[p. 281] Diplomatique municipale portugaise (XIIIe-XVe siècles)
Il n’est pas osé d’affirmer que les municipalités (concelhos) ont été vraiment un support institutionnel de la formation du Portugal. Avant l’esquisse de l’affirmation d’un roi et de la construction d’un royaume, on voit s’ébaucher les pouvoirs locaux, les seigneuries de nobles et d’églises et des communautés d’hommes libres.
C’étaient les chartes de foral qui légitimaient ces communautés. Les plus anciennes ont été octroyées par Fernand Magne et Alphonse VI, rois de Léon et Castille, à des territoires du futur comté de Portucale (puis royaume du Portugal), dans la seconde moitié du XIe siècle. Et cette politique de développement des municipalités aura une suite lorsque la façade occidentale de la péninsule ibérique connaîtra l’autorité d’un comte — Henri de Bourgogne — et la cohésion relative d’un comté. Henri, puis Thérèse, sa femme, octroient des chartes de foral à plusieurs communautés du bassin du Mondego, limite méridionale du comté, et le but de ces octrois est de stimuler les hommes de ces populations — surtout les “chevaliers-vilains” (cavaleirosvilãos) — à la défense contre les raids musulmans. Quelques communautés du nord ont également reçu des chartes de foral : le roi voulait alors développer le commerce et l’artisanat.
Pendant le long gouvernement d’Alphonse Ier Henriques (1128-1185) le comté se transforme en royaume. Les grands axes de la politique du roi sont la conquête de territoires aux musulmans et leur peuplement effectif. Jusqu’au milieu du XIIIe siècle — terminus de la Reconquête du territoire portugais — ce sont ces propos militaires et de peuplement qui se font prévaloir chez les rois. Mais il leur fallait des gens : des gens de guerre, des paysans, des habitants. Les nobles sont alors les alliés naturels des rois. Leur participation militaire se voit récompensée par l’octroi de droits, terres, seigneuries. À leurs côtés, les oratores : ils étaient des auxiliaires précieux de la politique royale, en ce qui concernait le cadre temporel et surtout spirituel ; entre des monastères qu’on fondait et des diocèses qu’on restaurait, ils se voyaient octroyer de larges domaines et des chartes de couto (“cautum”). On voyait donc se développer les seigneuries laïques et ecclésiastiques.
Mais, en même temps, les souverains faisaient s’accroître les municipalités, poursuivant l’octroi des chartes de foral. Les buts étaient encore la défense et le peuplement. Mais il y avait dorénavant le paiement de droits par ces communautés d’hommes libres ; ce qui augmentait les revenus du fisc, si surchargé par la guerre. Dans un autre sens, les gens des municipalités [p. 282] représentaient un autre pouvoir local, qui pourrait équilibrer celui des seigneuries ; ce qui intéressait les rois : ils ne perdraient pas des auxiliaires ; et leur pouvoir s’imposerait sur tous leurs sujets et dans tous les territoires.
Alphonse Ier a accordé des chartes de foral depuis le nord du Douro jusqu’au sud du Tage ; Sanche Ier poursuit la politique de son père et il octroie plusieurs dizaines de chartes. Cette politique devrait s’atténuer au temps d’Alphonse II et de Sanche II ; mais elle reprendra, vigoureusement, sous les gouvernements d’Alphonse III et de Denis Ier. Les limites du royaume se sont définies avec des municipalités ; et tous les grands centres urbains ont reçu leur foral. Et on peut même dire que cet aspect de la politique royale a envahi la politique des seigneurs : les exemples ne manquent pas de maîtres d’ordres militaires, évêques ou nobles qui octroyent eux-mêmes des chartes de foral dans leurs domaines ; les conditions de vie de leurs hommes s’harmoniseraient donc avec celles des hommes des territoires royaux. Du milieu du XIe siècle à la fin du premier quart du XIVe, on a pu compter presque 350 chartes de foral (royales et seigneuriales).
On doit faire remarquer que ces chartes étaient accordées à des villages, des villes et des cités [épiscopales]1, c’est-à-dire, des populations très différentes sous les points de vue de la démographie, du développement économique et des structures sociales ; il y avait donc des municipalités rurales et urbaines. Naturellement, leurs cadres institutionnels avaient des degrés de développement très inégaux, en ce qui concerne les organismes (notamment le concilium) ou le nombre des officiers (de la justice, du fisc ou des commandements militaires). Les besoins d’utilisation de l’acte écrit étaient aussi très variables. Au sein des petites communautés rurales l’oralité prévalait. Dans les centres urbains, la complexité de la vie sociale exigeait l’utilisation de l’écriture pour établir les normes du gouvernement et du fonctionnement de la communauté ; et parfois il y avait même d’autres actes, destinés à l’extérieur. La municipalité de Coïmbre a produit les ordonnances municipales (posturas) les plus anciennes (correctio morum Colimbrie a ciuibus omnibus statuta, de 1145/07/16). Malheureusement, leur signification [p. 283] n’est pas grande du point de vue de la diplomatique : le texte omet qui l’a écrit et rédigé.
