le logo Elec

Édition critique des carnets de prison et de la correspondance privée d’Henri Delescluze à Belle-Île (1851-1853)

Les carnets d’Henri Delescluze > Fixer le quotidien en prison

Les carnets de prison d’Henri Delescluze nous donnent un aperçu nouveau sur la vie des prisonniers politiques de cette époque. Ce dernier ne définit pas son expérience de la prison en fonction de son engagement politique ou d’une lutte générale du prolétariat ou des républicains contre le pouvoir. Et c’est là toute l’originalité de ce texte, qui a l’avantage pour l’historien de n’avoir pas subi de retouches, de sélections ou de réécritures. Certes, Delescluze se refuse le plus souvent aussi à laisser déteindre sur sa plume les malheurs de la détention, et ses carnets intimes évoquent avec une certaine pudeur les moments les plus noirs. Il semble de toute façon que, chez les prisonniers, l’expérience quotidienne de la détention ne puisse véritablement « passer » dans l’écriture (on retrouve cette problématique chez les autres témoins de la prison de Belle-Île). Cette expérience est pourtant la raison d’être des écrits d’Henri Delescluze. Elle est abordée dans tous ses écrits, mais en creux, ou de manière détournée. L’écriture immédiate des carnets n’est pas un geste de résistance politique, mais une tentative de se détourner de la souffrance quotidienne. Après l’échec de sa tentative d’objectivation de la détention, Delescluze se tourne vers la fiction pour s’évader du quotidien carcéral, et les carnets font seuls le lien avec cette réalité. Alors que l’intime peut encore s’exprimer dans le livre après son arrivée à Belle-Île, les carnets sont en quelque sorte le lieu d’une écriture du vide. L’abattement du prisonnier vaincu est tel que le laconisme de ces carnets est la meilleure illustration de son état d’esprit. Quand il réalise un sommaire de ces carnets à la fin de sa détention, il ne peut trouver que 23 passages dignes d’être signalés. Au contraire, on lit à 118 reprises nothing, nil ou nihil, soit un bon quart des journées de la période qui s’étend du début de l’écriture quotidienne (28 janvier 1852 ; Carnet 1, page 1, 28 janvier 1852) à la fin de son emprisonnement en avril 1853 (Carnet 2, page 37, 18 avril 1853).

Les carnets de Belle-Île sont également un texte « pratique ». Delescluze y fait les comptes de ses achats de nourriture, de boisson (vin, lait), de tabac, ou même de quelques objets (papier, plumes, bougies, allumettes...). Il y note sa correspondance active et passive, y rend compte de ses démarches auprès du directeur. Les rapports sociaux les plus marquants sont également mentionnés (discussions, disputes, dîners...). On y trouve aussi les principales modifications de son environnement immédiat, tels que ses déménagements, l’arrivée d’un autre détenu dans sa chambre, etc. Sont indiquées aussi plusieurs de ses lectures (Malebranche, Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac, Delphine de Germaine de Staël, Werther de Goethe). Les bains de mer, que l’administration avait accordés au prisonnier, sont décrits, avec la joie qui les accompagne : Dies felix inter felices ! Sans emphase, distraction précieuse(Carnet 1, page 61, 9 septembre 1852).