qu’il s’agisse des principes de communicabilité ou de conservation, une application souple des règlements doit être privilégiée pour éviter de léser la recherche au détriment de faux arguments, visant essentiellement à mettre en valeur auprès du public, qui est pourtant aussi le contribuable, la petite parcelle de pouvoir que détient l’archiviste : c’est le syndrome du petit fonctionnaire. Une telle attitude me paraît indigne en tout cas du rôle d’un agent public, mais la tentation en est encore suffisamment répandue dans la profession pour que j’insiste sur cet aspect des choses.

Le classement comme priorité d’action

Quand on se place en termes de communication, il n’est pas douteux qu’une des fonctions essentielles de notre métier consiste à assurer au maximum le classement de tous les fonds, même si la tâche est immense, les moyens toujours limités et le travail jamais achevé. L’inventaire des collections, leur mise à disposition auprès du public, la réflexion sur les nouveaux outils de traitement documentaire que sont les moteurs de recherche, sont et doivent être une préoccupation constante pour les archivistes : cela n’est pas si simple qu’il y paraît, tant est complexe le traitement archivistique et multiples les types de fonds et de supports, mais le recours généralisé à l’informatique documentaire, la normalisation nécessaire des instruments de recherche devraient permettre prochainement de rattraper le retard pris dans ce domaine par rapport aux bibliothèques. Il est vrai qu’il est beaucoup plus difficile de réaliser un inventaire d’archives qu’un catalogue de bibliothèque.

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L’espace multimédia en salle de lecture permet de consulter les instruments de recherche électroniques et de
nombreux documents numérisés dont l’ensemble de l’état civil du département, soit 2,5 millions de pages.

L’universalité de la collecte du patrimoine documentaire

Quand on place le public au cœur de ses préoccupations, on est aussi amené à développer une vision très large de la politique de collecte documentaire à mener dans les départements. En effet, les archives que nous conservons sont des sources historiques et il importe de pouvoir les confronter à toutes les autres sources disponibles : iconographie, photographie, son, image animée ou, bien sûr, production imprimée. D’ailleurs, la loi sur les archives elle-même ne dit pas autre chose quand elle affirme que ces dernières sont « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel »15. C’est pourquoi je milite activement pour étendre l’ensemble de nos compétences à l’intégralité du patrimoine documentaire dans la mesure où celui-ci n’est pas pris en compte par d’autres institutions. On ne saurait évidemment comparer toutes les situations et il est certain que l’archiviste doit s’adapter au contexte local : la proximité d’une université, d’institutions culturelles puissantes, comme des musées ou de très grandes bibliothèques, peut varier la donne. Mais, dans un département comme celui où j’exerce, les archives départementales sont le plus ancien service patrimonial de la circonscription et en même temps l’un des plus importants ; tel est le cas le plus souvent. Prenons, dans ce cadre, le cas des imprimés : la constitution d’un fonds local et patrimonial était une mission traditionnellement dévolue aux bibliothèques municipales ; or, depuis trente ans, celles-ci ont développé des politiques extrêmement dynamiques en termes de lecture publique, ce qui fait d’elles – et de très loin – les services culturels les plus attractifs de nos cités, mais elles ont aussi le plus souvent laissé de côté leur fonds local et patrimonial, qui concerne un public plus restreint. C’est en tout cas le constat que je fais dans mon département, et même dans ma région, où les bibliothèques consacrent de moins en moins de moyens humains et financiers à ces collections. Face à ce désengagement, il me semble que les archives départementales sont les mieux placées, à tous égards, pour suppléer cette carence, sachant que si elles ne le font pas, nombre de sources historiques ne pourront être collectées. C’est en tout cas le choix que nous avons fait résolument aux archives de la Manche. Et, au fond, qu’importe au chercheur de savoir à quel type d’institution il a affaire (bibliothèque, musée ou service d’archives) pourvu qu’il obtienne les informations qu’il recherche. Dans le même ordre d’idée, même si, pour l’instant, nous n’avons pas réussi, faute de moyens, à bâtir un vrai service d’archives audiovisuelles, nous commençons depuis peu à rassembler les images animées dont l’explosion audiovisuelle des trente dernières années a multiplié la production : or, que deviendront les nombreux films amateurs ou même les productions d’entreprises des années 1970-1980, voire d’années antérieures, s’ils ne sont pas collectés maintenant ? Et pourtant ces pellicules sont déjà des éléments constitutifs de notre patrimoine et de notre histoire, tout autant que les archives administratives qui sont la raison première de notre existence. Bien sûr, il y a des régions où cette collecte est prise en compte par des cinémathèques ou d’autres institutions, mais quand on se trouve face à un vide, il est du devoir de l’archiviste d’essayer de le combler. C’est d’ailleurs la même volonté qui amène, depuis une dizaine d’années, nombre de services d’archives départementales à créer en leur sein des services d’archives sonores dédiés à la mémoire orale.

