[p. 45] La diplomatique urbaine montoise et la spécificité des textes législatifs : bans de police et ordonnances (fin XIIIe-début XVIe siècles). Une mutation, des permanences.
La diplomatique de la ville de Mons, capitale du comté de Hainaut et chef de sens de nombreux échevinages locaux, est un sujet inexploré, mis à part quelques remarques déjà anciennes en matière de sigillographie et de chronologie. Cette lacune contraste avec l’attention plus récente portée à l’onomastique et aux documents comptables et fiscaux de cette même ville, en termes d’analyse technique et d’éditions critiques. Un nombre important mais impossible à estimer d’actes échevinaux ont en outre disparu lors de l’incendie du dépôt des Archives de l’État à Mons en mai 1940. Quant à l’inventaire des actes conservés actuellement dans le chartrier de la ville, les analyses n’en sont pas systématiques dans la désignation des auteurs et souscripteurs, pouvant ainsi engendrer des confusions entre actes communaux, actes de personnes privées, actes d’hommes de fief et actes notariés2.
[p. 46] Le sujet, pourtant, est fort riche. Dans cette ville moyenne comptant 6000 habitants à la fin du XIIIe siècle et plus de 8000 à la fin du XVe siècle3, la production d’actes authentiques est attestée comme nous allons le voir dès le second quart du XIIIe siècle, l’emploi de la langue vernaculaire au milieu de ce siècle et les séries d’écrits administratifs commencent à la fin du siècle. Capitale de comté, elle voit aussi la concurrence de nombreux autres producteurs d’actes. L’examen de sa législation permet de mettre en évidence un type original de discours diplomatique fortement marqué par l’oralité et ne s’inscrivant pas sous forme d’acte authentique.
Dans la présente contribution, j’examinerai l’évolution des formes diplomatiques des actes à teneur législative et/ou règlementaire (ordonnances et “bans de police”), de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle (infra, points 2 à 5). Mais auparavant tâchons de poser quelques jalons de diplomatique montoise générale, dans l’optique du document préparatoire rédigé par le professeur Prevenier à l’attention des congressistes de Gand, c’est-à-dire dans la perspective d’une diplomatique attentive aux documents administratifs et à la concurrence entre producteurs d’actes4. Il ne peut s’agir ici que d’une esquisse, compte tenu du but principal des recherches et compte tenu de la destruction susmentionnée d’un grand nombre d’actes montois inédits.
[p. 47] 1. Le contexte diplomatique montois : une esquisse
1.1. La production d’actes et d’écrits par la ville de Mons
Antérieurement aux premiers témoins issus de la pragmatische Schriftlichkeit urbaine, des éléments de vie urbaine sinon communale sont attestés dès le XIIe siècle5. Les premiers actes authentiques connus émanant de la ville datent du second quart du XIIIe siècle ; l’emploi de la langue vernaculaire apparaît dès 1222 dans un acte privé dressé à Mons6 et paraît s’imposer vers le milieu du siècle dans les actes officiels, fort tôt donc par rapport à d’autres régions de l’Empire7. La langue de ces documents est un français teinté de picard : une comparaison du privilège comtal de 1295 avec la requête émanant de la ville, met en évidence les traits dialectaux plus prononcés du document urbain8.
[p. 48] Le développement administratif de la ville s’accélère à la fin du XIIIe siècle, avec la concession par le comte d’impôts indirects (les maltôtes), et la construction des remparts, deux faits qui rendent nécessaire le développement d’une comptabilité communale (dont il semble bien que les premiers comptes, encore tâtonnants mais déjà minutieux, aient été conservés)9. C’est à la même époque que la ville acquiert l’usage d’un hôtel de ville, reçoit d’importants privilèges comtaux (1295) et que furent consignés sur rouleau les “bans de police” (ca. 1296-1299) dont nous allons abondamment reparler, transmis auparavant selon toute vraisemblance par tradition orale10. Les rouleaux et registres divers de l’administration ainsi que les comptes communaux nous sont conservés, dès cette époque. Les plus anciens documents sont des rôles fiscaux de 1279-1281 et 1283, et un compte de maltôtes (taxes à la consommation) de 128811. Les plus anciens comptes généraux de la ville (massarderie) ont été de 1297 à 1300 rédigés sous la forme de chirographes à trois ou quatre volets, particularité symptomatique du statut diplomatique incertain d’une comptabilité naissante. Vient ensuite l’usage du rouleau, constitué de peaux cousues ou non, réglées à la pointe sèche ou à l’encre ; le passage au cahier a lieu en 1338. Quelques rouleaux sont encore rédigés jusqu’à la fin du [p. 49] XIVe siècle pour certaines comptabilités particulières12. En usage depuis 1295-1304 dans l’administration comtale, le papier fait dès 1285 son apparition dans celle de la ville (il s’agit d’un papier assez grossier, sans filigrane). Les mentions d’achats de papier se succèdent à partir de 1313 : il s’agit d’acquisitions ponctuelles, pour des besoins délimités, auprès de riches marchands locaux s’approvisionnant aux foires de Champagne, de Flandre ou d’Anvers. À côté du papier d’origine italienne et champenoise, se rencontre aussi du papier meilleur marché, peut-être produit en Brabant, Flandre ou principauté de Liège. Une soixantaine de filigranes distincts ont été repérés de 1350 à 143613.
La ville a tenu plusieurs recueils de chartes (papier) et un cartulaire d’actes émis et reçus (parchemin)14. Divers registres scabinaux (criées à partir de 1381, “besongnements de loi” à partir de 1477) étaient en outre conservés avant 194015. L’ensemble des actes de juridiction gracieuse et contentieuse des échevins, dont le plus ancien témoin remontait à 1247 a été soustrait des archives communales au XIXe siècle et versées aux Archives de l’État où elles ont été détruites lors de l’incendie de ce dépôt en 1940, sans [p. 50] jamais avoir fait l’objet d’un examen diplomatique16. Seuls subsistent pour l’ensemble des XIIIe, XIVe et XVe siècles 69 actes originaux émanant des autorités communales, conservés dans le chartrier de la ville ou dans la trésorerie des chartes des comtes de Hainaut ; deux autres originaux ont été repérés dans une collection factice et 8 à l’étranger, soit un total de 78 originaux connus à ce jour17. S’y ajoutent 20 copies de cartulaire ou copies simples et un acte vidimé18, ainsi que plusieurs dizaines d’éditions d’actes originaux réalisées avant leur destruction en 1940 (essentiellement ceux qui [p. 51] étaient conservés dans le chartrier du chapitre montois de Sainte-Waudru)19. Certains recueils ou registres de la ville pourraient encore livrer quelques lettres éparses. Il est évident que beaucoup d’actes communaux ont dû disparaître indépendamment de ceux perdus en 1940, comme cette “lettre as lombars saielee dou saiiaul de le ville de 160 lb.” mentionnée par un document comptable de 1312 et inconnue par ailleurs20. Quant à la teneur de ces actes conservés dans les chartiers de la ville et du comte, il s’agit essentiellement d’actes à teneur législative ou de transactions et obligations de la ville (contrats, traités), rarement d’une sentence. D’autres fonds pourraient certes livrer ça et là quelque acte (notamment des pièces de correspondance adressées à d’autres villes), mais un tel dépouillement débordait le cadre de notre propos21.
