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Maintien et recul du latin dans les actes du roi de France de la première moitié du XVIe siècle

Professeur émérite à l’École nationale des chartes, 19 rue de la Sorbonne, F–75005 Paris.

Professeur à l’École nationale des chartes, 19 rue de la Sorbonne, F–75005 Paris. oponcet@enc.sorbonne.fr

L’ordonnance de Villers-Cotterêts, souvent invoquée pour marquer le triomphe officiel du français sur le latin, n’est pas a priori significative pour l’emploi de la langue latine dans les actes royaux. En effet, le célèbre article 111 de l’ordonnance de 1539 ne visait que les actes produits par les tribunaux et les notaires. Ensuite et surtout, la chancellerie royale ne faisait déjà plus, à cette date, qu’un usage très modéré du latin. Deux catégories de documents font ici l’objet d’une analyse destinée à mesurer précisément les modalités de l’emploi du latin dans la première moitié du XVIe siècle : les « ordonnances » de François Ier publiées pour la période 1515-1539 d’une part, les registres d’enregistrement de la Grande chancellerie de France d’autre part.

L’essentiel des actes en latin recueillis parmi les ordonnances de François Ier pour la période 1515-1539 sont des actes se rapportant à la politique étrangère (86 sur 90). Les relations internationales constituent bien le principal refuge de la langue latine, qui n’y est pourtant pas exclusive (un tiers des traités sont rédigés en français). Si les rapports avec le Saint-Siège sont toujours exprimés en latin, l’usage de ce dernier — très majoritaire pour les relations avec l’Italie, les princes allemands et l’Écosse, mais très discret dans les traités passés avec Charles Quint avant comme après l’élection impériale de 1519 — ne semble répondre à aucune logique nette.

L’examen des registres d’enregistrement de la Grande chancellerie (série JJ des Archives nationales) pour la période 1498-1550 (19 registres compilant un peu plus de 7 000 actes) laisse apparaître une typologie documentaire de l’emploi du latin variable selon les décennies ; elle permet en outre de suivre, pour les formules récurrentes de certaines catégories d’actes, le passage littéral ou non d’une langue à une autre. Si légitimations et anoblissements sont régulièrement rédigés en latin sous Louis XII, avec une bonne part de confirmations de privilèges et de lettres de garde, dès les années 1520, seules les légitimations continuent d’être presque systématiquement formulées en latin. Les années 1530 voient un lent déclin du latin avant le coup d’arrêt brutal, en dehors de quelques actes sporadiques, mis par la Grande chancellerie de France à l’usage du latin peu après la promulgation de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. La période de coexistence des deux langues pour un acte de même portée et s’adressant aux mêmes catégories socioprofessionnelles pose une nouvelle fois la difficile question de la part d’initiative laissée aux scribes et consentie aux demandeurs.

Introduction

Dans sa thèse si remarquable sur la grande chancellerie et les actes royaux français au XVIe siècle, publiée en 1967— la seule grande thèse universitaire de diplomatique portant sur l’époque moderne —, Hélène Michaud ne s’est guère attardée sur la question de la langue des actes. Une courte phrase, dans le paragraphe consacré aux caractère internes, signale que, au XVIe siècle, « l’usage du latin est devenu l’exception ». Une note en bas de page est un peu plus explicite : l’auteur précise que « en dehors de certains documents touchant la politique extérieure, tels que les ratifications de traités, des actes du début du siècle où le roi agit spécialement comme duc de Milan, l’usage du latin s’est maintenu pour certaines lettres intéressant le domaine ecclésiastique et notamment les bénéfices ». Puis l’auteur, s’appuyant sur Octave Morel, rappelle que dès le XIVe siècle, les deux langues, latin et français, ont commencé à être concurremment employées. Et elle constate que, encore au XVIe siècle, les formulaires contiennent quelques exemples de lettres en latin1. Curieusement, H. Michaud, sur ce point, est en retrait par rapport au Manuel de diplomatique d’Arthur Giry, paru en 1894, qui consacrait un assez long développement à l’apparition et à l’essor du français2. On ne peut se dispenser d’évoquer ici d’autre part l’article 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539, qui proscrit l’usage du latin au bénéfice du français dans les actes judiciaires et notariés3. En théorie, nous ne devrions pas avoir à prendre en compte cette disposition fameuse, puisqu’elle ne vise pas les actes royaux proprement dits. Mais en fait, elle semble bien avoir influencé la pratique de la chancellerie royale, comme on le verra plus loin.

