Belle-Île, 30 avril 1852 1 .
J’ai reçu ta lettre avec un plaisir extrême ; celle de Mère m’a bien affligé. Pauvre famille tourmentée, n’aurons-nous donc jamais un moment de calme ? Tu as aussi bien des ennuis ; des retards successifs viennent sans cesse entraver l’exploitation de ton affaire. Ah, je sais combien il est difficile de mettre ainsi une industrie en bonne voie et combien il faut de soins, d’activité et de persévérance pour cela. Heureusement que tu es doué de cette vigueur de volonté qui surmonte les obstacles et je suis sûr que tu y arriveras.
J’ai parfaitement compris ta lettre ; sois persuadé, mon cher ami , que j’agirai dans l’avenir comme je l’ai fait dans le passé, c’est-à-dire suivant ma conscience, que j’interroge avec un soin extrême, lorsqu’il y a doute apparent.
Ce que je dis te paraîtra sans doute un peu prétentieux. J’en conviens moi-même, mais en définitive, c’est le seul moyen de naviguer au milieu des difficultés de la vie, sans trop sombrer.
Je t’avoue que je ne partage pas ton opinion sur le mode d’existence à se créer. À cette heure je me considérerais fort heureux, si j’étais chef ou sous-chef d’un bureau quelconque ou même encore modeste employé, comme j’ai été pendant 10 ans ; avec de l’ordre, de l’exactitude et du zèle, on arrive à se faire une position convenable, qui serait suffisante pour mon ambition ; et aujourd’hui je suis sûr d’avoir complètement ces espèces de qualités. La révolution de 1848, loin de me mettre dans cette voie, m’en a presque retiré par suite des fantaisies qu’elle a glissées dans ma tête et si j’avais un jour la chance de rentrer dans la carrière administrative, j’en remercierais [...]