[p. 453] Les chancelleries urbaines et l’Église en Pologne médiévale
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En règle générale, la diplomatique polonaise considère les chancelleries urbaines comme un objet d’études presque autonome. On soulève rarement la question des relations et de l’interdépendance entre la diplomatique urbaine et des autres centres médiévaux qui délivraient des documents1. Et pourtant, ces relations suscitent de l’intérêt, surtout dans l’analyse des débuts du document urbain, donc à peu près de la fin du XIIIe siècle à la première moitié du XIVe siècle.
L’intervention de l’écriture dans les formes de la vie urbaine en voie de fixation se faisait surtout sous l’influence des modèles créés dans des villes occidentales. Toutefois, en Pologne, le terrain pour la production de chartes urbaines était préparé par une longue tradition de documents écrits. Compte tenu de ce fait, il serait difficile de s’imaginer que le document urbain s’est formé uniquement sous l’influence de facteurs externes, sans subir une influence des milieux qui formaient la culture écrite en Pologne depuis plusieurs générations. Il est évident qu’il s’agit presque exclusivement des milieux ecclésiastiques. Il en résulte que les relations entre l’Église et les chancelleries urbaines méritent un intérêt particulier. Bien que l’utilisation de l’écriture dans les villes fasse partie de ces aspects de la culture écrite que les collègues allemands appellent le pragmatische Schriftlichkeit2, en Pologne ces liens avec l’Église sont plus visibles qu’en Occident. Celle-ci peut être aussi considérée comme un facteur de première importance pour l’essor de la culture écrite dans les villes polonaises.
Afin de discuter les questions qui nous intéressent, il faudrait prendre en compte l’ensemble des relations, complexes et diversifiées, entre la culture urbaine et l’Église. Pourtant, aussi bien le cadre restreint de cet article que les [p. 454] lacunes dans l’état des recherches médiévales polonaises dans ce domaine l’interdisent3. Je ne me concentrerai donc que sur des questions choisies, telle l’importance de l’Église pour les origines du document urbain polonais, la légalité de ce document, l’influence du notariat public (en Pologne c’était une institution exclusivement ecclésiastique), le rôle des registres judiciaires urbains dans la divulgation des registres judiciaires en Pologne en général, entre autres à l’intérieur de l’Église elle-même.
Une forte présence des hommes d’Église dans les chancelleries urbaines, soulignée dans de nombreuses études, confirme la constatation du lien entre culture urbaine et Église. Un manuel de la diplomatique polonaise affirme expressément qu’“au début de la mise en place des chancelleries urbaines, le poste de scribe […] était habituellement confié à des ecclésiastiques” et, au cours des XVe–XVIe siècles, “… des laïcs devenaient scripteurs”4.
Il est difficile d’en vérifier le bien-fondé. Les répertoires du personnel des chancelleries urbaines sont en règle générale fragmentaires. La chancellerie de Cracovie constitue une exception, puisque nous connaissons dix personnes qui y ont travaillé jusqu’à la fin du XIVe siècle. L’une d’entre elles fait partie du clergé. Le nombre des laïcs a atteint quatre. Au XVe siècle, à Cracovie, quatre notaires sur dix étaient ecclésiastiques5.
On suppose qu’à la fin du XIIIe siècle, la ville de Poznan avait recours, entre autres, aux services des scribes de l’évêque6. Nous connaissons les noms de deux individus vivant au XIVe siècle, qualifiés de scriptor ou notarius civitatis Posnaniensis7. Nous ne savons pourtant pas s’ils appartenaient au clergé. Dès le début du XVe siècle, les témoignages, plus abondants, nous informent de l’afflux des laïcs dans les chancelleries urbaines. En revanche, à partir de 1442 [p. 455] jusqu’à la fin du premier quart du XVIe siècle, ils cèdent la place aux ecclésiastiques. Trois d’entre eux étaient liés à une église auprès de laquelle fonctionnait l’école paroissiale. Dans d’autres villes polonaises, la réunion des fonctions de scribe et d’enseignant était plus fréquente au début du fonctionnement des chancelleries. C’était bien le cas de Pyzdry en 1307, de Gostyn en 1337, de Gorzów en 13608.