L’acte scellé le plus ancien des échevins montois qui soit connu date de 1217 ; il s’agit d’une confirmation d’un accord entre le chapitre Sainte-Waudru et le village de Castres ; rédigé en latin, il comporte adresse, suscription, [p. 52] salut, exposé, dispositif, corroboration et date22. L’acte suivant (1218) émane cette fois des maire et échevins. Il s’agit d’une transaction immobilière (transport de rente aux collégiales du lieu, Sainte-Waudru et Saint-Germain), rédigée en latin sous la forme d’une notification universelle, sans suscription, les auteurs étant désignés sous forme objective dans le dispositif. La demande expresse de scellement et le lieu de l’acte (la collégiale Sainte-Waudru) laissent supposer un rédaction par le bénéficiaire23. Ceci peut expliquer les divergences formelles du discours entre ces deux actes. L’acte suivant (1246, connu par un vidimus comtal), également de rédaction latine, voit la mise en place d’un formulaire qui se maintiendra par la suite. Il présente une suscription “Nos scabini et communitas ville de Montibus”, suivie d’une notification24. Les actes scellés suivants (1295) apparaissent en français après une lacune d’un demi-siècle25 ; le changement linguistique ne peut dont être précisément daté : peut-être faut-il le situer comme pour les chirographes (cf. infra) peu avant 1250, à moins que la ville ait utilisé deux langues pendant un temps. Quant au mode de scellement, on notera que la ville a utilisé en parallèle un grand sceau, dont deux exemplaires successifs sont connus (château de Mons dans le champ, contre-scel armorié), et un sceau aux causes. Elle scelle surtout de cire verte (sur lacs de soie rouge ou sur double queue de parchemin), mais non exclusivement (cire rouge sur filoselle verte, [p. 53] cire jaune). Une étude sigillographique systématique, intégrant le mode d’apposition, serait la bienvenue26.
Dès le XIIIe siècle également, la ville expédie des actes sous forme de chirographe27, dès 1247 au moins. Tous sont rédigés en français. Le plus ancien chirographe montois conservé avant sa destruction en 1940 est un acte de juridiction gracieuse de mars 1247 n.s. : notification (“Sacent tout cil ki sunt et ki avenir sunt et ki cest escrit veront et oront ke …”), suscription du disposant (“io Beatris Peisseresse ai donet …”), dispositif, corroboration (“Là furent comme escevin …”), date (“Ce fu fait en lan del incarnation Jeshu Crist m.cc. et quarante sis el mois de march”)28. Ensuite le formulaire évolue vers [p. 54] un discours objectif à la troisième personne29 ; les lacunes actuelles entre le premier chirographe et la fin du XIIIe siècle doivent semble-t-il surtout être attribuées aux pertes de 194030, auxquelles permettent de suppléer modestement des éditions antérieures et des copies d’érudits, attestant par exemple des actes d’obligation en matière mobilière dressés en 1245 (devant 3 échevins et 1 juré) et 1252 (devant 2 jurés)31. Le plus ancien conservé à Mons (1280) témoigne d’une belle écriture diplomatique et d’une mise en page soignée. Notons que des registres d’embrefs mentionnant les actes gracieux les plus divers pour les années 1329-1488, étaient conservés jusqu’en 194032.
Qui sont les rédacteurs et scribes des actes montois ? Les actes eux-mêmes ne livrent d’information que sur les auteurs. Dans les chirographes, selon le formulaire particulier à ce type de document, les auteurs (maire, échevins ou jurés) sont présentés, en discours objectif, comme témoins de l’action du disposant. Les actes scellés présentent comme souscripteurs, selon le cas, les maire et échevins, les échevins seuls, ou les maires, échevins et jurés, ajoutant parfois une mention de la “communauté” de la ville. Contrairement aux chancelleries princières organisées, on n’y trouve pas de mentions de service ni de signature de secrétaire. Qui donc est le rédacteur de ces actes ? fort probablement le clerc au service de l’échevinage, tel ce “Jakemars, clers des escevins” attesté de 1295 à son décès en 1305 dans les comptes de la ville, ou en 1307-1310 ce maître Jehan Le Clerc, clerc au service des échevins puis échevin lui-même33. Un compte plus dissert précise [p. 55] que Henin (ou Hennekin) Le Candillon, attesté en 1311 à 1324 comme clerc ou valet des échevins, reçut en 1311-1312 la somme de 20 sous “pour les bans de le ville qu’il fist”34, ce qui peut vouloir dire transcrire les bans, ou plus : compiler un nouveau rouleau ou registre (ce qui implique une activité plus intellectuelle), et pourrait correspondre à la rédaction du second rotulus de bans de police (cf. infra, point 3).
1.2. Les producteurs d’actes concurrents
Partageant avec Valenciennes le rôle de capitale du comté, Mons est aussi une ville de résidence princière et le siège d’institutions du comté. En tant que producteur d’actes, la ville — représentée par les échevins seuls, ou par le maire et les échevins, assistés parfois des jurés ou de conseillers — se trouve donc en compétition avec de nombreuses autres institutions, tant sur le plan des juridictions gracieuses et contentieuses que sur celui du droit édictal qui nous concernera plus particulièrement dans cette contribution. On peut ainsi distinguer 7 concurrents ou groupes de concurrents (que les analyses de Devillers dans les inventaire et édition des chartriers communal ou capitulaire, établies en fonction du contenu plus que de l’auteur de l’acte, ne permettent pas toujours de distinguer au premier coup d’oeil35 ; les institutions ecclésiastiques, sises ou non en ville, le comte et ses institutions, dont les hommes de fief, les juridictions foncières montoises, la draperie montoise, les notaires publics, auxquels s’ajoutent les particuliers agissant sous sceaux privés.
Les actes délivrés par les institutions ecclésiastiques locales, en particulier ceux émanant d’un des deux chapitres locaux (Sainte-Waudru et [p. 56] Saint-Germain), concernent de nombreux aspects de la vie locale et régionale36. J’ai émis plus haut l’hypothèse qu’un au moins des deux les plus anciens actes communaux (1218) ait été rédigé par son destinataire, le chapitre Sainte-Waudru. Le prieur augustinien du Val-des-Écoliers, quant à lui, a délivré plusieurs vidimi qui nous sont conservés, et il est plausible que des auteurs-disposants privés, dressant leur acte au prieuré en présence de témoins extérieurs, aient eu recours aux services de ces chanoines réguliers pour la confection matérielle des chartes37. Le doyen de chrétienté de Mons souscrit notamment un acte du chapitre Saint-Germain en 1227 et y append son sceau38. Des institutions ecclésiastiques siégeant hors la ville, comme l’évêque et son officialité, ont bien entendu elle aussi émis des actes relatifs à la ville, y compris en matière règlementaire39.