Et voici la question : qui écrivait dans les municipalités ? Alphonse II avait imposé les notaires publics (tabeliães) au sein de ces communautés ; on pourrait donc supposer que c’étaient ces notaires. Mais le fait est que la généralisation des notaires est lente : elle n’arrivera qu’au milieu du XIIIe siècle, sous le gouvernement d’Alphonse III. Jusqu’à ce moment, les municipalités n’avaient probablement d’autre solution que celle de solliciter les experts par excellence de l’écriture, c’est-à-dire, les clercs. Il s’agit simplement d’une hypothèse : ces premiers temps de la vie municipale nous ont laissé peu d’actes écrits. Les chartes de foral sont des documents royaux ou seigneuriaux. Quels étaient donc les documents municipaux ? combien et de quels types ? qui étaient leurs rédacteurs et leurs scribes ?
Un ouvrage sur la sigillographie médiévale portugaise nous rend compte de plus de 20 sceaux de municipalités pour cette période2. Ces sceaux étaient placés dans quels types de diplômes ? Les références de l’ouvrage sont parfois très floues. Et l’enquête que nous avons faite aux Archives Nationales/Torre do Tombo (Lisbonne) n’a pas été facile. Le livre de Luís Távora a plus de 15 ans, et repose sur de longues recherches ; donc, les références de sources ne sont plus actuelles. Et les tables d’équivalences parfois n’existent pas dans nos Archives Nationales ; dans d’autres cas elles existent ; mais leur rigueur n’est pas grande, situation probablement identique dans d’autres archives européennes. Donc, nombre de documents référés par Luís Távora sont à peu près perdus lorsqu’on fait simplement des sondages de quelques jours. Des longs dépouillements des mêmes fonds d’archives nous apporteront les renseignements. Mais ils faut les attendre.
Voici l’état actuel des connaissances, issu de la lecture du livre et de quelques jours de travail aux Archives Nationales. Il est fréquent que les sceaux des municipalités soient placés sur des documents qui ne concernent pas directement ces mêmes municipalités. Leur intérêt (indirect) est la conséquence des intérêts de l’auteur et du destinataire. Ainsi, quand une donation ou un échange de patrimoines entre un individu et une institution religieuse a lieu dans le territoire municipal, il est normal qu’on demande l’apposition de son sceau3. Pour les protagonistes — ce sont les textes qui le [p. 284] disent — c’était la garantie de la fermeté et de la stabilité des actes ; pour les communautés c’était la connaissance de la mobilité des patrimoines dans leurs territoires. Mais nous trouvons également l’utilisation de sceaux des municipalités pour valider des actes d’établissement de limites de terres4 ou de partition de paroisses5.
Il y a encore d’autres types d’actes qui utilisent le sceau municipal. Il s’agit d’actes avec la titulature de la municipalité, mais où on constate aussi la présence de ses officiers — juges, sesmeiros6, etc. accompagnés, normalement, par le garde de la forteresse (pretor, alcaide) — qui, compte tenu de la fonction militaire, représentait l’autorité royale au sein de la communauté et par le notaire (nommé par le roi). En ce qui concerne leur typologie7, ces documents sont normalement des donations des municipalités au roi, à des officiers royaux et à des monastères. Mais nous avons également la confirmation d’un accord entre une municipalité et le souverain et plusieurs sentences.
Examinons quelques situations. En ce qui concerne les donations aux rois, nous avons un exemple le 20 novembre 1309 : après une proclamation solennelle (pregão) à la communauté par les crieurs publics, les juges et toute [p. 285] la municipalité de Montalegre octroyent des terres à Denis Ier8. Le 15 novembre 1258 ce sont le pretor et la municipalité de Elvas qui font donation à Alphonse III du “montaticum” (montado)9 municipal10 ; il s’agit d’un document curieux, parce que son texte permet de supposer que le roi avait précédemment sollicité cette donation ; l’octroi assume donc la forme d’une missive, expression de l’accord de la communauté, adressée à l’“Eycellentissimo domino suo dono A. Dei gratia illustri regi Portugalensis et comiti Bolonie”.