Tout cela interdit de soutenir la thèse que les chancelleries des principales villes polonaises étaient investies surtout par des ecclésiastiques. Toutefois, on peut montrer le rôle de l’Église dans la genèse des chancelleries urbaines en Pologne d’une façon différente, à savoir en se concentrant sur les fonctions des documents et sur les milieux demandeurs des premiers parchemins dotés de sceaux, établis par des autorités urbaines en Pologne.
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Il est possible de saisir des analogies avec le rôle joué par des milieux ecclésiastiques au cours de la période antérieure, celle de la réception du document princier. Par suite de la réforme des XIe-XIIe siècles, l’Église a augmenté ses propriétés foncières. Ce faisant, elle cherchait à se munir des documents princiers et privés qui auraient fait office de titre de propriété en cas des revendications éventuelles de la part des successeurs des bienfaiteurs ou des vendeurs. Parmi les documents établis de la moitié du XIIe au milieu du XIIIe siècles, il serait difficile d’en trouver un qui n’aurait pas été établi en vue de protéger les intérêts de l’Église9.
Les premiers documents faits au nom et sous le sceau des autorités urbaines sont apparus en Pologne vers la fin du XIIIe siècle. Bien entendu, ils ne témoignent pas encore de l’existence des chancelleries en tant qu’institutions formées. Elles n’ont pu apparaître que dans les villes fondées d’après le droit dit allemand ou de Magdebourg, où l’on voit émerger des organes d’autogestion, dont surtout le conseil et le tribunal. C’est justement pour cette raison, et à cause des lacunes dans la documentation, que certains ouvrages sur les chancelleries urbaines polonaises considèrent l’époque jusqu’à la fin du XIVe siècle comme [p. 456] période d’absence de règles précises du fonctionnement de ces institutions et des procédés de l’établissement des documents.
La considération de tous les documents les plus anciens (jusqu’à 1350) établis par les autorités municipales dans le royaume de Pologne après 1320 (ce qui impose l’exclusion de la Silésie et de la Poméranie) permet d’aboutir à des conclusions différentes de celles qu’impose l’analyse des documents issus des chancelleries analysées à tour de rôle, comme le font les auteurs d’études monographiques. Le procédé suggéré permet de saisir certaines régularités intéressantes.
À Poznan, le premier document écrit de la main d’un scribe du prince10 date de 128811. Son exécution est due à l’initiative de Tilon, protonotaire du prince et, plus tard, “préposé” de Santok12. Sa connaissance du droit, acquise sans doute lors de sa fréquentation du milieu ecclésiastique, devait lui inspirer l’idée (en Pologne absolument théorique auparavant) que les villes étaient aptes à établir des documents légitimes13.
Les documents ultérieurs des villes polonaises (excepté celui de Cracovie dont la datation hypothétique remonterait à 129014) n’ont vu le jour qu’en 1300. Il est curieux de constater que leur nombre est devenu le plus élevé au cours de la première décade du siècle. Plus tard, ce nombre a diminué d’une décade à l’autre jusqu’au milieu du XIVe siècle, pour augmenter au cours de la seconde moitié du siècle. De surcroît, presque tous les documents urbains d’avant 1350 concernent des transactions conclues entre l’Église et les bourgeois. Il ne faut pas oublier pourtant que nous ne disposons pratiquement que des sources conservées dans les archives ecclésiastiques.
Comment interpréter ces phénomènes ? Au tournant des XIIIe et XIVe siècles, les luttes pour le pouvoir dans les territoires de la Pologne en voie de réunification ont affaibli l’État15. Dans les relations de propriété avec les villes, les institutions ecclésiastiques avaient besoin de preuves écrites des échanges et [p. 457] des contrats passés. Ce désir, nourri de l’érudition et de la lecture des canonistes, imposait la recherche d’un corps public susceptible de légaliser les actes juridiques des particuliers. En ce qui concerne les villes, il s’agissait des documents des autorités municipales.