Voilà donc l’état actuel de la question. Pour qui veut aller au-delà des considérations générales et asseoir sa conviction sur des fondements statistiques solides, la tâche n’est pas facile en dépit des instruments de recherche exceptionnels dont on dispose pour la première moitié du XVIe siècle. En effet, ni le Catalogue des actes de François Ier4 ni le Catalogue des actes de Henri II5 en cours de publication (les seuls catalogues d’actes royaux français de l’époque moderne visant à l’exhaustivité) ne précisent en quelle langue sont rédigés les actes recensés. Le seul répertoire imprimé utilisable est donc le recueil des Ordonnances des rois de France, règne de François Ier6, lequel est actuellement parvenu à l’année 1539. Encore faut-il tenir compte du fait que cet ouvrage, où les documents sont intégralement transcrits, ne contient que des « ordonnances », terme très vague qui désigne tous les actes de caractère normatif quelle que soit leur forme diplomatique (lettres patentes, arrêts, traités internationaux) et dont l’interprétation est donc largement subjective. Pour parvenir à des conclusions assurées, l’historien doit donc brasser une masse considérable de sources inédites, car un champ documentaire immense reste à explorer. Dans le cadre de la présente communication, nous avons dû nous résoudre à n’en considérer qu’une petite partie. Nos recherches ont donc porté d’une part sur le recueil des Ordonnances de François Ier et d’autre part sur les registres de la chancellerie royale française7. Il resterait encore à dépouiller méthodiquement tous les registres des cours souveraines, à Paris et en province, ce qui dépasse évidemment les possibilités de deux personnes dans le cadre d’une communication de congrès.

I. Les « ordonnances » de François Ier de 1515 à 1539

Le recueil des Ordonnances de François Ier, commencé en 1902 et interrompu en 1992 après le tome IX, couvre les vingt-cinq premières années du règne et contient le texte de 973 actes royaux. Sur ce nombre, 91 actes sont rédigés en latin, soit 9,35 % de l’ensemble. Quels enseignements peut-on tirer de ce corpus ? Le premier constat qui semble s’imposer, même si l’on tient compte du fait que le recueil est composé de façon en grande partie aléatoire, est la disparition accélérée du latin à partir de 1530, puisqu’on ne relève plus que 7 actes rédigés en cette langue pendant les années 1531-1539.

I.1. La diplomatie, ultime refuge du latin

On observe d’autre part une répartition très déséquilibrée des actes royaux rédigés en latin si on essaie de les classer d’après leur objet. Le décompte paraît sans appel : sur les 91 actes répertoriés, 4 seulement relèvent de l’administration intérieure du royaume : les provisions des chanceliers Duprat (en 1515) et Poyet (en 1538) — et l’on peut noter que les provisions de Poyet sont les dernières qui aient été libellées de la sorte8 ; la confirmation en avril 1519 des privilèges des merciers de Paris ; et en janvier 1521 un édit de réforme et de règlement pour la Sainte-Chapelle du Palais à Paris9.

Les 87 autres actes latins se rapportent tous à la politique étrangère, cette notion étant ici entendue au sens le plus large, puisque nous y englobons non seulement les traités proprement dits sous leurs diverses formes diplomatiques (originaux et ratifications, au nombre de 53), mais aussi tous les autres actes qui se rapportent aux relations du roi de France avec les puissances européennes (pouvoirs délivrés aux plénipotentiaires, déclarations, confirmations, garanties, sauf-conduits), y compris ceux qui se rapportent à l’administration des territoires étrangers occupés par la France, tels que le Milanais de 1515 à 1522 ou la Savoie et le Piémont à partir de 1536. Il est donc évident que les relations internationales restent dans le premier tiers du XVIe siècle, et de loin, le principal refuge de la langue latine à la chancellerie royale française. Le latin a déserté les actes royaux de portée législative et réglementaire portant sur les matières ecclésiastiques.