Lorsqu’il s’agit de grâces à des officiers royaux, nous connaissons la donation d’une ferme au chancelier d’Alphonse III, Estêvão Anes, par les juges et la communauté de Marachique (juin 1260)11.
En ce qui concerne des destinataires ecclésiastiques, nous avons d’abord la donation d’une ferme au monastère de Maceira Dão par la municipalité et le pretor de Pena de Sortelha, à l’intention des âmes du roi, de la reine et de celles des auteurs de la donation ; ce détail nous pose une question : s’agirait-il d’un acte singulier du pretor, bien que dans sa qualité d’officier du roi dans une municipalité ? Huit ans plus tard (janvier 1221)12, les pretores et la communauté de Castelo Mendo octroient une ferme au monastère de Saint Vincent de Fora (Lisbonne) ; on dit vouloir récompenser quelques services et payer une “bona sina serica”13. Le pretor, les alvazis, les sesmeiros et la municipalité de Beja utilisent également une missive adressée aux “Specialibus amicis G. Dei gratia priori et conventui Sancto Vicentii Ulixbonensis” pour leur rendre un monastère sur le territoire municipal14. Au mois de mai 1259 les sesmeiros et la municipalité de Elvas font le don d’une ferme à l’abbé de Alcobaça15. Le 13 décembre 1270, le pretor de Azambuja, les alvazis et les habitants (vizinhos) de la ville, assemblés en concilio, octroient au monastère de Alcobaça des espaces pour le pâturage et pour le ramassage du bois16.
[p. 286] Le 20 mai 1308, la communauté de Chaves, en assemblée dans l’église de Sainte Marie, en présence des juges, procureurs et notaires, ratifie solennellement un accord établi entre les représentants municipaux (procuradores) et le roi17.
Mais ces communautés sont parfois également sollicitées à l’exercice de leurs capacités judiciaires. Pendant l’année 1226, sous l’ordre du roi, le pretor et les alvazis de Lisbonne sont les juges d’un procès entre le monastère de Saint Vincent de Fora et un vizinho, autour de quelques patrimoines dans le territoire du municipe18. En 1270 c’est l’opportunité d’intervenir, pour le pretor et les alvazis de Lisbonne, dans un procès entre l’abbé de Alcobaça et des vizinhos de la municipalité, en ce qui concernait des droits sur un moulin19.
Enfin, grâce aux références d’un autre ouvrage, nous avons encore quatre documents concernant la municipalité de Évora qui nous rendent compte de situations semblables.
Le 6 mars 1267 les juges et le concelho octroient le montado20 au roi Alphonse III. L’acte est écrit par Pedro Lourenço (un vizinho de la communauté), sous l’ordre des susdits juges et concelho21. Le second cas arrive le 16 octobre 1273 : il s’agit d’une “lettre ordonnante” (carta mandadeira), c’est-à-dire d’un acte qui fait exécuter un ordre royal d’enquête sur des nouvelles presúrias22 dans le territoire municipal ; les abus en cette matière provoquaient la soustraction au fisc d’un grand nombre de terres. Ce document a été élaboré sous l’ordre de l’alcaide et des juges, et il porte le sceau municipal23. Dans le troisième exemple nous avons un “accord” (concórdia) entre la communauté et le roi Denis. L’accord est établi le 6 février 1286, sur le parvis de l’église de Saint-Antoine, à Évora, y sont présents le souverain et beaucoup de gens “de sa cour” (de sa corte). Après l’octroi de Denis, le concelho déclare pardonner les appropriations du roi et [p. 287] de son père (Alphonse III) dans le territoire municipal24. Enfin, au début du XIVe siècle un acte du concelho déclare que le parvis où l’on fait les assemblées municipales appartient à la cathédrale et que personne (y compris la communauté) ne pourra en prendre possession ; ce document porte aussi le sceau de la communauté25.
Il nous reste à ajouter que les documents antérieurs à la généralisation des notaires publics (au temps d’Alphonse III) ne portent pas la mention de leur scribe (sauf l’exception d’un des documents de Évora26 ; mais il s’agit d’un exemple tardif). Dans des temps ultérieurs, ce sont les notaires — ou leurs scribes “jurés” (escrivães jurados) — qui les écrivent et apposent leur seing, en complément au sceau municipal. Le document de Chaves cité ci-dessus27 présente trois seings de notaires du municipe ; mais c’est aussi un exemple tardif (du règne de Denis).
