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Édition critique des carnets de prison et de la correspondance privée d’Henri Delescluze à Belle-Île (1851-1853)

Archives nationales, 494AP/1, dossier 4 : carnet 1, page 56 : cliquer pour consulter l’image avec la visionneuse des Archives nationales
Archives nationales, 494AP/1, dossier 4 : carnet 1, page 56

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[...]  extrême cette journée. Nous-même au fond de l’âme, nous espérons aussi. Et cependant si nous étions sages, nous repousserions loin de nous ces dangereux espoirs : ils ont pour résultat, lorsqu’ils sont déçus, d’augmenter l’amertume de notre existence. Lorsque l’on est parvenu à s’endormir de cette vie monotone, les facultés de l’esprit et les organes du corps se taisent ou s’émoussent et atteints d’une paralysie causée par l’inactivité, ils perdent peu à peu le sentiment de leur puissance ; les désirs disparaissent, il ne reste plus dans l’esprit qu’une froide atonie qui décolore tous les événements extérieurs et peu à peu, continuant à s’engourdir dans cette enveloppe glacée, il dépérit chaque jour.

La maladie a une action bien plus douloureuse sur l’homme fort que sur l’homme faible ; et lorsque celui-ci est envahi par elle, il offre peu de résistance et meurt doucement, sans quelque fois sentir son mal. Il en est de même pour nous. Affaiblis par une succession de douleurs incommensurables, nous nous habituons à notre incarcération, nous perdons de vue toutes les joies que nous avons tant regrettées au début de notre malheur ; nous nous faisons une existence de vieillards ; moins heureux que ces derniers, nous ne pouvons pas vivre de souvenirs, leur évocation nous est trop douloureuse et nous nous laissons aller à la dérive, jusqu’à ce que la mort ou l’idiotisme nous atteigne.

Aussi lorsque quelque circonstance imprévue vient réveiller nos aspirations si fortement comprimées, nous nous livrons à toutes les joies que peut nous inspirer l’éclaircie de ciel, un instant entrouvert, puis quand vient la déception, nous retombons brisés sur nous-mêmes, en attendant une nouvelle lueur qui ravive encore ces illusions détruites.