I.2. Les jeux de répartition entre latin et français

Il ne faut cependant pas déduire de ce qui précède que tous les traités et tous les autres actes royaux se rapportant à la politique étrangère sont rédigés en latin. Un bon nombre en effet (le tiers environ) le sont en français, et il faut maintenant tenter de dégager si possible des constantes dans l’emploi de l’une ou l’autre langue10.

La première constatation qui s’impose à cet égard est, dans la plupart des cas, l’absence de règles. Seules les conventions conclues avec le Saint-Siège sont toutes rédigées en latin11. Partout ailleurs, on trouve aussi bien des actes latins que des actes français. Mais suivant les pays, c’est tantôt le latin tantôt le français qui l’emporte, et cette répartition n’est pas sans réserver quelques surprises.

Le latin est la langue majoritairement employée dans les actes qui concernent l’Italie, les princes allemands, l’Angleterre et l’Écosse. Ainsi, tous les traités conclus entre François Ier et Henri VIII, au nombre de 26, sont en latin, sauf celui du 28 octobre 1532, qui est rédigé en français12. De même, sur 11 traités conclus avec des princes allemands (Brandebourg, Schleswig, Clèves, Hesse, Wurtemberg), 9 sont en latin et 2 en français13. Avec Venise, nous trouvons 3 traités en latin et 1 en français14.

On peut faire des observations semblables à propos des actes normatifs qui concernent des territoires provisoirement placés sous domination française. Ainsi, sur les 9 règlements promulgués pour l’administration du Milanais de 1516 à 1520, 8 sont en latin et 1 en français15 : il s’agit d’une lettre patente du 9 octobre 1516 qui fait défense au Sénat de Milan de laisser entrer dans le duché les sujets rebelles du duc de Savoie. L’usage du français dans ce cas est sans doute dû au fait que l’acte est destiné tout autant au Sénat de Milan qu’à des sujets francophones du duc de Savoie.

À l’inverse, la quasi-totalité des traités conclus avec Charles Quint, aussi bien avant qu’après l’élection impériale de 1519, sont libellés en français. Le seul qui ait été rédigé en latin est la ratification du traité de Calais, du 16 septembre 1521, relatif à la liberté de la pêche du hareng16. Enfin, les conventions conclues les 30 juillet 1537 et 23 octobre 1538 avec la régente des Pays-Bas, Marie de Hongrie, sœur de Charles Quint, sont toutes deux rédigées en français17.

Dans deux cas, ceux de la Savoie et des Cantons suisses, le latin et le français sont utilisés indifféremment : 3 actes en latin et 3 en français pour la Savoie18, 5 en latin et 2 en français pour les Cantons suisses et les Grisons19. On est intuitivement tenté d’expliquer cette répartition par le plurilinguisme de ces deux États. On pourrait imaginer, par exemple, que les actes concernant la Savoie proprement dite sont en français et les actes relatifs au Piémont en latin. En réalité, les choses ne sont pas si simples. Ainsi, la lettre patente de François Ier de février 1537 déclarant la ville de Turin unie indissolublement à la couronne de France et confirmant ses privilèges et ses institutions est rédigée en latin20, mais les lettres patentes d’érection d’un parlement puis d’une chambre des comptes à Turin, respectivement en février et juin 1539, sont rédigées en français21.

Reste le cas plus complexe des traités multilatéraux, mettant en cause plus de deux puissances. On observe ici, comme dans le cas précédent, l’emploi concomitant des deux langues : 3 traités en latin, 2 en français22.

Nous nous sommes enfin demandé s’il y a un lien entre l’usage de l’une ou l’autre langue et l’identité du secrétaire du roi qui a rédigé et contresigné l’acte. Un sondage permet de répondre par la négative : dans les années 1537-1539, Jean Breton contresigne 6 actes français et 1 acte latin23, et Gilbert Bayard 3 français et 1 latin24.