La production de documents municipaux pendant les XIIe et XIIIe siècles reste une problématique ouverte. Les sources n’abondent pas. Mais les sondages comme ceux que nous venons de proposer suffisent à montrer que notre connaissance peut progresser encore un peu plus, dans une aire de connaissance si incertaine.
La situation n’est plus la même si nous passons aux XIVe et XVe siècles. Le règne de Denis Ier marque un tournant dans la vie de ces communautés, un tournant qu’intègrent les passages du premier au second moyen âge portugais. Le temps de ce roi est d’abord la fin d’un premier peuplement ; donc, d’un dernier moment d’octroi de chartes de foral (Trás-os-Montes et quelques territoires de Entre-Douro-e-Minho, Estremadura, Alentejo et Algarve). Son temps est aussi celui du début des manifestations de l’élitisme dans la vie des communautés municipales. Qu’est-ce que cela veut dire ? Un grand médiéviste de notre XIXe siècle, Alexandre Herculano (1810-1877), envisageait les municipalités en tant que communes (avant-la-lettre), gouvernées par des “démocraties” de “prud’hommes” (homens-bons) ; quelques essayistes ont voulu prolonger ces “démocraties” municipales jusqu’à la fin du moyen âge ; et ce serait alors le remplacement de ce “régime” par l’absolutisme “césariste” des rois. Ces points de vue ont été très diffusés pendant notre siècle ; évidemment, ils ne font plus recette. La vie des communautés municipales a été toujours un peu élitiste, bien qu’il y ait “élites et élites” et que l’élitisme se renforce nettement à la fin du moyen âge. Quelles sont donc ces nouveautés ? Voyons : selon Herculano, la “démocratie” de ces [p. 288] communautés reposait sur un fonctionnement axé sur des assemblées publiques (concilia) ; un nombre significatif de vizinhos y participait. Mais cela ne marchait plus depuis le XIVe siècle :
La croissance démographique (jusqu’en 1330 environ) avait rendu de moins en moins viables ces assemblées élargies.
La complexité accrue des matières de gouvernement exigeait de plus en plus l’activité de “spécialistes” dans la gestion du quotidien.
Et les rois (aussi bien que les seigneurs laïcs et les ordres militaires) intervenaient de plus en plus dans la vie de ces communautés, en nommant des officiers (les “juges pour le roi”, juízes de fora) ou en établissant des agents d’enquête, les “régisseurs” (corregedores)28 : ceux-ci, espèce de “missi dominici” (après la lettre), devaient parcourir chaque année une circonscription nommée comarca29.
Ce triple processus explique la parution des exécutifs municipaux (les vereações), qu’intégrait une équipe relativement stable d’officiers : vereadores, juges, procureur, scribe, etc. Mais le XIVe siècle présente encore d’autres nouveautés, en ce qui concerne le rôle de l’écriture et de ses spécialistes, et leur rapport avec une justice qui devient plus complexe. Aux municipalités, on voit paraître une distinction entre les notaires des tribunaux (audiências) et ceux de la cour [municipale] (paço) : leurs compétences connaîtront l’attention législative de Jean Ier30. Au sein des notaires des audiências on pourra plus tard distinguer ceux du criminel et ceux du civil31. Et au sein des juges on pourra distinguer une multiplicité, selon leurs compétences ; juges [p. 289] des orphelins, des arbalétriers, de la monnaie, etc. ; les juges, ainsi que les notaires, seraient assistés par des officiers de l’écriture (escrivães jurados)32.
Parfois, les notaires n’étaient pas excessivement diligents dans leurs offices. À Loulé, on exigeait leur présence dans les jugements ; ils devraient arriver avant les juges. En cas d’absence, ils paieraient une amende, et dans ces jours on leur défendrait l’écriture d’autres types de documents33.
Aux municipalités il y aurait encore un chancelier34, garde du sceau et gardien de la mémoire écrite de la communauté. Gardons-nous de caractériser (des points de vue quantitatif et qualitatif) les groupes du pouvoir d’où sortent les officiers municipaux, ainsi que les procédures de leur élection/nomination35. L’important dans le cadre de ce colloque est ailleurs : le fait est que depuis un certain moment (au dernier quart du XIVe siècle, dans l’état actuel des connaissances) nous avons des comptes-rendus (actas) des séances des vereações. On pourra peut-être localiser les débuts de l’élaboration de ces comptes-rendus quelques années après le second regimento d’Alphonse IV sur les corregedores (1340) : en effet, nous pouvons trouver dans cette ordonnance quelques dispositions sur le sceau municipal et surtout sur l’usage de l’écriture dans le gouvernement de la communauté36. Mais la conservation des plus anciennes actas n’a pas été particulièrement régulière37 :
Les exemples les plus anciens sont ceux de Loulé (1384-1385, 1392, 1394-1396), avec une suite irrégulière pendant le XVe siècle (1408, 1468-1470, 1481, 1488-1489) et les débuts du XVIe (1503-1504, 1504-1505, 1508-1511, 1513-1517 et 1521)38.