Quand on passe à l’autre volet de l’activité de communication, qui est la valorisation du patrimoine et l’action scientifique et culturelle, on entre dans un champ potentiellement immense mais, sur cette question, la profession a toujours eu des difficultés à avoir une position claire et, disons-le nettement, très favorable. D’une manière générale, les archivistes ont souvent tendance, je l’ai dit déjà, à choisir le camp du tout administratif et à nier l’intérêt de l’action culturelle. La forme même de l’enquête statistique annuelle de la direction des Archives de France, par exemple, est symptomatique de cet état d’esprit : les données quantitatives qu’on demande d’y inscrire sont clairement liées à tous les domaines d’activité des services et, si l’on remplit très précisément de nombreux tableaux sur les moyens, l’accroissement des collections, les volumes d’archives traités sur les plans documentaire et sanitaire, quand on en vient à évoquer l’action culturelle, cette dernière est reléguée en fin de rapport et réduite à être un simple accompagnement des politiques en faveur du monde scolaire. Je n’ai bien évidemment rien à redire aux actions pédagogiques et d’apprentissage que peuvent susciter nos collections ; les services éducatifs, qui sont d’ailleurs nés dans les services d’archives avant d’être mis en place dans les musées, ont toute leur place dans nos services. Mais on ne saurait réduire la politique d’action culturelle à cette dimension.

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Un exemple d’exposition aux archives de la Manche

Dans l’esprit de nombreux archivistes en effet, l’action culturelle nous ravalerait au rang de bateleurs de foire et ne serait pas aussi noble que garder la mémoire et les secrets de l’administration. En nous propulsant sur le devant de la scène, au contact d’un grand public considéré comme ignare et indigne, ce qui, au passage, illustre bien le mépris de certains collègues pour le public, elle nous éloignerait d’autant des cercles discrets et feutrés du pouvoir. Pourtant, d’un simple point de vue stratégique, il faut être bien conscient que nos collectivités de tutelle sont prêtes à investir largement dans ce secteur de communication qui donne une grande visibilité à notre action, puisque ce souci de visibilité vis-à-vis du grand public est une préoccupation constante du monde politique : on m’a parfois retourné cet argument en m’accusant de me vendre auprès du pouvoir politique. On m’a opposé encore un hiatus qui existerait entre l’action scientifique et l’action culturelle : la première serait noble et répondrait aux exigences de la recherche historique ; la seconde le serait beaucoup moins et obéirait à des velléités communicantes de pacotille. Il n’y a pas d’opposition entre la vision scientifique et la vision culturelle : il y a simplement les bons projets, bien menés, et les autres. Et faire de la médiation culturelle ne saurait en aucun cas être considéré comme un abaissement. Tous les projets que nous mettons en œuvre comportent une transmission auprès d’un public élargi mais sont fondés sur un travail scientifique rigoureux. Ainsi, la préparation d’une exposition peut être l’occasion de faire le point sur l’état des collections dans le domaine considéré, voire de les enrichir. Quand nous avons commencé à travailler sur Remy de Gourmont en 200216, nous ne conservions aucune œuvre de cet écrivain, pourtant prolifique, de la fin du XIXe siècle ; nous possédons désormais, avec de nombreux manuscrits et une bibliographie abondante, où foisonnent les impressions bibliophiliques, la plus belle collection gourmontienne en main publique. Quand nous avons entrepris de travailler en 2006 sur le cheval dans la Manche17, nous avons non seulement adossé nos travaux sur le classement du fonds du haras national de Saint-Lô qui venait de faire son entrée dans le service, mais encore réalisé des entretiens sonores auprès des représentants départementaux de la filière équine, fait le point sur les collections complémentaires disponibles aux Archives nationales et acquis de nombreux ouvrages en rapport avec le sujet ; nos collections sur le monde du cheval dans la Manche sont désormais incontournables et nous prolongeons aujourd’hui, de manière raisonnée, cette politique d’acquisition. Enfin, quand nous avons travaillé sur le soixantième anniversaire de la Libération, nous avons organisé un colloque18 et deux expositions19, participé à l’élaboration scientifique d’une troisième, itinérante, qui a accueilli plus de soixante mille visiteurs aux quatre coins du département20, publié deux catalogues21, mais aussi réalisé dans ce cadre un guide des sources de la seconde guerre mondiale disponibles dans le département22 : cet outil de travail faisait jusqu’à présent défaut et il n’est pas douteux en l’espèce que le projet culturel nous a obligé à cet effort d’inventaire. Ces quelques exemples pourraient évidemment être multipliés par autant d’opérations que nous avons menées ou que nous serons amenés à monter. Elles montrent aussi à l’évidence combien l’action culturelle est indissociable de la constitution de nos collections et de leur traitement scientifique.

