[p. 381] La Chancellerie des Ducs de Bourgogne de la fin du XIIème au début du XVème siècle
Le titre de duc de Bourgogne, qui a pris une signification européenne avec la dynastie issue de Philippe le Hardi, a été porté pendant plus de trois siècles par une branche de la maison capétienne qui gouvernait, jusqu’en 1330, le seul duché de Bourgogne. Puis, à partir de cette date, des héritages valent aux Capétiens de Bourgogne d’unir à leur duché les comtés d’Artois et de Franche-Comté, puis de Boulogne et d’Auvergne, commençant ainsi ce groupement de principautés qui allait être repris par les Valois. Mais la presque totalité du principat de Philippe de Rouvres (1349–1361) s’est écoulée tandis que le roi Jean le Bon gouvernait les domaines de ce dernier, son beau-fils, encore mineur. Et, de 1361 à 1364, la Bourgogne a été réunie au domaine de la couronne. Philippe le Hardi, en 1364, n’a reçu que le duché, et il n’a recueilli qu’en 1384 les comtés qui avaient appartenu à Louis de Male. Encore en a-t-il détaché successivement ceux de Nevers (1385) et de Rethel (1402) à l’intention de ses deux fils aînés. Jean sans Peur n’a hérité en 1404 que du seul duché: ce n’est qu’en 1405 que le partage intervenu entre lui et ses frères a constitué l’état bourguignon, tel que Philippe le Bon allait le recevoir avant de l’accroître de nombreux autres territoires, pour la plupart situés dans l’Empire.
Au contraire, jusqu’à ce moment, cet état bourguignon est essentiellement constitué de fiefs tenus du roi de France. La Franche-Comté elle-même, bien que terre d’Empire, avait appartenu depuis 1295 à Philippe le Bel, puis à son fils Philippe V, gravitant ainsi dans l’orbite de la royauté française. Cet arrière-plan ne doit pas être oublié.
Le point de départ de notre étude se situe au moment où, sous le gouvernement du duc Hugues III (1162–1192), on commence à entrevoir une certaine organisation d’un bureau d’écritures qui dégage peu à peu des règles pour l’élaboration des actes ducaux. Elle nous mène jusqu’à l’avènement de Jean sans Peur (1404–1419) avec lequel la chancellerie des ducs Valois a pris des contours définitifs – mais aussi où une pléiade d’historiens et de diplomatistes ont déjà consacré à cette chancellerie des travaux auxquels nous ne saurions que renvoyer1.
[p. 382] Antérieurement à l’avènement d’Hugues III, le duché capétien de Bourgogne ne paraît pas avoir connu de bureau d’écritures organisé. Sans doute se plaçait-il dans la ligne du duché constitué à partir de 880 par Richard le Justicier; mais, de cette principauté territoriale d’âge carolingien, il n’avait pas recueilli de traditions administratives – notamment de celles qui, ailleurs, ont maintenu l’existence d’un chancelier. Un acte de Robert Ier, en date du 2 février 1053, porte la souscription d’un Walo cancellarius; cette souscription est isolée, alors que des documents du même temps attestent l’existence de chanceliers, ceux des évêques, au nom desquels instrumentent des notaires2. Quant aux actes ducaux, nombre d’entre eux paraissent avoir été écrits par les destinataires3. Les actes émanant des ducs, successeurs de Robert Ier, qui ont gouverné la Bourgogne à la fin du XIème siècle et durant le XIIème, restent fidèles au type diplomatique de la charte. Le sceau ducal, dont nous connaissons des représentations dès le temps de Robert Ier4, y est d’ordinaire appendu; mais tous comportent une liste de témoins, et ne se différencient guère des actes émanant des barons du duché. Les premiers actes où ne figure plus cette liste ne sont pas antérieurs à 1190, et l’absence de la liste de témoins reste exceptionnelle jusqu’en 1201. Il est vrai que la plupart de ces actes se présentent comme la notification ou la confirmation sous le sceau ducal de donations effectuées par des tiers, où les témoins garantissent la sincérité de la concession du véritable auteur de l’acte, tandis que l’apposition du sceau ducal suffirait à attester la part que prend le duc à la confection de l’acte écrit5. Mais ce n’est [p. 383] guère avant le début du XIIIème siècle que le duc de Bourgogne a cru pouvoir se passer de l’intervention de témoins dans les actes émanant de sa chancellerie.
Le mot de « chancellerie » lui-même prend un sens au temps du duc Hugues III. Du groupe mal défini des clercs qui entourent le duc se détache un chanoine de la collégiale de Beaune, maître Hugues, qui est appelé clericus ducis, capellanus meus ou notarius meus, et qui est actif entre 1179 et 11946. Il a pour successeur un maître Nicolas, également qualifié de clericus ducis dans un acte de 1194, et qui appose sa recognitio à une charte de 11977. On ne saurait affirmer que ce dernier s’identifie au doyen homonyme de la collégiale nouvellement fondée par Hugues III à Dijon et qui fournissait au duc certains des clercs à son service; la question peut néanmoins être posée. A côté de ces deux « maîtres » on rencontre un scriba ducis, ou notarius ducis: Guillaume, en 1174–1176; Jean Aubépin de Dijon, en 1185–1190. Ceci fait penser à une imitation de la chancellerie des Thibaudiens de Champagne, « comtes palatins de Troyes », dont les actes s’achèvent par la formule Data per manum N. cancellarii. Nota N. Mais un seul des actes ducaux porte: Data per manum magistri Nicolai8.