[p. 290] Dans une ville comme Porto, nous avons des actas depuis 1390, également avec des suites pendant le XVe siècle39 ; mais une production/conservation régulière de ces comptes-rendus n’a lieu qu’au dernier quart du XVe siècle, avec une suite continue pendant les premières décennies du XVIe40.
À Funchal (Madère) nous disposons de séries de volumes de comptes-rendus depuis 1470, se poursuivant au XVIe siècle41.
Dans des villes comme Lisbonne ou Coïmbre les actas ne paraissent qu’au tournant du XVe au XVIe siècle (1495 pour Lisbonne42 ; 1491 pour Coïmbre43).
Dans d’autres cas nous avons des chronologies encore plus irrégulières : Montemor-o-Novo (1443 et 1483)44 ; et Vila do Conde (1466)45.
[p. 291] Enfin, dans deux autres municipalités nous avons, pour le XVe siècle, des sources d’une autre typologie46 mais qui nous donnent une connaissance indirecte des actas de la vereação : c’est le cas de Mós de Moncorvo (1439)47 et de Braga (depuis 1445)48 ; et nous pouvons encore ajouter deux cas où des actes royaux nous permettent la connaissance du staff des officiers du municipe : Serpa (1441)49 et Ponte de Lima (1446)50.
Qu’est-ce qu’on peut dire de ces documents municipaux par excellence ?
Dans un bon nombre de cas, la recherche actuelle sur les vereações se voit placée devant des volumes qui rassemblent un nombre variable de cahiers de parchemin où l’on a écrit les actas. Tenant compte de la régularité (parfois hebdomadaire) des séances, les volumes ne se présentent pas très épais.
Mais un volume pourra être le résultat d’une reliure tardive, et la conséquence pourra être un contenu chronologiquement hétérogène, y compris des confusions de calendrier51. L’exemple le plus remarquable [p. 292] est celui du volume de Porto qui comprend (bien qu’avec des discontinuités, parfois longues) presque toute la première moitié du XVe siècle52 : on peut y trouver des comptes-rendus des années 1401-1403, 1412-1414, 1442-1443 et 1448-1449. Il n’est pas osé de croire qu’un relieur du XVIIIe (voire du XIXe) siècle ait fait confusion d’ères quand il a rassemblé des actas des années 40 à d’autres des premières décennies du siècle53.
Est-ce que le texte des actas présente d’habitude une teneur régulière ? Cela dépend : de la communauté, de la chronologie, etc.
Le cas de Porto, qui nous présente une vue relativement continue sur une longue durée, peut nous permettre également quelques premières remarques : le texte des comptes-rendus est normalement long, et il enregistre régulièrement les présences au début ; la conformité entre les présences indiquées et les signatures est relativement constante ; normalement, une séance est consacrée à un seul sujet.
Mais le discours diplomatique (ainsi que l’indication des protagonistes des séances) peut se présenter de manière bien moins soignée. Voyons le cas de Loulé : la conformité présences/signatures est loin d’être la règle ; bien que le texte soit bien moins long qu’à Porto, une séance peut être consacrée à plusieurs sujets ; c’est presque comme si les gens de la vereação étaient pressés de retourner à leurs tâches quotidiennes54.
De tout ce que nous venons de dire résulte l’acta de vereação en tant que source fondamentale pour l’approche des sociétés politiques municipales55. On peut même pratiquer la prosopographie56 : en effet, le répertoire [p. 293] des présences qui ouvre parfois le texte et la succession des signatures autographes qui le termine s’avèrent être un excellent point de départ pour envisager des vies et des carrières.
Mais la valeur de ces documents en tant que source est bien plus large. Regardons de nouveau le cas des actas de Loulé, 1384-138557. Comme on le sait, il s’agit d’une conjoncture complexe : crise dynastique, troubles sociaux, régence de Jean, maître de l’ordre militaire d’Avis, demi-frère du roi Ferdinand (1367-1383) et futur roi, guerre avec la Castille, “élection” du roi Jean Ier aux Cortes (Coïmbre, avril 1385), etc. Ces actas ne vont pas sans en donner l’image : pendant la période décembre 1384-mai 1385 le concelho envoie un de ses hommes aux deux villes principales de la comarca de Odiana (Beja et Évora) — essayant d’obtenir des renseignements sur la possibilité d’une invasion militaire castillane58 — reçoit la visite d’un officier du régent59 et fait l’élection des procureurs aux Cortes de Coïmbre60 ; en même temps, les soucis de défense de la ville ne manquent pas, notamment en ce qui concerne la réparation des remparts et d’une tour61. Mais le quotidien ne perd pas ses droits : les “prud’hommes” de Loulé s’occupent, par exemple, du commerce du pain62 ou des figues63, des droits sur le vin64 ou de l’approvisionnement en eau65.
