L’écriture en prison > Historiographie
Les écrits d’Henri Delescluze ne sont pas les premiers dont on dispose sur la prison de Belle-Île. Outre quelques lettres de Blanqui et de Barbès, on peut citer les textes suivants : les Mémoires et souvenirs de Sébastien Commissaire 1 , le Journal d’un transporté de Charles Delescluze 2 (qui s’attarde peu sur les années passées en prison), les Souvenirs d’un prisonnier d’État sous le Second Empire de Jean-Baptiste Boichot 3 , Dans les bagnes de Napoléon III de Charles-Ferdinand Gambon 4 , et les plus brefs Souvenirs de souffrance... d’Ernest Préveraud 5 . Parmi ces cinq derniers détenus, seuls Commissaire et Gambon étaient à Belle-Île en même temps qu’Henri Delescluze.
Sans constituer un genre littéraire à part entière, les écrits de prison
connaissent pourtant un certain succès au XIXe siècle, et au moins un best-seller
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européen
avec Mes prisons de Silvio Pellico.
Après 1848 cependant, la perspective change :
l’écriture intime du prisonnier romantique laisse la place à un discours
plus militant. Le prisonnier politique n’écrit jamais pour lui-même ;
son récit doit avant tout être « utile ». Si vous tenez à connaître quelques pages émouvantes, quelques
drames de prison, adressez-vous à
Silvio
[Pellico], à
Andryane, à
Martin-Bernard
et à tous ceux qui ont écrit avec leurs larmes !
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, écrit
Boichot. Les écrits de
Préveraud, édités
récemment, sont à destination de sa famille ; cependant on y trouve une
volonté de montrer une sorte d’attitude exemplaire face à la détention,
que l’on retrouve pour
Commissaire, qui s’adresse
plus généralement aux ouvriers.
Boichot écrit pour
contribuer à la cause révolutionnaire,
Charles Delescluze pour se placer en relais
des sans-voix... Leur raison même d’écrire est de souligner
l’appartenance à leur parti, entre sacrifice et martyre, mais sans
revendiquer ni l’un ni l’autre. Ces auteurs ne cherchent pas à offrir
leur intimité à leurs lecteurs, mais proposent avant tout une
littérature de combat.
Ces détenus-écrivains ont bien forgé la mémoire de Belle-Île, du moins ceux qui ont publié de leur vivant (Commissaire, Boichot, Charles Delescluze dans une moindre mesure, sans oublier le Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse, auquel ont collaboré d’anciens détenus de Belle-Île et qui consacre à la prison une importante notice). Ils ont contribué à définir la figure du prisonnier politique de la fin de la IIe République et du Second Empire.