Les commémorations, entre histoire et mémoire

Évoquons encore les commémorations, puisque celle-ci relèvent, comme leur nom l’indique, de cette collusion que j’évoquais entre patrimoine et communication politique, entre histoire et mémoire. Comme scientifiques, nous devons être méfiants à l’égard de la notion éminemment politique de mémoire : celle-ci n’est rien d’autre en effet qu’un discours politique plaqué sur les événements du passé. On en a vu l’effet dans les fameuses lois mémorielles qui ont, à juste titre, soulevé l’indignation de nombreux historiens car elles représentent une police de la pensée et elles cherchent à mettre la recherche historique sous le contrôle du pouvoir politique23 ; plus récemment encore, l’affaire de la lettre de Guy Môquet a mis en évidence cette dichotomie profonde entre mémoire et histoire. Pourtant, les commémorations sont à l’évidence un lieu obligé pour l’acteur culturel qu’est l’archiviste et ce n’est pas un hasard si la délégation aux célébrations nationales, qui centralise au plan national la politique des commémorations, siège directement auprès de la direction des Archives de France. La commémoration est un outil commode de communication ; pour l’acteur culturel, elle permet de mobiliser les énergies, les autorités de tutelle et les médias parce qu’elle est facile à valoriser. À nous d’être vigilants pour garder un regard critique sur les sujets que nous sommes amenés à traiter dans ce cadre : quand nous avons travaillé sur le soixantième anniversaire de la Libération, nous avons pu, grâce à la commémoration de cet événement, obtenir du conseil général les fonds nécessaires pour envoyer un chargé de mission à Washington collecter des photographies prises par l’armée américaine ; ces trois mille documents ont enrichi nos collections mais quand nous en avons réalisé l’exploitation, en en présentant une centaine dans une exposition et un coffret catalogue24, nous avons travaillé sur deux axes : montrer des documents alors inédits – beaucoup d’entre eux ont depuis lors fait la fortune des publications sur la période – et aussi des aspects méconnus de ces combats de la Libération (notamment les désastres de la guerre, la vie quotidienne de l’armée américaine, la mise en scène et la propagande orchestrées par nos alliés). Dans une autre mesure, quand nous avons évoqué la personnalité écrasante qu’est Alexis de Tocqueville, dont nous avons célébré le bicentenaire de la naissance en 2005, nous avons cherché à mettre en évidence sa personnalité complexe, avec ses forces et ses faiblesses, bien loin de la statue de commandeur qu’on lui a forgée au gré des discours politiques. L’ouvrage que nous avons alors publié25 fait autorité désormais parmi les tocquevilliens, tant par son mode de traitement que par la documentation rassemblée ; il est par ailleurs, à mon sens, exemplaire d’une médiatisation culturelle réussie, puisqu’il permet, en cent soixante pages illustrées, une appréhension globale du personnage.