Des actes comtaux concurrencent évidemment ceux de la ville. Sur le plan édictal, le plus ancien acte conservé remonte à 1251 (ordonnance comtale défendant d’injurier les échevins et sergents de Mons), des dizaines le sont pour le XIVe siècle, une quarantaine pour le XVe siècle, sans compter les ordonnances générales, s’appliquant à l’ensemble du comté voire à l’ensemble des États gouvernés par le prince40.
[p. 57] Pour ce qui est de la juridiction gracieuse, notons particulièrement la présence dans le chartrier de la ville d’actes émanant des hommes de fief du comte de Hainaut. Ces hommes de fief, dont la cour siégeait à Mons, exerçaient, outre leurs compétences en matière féodale, une juridiction gracieuse pour les actes d’obligation personnelle (c’est là une spécificité hainuyère)41. G. Wymans a remarqué que de nombreux échevins montois étaient également hommes de fief et que des interférences dans le développement des deux juridictions gracieuses sont fort plausibles42.
De nombreux actes de juridiction gracieuse ou contentieuse émanent ratione loci de différentes cours foncières compétentes sur une partie du territoire urbain : en premier lieu sans doute la cour foncière (le mayeur et les “tenaules”) du chapitre Sainte-Waudru à Mons43 mais celle-ci n’est pas la seule : 9 échevinages fonciers sont attestés à Mons à la fin du moyen âge, [p. 58] mais leurs actes ont disparu dans l’incendie de 194044. Notons qu’en outre des cours foncières rurales ont expédié à Mons (où elles sont incompétentes) des actes relatifs à des biens situés dans leurs ressorts, grâce à la procédure d’“emprunt de terre” à une des juridictions de la ville45.
Les autorités de la draperie montoise (instituées par le comte en 1310 et nommées annuellement par les échevins) ont légiféré dans la limite de leurs compétences, en émettant des bans et des ordonnances. La forme de ceux-ci suit l’évolution diplomatique de la législation des maire et échevins et présente les mêmes types successifs ; ces textes de promulgation orale sont connus par leur transcription dans un registre de cette institution, et n’ont pas fait l’objet d’actes authentiques. Par contre, une ordonnance au moins émanant de la draperie a été expédiée sous forme de chirographe dont on ne peut cependant dire, en l’absence de l’original, s’il est émis par les échevins comme juridiction gracieuse ou directement par la draperie comme autorité légiférente46.
[p. 59] Notons enfin la présence à Mons de notaires publics, apostoliques ou impériaux. On les voit dressant en 1295 la copie authentique d’un acte législatif (en l’occurrence les privilèges octroyés à la ville par le comte de Hainaut Jean d’Avesnes)47, souscrivant en 1419 deux actes expédiés par la ville (en fait des vidimi délivrés par celle-ci au comte)48, ou instrumentant en 1430 et 1500 les concordats entre la ville et le chapitre Saint-Germain en matière d’enseignement et d’organisation paroissiale49. Il est à noter que ces interventions notariales concernent toutes des actes publics d’importance50 : seraient-elles requises en vue de leur conférer un surplus d’authenticité et d’autorité ? Des notaires sont toutefois également intervenu pour l’établissement d’actes privés montois51.
[p. 60] Nous en venons pour terminer à la catégorie des actes de particuliers expédiés à Mons sous sceaux privés, et donc validés sans recours à l’une ou l’autre forme d’autorité publique. Plusieurs actes de ce type sont conservés dans le chartrier de la ville et dans celui de la trésorerie des comtes de Hainaut52. D’autre part, des actes dressés par des particuliers (individus ou personnes morales) ont pu être souscrits et scellés par les échevins. C’est le cas d’un acte des arbalétriers de Mons (1387), muni du sceau des échevins53.
Il y aurait naturellement des comparaisons formelles systématiques à établir entre ces différentes productions, mais un tel examen ne pouvait être mené dans le présent cadre. Qu’il suffise ici d’avoir attiré l’attention sur les concurrences et influences réciproques possibles entre producteurs d’actes. Après cette esquisse du riche contexte diplomatique montois, venons-en aux actes législatifs de la ville.
[p. 61] 2. La spécificité des textes législatifs communaux
Dans un article récent consacré à la technique législative des autorités urbaines des anciens Pays-Bas méridionaux, Philippe Godding a remarquablement bien décelé les traits diplomatiques essentiels des textes normatifs communaux. Certaines villes expédient une partie de leurs normes sous forme d’actes authentiques, qu’il s’agisse de chartes scellées, dès le XIIIe siècle (Bruxelles et Liège assez régulièrement, ailleurs de façon plus sporadique : Bruges, Ypres, Anvers), ou de chirographes (Nivelles à partir de 1322, plus rarement semble-t-il à Liège). L’expédition d’actes authentiques n’a pas empêché la tenue de recueils d’ordonnances, attestés dans toutes les villes au XIVe siècle. Cependant, la forme la plus générale est celle des ordonnances orales. Leur transcription sur rouleau et registre présente trois caractéristiques : 1° elle conserve des traces de proclamation orale (avec un appel du type “Oyés, faittes pais” ou la mention du cri dont le texte a fait l’objet), 2° elle présente une forme non authentique et très succinte, énonçant le prescrit ou l’interdit suivi de la sanction (cf. Douai, Tournai), 3° elle adopte la forme d’une codification (ou “récapitulation codifiée”). Nous verrons plus loin de façon détaillée que ces éléments se vérifient pleinement dans le cas montois. Ces mises par écrit de la tradition législative orale se rencontrent à partir du XIIIe siècle (Douai à partir de 1225, Saint-Omer, Ypres avec textes antérieures à 1281, Gand, Mons), et du XIVe siècle (Bergen-op-Zoom en 1314, Furnes, Audenarde, un rouleau à Louvain)54. J’ajouterai que des mises par écrit beaucoup plus tardives, comme celle de Soignies au XVe siècle55, consignent sans doute des règles beaucoup plus anciennes, comme incite à le penser notamment leur diplomatique, qui est toujours celle de textes transcrits autour de 1300 dans la même aire géographique.
[p. 62] Le matériau législatif montois est très riche (en contraste avec la pauvreté en actes scellés et chirographes) : près de 700 textes du XIIIe au début du XVIe siècle, de longueur, de forme et de tradition textuelle très variables56. Quant aux caractères externes, les trois types d’actes législatifs rencontrés dans les villes des anciens Pays-Bas sont présents à Mons. Quelques textes ont reçu une forme authentique (chirographe ou acte scellé) et sont donc compris dans la petite centaine d’actes recensée plus haut (cf. supra 1.1). La plupart cependant, qualifiés de “bans de police”, sont d’essence orale et transcrits, sans mode de validation, en rouleaux puis en cahiers ; trois types diplomatiques successifs caractérisent ces bans d’essence orale (type 1 rudimentaire, type 2 de transition, type 3 élaboré). J’en publierai ailleurs le catalogue chronologique et thématique57. Sur le plan chronologique, trois phases peuvent être distinguées dans la législation montoise :
Phase A (XIIIe-début XIVe siècle) : bans de type 1 (formulation rudimentaire)
Phase B (XIVe siècle) : bans de type 2 (évolutions diverses vers un modèle élaboré comprenant protocole, dispositif structuré et clauses finales) et diversification parallèle des supports utilisés, avec l’apparition de chirographes et de lettres scellées à teneur législative (plus tard donc que d’autres villes).