[p. 294] Enfin, les actas sont parfois des textes très riches en ce qui concerne des renseignements sur d’autres documents produits sous l’ordre du concelho66. Les actas de Porto (1392-1448)67, Loulé (1408)68 et Vila do Conde (1466)69 et la source qui concerne Mós de Moncorvo (1436)70 sont particulièrement intéressantes :
À Porto nous avons des références à des citations du concelho71, à des enquêtes (inquirições, voire inquirições devassas) qu’on fait sous l’ordre de la vereação72, à des ordonnances (posturas, “établissements”) municipales73, à l’enregistrement dans un volume (livro da vereação) des noms des femmes qui faisaient le commerce de pains et de viandes74, à des lettres du municipe adressées au roi75 et à des procurations76 ; les [p. 295] comptes-rendus font également mention de l’enregistrement des posturas et des revenus de la ville dans un volume de parchemin77.
À Loulé nous avons des références à des posturas du municipe sur le commerce du poisson78, sur la cueillette du sparte79, sur le pâturage des porcs80 et sur le métier de tailleur81 ; on réfère encore à la production municipale de alvarás82, concrètement pour l’autorisation d’arsin dans la nature ou pour l’utilisation du bois d’olivier ; les alvarás devaient être signés par le juge et, au moins, par un des vereadores de la municipalité83 ; nous savons aussi que des officiers comme les almotacés84 devaient posséder des “cahiers” où ils enregistraient, probablement, les amendes décidées pendant leur mois d’exercice85. Au début du XVe [p. 296] siècle, on pratiquait à Loulé l’ordonnance des pelouros, de Jean Ier (1391)86, sur la procédure d’élection des gens de la vereação : dans une des séances de l’année 1408 on prévoit les processus d’élaboration des listes des homens-bons ; on réfère simultanément au modus faciendi du scribe du concelho87 en ce qui concernait l’élaboration et la conservation des actes écrits88. Enfin, pendant l’année 1385 le municipe avait envoyé un vizinho, João Domingues, à Beja et à Évora, pour obtenir des renseignements sur la possibilité d’invasion militaire du royaume par Jean Ier de Castille ; il portait, l’accréditant, une lettre du concelho89.
À son tour, les actas de Vila do Conde ne présentent pas la même quantité de références. Quand-même, nous avons connaissance de deux sentences des juges municipaux dans des procès contre un boucher90 et contre un boutiquier91.
Voyons enfin le cas de Mós de Moncorvo : voici une source de caractère financier (un registre de comptes) qui manifeste un extrême souci de faire comprendre, en détail, tout ce qui concernait l’administration du patrimoine du municipe. Pour l’année 1439 nous avons donc une trace dans la ville d’écrits d’intimation92 et de quittance93, ainsi que de “doléances” [p. 297] (capítulos) présentées à l’archevêque de Braga sur l’absentéisme du curé94 ; l’existence même d’une telle source n’est pas sans signification.
Les concelhos sont donc d’assidus producteurs de documents. Mais il ne faut pas oublier qu’ils reçoivent aussi des documents en abondance : des actes du roi ou des princes (originaux ou copies), des lettres des officiers de la bureaucratie royale (desembargo), des actes d’ecclésiastiques (évêques, abbés, abbesses), etc. Et il faut ajouter que les Archives Municipales gardent souvent des sources concernant des officiers royaux en action auprès de la communauté. À Loulé, par exemple, on peut trouver quatre documents sur le paiement d’un pedido royal95. Il y a aussi à Loulé un registre du juge des orphelins, concernant les années 1406, 1410 et 141196 ; ce juge était susceptible et de nomination royale et d’élection municipale ; donc il n’est pas facile de qualifier ce registre en ce qui concerne son origine documentaire ; et la situation se répète pour d’autres documents produits par des officiers de justice.