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Coffret-catalogue de cartes postales réalisé par les archives de la Manche à l’occasion de l’exposition Regards sur une Libération en 2004. Livre réalisé par Charlotte Manzini, à l’occasion de l’exposition Qui êtes-vous monsieur de Tocqueville ? en 2005 (prix Hercule Catenacci décerné par l’Académie des sciences morales et politiques pour soutenir la publication de livres d’histoire illustrés de luxe)

Le triomphe de la volonté sur les moyens

Pour en terminer avec les nombreux arguments dressés par mes contradicteurs quand j’ose évoquer la nécessité d’une politique culturelle à des parterres d’archivistes, je parlerai enfin du problème des moyens. C’est la raison ultime : on ne saurait mener de politique culturelle sans moyens et ceux-ci seraient rarement au rendez-vous. La vérité et l’expérience m’obligent à dire que le problème des moyens est secondaire et qu’il ne saurait justifier l’absence de volonté du responsable culturel : j’ai pour ma part dirigé pendant quatre ans un service d’archives du ministère de la Défense où je n’avais que des ressources humaines et financières très limitées ; cela ne m’a jamais empêché de monter des opérations culturelles : elles étaient plus modestes, elles se faisaient en partenariat avec d’autres institutions plus riches, mais elles se faisaient et le succès était au rendez-vous : treize mille cinq cents visiteurs pour une exposition sur Cherbourg au XVIIIe siècle26 par exemple. Et je connais des services départementaux en France qui sont loin d’avoir les moyens qui sont les nôtres dans la Manche et qui réussissent à développer eux aussi une action culturelle de qualité.

La question de fond, pour qui s’engage dans cette profession, est donc de choisir ce que l’on veut faire de ce métier car il y a très clairement un choix stratégique à effectuer. Pour ma part, c’est résolument et en toute connaissance de cause que je me suis engagé dans la voie scientifique et culturelle, à l’instar de nos collègues des bibliothèques et des musées. Dans ce cadre, le champ d’action qui s’offre à un directeur d’archives départementales est immense : à l’échelle d’une circonscription aussi vaste que l’est un département français, c’est toute l’histoire et tout le patrimoine de ce territoire qui l’intéressent potentiellement ; et contrairement à nos collègues des musées, qui entretiennent parfois farouchement leur domaine de spécialisation, l’archiviste départemental sera volontiers polyvalent : rien de ce qui touche son département ne doit lui être étranger, quels que soient l’époque, le genre d’étude ou le support à mettre en valeur. Cette dimension universelle implique un long apprentissage des collections et de l’histoire locale et, par voie de conséquence, que l’action de l’archiviste s’envisage nécessairement sur la longue durée : au rebours de ce que souhaiterait l’administration centrale, pour assurer son pouvoir sur ses agents, on ne saurait envisager d’exercer ce métier correctement en changeant de poste tous les trois ou quatre ans ; l’activité scientifique et culturelle exige une certaine stabilité et une certaine permanence pour apprendre à connaître au mieux, non seulement l’histoire et le patrimoine du département où l’on exerce, mais aussi pour tisser son réseau au sein du monde scientifique et culturel régional.

Les partenariats scientifiques et culturels

En termes culturels en effet, l’archiviste départemental évolue au sein d’un vaste réseau de partenariats qu’il doit s’attacher à entretenir en s’y investissant personnellement et de manière intense : il y a d’abord les institutions, services de la DRAC et du conseil général, autres services d’archives éventuellement présents sur le territoire, bibliothèques, musées, centres culturels ; il y a ensuite le monde de la recherche universitaire ; enfin ceux qui appartiennent au secteur associatif. Les archivistes départementaux jouent traditionnellement un rôle important dans les sociétés savantes, qui ont connu leur heure de gloire au XIXe siècle, où elles représentaient l’essentiel de la recherche savante ; même si elles ont perdu beaucoup de leur lustre depuis la dernière guerre, avec l’essor de la recherche professionnelle, elles peuvent encore jouer un rôle privilégié pour les études locales, car leurs membres sont parfois amenés à travailler sur des sujets délaissés par les modes universitaires. Quoi qu’il en soit, l’archiviste départemental doit s’attacher à connaître ces associations, qui, pour certaines d’entre elles, ont grandi à l’ombre de son service, à en soutenir, autant que faire se peut, l’action, à servir au besoin d’intermédiaire avec le monde universitaire. Cela implique de s’attacher, comme pour la gestion du personnel, à faire œuvre de facilitation et de transmission ; l’archiviste départemental est homme de réseaux. Une fois encore, on est évidemment bien loin de l’image de l’archiviste isolé dans sa tour d’ivoire.