Phase C (fin XIVe-XVe siècle) : bans de type 3 (fortement élaborés) et poursuite parallèle de la production de chirographes et d’actes scellés législatifs.
Nous allons suivre au cours de ces trois phases l’évolution du discours diplomatique et des caractères externes des actes.
[p. 63] 3. La phase A : bans de type 1
La phase A correspond à la mise en rouleau puis en recueil de textes législatifs marqués par l’oralité et transmis jusque là, selon toute vraisemblance, par tradition orale : ces textes du XIIIe siècle et du début du XIVe siècles présentent le type diplomatique 1. Ces textes sont non datés, mais des données prosopographiques ont permis à l’actuel conservateur des archives montoises, Walter De Keyzer, de fournir une datation (les noms de propriétaires de maisons par exemple sont cités comme point de repère dans certains bans fixant les lieux de vente et d’étalage58). Traitons successivement la mise par écrit de ces bans et leur forme diplomatique.
La production d’actes authentiques et d’écrits administratifs avait déjà plusieurs décennies derrière elle à Mons lorsque les bans de police furent mis par écrit, pour la première fois peut-être, à la fin du XIIIe siècle, sous forme d’un rouleau de parchemin (AVM n° 1245). Ces textes d’essence orale ont été regroupés par chapitres thématiques, faisant ainsi en quelque sorte l’objet d’une codification rudimentaire (bans accumulés mais très peu structurés syntaxiquement). Cette couche la plus ancienne comprend quelques 151 bans de police, transcrits en 1296-1299 mais non datés. D’autres bans, de même type diplomatique, s’y sont ajoutés, sous forme d’additions dans les blancs, de biffures et d’ajouts entre les lignes. L’ensemble ainsi modifié (quant à sa teneur mais non quant aux formes) a été transcrit vers 1310 sur un second rouleau de parchemin (AVM n° 1244), probablement par le clerc échevinal Henri le Candillon en 1311-1312 (cf. supra), avant d’y subir un train comparable de modifications (biffures et additions). Ces bans furent enfin transcrits dans un registre de parchemin (AVM n° 1243) durant le premier tiers du XIVe siècle, où eurent encore lieu quelques additions. Ces rouleaux et ce premier registre sont fort soignés : support en parchemin, réglure à la pointe sèche, écriture posée. Les registres ultérieurs seront en papier, d’écriture plus cursive, sans justification à droite.
La forme diplomatique de ces premiers bans est très caractéristique et comparable à ce que l’on trouve en d’autres villes de la région (Soignies, Nivelles, Tournai, Saint-Omer) : énoncé du prescrit ou de l’interdit, suivi de la sanction59. Cet énoncé prend la forme d’injonctions ou de prohibitions, éventuellement enchâssées dans une courte notification (“Encore fait on le ban que …” ou “On fait le ban que …”), mais les bans s’ouvrent souvent sur [p. 64] le seul que impératif, suivi du sujet visé (ensemble des habitants ou catégorie particulière). Les mots que tout ou que nul — spécifiés ou non, et fréquemment prolongés par la formule typique “ne soit si hardi que” — sont suivi de l’action prohibée ou imposée, suivie à son tour de la sanction introduite par sour ou par une clause pénale rudimentaire (“car se autrement le faisoit …, on seroit à …”). Par exemple :
“Que, de ce jour en avant, nuls ne nulle quels qui soit demorant au jugement des eskevins de Mons, … ne soient tel ne si hardit qui … [+ action prohibée], car se autrement le faisoit … on seroit pour cascune deffaute à le loy de le ville et à le viande perdue”, suivi du ban suivant : “Item, que nuls …”.
“Que nus viniers soit si hardi k’il vende vin de Franche plus de vj deniers le lot, vin d’Auchoirre, vin de Rocelle, vin Rinois ne vin de St. Jehan plus de viij deniers le lot, se che n’est par le conseil des eskievins”.
“Que tout bouchiers ayans kiens les tiengnent à leur maison sans venir ne aler ou markiet, sour l’amende de .v. sols”.
“On fait le ban que nuls ne nulle ne giete escouville, fiens ne ordure ou markiet, sour le ban de .ij. sols .vj. deniers. S’en aroit chiuls qui le raporteroit .vj. deniers et medame les .ij. sols. Et s’en sera crus cils u celle qui le volra raporter par sen sayrement”60.
Le caractère bref et répétitif de ces formules doit certainement être mis en rapport avec le mode de transmission oral des premiers bans consignés ; elle aura ensuite été conservée par mimétisme pour les bans ajoutés ultérieurement. On n’observe évidemment ni adresse, ni préambule ni suscription ni clauses finales ou corroboration. Ces textes en outre sont non datés. Fort courts, ils sont accumulés en vrac et coordonnés souvent par de simples conjonctions (et si, si), au sein de chapitres thématiques.
Par ailleurs, alors même que le type diplomatique des textes législatifs montois va se diversifier et évoluer lors des phases B et C (voir ci-après), l’essence du type 1 va se maintenir par delà les mutations. Cette permanence du type dans le dispositif des nouveaux textes, s’explique sans doute par le maintien en vigueur des textes les plus anciens, présentant le type 1 pur : la publication orale, sans doute annuelle, la retranscription régulière de ces textes dans les registres de la ville et leur mise à jour par ajouts et biffures explique certainement que des éléments diplomatiques “archaïques” aient survécu au [p. 65] sein des types diplomatiques plus évolués, les types 2 et 3, que nous allons traiter maintenant.
4. La phase B (ca. 1310-ca. 1390) : diversification des supports et bans de type 2
La phase B se caractérise par une double évolution dans le courant du XIVe siècle. D’une part, on observe une évolution progressive des bans et ordonnances en recueils, adoptant un type de transition (type 2) avant de trouver à la fin du XIVe siècle un modèle définitif (type 3). D’autre part et dans le même temps, on constate une diversification des formes externes des actes législatifs communaux : des ordonnances sous forme de chirographe et de lettres scellées apparaissent dans la seconde décennie du XIVe siècle. Nous nous demanderons bien entendu dans quelle mesure ces deux évolutions peuvent être liées.
4.1. La diversification des supports
Le premier trait saillant des mutations du XIVe siècle est donc l’apparition de textes législatifs communaux sous forme d’actes authentiques. Leur discours diplomatique étant relativement classique, je serai assez bref à leur égard et, afin d’alléger la structure de l’exposé, j’envisagerai ici ces actes jusqu’à la fin du XVe siècle, les mutations ultérieures de la phase C n’affectant plus que les bans proprement dits.