J’en conclus que dans la période en question, c’étaient surtout les institutions ecclésiastiques qui suscitaient la demande du document urbain. Dans la première moitié du XIVe siècle, les relations à l’intérieur de la cité n’exigeaient pas l’établissement des parchemins coûteux et munis d’un sceau. Le papier, moins cher, entrait seulement dans l’usage ; en revanche, les tablettes de cire étaient assez couramment employées16. Ce n’était qu’à Cracovie qu’on a commencé, en 1300, à tenir un registre sur parchemin dit Liber actorum, resignationum nec non ordinationum civitatis17. Il servait à enregistrer les transactions conclues presque exclusivement entre les bourgeois, pratiquement sans intervention du clergé. Ainsi, à l’aube du XIVe siècle, à l’époque des troubles politiques, le nombre de documents urbains a considérablement augmenté. En 1320, le royaume de Pologne est renaissant et connaît un renforcement inédit pendant le règne du roi Casimir le Grand, c’est-à-dire dans les années 1333-1370. Parmi les réformes entreprises à l’époque, la reconstruction du système juridique occupait une place importante18. Étant donné les circonstances, on peut s’interroger si la diminution du nombre de documents urbains que l’on observe après 1320 ne serait pas à mettre en rapport avec le renforcement de l’autorité royale, ou bien si les institutions ecclésiastiques, destinataires principales des documents, n’en demandaient plus autant.
La monarchie d’état en voie de formation avait besoin de l’écriture pour enregistrer les actes des particuliers sous forme de documents légaux19, ce qui se faisait sentir surtout dans les villes. En témoignent les formulations que l’on retrouve dans des actes royaux du type : cum omnes vendiciones, empciones et contractus qualescunque nullum robur firmitatis per se valeant obtinere, nisi authenticis documentis et fidedignorum testimonio testium fuerint perennati20. En premier lieu, il s’agissait, bien entendu, du commerce de la terre d’après le droit qui régit l’ordre chevaleresque, puisque sa possession impliquait le service militaire. Néanmoins, l’appareil de l’État ne sous-estimait pas non plus les [p. 458] affaires des villes dont le roi Casimir se préoccupait avec un soin particulier. Faut-il en conclure que c’était l’État qui a freiné l’action de l’Église qui encourageait l’utilisation des documents urbains afin de légitimer les transactions entre particuliers ?
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En 1287, le premier notaire public polonais, actif à la cour de l’archevêque de Gniezno Jakub Swinka, a établi deux documents. En simplifiant les choses, nous pouvons dire que dans les territoires polonais, deux instances inconnues auparavant ont reçu à peu près en même temps le droit d’établir des documents légaux concernant surtout les affaires des particuliers : les magistrats urbains et les notaires.
On sait qu’en Pologne le notariat public n’est devenu qu’un maillon auxiliaire dans le système de la bureaucratie ecclésiastique. On le considérait comme une institution régie uniquement par le droit ecclésiastique, c’est pourquoi il n’a pas été reconnu dans l’espace soumis à la juridiction nobiliaire21. Il n’a pas atteint la position d’une institution de droit public, indépendante de la juridiction et protégée par l’État, jusqu’à l’époque napoléonienne. En revanche, au cours du XIVe siècle, dans le cadre du droit urbain, la fonction d’authenticité a été assignée aux documents et surtout aux registres judiciaires des autorités urbaines, en particulier aux registres du tribunal. Les documents princiers, épiscopaux et autres qui légalisaient les actes juridiques des particuliers, étaient connus en Pologne dès la deuxième moitié du XIIe siècle. Toutefois, ils n’ont pas connu un essor avant le XIVe siècle ni dans le domaine du droit princier, ni ecclésiastique, ni dans celui du droit qui régit l’ordre chevaleresque.