Nous avons encore une référence à faire à trois autres types de documents produits par les concelhos : les documents sur le patrimoine, les finances et la comptabilité (a), les actes qu’intègre la préparation de la présence de la communauté aux assemblées représentatives (Cortes) (b) et les actes législatifs municipaux (c). Nous en avons déjà parlé ponctuellement, verbi gratia, a propos des actes municipaux dont notre connaissance n’est qu’indirecte (Porto, Loulé97) ou à propos d’actes qui ne sont pas de véritables comptes-rendus des séances de la vereação mais qui nous fournissent des renseignements sur les séances ou sur les officiers (Mós de Moncorvo98).
En dehors de Mós de Moncorvo, nous devrons référer ici encore aux cas de Loulé, Elvas, Lisbonne et Porto. Aux Archives Municipales de Loulé on peut trouver une section “Registres de Comptes” (Livros de Contas), qui comprend, pour la période 1375-1517, six registres de recettes et [p. 298] dépenses99. Les Archives de Elvas gardent également un registre de recettes et dépenses, pour la période 1432-1435100.
Aux Archives Municipales de Lisbonne, des sections comme, par exemple, “Chancellerie de la Cité” (Chancelaria da Cidade), “Approvisionnement du Pain” (Provimento do Pão), “Chambre des Vingt-Quatre” (Casa dos Vinte e Quatro), “Chambre de Saint-Antoine” (Casa de Santo António), “Administration”, “Travaux Publics” et “Divers” contiennent un total de vingt-huit registres (ou des volumes reliant des parchemins originaux) sur des matières telles que les droits municipaux, l’approvisionnement du pain et de l’eau, les poids et les mesures, l’administration des hôpitaux, ou les ventes et les achats101. Il s’agit d’un très riche fonds de documents, qui, pour la plupart, attendent encore les chercheurs et les éditeurs102.
Enfin, aux Archives Municipales de Porto on peut trouver, pour la fin du XVe-début du XVIe siècle, trois volumes titrés “Coffre du Patrimoine du Municipe” (Cofre dos Bens do Concelho) ; il s’agit d’une source dont on ne saurait pas exagérer la portée, bien que la recherche n’y ait pas été très assidue jusqu’à présent103. Il faut ajouter que dans ces archives (et également dans celles de Coïmbre, Elvas, Guimarães et Ponte de Lima, par exemple), nous pouvons trouver les traces d’une production abondante de parchemins dont le contenu concerne à peu près toute la vie économique et financière municipale (y compris le patrimoine et son [p. 299] transfert). Il est arrivé fréquemment de rassembler en volume ces actes, parfois mêlés à des actes royaux dont le destinataire était la communauté.
Les convocations de l’assemblée représentative du royaume (Cortes) n’étaient pas sans conséquences en ce qui concernait la production de documents dans les municipalités. On doit référer à : l’élaboration des lettres d’accréditation des procureurs et la préparation des “doléances spéciales” (capítulos especiais), spécifiques de la communauté. Ce sont des types de documents dont nous n’avons que de notices indirectes104, à peu près sans la connaissance actuelle d’exemples concrets105.
Bien que la structure politique “Reino de Portugal e do Algarve” soit une monarchie, il est évident que le roi n’a pas évidemment le monopole de la législation106. Un bon nombre de concelhos a produit des ordonnances [p. 300] (posturas, “établissements”) locales. Nous avons vu des exemples pour Lisbonne107, Porto108 et Loulé109. Malheureusement, les cas sont très rares où l’on peut connaître actuellement le texte des posturas municipales : verbi gratia Loulé, quand ces lois locales sont décidées en séance de l’exécutif et leur texte est intégré dans l’acta. En dehors de ces cas, il nous reste le municipe de Lisbonne, où nous connaissons aujourd’hui plusieurs ensembles de législation urbaine. Le plus ancien concerne le XIVe siècle, et il est conservé aux Archives Royales et Générales de Navarre110. Les autres ensembles sont des volumes conservés aux Archives Municipales111 ; la plupart de ces posturas de Lisbonne concernent le XVe siècle. Il s’agit évidemment de documents précieux. Mais l’attention des chercheurs n’a pas été très assidue jusqu’à présent, malgré l’édition, aux années 70, de deux ensembles de ces lois. Mieux disant : l’attention de la recherche a consisté surtout dans l’utilisation des posturas comme source en histoire urbaine, et non comme objet en soi, y compris l’étude diplomatique. Il nous reste à ajouter que la frontière entre la loi royale et la loi urbaine n’est pas toujours nette : une ordonnance du roi peut trouver son origine dans une postura municipale, qu’on adapte112. On peut donc comprendre que les plus anciens exemplaires de recueils de [p. 301] législation (fin du XIVe-début du XVe siècle)113 — voire, au milieu du XVe siècle, les “Ordonnances d’Alphonse V” (Ordenações Afonsinas)114 — fassent inclusion de posturas urbaines parmi les ordonnances royales ; mais la dimension de ce fait est encore à éclairer.