Une seule conclusion s’impose donc au terme de cette rapide analyse des actes royaux imprimés de François Ier de portée internationale. Si le latin résiste bien à la concurrence du français, et si des tendances assez nettes se dégagent selon les pays quant à l’emploi de l’une et l’autre langue, force est de constater que, d’une façon générale, la pratique de la chancellerie royale française en ce domaine sous François Ier défie toute logique rigoureuse, celle du moins d’un observateur du XXIe siècle.

II. Les registres de la Grande chancellerie

Afin de cerner encore davantage l’espace documentaire laissé au latin dans les actes royaux de la première moitié du XVIe siècle, un second examen a pris en compte les actes enregistrés par la Grande chancellerie de France. Ceux-ci paraissent en effet introduire au cœur même de la diplomatique royale de cette époque.

À l’aube du XVIe siècle, le latin ne subsiste plus que de manière résiduelle dans les actes dont la Grande chancellerie de France garde le souvenir écrit. Dès le règne de Charles VIII, finement analysé par Remy Scheurer, le latin a trouvé refuge dans une typologie limitée d’actes : lettres de légitimation et d’anoblissement, lettres de provision de l’office de chancelier (comme cela a été dit précédemment), actes relatifs à certaines matières ecclésiastiques (amortissements, confirmations de privilèges, lettres de garde, etc.)25.

Certes, le caractère même de la documentation disponible pose la question de sa réelle représentativité. Outre la question du rapport entre les actes réellement expédiés et ceux qui furent enregistrés, question toujours ouverte, l’historien doit composer avec des sources incomplètes. Seuls les registres de la Grande chancellerie de France ont été retenus dans cette enquête, à l’exclusion des actes délivrées par la petite chancellerie de Paris. Ils sont conservés dans la série des registres du Trésor des chartes aux Archives nationales (série JJ), de manière extrêmement lacunaire : 5 registres pour le règne de Louis XII, 11 pour celui de François Ier et 7 pour celui de Henri II, avec de lourdes pertes de 1502 à 1524 et de 1553 à 155626.

Ces réserves méthodologiques faites, les actes encore en notre possession ont été pour la première fois passés au crible de l’analyse pour la période 1498-1550. Ils représentent 7 103 numéros, répartis en 19 registres, soit 1 722 numéros pour Louis XII, 3 874 pour François Ier et 1 507 pour Henri II jusqu’à 1550 inclus.

II.1. Les registres de Louis XII et le premier registre de François Ier

Les registres du règne de Louis XII, déjà pris en compte dans son travail par R. Scheurer, confirment sans changement notable les enseignements tirés du règne de Charles VIII. Sur 1 722 actes de 1498 à 1502, 148 sont en latin et peuvent presque tous être regroupés dans les quatre catégories suivantes : légitimations (60), anoblissements (15), confirmations de privilèges (54) et lettres de garde (10). L’unique lettre de rémission rédigée en latin est délivrée par la Grande chancellerie de Louis XII au titre de duc de Milan27. À de très rares exceptions près, comme celle des actes rédigés au nom de Louis XII comte de Provence28, légitimations et anoblissements sont tous rédigés en latin. En revanche, les confirmations de privilèges et les lettres de garde n’obéissent pas, elles, à une logique linguistique évidente. En effet, l’objet de l’acte, son rédacteur aussi bien que le destinataire, qu’il s’agisse d’une ville, d’un groupe d’habitants ou d’un établissement religieux, ne constituent en aucun cas un critère discriminant dans le choix d’une langue ou d’une autre.

Le recours au latin pour les légitimations, domaine où le pouvoir royal s’érige en concurrent direct du pouvoir ecclésiastique, peut facilement se concevoir29. Mais les scrupules de la chancellerie à user du français pour les actes d’anoblissement sont moins aisés à expliquer. Sans doute la rareté de ces décisions (15 en 5 ans, soit à peine 1 % des actes enregistrés) favorisait-elle le maintien, plus qu’ailleurs, d’un dispositif linguistique ancré solidement dans les formulaires de chancellerie.