Dans cette situation, on peut constater que ce n’étaient que les chancelleries urbaines qui ont formé la première institution dont les fonctions pourraient être comparées à celles du notariat public développé depuis le XIIe siècle sur la côte septentrionale de la Méditerranée et qui fonctionne toujours en Europe tout entière.
[p. 459] Pour se faire reconnaître comme légaux, les documents et les registres judiciaires s’appuyaient sur la tradition du droit urbain de Magdebourg. Il semble pourtant qu’en dehors de celui-ci, dans les villes polonaises, on peut dépister des traces de la connaissance de certaines règles d’ars notariae. On se référait à cette institution qui, en Pologne, relevait, rappelons-le, de l’Église, pour renforcer le poids légal du document urbain et des registres judiciaires. Il s’agissait essentiellement de leur fonction de légaliser les contrats et transactions urbains. L’essor de la vie urbaine n’aurait pas été possible sans un enregistrement écrit des changements de propriété des biens immobiliers et des revenus.
Les titres attribués aux individus chargés d’établir les documents et les registres judiciaires semblent en fournir des indices importants. Bien que les premières mentions parlent des scriptores, très vite apparaît le terme de notarius qui, par la suite, prédomine nettement. Dans les chancelleries princières, on l’emploie depuis 1228. Il est vrai que dans les chancelleries polonaises on le connaissait depuis 122322. Il serait pourtant difficile d’exclure l’hypothèse que dans les villes on s’en servait, entre autres, pour se référer aux prérogatives des notaires publics.
Dans un document de 1303, nous trouvons un exemple éloquent d’accorder au sceau urbain autant d’importance qu’à la légalisation faite par le notaire public. Adressé à l’évêque de Poznan, il a été probablement établi dans sa chancellerie. Nous y lisons : ut hec omnia perpetuum firmumque robur habeant et in publicam formam intelligantur fore redacta, voluerunt omnes supradicti […] presens scriptum sigillo universitatis seu communitatis Poznaniensis roborari23.
L’étude des formules de datation conduit à des observations tout aussi intéressantes. On sait que dans les documents urbains, on utilisait rigoureusement la datation selon les fêtes religieuses. Pour cette raison, les exceptions sont particulièrement frappantes. Ainsi, dans le document établi en 1307 par le maire héréditaire (wójt, all. Vogt) de Pyzdry, figure la mention hora vespertina, inédite dans les documents urbains. Nous y trouvons aussi la formule : scriptum per Petrum Leyze Pisdrensis scole et notarie rectorem24. Il en résulte que tout au début de la circulation du document urbain polonais, le Pierre en question se faisait passer pour le chef du notariat urbain et étalait sa culture dont des éléments provenaient, probablement indirectement, d’un ars notariae. Dans un [p. 460] document du conseil municipal de Konin de 1373, nous trouvons la datation suivante : tertia die februarii25. À cette époque, en Pologne, c’étaient presque exclusivement les notaires publics qui dataient leurs documents précisant le jour à l’aide d’un adjectif numéral ordinal.
L’habitude de placer la date en tête des documents du tribunal de Cracovie et de certaines autres villes constitue un exemple analogue. À la fin du document, on introduisait alors la formule anno et die, quibus supra26. Indépendamment de la source directe d’où l’on avait emprunté ce procédé, on peut présumer que les contemporains l’associaient au formulaire des documents de notaires publics. Il faut remarquer, chemin faisant, qu’aux environs du milieu du XIVe siècle, la date placée au début est entrée dans le formulaire des documents du tribunal nobiliaire de la Grande Pologne27. Il est pourtant vrai que l’emplacement de la date en tête pouvait résulter de l’imitation de la forme d’inscription au registre judiciaire.
