Les carnets d’Henri Delescluze > Une écriture de l’intime
Après le projet de livre des premières semaines passées à Belle-Île, l’écriture du « for privé » de Delescluze se replie donc vers ces carnets. Les chapitres de son livre en projet relevaient en partie d’une écriture intime : plusieurs détails correspondaient à sa propre histoire, ces textes répondaient, de façon élargie, à des sensations ressenties personnellement.
Les carnets offrent, au contraire, une écriture fragmentaire, où de rares
récits se distinguent au milieu des nothing ou des nihil.
Les mots employés dans ces carnets sont riches d’enseignements sur le
quotidien carcéral. Le vocabulaire du néant, du désespoir, de la mort,
est très présent. Le thème de la déchéance que produit la détention,
sujet principal des textes de décembre 1851
et janvier 1852, s’y retrouve souvent. Dans
cette écriture d’une intimité dévastée, le cœur est flétri
ou serré
, l’esprit est miné
, la vie décolorée
... La forme que prend l’écriture intime dans ces carnets révèle
les souffrances de la détention. Ils montrent un quotidien que des
événements trop rares, et quelques moments de joie ne changent guère.
L’écriture intime n’est alors plus qu’une activité isolée ; le désespoir
et l’immobilité de sa situation n’encouragent pas
Delescluze à s’épancher.
Il préfère réserver l’écriture au divertissement, à l’évasion, en
écrivant divers textes de fiction ou en copiant des extraits de livres
qu’il peut trouver. Mais il sent parfois le besoin de coucher sur le
papier les sinistres pensées qui l’obsèdent.
Les carnets d’Henri Delescluze ne sont pas l’œuvre d’une forte personnalité militante qui verrait la prison comme une conséquence presque logique de son engagement politique. Le regard que porte sur la vie carcérale l’écriture de ce prisonnier, et comment elle tente d’y échapper, font de ces carnets un témoignage vivant, où l’homme ne s’efface pas derrière le militant républicain. Ce texte du for privé témoigne de la manière dont s’écrit, dont se raconte – ou pas – une intimité éprouvée par la prison, autant qu’il donne un aperçu de la sensibilité romantique d’un jeune homme du début du XIXe siècle.