Une vingtaine d’années plus tard, le premier registre du règne de François Ier, recueillant des actes datés des années 1524-1525 (JJ 237), donne le ton du changement qui s’est opéré depuis le dernier registre en notre possession, celui de 1500-1502. Seuls 13 actes, dont 12 légitimations, sur 317 sont formulés en latin. La physionomie des décennies 1520 et 1530 est ainsi esquissée. Les légitimations représentent désormais l’écrasante majorité des actes en latin, dont l’importance relative ne diminue pas puisque, avec 233 actes sur 3 307, ils représentent encore environ 7 % du total. En réalité, l’inflation des légitimations sous François Ier a masqué l’érosion continue dont le latin est l’objet.

II.2. La décennie 1540-1550

La décennie suivante en effet marque l’éviction presque totale du latin des actes royaux : seuls 7 actes contre 2 500 sont ainsi rédigés dans cette langue de 1542 à 1550. La légitimation, dont le nombre d’actes est toujours important, s’exprime désormais en français, que l’impétrant soit laïc ou d’Église comme François de Laval, évêque de Dol et bâtard de Guy de Laval30.

Si l’on examine d’un peu plus près la chronologie de cette quasi-disparition, le latin est en fait abandonné en un an environ, entre 1540 et 1541, soit très peu de temps après la promulgation de l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539. Le changement fut trop brutal pour que les rédacteurs des actes aient pu se livrer à une adaptation soignée des formules latines en français. Tandis que l’une des deux légitimations rédigées en français sous Louis XII présentait un préambule d’une grande originalité31, les préambules des années 1540 sont souvent de simples transpositions du latin vers le français, poussées parfois jusqu’à être difficilement intelligibles, comme ce texte délivré en octobre 1539 en faveur de Mathurin de La Hardière, sommelier de la reine, fils naturel de Pierre de La Hardière et de Charlotte de La Chalopinière : « (…) Comme aux personnes illegitimes engendrez, la vye desquelz est decoree de bonnes mœurs et vertuz, le vice de nature ne puisse ne doibve estre aucunement reproché, d’autant que l’aornement et decoration de vertu suffist a nettoyer et supplier (sic) la maculle de geniture et aussi la probité des mœurs et abollir la honte d’origine, et soit ainsi que (…) »32.

L’explication de ce soudain basculement linguistique réside sans doute simplement dans le fait que, pour une fois, l’administration a appliqué les ordres royaux et est même allée au-delà. La chancellerie royale, dont le chef, le chancelier Guillaume Poyet, est régulièrement présenté comme l’inspirateur de la fameuse ordonnance, s’est appliqué par contrecoup des dispositions qui ne lui étaient pas initialement destinées. Certes les 7 actes retrouvés jusqu’en 1550 témoignent de l’impossibilité de supprimer complètement le latin des actes royaux33. Cette survivance exprime avant tout la part concédée par la chancellerie aux desiderata des parties, puisque les rédacteurs chargés de la mise au point des textes sont tous différents et rédigent tous habituellement leurs actes en français. L’influence de l’Église est ainsi encore présente, comme le prouve l’acte en latin le plus tardif retrouvé au cours de l’enquête, une lettre de sauvegarde de 1550 délivrée aux augustins de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie à Paris34.

Conclusion

Le passage massif au français, opéré en quelques mois, est en revanche et sans conteste imputable aux rédacteurs et à leurs donneurs d’ordre. N’est-il pas symptomatique que 6 des 9 légitimations rédigées en français de novembre 1540 à décembre 1541 l’aient été sous l’autorité du maître des requêtes Lazare de Baïf, ancien ambassadeur à Venise et père du célèbre poète de la Pléiade ? Il ne faudrait pas toutefois faire d’un Poyet ou d’un Baïf les hérauts isolés d’un modernisme conquérant. À la date de 1540, les jeux étaient faits depuis longtemps et les hommes du roi n’ont fait alors que précipiter et conclure hâtivement une évolution largement entamée depuis le XVe siècle. L’histoire du latin dans les actes royaux au XVIe siècle n’est en somme que la chronique d’une mort annoncée.