Quelle politique éditoriale pour les archives

Les projets culturels sont de plusieurs sortes : on songe aux expositions en premier lieu, mais il peut s’agir aussi d’organiser des cycles de conférences (pour lesquels le recours au support associatif est d’un grand intérêt), des colloques, d’autres types d’animations, comme des projections ou des lectures d’archives, et encore – et surtout – de publier.

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L’auditorium des archives départementales de la Manche compte 168 places.

Rien n’est plus important pour un service culturel que d’avoir une politique éditoriale de qualité parce que livres et ouvrages sont la trace pérenne de notre activité. Nos collègues des musées sont passés maîtres dans la publication de catalogues de prestige ; il n’en est malheureusement pas de même chez les archivistes et l’on y voit trop souvent la production se limiter à quelques dossiers pédagogiques plus ou moins bricolés avec les imprimeries départementales, des catalogues d’expositions modestes essentiellement basés sur une iconographie rébarbative et un graphisme sans ambition, enfin encore et toujours des répertoires numériques. À de rares exceptions près, je suis pour ma part très hostile à la publication papier des instruments de recherche : si l’impression de ce type de travaux a longtemps été nécessaire pour véhiculer l’information, elle me paraît en effet totalement obsolète à l’époque d’Internet ; un instrument de recherche est un outil de consultation ponctuelle, non un ouvrage de lecture cursive ; il ne se conçoit qu’en introduction à la consultation des documents eux-mêmes et doit s’adosser aux fonds qu’il décrit. Seuls quelques répertoires numériques méritent sans doute d’être publiés pour les fonds les plus importants : c’est le cas par exemple des archives d’Alexis de Tocqueville que nous venons d’éditer27, car il intéresse des chercheurs du monde entier et que j’ai, depuis sa parution, des demandes de reproduction du fonds en provenance des États-Unis, du Japon, d’Italie et de Grande-Bretagne. Les guides de recherche ou de sources peuvent être, eux aussi, de consultation plus commode qu’un outil informatisé. Mais pour le reste, la publication systématique des instruments de recherche contribue essentiellement à la destruction de nos forêts et à l’encombrement de nos magasins. En revanche, les archivistes doivent se battre pour arriver à produire des catalogues d’expositions capables de rivaliser avec ceux des musées, et, parallèlement, des ouvrages de recherche difficiles à publier dans le privé : publications de sources, actes de colloques, recherches érudites, les sujets ne manquent pas et notre rôle dans ce cadre est digne qu’on s’y investisse. L’archiviste départemental devra y être sensible et s’y impliquer personnellement ; on met rarement en valeur le rôle de l’éditeur dans la fabrication d’un livre, mais je puis vous assurer que, quoique souterrain, son travail est essentiel à toutes les étapes pour assurer une bonne qualité éditoriale. C’est aussi une tâche à laquelle nous forment tout particulièrement la rigueur et la méthode chartistes.

La recherche personnelle

Une question reste encore en suspens dans cette masse d’activités que je viens de décrire à grands traits : quelle place reste-t-il pour la recherche personnelle, quand l’archiviste départemental a accompli à la fois tous ses travaux administratifs, tous ceux qui relèvent de ses missions, et notamment le pilotage de projets culturels ? En 1932, Raoul Busquet déclarait que « les travaux personnels, - évidemment facultatifs – doivent cependant occuper dans notre activité la place éminente ». Il ajoutait d’ailleurs immédiatement que « le proclamer ne signifie nullement que nous pensions avoir le droit de sacrifier en rien les tâches de notre fonction. Il s’agit de mener de front, si nous le pouvons, les deux activités, et il est bien entendu que nous devons nous occuper des études de notre choix, que lorsque les travaux du service sont accomplis »28. J’ai bien peur que la tâche soit désormais tellement immense et démultipliée qu’elle laisse bien peu de place à la recherche personnelle, ce qu’on peut constater parfois avec un sentiment de frustration. Il faut pourtant songer qu’en menant à bien des projets scientifiques et culturels, par nature extrêmement variés et bien éloignés des spécialisations sclérosantes en usage dans la recherche universitaire, en dirigeant des publications notamment, on accomplit une œuvre très utile et sans doute aussi intéressante que la recherche elle-même.