Pour terminer, on doit rappeler que les municipalités possédaient bien le sens de l’importance de leur patrimoine documentaire et qu’elles soignaient leur mémoire écrite. L’élaboration de registres de réception des documents les plus précieux était fréquente115, notamment quand il s’agissait d’actes royaux, octroiant des privilèges et exemptions : c’était la mesure la plus efficace contre la destruction de parchemins originaux. On pouvait parfois soupçonner que les scribes étaient vieux et leur écriture excessivement cursive : et alors on pouvait faire des copies et des copies des registres : nous avons un exemple à Elvas, au XVe siècle116.
On utilisait des arches (arcas) pour conserver la mémoire écrite des concelhos, une arche ou plusieurs, selon la dimension de la communauté ; on pourrait trouver dans ces arches et les documents reçus, et des registres ou des résumés des documents expédiés. À la fin du XVe siècle, le roi Jean II a exigé aux homens-bons de Porto l’utilisation de quelques arches spécifiques, selon le type de documents : une arche pour les inventaires d’orphelins et une autre pour les enquêtes sur des meurtres et des malfaisants.
Quelques conjectures nous permettent d’estimer la valeur réelle et symbolique de ces arches et de ce qu’elles contenaient : aux Cortes de 1439 (Lisbonne), les concelhos de Penamacor, Monsanto et Alter do Chão se plaignaient du pillage de leurs arches et de l’incendie de leurs documents au temps des guerres avec la Castille117. C’était — les municipalités le savaient bien — le risque de la perte de leurs privilèges, en absence de preuve. C’était encore le risque de perte de l’identité, si le sceau municipal disparaissait. Les actes de violence sur l’écrit se présentaient donc comme l’atteinte la plus grave à la mémoire et à l’autorité de ces communautés.
[p. 302] Résumé
Ce travail présente une synthèse de la diplomatique municipale portugaise envisagée sur une longue durée (XIIIe-XVe s.). Après une introduction relative aux origines des municipalités au Portugal (XIe-XIIIe s.), nous abordons la problématique de la production, terrain encore presque inconnu, des documents municipaux des XIe et XIIe siècles. En suivant la piste des sceaux municipaux apposés aux documents, nous découvrons une typologie documentaire de chartes où la municipalité intervient directement ou ne se manifeste qu’indirectement à la faveur de la confirmation des actes. Aux XIVe et XVe siècles, les transformations démographiques, économiques et sociales se répercutent sur l’organisation municipale, avec la nomination dans ces communautés de nouveaux officiers royaux et une administration interne plus bureaucratique. Ce système exigea l’institutionnalisation de l’écrit et une production documentaire beaucoup plus abondante et variée. Nous avons examiné une série de documents administratifs, fiscaux, économiques : comptes-rendus des séances de l’exécutif municipal, registres de recettes et dépenses, ordonnances municipales, louages, sans oublier que de nombreux autres ont été produits dont il ne nous reste que des références indirectes. Nous avons tenu compte également du fait que la municipalité était la destinataire d’une vaste documentation royale et particulière, et qu’en outre y circulait une documentation issue des officiers royaux opérant dans ces communautés.
[p. 303] Annexes
A. Chronologie des rois et régents du Portugal
Alphonse Ier [D. Afonso Henriques] (1128-1185)
Sanche Ier [D. Sancho I] (1185-1211)
Alphonse II [D. Afonso II] (1211-1223)
Sanche II [D. Sancho II] (1223-1248) (déposé 1245)
Alphonse III [D. Afonso III] (1248-1279) (régent 1245-1248)
Denis [D. Dinis] (1279-1325)
Alphonse IV [D. Afonso IV] (1325-1357)
Pierre Ier [D. Pedro I] (1357-1367)
Ferdinand [D. Fernando] (1367-1383)
Jean [D. João], Maître de Avis, régent (1383-1385), puis roi
Jean Ier [D. João I] (1385-1433)
Édouard [D. Duarte] (1433-1438) (associé au gouvernement depuis ca. 1411)
Alphonse V [D. Afonso V] (1438-1481)
Aliénor [D. Leonor] d’Aragon et Pierre [D. Pedro], duc de Coïmbre, régents (1438-1439)
Pierre [D. Pedro], régent (1439-1448)
Jean II [D. João II] (1481-1495)
Emmanuel Ier [D. Manuel I] (1495-1521)