« Le style, c’est l’époque » ? Jugements d’hier et d’aujourd’hui sur le latin de l’époque mérovingienne
Université de Ratisbonne
Dans la littérature scientifique, continuent à s’affronter deux jugements prédominants sur le « latin mérovingien ». D’une part, il y a ce qu’on appelle la théorie de la décadence linguistique, de l’autre, l’hypothèse de la transformation du latin – deux théories proprement incompatibles. Derrière l’hypothèse de la décadence se cache, souvent de manière implicite, un modèle linguistique de caractère classiciste ; celui-ci est considéré comme une norme contraignante et absolue, une pierre de touche sur laquelle des textes postérieurs sont mis à l’épreuve. Il est évident que, si l’on applique un tel critère, le prétendu « latin mérovingien » reçoit de mauvaises notes. Le succès de ce classicisme linguistique s’explique en partie par le fait qu’il se trouve étroitement lié à d’autres jugements portés sur cette époque et qui sont, dans nombre de cas, négatifs. Considéré de plus près, ce modèle se révèle d’un âge respectable : il remonte précisément aux temps carolingiens (Epistola de litteris colendis). À l’inverse, l’hypothèse transformationnelle se caractérise par un anticlassicisme radical. La perspective linguistique normative est remplacée par un point de vue fonctionnel (M. Banniard). Selon cette théorie, il faut considérer les « erreurs » linguistiques, à la rigueur, comme des actes de communication non fonctionnels, lorsque les auditeurs/lecteurs n’arrivent plus à comprendre des textes oraux/écrits. Les déviations par rapport à une norme classiciste, par contre, ne sont pas qualifiées d’« erreurs » ou tenues pour des phénomènes de décadence. Ceux qui partagent ce point de vue (Mabillon déjà…) soulignent, dans ce contexte, qu’une telle norme rigide n’aurait existé que de manière rudimentaire. Par conséquent, cette perspective débouche sur un jugement résolument positif du latin mérovingien.
Perspective sur la latinité des diplômes des rois mérovingiens. – Dans ce domaine, l’hypothèse de la décadence du latin mérovingien se révèle absolument incapable de juger (ou de condamner) la latinité des diplômes royaux des mérovingiens. Ce genre est particulièrement soumis à l’exigence de clarté linguistique, un fait déjà explicitement signalé par le père de l’érudition diplomatique, Jean Mabillon (De re diplomatica II). C’est seulement par ce moyen que les chartes peuvent remplir leur fonction de garantir une contrainte juridique. Pour cette raison, il faut supposer – comme l’a déjà fait l’école de H. F. Mueller – qu’elles reflètent aussi de manière relativement fidèle la culture linguistique des scribes, aussi bien que des destinataires, des temps mérovingiens. Au reste, il faut admettre que – même si on les soumet aux critères d’une norme linguistique classiciste – ces textes ne sont pas si « mauvais ». Ainsi, la flexion verbale est souvent maintenue, les « erreurs » se limitant en général au domaine de la flexion nominale, ce qui ne nuit que peu à la compréhension du texte. Par des opérations relativement simples, on peut transposer le texte des chartes d’un état « défectueux » à un niveau linguistiquement « correct ». Pour illustrer ce processus, j’ai confronté deux versions différentes d’un diplôme mérovingien, qui nous a été transmis en original. L’étude du diplôme prouve que, selon toute apparence, la chancellerie mérovingienne a été capable de maîtriser, dans le domaine linguistique, des faits décidément compliqués en s’exprimant à un niveau de latin relativement élevé (si on laisse de côté les déviations de caractère strictement orthographique). Même dans des cas où l’on ne pouvait se servir de formules ou d’éléments préexistants, comme il était d’usage lors de confirmations de droits de propriété, de donations ou d’actes de dernière volonté, c’est un texte clair et compréhensible qui se présente – même à nos yeux et à nos oreilles habitués aux normes classiques.