4.1.1. Les actes scellés à teneur législative
Quatre actes scellés à caractère législatif sont connus, le premier en 1315. Un seul est conservé en original, deux en copie de cartulaire et un sous forme de minute. Les deux cartulaires dont il est question sont respectivement celui du destinataire (le corps de la draperie montoise, étroitement associé à l’échevinage et au conseil de ville mais formant une institution distincte) et celui de la ville proprement dit, composé dès le XIVe siècle. La minute, rédigée en 1315 sur parchemin d’une écriture soignée aux lettres bien détachées, présente une réglure et se signale par l’absence de l’initiale N dont l’emplacement est resté blanc ; il n’y a évidemment pas de trace du sceau annoncé dans l’acte. L’expédition, destinée au serment des arbalétriers, n’a pas été retrouvée. Quant au seul original conservé, il se présente sous la forme d’un grand parchemin (69 × 45,5 cm, repli 5,5 à 6 cm), à la mise en [p. 66] page et à l’écriture soignées, scellé de cire rouge sur un ruban de filoselle verte61.
Le formulaire de ces actes est celui de lettres patentes : suscription des maire et échevins (éventuellement suivi par les jurés ou la communauté), notification universelle, exposé, dispositif, clauses finales éventuelles, corroboration et date. A titre d’exemple (ici avec clauses de promesse et de rappel) :
“Nous, li maires et li esquievin de le ville de Mons en Haynnau, faisons savoir à tous que, comme … [suit l’exposé] assavoir est que, …, avons fait et ordenet arbalestriers en ledicte ville, de tel poissance que nous y avons et avoir poons, à tel fin et en le manière que chi apriès s’ensuit. C’est assavoir que … [dispositif structuré en items]. Et toutes ces coses leur prommettons-nous et avons enconvent à tenir jusques à no rapiel, chou entendut que se aucun tourble u obscurtet avoit ès frankises et ordenances devant dictes qui fuissent u peuwissent yestre ou preiudice de no très redoubtet signeur u de sedicte ville de Mons, nous retenons poissance en nous dou muer, cambgier, croistre u amenrir seloncq no discrétion et par boin conseil, sans mallenghien querre. Par le tiesmoing de ces lettres, seellées dou seel as causes de ledicte ville de Mons, données le darain jour dou mois de may, en l’an mil quatre cens et dix noef”62.
Du point de vue des éléments du discours de la lettre patente montoise, signalons au passage qu’un règlement de confrérie de dévotion, expédié sous sceaux privés, présente un exemple tardif d’invocation (1380), élément absent des actes communaux63.
[p. 67] 4.1.2. Les chirographes à teneur législative
Les chirographes à teneur législative sont plus nombreux : j’en dénombre 28 à partir de 1317, dont quatre connus seulement par des copies dans un cartulaire (celui du corps de la draperie) ou dans les registres des bans de police de la ville, et pour la plupart inédits64. Cet emploi du chirographe à des fins législatives se rencontre aussi à Nivelles, ville brabançonne de langue romane, située à une trentaine de kilomètres de Mons65.
A Mons, les deux premiers de ces chirographes (savetiers en 1317 et massard en 1329) ont un incipit de forme atypique (“Cest li usages et li maintenemens et li acors comment …”, “Ch’est li ordenanche de la massarderie de Mons, …”). Ensuite se dessine une évolution vers la forme classique (“Sachent tout chil qui cest escript veront u oront que …”) utilisée depuis le XIIIe siècle pour les chirographes montois de juridiction gracieuse (forme attestée à partir de 1267). La forme de l’acte est désormais celle d’une notification universelle enfermant l’exposé et le dispositif, ce dernier étant présenté sous forme objective. Les auteurs (maire et échevins), confondus avec les disposants dans le cas d’un acte législatif, sont parfois annoncés en début d’acte (notification) et toujours identifiés à la fin, avant la date de temps et de lieu. Exemples :
“Sachent tout chil qui cest escript veront u oront que par devant le mayeur et les eskievins de le ville de Mons chi desous nommeis, se comparurent personellement li plusieurs des compagnons dou mestier u congnestablie des cureurs et toilliers de le ditte ville, et là endroit … dirent et remonstrerent que … [requête], liquels maires et eskievins, considerans celi supplication et requeste (…) se sont, pour le mieux fait que laissiet, inclinet, descendut et [p. 68] accordet a chou que de ce jour en avant soit ou fait dou dessus dit mestier et congnestablie uset, fait et maintenut en le fourme et manière que chi apriès s’ensuit, et est dit et deviset en cest present chirograffe. Premiers est ordenet que … [+ dispositions]. Et s’ensi estoit que es coses dessus dittes u aucune d’elles euwist presentement u en tamps advenir aucun trouble u obscurté, (…) li dessus dis maires u li eskievin les puellent et poront croistre, muer, amenrir, u rappieller dou tout a leur volenté en le manière que boin leur samblera. Asquelles ordenanches et a touttes les coses dessus dittes deviset et accordet ensi que dessus est dit fu comme maires de le ditte ville de Mons Jehans li Herus, et se y furent comme eskievin … [+ noms]. Che fu fait a Mons en le maison de la pais l’an de grasce mil iijC quatre vins et quatorze ou mois d’aoust”66.
“Sachant tout chil qui cest escript veront u oront que telles sont les devises et ordenances des compaignons orfevrez de le ville de Mons pour et sour le fait de leur mestier et pour le warde dou commun peuple ayaulx acordet à user d’ores en avant par le mayeur et les eskevins de le ditte ville, jusques a leur rappiel, en le maniere que chi apres s’enssuit. Premiers est ordennet que cascuns … [dispositif]. A tous ce que devant est dit, deviser et ordenet fu present comme maires de le ditte ville de Mons Jehans dou Parcq et se y furent comme esquievin … [+ noms]. Che fu fait et acordet en le maison de le Paix a Mons le vintyme jour de fevrier en l’an mil quatre cens et chuincq”67.
Une évolution se dessine au cours du XIVe siècle : l’exposé des motifs (de plus en plus développé) et les clauses de rappel ou d’interprétation prennent une place de plus en plus grande, au point de réduire le dispositif proprement dit à la moitié du texte environ. Parallèlement, le format des actes augmente : de 27 × 14 et 24 × 16 cm pour les deux premiers (1317 et 1329) à 66 × 54 et 69 × 45 cm pour les deux derniers (1475-1476), la longueur restant toujours supérieure à 35 cm à partir de 1365. La présentation de ces actes est soignée, tous ont une réglure. Une initiale ornée de jeux de plume se rencontre parfois dans la seconde moitié du XVe siècle (AVM n° 352, 384, 385). Dans un cas datant de 1377, les hastes de la première ligne sont particulièrement développées (AVM n° 165). Un chirographe de 1475 voit sa première ligne écrite en caractère plus gros (AVM n° 404).
