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Édition critique des carnets de prison et de la correspondance privée d’Henri Delescluze à Belle-Île (1851-1853)

Description matérielle du corpus édité > Langues des carnets

Pour rédiger son carnet, Delescluze utilise trois langues. Tout d’abord le français. Le premier carnet contient en outre de nombreuses insertions en anglais et quelques mots latins comme « nil » ou «nihil » pour signaler qu’il n’y a rien d’important à noter pour le jour concerné. S’y ajoutent aussi quelques citations d’Horace, de Juvénal et de Tacite. Ainsi, le 24 mars 1852, Delescluze note quatre citations de ces trois auteurs (Carnet 1, page 8).

Les insertions en anglais sont plus considérables que celles faites en latin. Le mot « Nothing », pour signaler également qu’il n’y a rien d’important à noter pour le jour concerné, est assez répétitif. Quelques extraits de poèmes anglais sont notés en langue originale et traduits en français. C’est le cas d’un extrait de King John de Shakespeare cité le 12 mars 1852 (Carnet 1, page 7). En outre, beaucoup d’évènements ordinaires de la vie quotidienne de Delescluze sont aussi notés en anglais. À première vue, les textes en anglais occupent à peu près un tiers du premier carnet – chiffre considérable pour le carnet de prison d’un Français du XIXe siècle. Il s’agit d’un moyen parmi d’autres pour Delescluze de cacher son texte à des yeux indiscrets.

Certaines informations tirées de la correspondance de Delescluze permettent de penser que les mentions en anglais ont été des entraînements dans l’apprentissage de la langue que Delescluze a continué à apprendre en prison. Le 5 mars 1852, Henri écrit à son frère Charles Delescluze : Je travaille toujours l’anglais. Je sais presque la grammaire par cœur, mais j’ai bien besoin d’un dictionnaire. Est-ce qu’il n’y en a pas un dans tes livres chez mère ? Pourrais-tu dans ce cas-là, prier mère de me l’envoyer ? (Lettre du 5 mars 1852, page 2)

L’exil en Angleterre ou aux États-Unis est souvent le lot des activistes politiques. C’est le cas de Charles Delescluze. Jean-Jacques Vignerte (1806-1870), un des républicains cité dans le premier carnet de Delescluze, part pour l’Angleterre. D’autres détenus de Belle-Île gagnent souvent l’Angleterre ou les États-Unis lors de leur bannissement. Ainsi, dans sa lettre du 31 mai 1852 adressée à son frère Charles en résidence à Rochdale, en Angleterre, Henri Delescluze lui fait savoir qu’un des détenus de Belle-Île, Chevassus, est banni et parti en Angleterre. Henri Delescluze souligne que Chevassus ne parle pas l’anglais, et que le soutien de Charles Delescluze pourrait être plus qu’important : Je profite de l’occasion que me présente le départ d’un de nos camarades du complot de Lyon, M. Chevassus, banni et dirigé vers l’Angleterre. Ne connaissant personne à Londres, ignorant la langue, il serait heureux si tu pouvais lui rendre les services qui rendraient son séjour utile à ses intérêts. (Lettre du 31 mai 1852, page 1).

Ainsi, pour les participants du mouvement ouvrier du milieu du XIXe siècle l’étude de la langue anglaise était plutôt une nécessité. Henri Delescluze, admettant la possibilité de son bannissement, étudiait l’anglais pour se sentir à l’aise dans les pays anglophones.