1 . H. Michaud, La Grande Chancellerie et les écritures royales au XVIe siècle (1515-1589), Paris, 1967 (Mémoires et documents publiés par la Société de l’École des chartes, 17), p. 211.
2 . A. Giry, Manuel de diplomatique, Paris, 1894, p. 470 et suiv.
3 . « Et afin qu’il n’y ait cause de doubter sur l’intelligence desd. arrestz, nous voullons et ordonnons qu’ilz soient faictz et escriptz si clerement qu’il n’y ayt ne puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ne lieu à demander interpretacion » (art. 110). « Et pource que telles choses sont souventesfois advenues sur l’intelligence des motz latins contenuz esd. arrestz, nous voulons que doresnavant tous arrestz, ensemble toutes autres procedures, soient de noz courtz souveraines ou autres subalternes et inferieures, soient de registres, enquestes, contractz, commissions, sentences, testamens et autres quelzconques actes et exploictz de justice ou qui en deppendent, soient prononcez, enregistrez et delivrez aux parties en langaige maternel françois et non autrement » (art. 111) : Ordonnances des rois de France, règne de François Ier, t. IX, Paris, 1992, p. 582. Sur l’application de ces dispositions, voir les précieux commentaires de Jean-Paul Laurent, ibid., p. 582-596.
4Catalogue des actes de François Ier, Paris, 1887-1908, 10 vol.
5Catalogue des actes de Henri II, Paris, 1979-2001, 6 vol. parus.
6Ordonnances des rois de France, règne de François Ier, Paris, 1902-1992, 9 vol. parus.
7 . Le premier point est traité par Bernard Barbiche, le second par Olivier Poncet.
8 . Les provisions du chancelier Antoine Du Bourg (16 juillet 1535), non publiées dans le recueil, sont également rédigées en latin : Arch. nat., X1a 8612, fol. 350-v.
9Ordonnances…, nos 4, 198, 279, 870.
10 . Pour une vue générale sur l’évolution de la langue des traités au XVIe siècle, on se reportera à l’ouvrage classique de Ferdinand Brunot et Charles Bruneau, Histoire de la langue française, Paris, 1905-1953, 13 vol., au t. V, p. 387-390.
11Ordonnances…, nos 72, 91. Il faut y ajouter la déclaration du 13 août 1516 (nº 89) par laquelle François Ier s’engage à ratifier l’abolition de la Pragmatique Sanction et qu’on peut considérer comme une annexe du concordat de Bologne.
12Ibid., nº 605.
13 . Traité conclu le 2 avril 1520 avec Jean de Clèves, duc de Juliers (ibid., nº 244) et articles conclus le 21 janvier 1537 avec Christophe de Wurtemberg (n° 767).
14Ibid., nos 63, 137, 451 (latin) ; nº 382 (français).
15Ibid., nos 75, 87, 143, 212, 214, 215, 217, 260 (latin) ; nº 92 (français).
16Ibid., nº 296.
17Ibid., nos 805, 869.
18Ibid., nos 109, 447, 774 (latin) ; nos 471, 900, 923 (français).
19Ibid., nos 73, 96, 282, 328, 921 (latin) ; nos 69, 921 (français). Le nos 921 est un traité du 11 juin 1539 conclu avec le canton de Berne rédigé en français, mais les pouvoirs du plénipotentiaire français sont rédigés en latin (deux actes sous le même numéro).
20Ibid., nº 774.
21Ibid., nos 900, 923.
22Ibid., nos 163, 418, 424 (latin) ; nos 106, 391 (français).
23Ibid., nos 790, 823, 890, 900, 923, 959 (français) ; nº 870 (latin).
24Ibid., nos 767, 834, 861 (français) ; nº 774 (latin).
25 . R. Scheurer, La chancellerie de France et les écritures royales au temps de Charles VIII et de Louis XII (1483-1515), thèse de l’École nationale des chartes, résumée dans École nationale des chartes, Positions des thèses…, 1962, p. 107-112. Les lettres de rémission sont depuis le XIVe siècle presque exclusivement rédigées en français : Claude Gauvard, « De grace especial » : crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1991 (Histoire ancienne et médiévale), qui centre son étude sur le règne de Charles VI, n’aborde pas directement la question de la langue des documents (t. I, p. 78-81, « Thème 1 : l’aspect diplomatique ») et ne s’attarde pas sur la signification du passage du latin au français lorsqu’elle étudie l’irruption du vulgaire dans les termes définissant le crime (t. I, p. 111-122). De façon plus générale, voir désormais Serge Lusignan, La langue des rois au Moyen Âge : le français en France et en Angleterre, Paris, 2004 (Le nœud gordien).