[p. 69] L’exemplaire conservé par le échevins est tantôt la partie supérieure du chirographe, tantôt l’inférieure, la devise de longueur variable étant composée d’un nombre, lui aussi variable, de lettres du mot chirographe (de “CHI” aux lettres “CHI RO GRA FE” posées 3-2-3-268), la coupure étant droite. Au dos se trouve la mention du destinataire et possesseur de l’autre moitié (par exemple “Chius escrips est les corduanier de Mons”, signifiant que les cordonniers de Mons gardent l’autre morceau). Dans un cas, trois exemplaires ont été expédiés et c’est la partie centrale qui est conservée par la ville. Du point de vue de la tradition de l’acte, il est bon de noter que le plus ancien chirographe “législatif” conservé (1317) a été cousu sur un des deux rouleaux de bans de police ; les autres, actuellement conservés dans le chartrier au milieu des actes scellés (un effet de l’archivistique du XIXe siècle ?) ont été conservés différemment. L’étaient-ils, pliés, dans le même coffre (“ferme”) que le tout-venant des actes juridictionnels, ou dans un sac particulier ? La question reste posée69. Un chirographe d’août 1394 à teneur législative est annoté au dos par une main postérieure (XIVe ou XVe siècle), signalant que le document, probablement distrait du fonds pour une raison de consultation, doit être remis dans le coffre du maire : “Memore que ce chirogr. convient remettre ou ferme Jehan le Herut dit dou Parcq”70. On aura par ailleurs déjà noté que quelques chirographes ont été retranscrits, dans le cartulaire du corps de la draperie ou, à deux reprises, dans les registres de bans de police de la ville, ce qui témoigne de modalités variables d’utilisation de ces actes.
A l’exception du règlement du massard qui concerne un officier de la ville, tous ces actes authentiques — lettres scellées ou chirographes — ont trait à des corps infra-urbains (métier, confréries de dévotion, serment militaire) et sont sans doute rédigés sur la base d’une petitio de ceux-ci, mais les disposants [p. 70] — les législateurs — sont bien les maire et échevins, soucieux d’affirmer leur compétence édictale, comme le montrent les clauses finales. L’apparition de ces actes au formulaire développé n’a pas été sans incidence sur la grande masse des bans de police.
4.2. Évolution du discours diplomatique des bans (type 2).
C’est ainsi qu’apparaît au XIVe siècle un type de transition (type 2 dans notre typologie), présentant plusieurs variations, à situer entre 1328 et 1391. Ce type voit la mise en place d’une structure plus ample, caractérisée par le regroupement des bans en un dispositif constitué d’une succession d’items, par l’apparition d’un titre (“Che sont li ban accordet par …”, ou “En l’an [+ date] fu fais li bans chi desous escrips”) et/ou d’un bref exposé des motifs (“Pour commun pourfit ordenet est que”), voire peut-être plus tardivement de clauses finales et d’une date in fine. L’apparition progressive d’un exposé et de clauses finales peut sans doute être mise en rapport avec l’usage croissant pour des textes législatifs de chirographes, et dans une moindre mesure, d’actes scellés présentant ces éléments du discours.
L’exposé des motifs est encore succint. L’allégation du bien commun dans l’exposé, est présente mais reste peu systématique à ce stade à Mons. Remarquons qu’elle est attestée parfois dès la fin du XIIIe siècle ou le début du XIVe siècle dans d’autres villes comme Tournai, Douai ou Liège71 ; elle deviendra par la suite fréquente à Mons dans les ordonnances de type 3 (cf. infra).
L’apparition progressive et sporadique de clauses finales révèle un certain balbutiement. J’en veux pour preuve deux formulations étonnantes de la seconde moitié du XIVe siècle. Tout d’abord la naïveté apparente de la clause d’interprétation d’une ordonnance de 1379 : “s’il y avoit faute d’esclarchissement pour tant que les années se permuent et que on ne puet tout comprendre, que s’aucuns tourbles u obscuretés y kéoit, que li maires et li eskevin y puissent muer, cangier, croistre u amenrir”72. Tout aussi remarquable est la clause comminatoire dans une ordonnance datable de 1381-1388 et relative à la maltôte du vin : “Et bien s’avise cascuns de ces bans fourfaire, sour le deffensce et ordenance qui prise en est : car c’est uns gros membres qui touke fort à warder à monsigneur et à le ville ; si n’en seroit nuls déportés”73. Voilà des balbutiements qui témoignent sans doute de la mise en [p. 71] place progressive d’un nouveau discours diplomatique, auquel le destinataire (en l’espèce la population locale) n’est pas encore habitué.
Pris individuellement, chaque article ou item reste cependant d’une formulation fort semblable à celle des bans de type 1 : prohibition ou injonction, introduite par exemple par la conjonction “que”, voire la formule typique “que nul ne nulle ne soit si hardi que [+ prohibition et sanction]”. À titre d’exemple, voyons l’ordonnance des taverniers du 7 août 1379, qui présente la forme d’un texte structuré (embryon d’exposé, dispositif en 9 articles, clauses d’interprétations et de rappel), suivi d’une date hors teneur :
“Pour commun pourfit ordenet est que, de ce jour en avant, nuls taverniers ne taverniere demorans ou jugement des eskevins de Mons ne soit tels ne si hardis que … [+ action prohibée et sanction]. Item est ordenet que, de ce jour en avant, nulz taverniers ne taverniere demorans oudit jugement ne soit tels ne si hardis qui … [+ action prohibée et sanction]. Item est ordenet qu’il ne soit nulz taverniers ne taverniere devens ledit jugement qui … [+ actions prohibées et sanctions annoncées par “Et qui autrement feroit que en cel article est contenut, pour cascun point dont on deffauroit, on seroit al amende de …”]. Item est ordenet qu’il ne soit nulz taverniers ne taverniere, oudit jugement, qui … [+ actions prohibées et sanction, annoncée de même]. Item est ordenet que nuls hostelens ne autres … (…)]. Item, sont toutes les ordonances susdittes faites par tel maniere que s’il y avoit faute d’esclarchissement pour tant que les années se permuent et que on ne puet tout comprendre, que s’aucuns tourbles u obscuretés y kéoit, que li maires et li eskevin y puissent muer, cangier, croistre u amenrir. Item, que ces ordenances li maires de Mons u li eskevin, se boin sanle audit maieur u eskevins, les puissent u li uns diaus rappieller et mettre au nient. Ceste cose fu publiie a faire le vije jour d’aoulst l’an lxxix”74.
Il y a donc à la fois mutation et permanence du type diplomatique, nous y reviendrons.
5. La phase C : bans de type 3 et maintien de la diversité des supports
La décennie 1390 semble voir l’aboutissement des évolutions regroupées sous l’appellation de type 2 : apparaît en effet à ce moment, de façon soudaine et quasi définitive, le type 3, beaucoup plus évolué et témoignant [p. 72] sans doute aussi de l’influence des formulaires princiers75. On peut distinguer les éléments suivants dans le discours : titre hors-teneur, appel tenant lieu d’adresse, exposé des motifs, dispositif, clauses finales, absence de date ou de corroboration.
La transcription de ces actes en recueil s’ouvre souvent par un titre calqué sur le titre du type 2 (“Chius bans et ordenanches furent faittes et accordées par …”), ou plus simplement “Ban et ordenance faite sour [+ objet et date]”. Toutefois, cette mention n’est pas systématique et sans doute doit-elle être assimilée à une mention hors-teneur ; elle appartient en effet au stade de la transcription, postérieur à celui de la proclamation orale (cf. d’ailleurs le verbe conjugué au passé).