Conclusion

Je donnerai le mot de la fin à mon ante-prédécesseur, monsieur Yves Nédélec29, qui fut le véritable refondateur des archives de la Manche, après leur destruction totale lors des bombardements de 1944. Pour répondre à la question posée dans le titre de cet exposé et que nous lui avions soumise, lors de l’entretien d’archives sonores qu’il a accepté de nous accorder, « à quoi sert un archiviste départemental ? », il a simplement répondu : « à faire connaître les archives ! ». Au rebours de bien des clichés, ce propos montre dans sa simplicité combien la communication est le fer de lance de ce métier foisonnant, dont la polyvalence des tâches est le maître mot et la dimension scientifique et culturelle, vous l’aurez compris, essentielle. Il peut aussi apporter beaucoup à celui qui l’exerce pour peu qu’il s’y investisse totalement et sans compter : âmes tièdes, adeptes du « métro-boulot-dodo » s’abstenir ! Esprits étriqués et médiocres épris de pouvoir, passez votre chemin : ce métier n’est pas pour vous. Vous n’y trouverez, au bout du compte, que ce que vous aurez bien voulu y mettre de passion et d’intérêt.

Notes

1 Les Chartistes dans la vie moderne. Causeries faites à la Société de l’École des chartes (1931-1936), Paris, Société de l’École des chartes, 1938, VIII-274 p.
2 Raoul Busquet (1881-1955), archiviste paléographe en 1905, a été successivement archiviste de la ville de Grenoble, archiviste-bibliothécaire du Gouvernement général de l’Algérie et enfin archiviste en chef des Bouches-du-Rhône. Voir Livret de l’École des chartes 1821-1966, p. XXXIX et 93 ; nécrologie dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 113 (1955), p. 367-370.
3 Raoul Busquet, « le chartiste "archiviste départemental" », dans Les chartistes dans la vie moderne, op. cit., p. 41-63.
4 Arrêté du ministère de la Culture et de la Communication du 8 novembre 2007 fixant les modalités d’accès au corps des conservateurs du patrimoine (JO n° 276 du 28 novembre 2007, texte n° 29).
5 Bruno Delmas, La Société sans mémoire. Propos dissidents sur la politique des archives en France, Paris, Bourin, 2006, 200 p.
6 Décrets du 7 mars 1940, n° 57-1173 du 17 octobre 1957 et n° 90-492 du 13 juin 1990 (JO du 19 juin). Cf. Hervé Bastien, Droit des archives, Paris, La Documentation française, 1996, 192 p. (à la p. 21).
7 Décrets n° 90-404 du 16 mai 1990 portant statut particulier du corps des conservateurs du patrimoine (JO du 17 mai) et n° 90-405 portant statut particulier du corps des conservateurs généraux du patrimoine. Cf. H. Bastien, op. cit., p. 27 sq.
8 On doit, entre autres, à Pierre Aguiton (1926-2004), l’agrandissement et la rénovation du bâtiment des archives départementales de la Manche, inauguré en décembre 1998 par son successeur à la présidence du conseil général, Jean-François Le Grand. Cette magnifique réalisation est en effet due à l’action conjuguée d’une volonté politique, celle de l’assemblée départementale menée par Pierre Aguiton, et d’une vision scientifique et culturelle large, celle de mon prédécesseur, monsieur Jean-Paul Hervieu (1994-2000). Tous deux ont concouru à faire aboutir un projet de bâtiment parfaitement réussi, conçu comme un outil culturel à part entière, doté de tous les équipements nécessaires à une action scientifique de qualité, qu’apprécient encore, près de dix ans après, l’ensemble des usagers et des personnels qui y travaillent. Mais l’action culturelle menée par le président Aguiton a été inlassable pendant toute la durée de ses mandats et s’est exercée dans tant de domaines qu’aujourd’hui encore, son nom est cité avec respect et regret par tous les responsables culturels qui ont eu la chance de croiser son chemin.
9 R. Busquet, op. cit., p. 44-45.
10 Circulaire du Premier ministre, Lionel Jospin, du 2 novembre 2001 relative à la gestion des archives dans les services et établissements publics de l’État.
11 La conservation des antiquités et objets d’art et le service du patrimoine architectural.
12 Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Il Gattopardo, Milan, Feltrinelli, 1958 ; 1re trad. française par Fanette Pézard, Le Guépard, Paris, éditions du Seuil, 1959, 248 p.