26 . Le détail est le suivant : JJ 231 (1498-1499), JJ 232 (1499-1500), JJ 233 (1499-1500), JJ 234 (1500-1502), JJ 235 (1500-1502) ; JJ 237 (1524-1525), JJ 239 (1525-1526), JJ 243 (1525-1529), JJ 245A (1529-1530), JJ 246 (1531-1533), JJ 249A (1536), JJ 250 (1537), JJ 254 (1537-1542), JJ 255A (1540-1541), JJ 256A (1542), JJ 257A (1546), JJ 258A (1548), JJ 259 (1549), JJ 260A (1550), JJ 261A (1551), JJ 261B (1552), JJ 262 (1552-1553), JJ 263A (1556).
27 . Arch. nat., JJ 233, nº 27, fol. 16-17v, Milan, octobre 1499, rémission en faveur de Georges Arnaud, de Brayde.
28 . Arch. nat. JJ 234, nº 168, fol. 97v, anoblissement de Barthélemy et Pierre Casel, Blois, février 1501 n. st.
29 . Louis Delbez, De la légitimation par « lettres royaux », étude d’ancien droit français, Montpellier, 1923, n’aborde pas la question de la langue des actes. Sur le sujet de la légitimation en général à cette époque, on pourra voir Michaël Harsgor, L’essor des bâtards nobles au XVe siècle, dans Revue historique, 253 (1975), p. 319-354, et Françoise Autrand, Naissance illégitime et service de l’État : les enfants naturels dans le milieu de robe parisien, XIVe-XVe siècles, dans Revue historique, 237 (1982), p. 289-303.
30 . Arch. nat., JJ 254, nº 78, fol. 54, légitimation de François de Laval, Novion, mars 1539 a. st.
31 . Arch. nat., JJ 232, nº 267, fol. 146v, légitimation de Jacques de Vauzelles, notaire au diocèse du Puy, fils de Mathieu de Vauzelles, prêtre, Orléans, décembre 1499 : « Et si le roy des roys tout puissant, en effacent de sa grace la coulpe originelle des mortelz, les habilies a servicion de son souverain bien moyennant leurs vertuz et merites, il s’ensuit assez que la magesté royalle administreresse des faveurs et preheminences temporelles, en excusant liberallement la tache de geniture de ceulx engendrez non loyaument qui, netoyans leur premiere maculle, se honnestent par intégrité de vie, exemple de bonnes meurs et experience d’euvres vertueuses, les peut et doyt legitimer, preferer et habiliter en toute joyssance de grace, faveur, louenge et honneur, et ainsi savoir faisons a tous (…). »
32 . Arch. nat., JJ 254, nº 367, fol. 69, légitimation de Mathurin de La Hardière, Compiègne, octobre 1539.
33 . Arch. nat. JJ 255A, nº 53, fol. 21v-22r, légitimation de Louis de Bueil, Fontainebleau, décembre 1540; ibid., nº 59, fol. 23v, légitimation d’Antonin, François et Jeanne de Montarnaud, « freres et soror », Fontainebleau, février 1541 n. st. ; ibid., no 75, fol. 26-v, légitimation de Pierre de Beaupoil, alias de Sainte-Cécile, Blois, mars 1541, n. st. ; Arch. nat., JJ 256A, nº 22, fol. 8v, légitimation de Jacques Bresle, Paris, février 1542 n. st. ; ibid., nº 59, fol. 25-v, légitimation de Louis de Sainte-Eulalie, Saint-Germain-en-Laye, février 1542, n. st. ; Arch. nat., JJ 258A, nº 194, fol. 119-v, confirmation de privilèges pour l’évêché d’Angers, Fontainebleau, février 1548 n. st. ; Arch. nat., JJ 260A, no 178, fol. 112v-113v, confirmation de privilèges aux augustins de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie à Paris, Saint-Germain-en-Laye, juin 1550.
34 . Arch. nat., JJ 260A, nº 178, fol. 112v-113v, citée note précédente.