Vient ensuite un appel, tenant lieu d’adresse, fortement marqué par le caractère oral de la promulgation de l’acte (“Oyez, encore oyés et faites paix”), souvent abrégée d’un “etc.” par le scribe.
L’exposé des motifs, de plus en plus circonstancié, est introduit par “Pour chou que …” ou par “Comme …”. Il se présente souvent en deux parties séparées par le nous énonciateur du dispositif, la seconde étant plus brève et plus générale (par exemple, après l’énoncé des circonstances, la formule “nous, pour ad chou pourveir alhonneur et pourfit dele dite ville et dou bien commun dicelle, faisons le ban …” de l’ordonnance du 4 mai 1403 sur la tuilerie et la briqueterie76) tandis que la première partie de l’exposé énonce des circonstances concrètes, telles que la constatation du non-respect de dispositions antérieures, la plainte éventuelle qu’en ont fait plusieurs habitants, le scandale causé par un désordre ou une pratique déraisonnable, l’alignement souhaité sur la législation d’autres villes.
Dans quelques cas rares, le dispositif est précédé d’une notification, probablement à valeur emphatique, qui suit l’exposé (“comme …, assavoir est que nous …”, du 9 janvier 1428). Cette notification peut aussi précéder l’exposé (“Oyés faite etc. On vous fait assavoir que pour chou que …, nous, … faisons le ban, commandement et deffense depar …”, du 7 septembre 1404)77.
Le dispositif est introduit par une formule constante, où le nous énonciateur mentionne les auteurs formels et effectifs, tenant ainsi lieu de suscription (“nous … faisons le ban, deffensce et commandement de par mons. [p. 73] le conte de Haynnau, mons. le bailliu de Haynnau, mons. le prevost de Mons, le mayeur, eskevins et le justice de le ville toutte, que …”). Le nous anonyme renvoit à la promulgation orale ritualisée, dont nous savons pas des mentions du XVIe siècle qu’elle se déroulait alors au balcon de l’hôtel de ville en présence des maire et échevins. Ce locuteur est le crieur des bans de la ville, fonction attestée par la comptabilité78 ; il me semble difficile d’en faire un auteur au sens diplomatique. Le dispositif est structuré en articles ou items qui retrouvent souvent la forme des types 1 et 2.
Les clauses finales (clause comminatoire, clause d’interprétation, clause de rappel) connaissent un développement particulier durant cette phase C. La clause comminatoire est formulée en termes généraux, mentionnant qu’aucune faveur ne profiterait à un contrevenant éventuel. Par exemple :
“Et en touttes ces coses dessusdittes cascuns et cascune de tant que a lui puet toukier fache tel devoir et acquit que recepvoir n’y puissent damage, car se deffaute y avoit, nuls ne nulle espargniés n’en seroit”
“Et bien se warde cascuns cambiers que encontre lesdittes ordenances ne aucunes d’elles ne voist ne face aler en manière aucune, sour encoure ens ès amendes deseure dittes et sans nul déport”.
“Si se warde cascun endroit lui de aler ne faire contre les ordenances devant dittes : car des lois et amendes ne seroit nuls ne nulle espargniés ne déportés”
“Si ait sour ce cascuns et cascune boin advis de se warder de meffaire, car nuls ne nulle ne en sera espargniés ne deportés seloncq ce quil en appara as dis eskevins qui les amendes jugier en deveroit à leur bonne discrétion”79.
La clause d’interprétation, peu fréquente dans la législation princière80, est au contraire assez constante dans les ordonnances montoises de la fin du XIVe et du XVe siècle. Elle réserve l’interprétation aux échevins, excluant donc l’intervention d’une autre juridiction dans l’application de la législation communale :
[p. 74] “Et se ens es ordenances deseure dittes u aucunes delles avoit aucun tourble u obscurtet, il en doit yestre declaret et ordenet pour le warde desdis cambiers et ossi dou commun peuple, par l’ordenance desdis eskevins”.
“sauf et réservet que, se en tous les bans et articles dessusdis avoit aucun trouble u obscurté par deviers entendement ou petite declaration, on en deveroit user et repairier des amendes taxer et jugier pour les boines gens warder, à le discription des desus eskievins”81.
La clause de rappel, enfin, réserve aux maire et échevins toute abrogation ou modification ultérieure de la norme édictée :
“Et poront li dessus nommet maires u eskevins les dessusdis bans et ordenanches toutes u empartie transmuer, croistre, amenrir u rappieller, se il leur plaist et il perchoivent que boin soist a faire”.
“Lesquelles dessus dittes ordenances lidit maires u eskevins puellent et poront, toutes fois que il leur plaira, rapieller, croistre et amenrir, se on perchevoit que besoings fust”82.
La mention du plaisir, sans avoir la force d’une clause particulière comme dans les actes issus des chancelleries princières, n’en souligne pas moins le caractère radical du rappel.
Ces ordonnances ne présentent toujours ni date ni corroboration. Ce dernier caractère renvoie d’évidence à l’oralité de la promulgation de l’acte. Comme dans le type 2 la date est donnée dans le titre facultatif, qui dans le type 3 précède l’appel, et relève de la mise par écrit postérieure à la promulgation. Le caractère a posteriori et facultatif de ce titre explique la présence d’ordonnances de type 3 non datées.
L’émergence du type 3 pourrait être liée à l’avènement d’Aubert de Bavière comme comte de Hainaut en 1389 (alors qu’il gouvernait depuis 1358 la principauté comme régent ou ruward pour son frère malade Guillaume III83). Les dates en tous cas coïncident grosso modo. En outre, la législation princière prend son train de croisière sous Aubert84 ; est-il imprudent de [p. 75] suggérer l’influence d’un prince législateur sur la législation des échevins de sa capitale (alors qu’en terme de contenu, nous en faisons l’hypothèse de travail, des influences réciproques ont dû jouer) ?