Dans le plus ancien registre de Cracovie, nous trouvons un autre argument en faveur de la thèse que les notaires urbains polonais du XIVe siècle savaient se référer à l’institution du notariat public. À la fin de la mention du texte de l’accord à l’amiable entre trois soeurs de 1344, nous lisons : Et ego Petrus pronunc notarius ciuitatis Cracouie, hijs omnibus interfui tam resignacioni quam eciam renunciacioni, et in hanc formam redegi, prout michi melius et honestius videbatur, amicabiliter ad hoc rogatus28. Cette souscription est puisée presque directement dans un ars notariae29.
D’un registre du conseil de Cracovie plus tardif, puisque daté de 1418, nous apprenons que l’écrivain urbain venit ad pretorium Cracoviense in officium notariatus civitatis30. Les sources nous fournissent d’autres exemples pareils. La formulation officium notariatus rappelle celle dont se servaient les notaires publics en parlant de leur fonction. Au XVIe siècle, Bartlomiej Groicki qui a divulgué en polonais les principes du droit urbain de Magdebourg, a écrit : “pisarz jest persona jawna, godna, przysiega w miescie obowiazana ku spisowaniu spraw sadowych” [l’écrivain est une personne transparente, digne, [p. 461] obligée par un serment d’enregistrer les affaires juridiques dans la cité]31. En ancien polonais, l’adjectif “jawny” [transparent] voulait dire tout simplement “public”. On y retrouve donc un reflet lointain de la qualification persona publica qui se référait, au moins dès le début du XIIIe siècle, aux notaires publics.
Afin de compléter les remarques qui précèdent, il est intéressant de présenter des renseignements sur les notaires publics travaillant dans les chancelleries urbaines. Ils réunissaient les compétences relevant du droit de deux états : le clergé et le tiers état.
Au XVe siècle, la chancellerie de Poznan paraît particulièrement intéressante. Comme il a déjà été dit, dans la première moitié du siècle, c’étaient des laïcs qui y travaillaient comme écrivains, les représentants du clergé sont venus plus tard. Parmi les premiers, il n’y avait aucun notaire public32. Plus tard, on en dénombre quatre : Stanislas Gerlin, Nicolas Kaltwasser, Luc, fils de Siméon et Nicolas Ruczel de Koscian33. Pendant la dernière vingtaine d’années du XVe siècle, cette fonction a été assumée par Nicolas Goczalek, notaire public, malgré son état de bourgeois, donc de laïc34. Au total, dans les années, 1453-1535 la fonction de scribe à Poznan était remplie par des individus dont nous ne savons pas s’ils étaient notaires publics35.
Dans d’autres villes, ils n’étaient pas aussi nombreux. Au cours de la première moitié du XVe siècle, on ne recense que des individus singuliers détenant cette fonction dans les chancelleries : de Cracovie, de Wislica, de Przemysl et d’Olkusz36. À la fin du siècle, ils sont présents à Plock37 et à Lvov38. Leur [p. 462] apparition résultait de leur fréquentation des milieux ecclésiastiques. Peut-être l’union de la fonction du scribe urbain et du notaire public facilitait-elle les relations de la chancellerie urbaine avec l’espace réservé au droit ecclésiastique. À force de faire des testaments contenant des legs en faveur des institutions ecclésiastiques, les scribes eux-mêmes bénéficiaient-ils de revenus supplémentaires. En résumant la discussion sur la présence des notaires publics parmi le personnel de différentes chancelleries laïques, il faut constater que le phénomène n’était point courant. Tout au contraire, d’habitude les notaires publics y étaient plutôt peu nombreux.
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La question que je voudrais enfin poser est la suivante : peut-on considérer le notariat urbain en tant qu’institution de droit public qui aurait fonctionné de la même façon que le notariat public médiéval dans les pays méditerranéens ? La réponse est difficile, puisque les scribes urbains qui recevaient les déclarations des particuliers relatives aux transactions, contrats conclus, testaments, etc., manquaient d’autonomie. Pour qu’une déclaration d’un particulier pût être reconnue publice, elle devait être annoncée coram iudicio39. C’était le tribunal urbain et non l’écrivain public ou le notaire qui était l’organe qui la rendait publique. Nous pouvons y voir un reflet de la théorie de recognitio in iure40.