13 Arrêté du ministère de la Culture et de la Communication du 25 mars 2002 relatif à l'organisation de la direction des Archives de France (JO n° 73 du 27 mars 2002, texte n° 48), notamment ses articles 2 et 8.
14 Sonia Combe, Archives interdites. Les peurs françaises face à l’histoire contemporaine, Paris, Albin Michel, 1994, 227 p., nouv. éd., Archives interdites. L’histoire confisquée, Paris, La Découverte, 2001, 325 p.
15 Article 1er de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 relative aux archives, codifié récemment dans le code du patrimoine sous le numéro L 211-1.
16 Remy de Gourmont (1858-1915), "l’Ours à écrire", exposition du 23 septembre au 9 novembre 2002.
17 La Manche, terre du cheval, exposition du 1er juillet au 30 septembre 2006.
18 La Manche de l’Occupation à la Libération, sous la direction de Michel Boivin (26-27 novembre 2004).
19 Regards sur une Libération, Manche, été 44, du 4 juin au 16 octobre 2004, et Chronique illustrée de la Manche en guerre (1939-1945), du 18 novembre 2004 au 30 janvier 2005.
20 Liberté et Mémoire, exposition itinérante sous un chapiteau de 525 m², dans dix villes du département, sous la maîtrise d’œuvre du service de la communication du conseil général, d’avril à décembre 2004.
21 Regards sur une Libération. Manche, été 1944, coffret-catalogue d’exposition, Saint-Lô, archives départementales de la Manche, 2004, 120 cartes postales ; Arnaud de Roquefeuil, Chantal Procureur, introd., Chronique illustrée de la seconde guerre mondiale. 1939-1945, Rennes, éditions Ouest-France, 2005, 127 p.
22 Jérémie Halais, La seconde guerre mondiale (1939-1945). Guide des sources conservées aux archives départementales de la Manche, dactylographié, mis à jour en 2005, 446 p.
23 Voir notamment Françoise Chandernagor, « "Historiens, changez de métier !" », dans L’Histoire, n° 317 (février 2007), p. 54-61.
24 Regards sur une Libération, op. cit.
25 Charlotte Manzini, Qui êtes-vous monsieur de Tocqueville ? Ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition présentée aux archives départementales de la Manche du 27 mai au 15 septembre 2005, Saint-Lô, archives départementales de la Manche, 2005, 159 p. (prix Hercule Catenacci 2005, de l’Académie des sciences morales et politiques, destiné à encourager la publication de livres d’histoire illustrés de luxe).
26 Cherbourg au XVIIIe siècle, exposition au château de Tourlaville, en partenariat avec la bibliothèque Jacques Prévert de Cherbourg, du 19 juin au 19 septembre 1999, et à la résidence du préfet maritime, du 19 au 26 octobre 1999.
27 Vanessa Gendrin, Archives d’Alexis de Tocqueville (1805-1859). Répertoire numérique du fonds conservé au château de Tocqueville (Manche), Saint-Lô, archives départementales de la Manche, 2007, 169 p.
28 R. Busquet, op. cit., p. 61.
29 Yves Nédélec est né à Lisieux (Calvados) le 6 février 1929. Après avoir obtenu son diplôme d’archiviste paléographe en 1954, il est nommé comme archiviste départemental de la Manche où il a réalisé toute sa carrière, jusqu’à sa retraite en 1994. Confronté à la destruction des collections, il a entamé des travaux gigantesques de reconstitution des sources de l’histoire départementale, en multipliant, à une époque où n’existait pas l’informatique, toutes les bases documentaires possibles – le fichier papier qu’il a réalisé compte ainsi un million de fiches. Bien que son action n’ait pas toujours été reconnue à sa juste valeur par la profession, tous les principes de collecte et de traitement qu’il a édictés, ses ambitions scientifiques et culturelles pour les archives de la Manche sont encore mis en application aujourd’hui dans son service où ses travaux font toujours autorité. Avec son adjoint, Remy Villand, qui vient de prendre sa retraite le 1er août 2007, après quarante-trois ans d’activité aux archives de la Manche, il a réalisé, malgré des moyens très limités, une œuvre immense au regard de laquelle ses successeurs, comparés à lui, feront toujours, quoi qu’ils accomplissent, l’effet de nains juchés sur les épaules d’un géant.