La forme du type 3 va rester très stable tout au long du XVe siècle, en particulier la mention des autorités de la part desquelles l’ordonnance est promulguée ; comte, grand bailli, prévôt, maire et échevins. Tout au plus la formule s’adapte-elle à l’identité du prince dans son intitulé et gagne-t-elle en qualificatifs de majesté et en solennité (la formule au nom et de par tendant à remplacer le plus sobre de par à partir de 1413). Sous Aubert de Bavière (r. 1389-m. 1404), prince qui séjourna surtout dans ses comtés de Hollande et de Zélande, son fils, portant le titre de comte d’Ostrevant, assura à deux reprises le gouvernorat du comté : dans l’énoncé des autorités des ordonnances communales édictées sous cette gouvernance, une incise permet de mentionner le gouverneur (“de par monseigneur le comte de Haynnau, monseigneur le comte d’Ostrevant sen ainsnet fil hiretier et gouverneur doudit pays, de par monseigneur le bailliu de Haynnau, monseigneur le prevost de Mons, le maieur, les eskevins et le justice dele ville toute”). Sous Guillaume IV puis Jacqueline de Bavière célibataire et ses époux successifs, les ducs de Brabant et de Gloucester, puis sous la tutelle de Philippe le Bon à qui elle cède le gouvernement du comté, la titulature suit l’évolution politique, tout en gagnant encore en solennité. La formule voit en effet s’intercaler entre ou non et de par et monseigneur, des qualificatifs de majesté (haut, puissant, redouté, cher, éventuellement renforcés par l’adverbe très), un possessif éventuel et le titre significatif de prince (par exemple sous Jean IV de Brabant : “ou nom et de par très haut et poissant prince mons. le duc de Braibant, comte de Haynnau et de Hollande, de par mons. le bailliu, etc.”, le 29 janvier 1419 n.s.). Seules des variantes minimes affectent l’ordre ou la quantité des qualificatifs princiers, sans qu’une logique paraisse à première vue s’en dégager85. Par contre, il est significatif de l’accroissement de l’autorité [p. 76] princière que le qualificatif d’excellent s’ajoute aux précédents à partir de Philippe le Bon (1433-1467), dans la titulature bourguignonne puis austro-bourguignonne (maisons de Valois-Bourgogne et de Habsbourg) : “ou non et de par exellent, très hault et très puissant prince, no très redoubté signeur, monsigneur le duc de Bourgogne et de Brabant, comte de Haynnau et de Hollande, de par mons. le bailliu de Haynnau, mons. le prevost de Mons, le mayeur, les eskevins et le justice de le ville toutte”. La seule variante notable est fournie par une ordonnance atypique, émanant conjointement des échevins et des autorités de la draperie, sur décision du conseil de ville et sur avis du bailli de Hainaut et du conseil de Hainaut : le formulaire particulier résultant de cette procédure inhabituelle ne mentionne pas le comte ni le maire86.
Contrairement par exemple aux villes portugaises où les transcriptions d’ordonnances dans les registres du conseil sont validées par des signatures87, les mises par écrit montoises des XIIIe-XVe siècles sont de simples copies à fonction d’aide-mémoire, difficilement assimilables à un enregistrement en bonne et due forme. Cette impression est renforcée par le caractère non systématique des transcriptions : certains bans ne sont connus que par des mentions, plusieurs textes ne sont pas des transcriptions fidèles de la forme du ban mais de simples consignations narratives de sa teneur, d’autres ont été transcrits dans des recueils hybrides ou dans les registres de délibération du Conseil de ville et non dans les recueils de bans, tandis que certains actes [p. 77] authentiques ont fait l’objet de transcriptions dans les recueils de bans88. Ceux-ci semblent donc plus répondre à des nécessités pratiques qu’ils ne visent à garantir la force probante des bans (celle-ci découle selon moi du rituel de leur promulgation). Néanmoins, ces recueils de bans ont pour effet indirect, vis-à-vis du monde extérieur, d’attester l’ancienneté de l’usage de légiférer. C’est à ce titre qu’ils furent allégués en 1428 lors d’un conflit entre la ville et les autorités princières89.
Malgré l’adoption d’un discours élaboré, proche en un sens de celui des lettres patentes urbaines ou princières, les ordonnances et bans de police de type 3 restent des textes à publication orale. En témoigne la formule “Oyés faites paix” et l’absence de date et de corroboration. Une comparaison avec une autre pratique hainuyère est éclairante. Contrairement aux bans notifiant une mesure princière, dont la genèse comporte une lettre scellée dont la publication est enjointe aux autorités locales90, les bans communaux sont à mon avis essentiellement oraux, et dans leur cas le processus est inversé. On ne va pas de l’expédition d’un acte princier, scellé et issu de la chancellerie, à sa publication sous forme de ban, mais plutôt d’une publication orale à une mise par écrit (que l’écrit serve de minute ne change rien à la question : le discours est uniquement oral, tandis que pour la publication des actes princiers un discours écrit coexiste avec un discours oral dérivé, qui ne se contente pas toujours de restituer le dispositif mais constitue parfois une nouvelle rédaction de la teneur, assortie notamment de mesures d’exécutions). La désignation qui précède leur transcription en registre — désignation qui comporte l’objet mais souvent aussi les disposants et la date — doit être considérée comme une mention a posteriori. Un autre fait est caractéristique de l’essence orale de cette législation : l’usage d’affiches, en tout cas sous forme d’imprimé, est très tardif : il faut le situer au XVIIe siècle91 (il ne se généralise d’ailleurs pour les ordonnances princières en Hainaut, qu’au XVIe siècle92, alors qu’il [p. 78] est déjà attesté à la fin du XVe siècle pour une ordonnance de la ville de Gand93).
6. Conclusions
Les observations présentées ici fournissent une base utile pour poser une chronologie relative des actes législatifs non datés, et pour une étude à venir sur le processus politique de leur élaboration. Alors qu’une vie communale semble attestée à Mons dès le XIIe siècle, les premiers actes connus émanant de la ville apparaissent dans le courant du XIIIe siècle ; une accélération de la production d’écrits par la ville se produit à la fin du XIIIe siècle. C’est à ce moment que les bans de police sont mis par écrit. Dès lors ces textes issus de la transmission orale feront l’objet d’un important travail d’écriture et, à deux reprises, d’une retranscription, tandis que la forme issue de la tradition orale primitive se maintient (type diplomatique 1). Cependant, dès la seconde décennie du XIVe siècle, des textes législatifs plus élaborés prennent une forme authentique, munie de signes de validation : actes scellés et chirographes ; ils sont destinés à des corps infra-urbains. L’emploi d’un écrit muni de signes de validation est lié sans doute à la reconnaissance ou à l’institution de ces corps et à la nécessité de fixer précisément leurs rapports avec les autorités urbaines. Des textes législatifs sont dès lors pourvus de protocole initial, d’exposé des motifs, de clauses de rappel et d’interprétation, de date. Parallèlement, une évolution se fait jour dans la grande masse des bans de promulgation orale : une tendance se dessine à coordonner les dispositions sous forme d’articles au sein d’un dispositif structuré ; exposé des motifs et clauses finales font une première apparition. C’est le type 2. Il y a certainement là une influence de la pratique du texte législatif expédié sous forme authentique, mais aussi de la législation princière d’importance croissante à l’époque. À la fin du XIVe siècle, cette évolution aboutit à un modèle élaboré d’ordonnance (type 3), comportant appel de type “Oyés”, exposé, dispositif et clauses finales. Ce type d’acte, bien que calqué sur le modèle des actes scellés, reste destiné à une promulgation orale ; on n’y trouve donc ni annonce de signes de validation ni date. Seule une narration a posteriori, placée en tête de l’acte lors de sa transcription en recueil, indique la date (qui est celle de la proclamation). Les articles du dispositif quant à eux ont souvent conservé une forme qui n’est pas sans rappeler celle des premiers bans du XIIIe siècle. Il y a donc une certaine permanence par delà l’importante [p. 79] mutation qui aboutit à un modèle original d’ordonnance orale, calquée sur les habitudes du monde de l’écrit, et témoignant de la sophistication croissante — notamment en terme de motivations et de solennité — que la ville de Mons entend donner à sa législation.