Les dépositions des particuliers devant une assemblée munie des compétences juridiques était connue en Pologne depuis le XIIIe siècle (assemblée princière)41. Au XIVe siècle, les tribunaux nobiliaires ont continué cette tradition. À la fin du siècle, et surtout au cours du siècle suivant, afin d’acquérir une légalisation écrite de leurs déclarations, transactions, contrats, les ecclésiastiques et les nobles devaient comparaître devant le tribunal adéquat à leur état. L’exemple de la juridiction urbaine contribuait entre autres à continuer cette habitude.
[p. 463] Le fait que les plus anciens registres judiciaires de Pologne sont apparus justement dans les villes devait jouer un rôle important. Dès le début, ils se sont instaurés comme l’instrument principal du droit public.
Comme il a déjà été dit, le début du plus ancien registre urbain de Cracovie date de 1300 ; les extraits du registre d’Olkusz remontent à 131742. Dans d’autres villes, ils n’ont été introduits qu’à la deuxième moitié du XIVe siècle : à Torun dès 136343, à Kazimierz dès 136944, à Poznan dès 139845. Les registres fonciers (libri terrestres) sont apparus plus tard. Ceux de Cracovie (1374), de Leczyca (1385), de Poznan (1386) sont les plus anciens. Les autres : les registres nobiliaires, ceux de château (libri castrenses) ont vu le jour à partir de 139746 et les plus anciens registres ecclésiastiques à partir de 140147. À cette occasion, il faut remarquer que les livres fonciers remplissaient au début plutôt la fonction de registres des termes juridiques que celle de répertoire des transactions conclues par des particuliers.
Ces données permettent de soutenir la thèse que les registres judiciaires urbains ont eu une importance capitale pour aboutir à ce que les registres juridiques, aussi bien de droit ecclésiastique que nobiliaire, devinssent pratiquement le seul instrument du droit public jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, équivalent des cabinets de notaire d’aujourd’hui. La nature collective de la juridiction urbaine dont relevaient ces registres a eu, elle aussi, un caractère exemplaire. Cela pourrait expliquer l’hostilité à l’égard de l’élargissement des compétences des fonctionnaires nommés et de l’attachement aux prérogatives des organes collectifs. Cette spécificité de la jurisprudence polonaise, typique non seulement pour le moyen âge, mais aussi pour les temps modernes, a contribué en grande partie à freiner la modernisation de la bureaucratie d’Église, d’État, etc.
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Les exemples présentés semblent prouver de manière convaincante que les études des relations entre les chancelleries urbaines polonaises et l’Église peuvent être fructueuses. Il en résulte que la diplomatique urbaine n’a pas évolué tout à fait indépendamment des autres domaines de la production des documents ; dans notre cas il s’agit surtout du document de notaires publics qui, en Pologne, relève de la diplomatique ecclésiastique. Je suis persuadé que des phénomènes analogues à ceux que je viens de présenter peuvent être également observés dans d’autres pays de cette région de l’Europe où, au moyen âge, le notariat, en tant qu’institution du droit public, n’a pas pu concurrencé l’autorité des registres juridiques des tribunaux.
Cela implique aussi une réflexion d’ordre plus général et qui concerne les postulats de recherche ultérieure sur les chancelleries polonaises. Notamment, il serait important de s’interroger sur les relations entre différents centres d’établissement de documents. Par exemple, il serait intéressant d’étudier les relations entre les chancelleries dans un centre urbain étant en même temps capitale d’un diocèse, des tribunaux nobiliaire et urbain. Il est difficile d’imaginer que les chancelleries : urbaine, épiscopale, d’official et de deux tribunaux, situés parfois à proximité, étaient tout à fait indépendantes les unes par rapport aux autres. Une autre question importante qui se pose est celle de l’essor des chancelleries dans les villes appartenant à l’Église48.