Le successeur d’Hugues III, Eudes III (1192–1218), a regardé du côté de la chancellerie du roi de France: de même que les chartes de franchises concédées à Nuits-Aval et à Chaumont-de-Châtillon, en 1212–1213, comportent une liste des grands officiers du duché évidemment inspirée de celle qui figure dans les diplômes royaux, on y voit figurer la recognitio d’un chancelier en titre9. Ce titre est porté par un clerc de grande famille, probablement oncle de la duchesse Alix de Vergy, maître Hugues de Vergy, doyen de la cathédrale d’Autun et du chapitre Saint-Denis de Vergy, précédemment qualifié de chapelain ducal (1197), chancelier dès 1203. Sans doute l’octroi de ce titre correspond-il au moment où Eudes III lui confia le sceau ducal, qui avait été sous Hugues III commis à la garde des deux chambellans du duc10.
[p. 384] Mais, en septembre 1214, Eudes III passait un accord avec la Chapelle-le-Duc de Dijon, où il instituait quatre dignités dont l’une était celle de chancelier. Et il attribuait à celle-ci la moitié du revenu du sceau (medietatem reddituum sigilli mei) tout en partageant entre les quatre dignitaires la rente de 400 sous que percevait jusque-là Hugues de Vergy, qui venait sans doute de mourir11. L’office de chancelier ducal disparaissait, après moins de quinze ans d’existence.
A nouveau, la garde du sceau ducal était confiée au chambellan. C’est ce que confirme la charte par laquelle, en 1361, le roi Jean le Bon reconnaissait leurs privilèges aux sujets du duché de Bourgogne: il précise que le droit d’un marc d’argent, payé pour les chartes et autres grâces perpétuelles scellées sur lacs de soie, sera partagé par moitié entre la Chapelle-le-Duc et le chambellan12. Et, quand il est question du sceau apposé « en tesmoignage de vérité », il est couramment appelé le « sceau de la chambre Mgr le duc de Bourgoigne »13. Toutefois, comme l’a montré Mme Rey-Courtel, ce n’était sans doute plus le chambellan qui, sous Eudes IV (1315–1349) conservait le grand sceau par devers lui: en 1357, lorsque Philippe de Rouvres confie la garde de son sceau à Anseau de Salins, chevalier, sire de Montferrand, docteur en droit, qu’il retient en même temps comme son conseiller, il lui accorde une pension annuelle de 200 livres avec les droits dont « ses devanciers oudit office ont acoustumé d’user entour noz prédécesseurs dux de Bourgoigne ». Et, dès 1304, c’est un des clercs du duc Robert II, maître Pierre de Semur, qui met le sceau de la chambre au bas d’un acte. Sans doute en avait-il la garde14.
[p. 385] En l’absence d’un chancelier, existait-il un bureau d’écritures bien défini que l’on puisse appeler une chancellerie? Il n’est pas exclu que, pendant un temps, la Chapelle-le-Duc ait exercé un certain contrôle sur la rédaction des actes ducaux. Du moins savons-nous que, jusqu’à l’institution d’un sceau spécialisé pour la juridiction gracieuse, le doyen de la Chapelle avait apposé aux actes privés un sceau qui, associé à celui du doyen de chrétienté (l’archiprêtre) de Dijon, paraît emporter la notion d’une intervention de l’autorité ducale15.
C’est l’institution du sceau de juridiction gracieuse, lequel est en même temps celui qui authentifie les sentences rendues lors des sessions des « grands jours » du duché (1271), qui préparait la réapparition du titre de chancelier. En janvier 1275 apparaît un « garde du sceau de la cour du duc », maître Jean Guiffrey de Lyon, lequel rendait compte de l’« émolument » du sceau en question. Son successeur, Jean de Semur, institué en 1279, échangea par la suite le titre de garde du sceau contre celui de chancelier, et on donna couramment le nom de chancellerie à l’administration qui avait charge de la juridiction gracieuse. Mais ces chanceliers ne conservent pas le grand sceau, et cette chancellerie – qu’on appela dans la suite « chancellerie aux contraux » – n’expédiait pas les actes du duc, exception faite des sentences rendues en sa cour16.
Toutefois Mme Rey-Courtel a donné des raisons de penser que le personnel de cette chancellerie, c’est-à-dire les clercs du chancelier, aussi bien que ceux qui relevaient de la chapelle ducale, et certains des notaires qui instrumentaient au service de la juridiction gracieuse, sont intervenus dans la rédaction des actes du duc. Rares, malheureusement, sont les mentions qui nous permettent de découvrir la personnalité de ces « écrivains »; et, jusqu’à présent, il faut avouer que l’organisation du bureau d’écritures du duc Eudes IV garde son mystère, peut-être parce qu’elle restait très empirique17.
Dès 1234, un sceau secret apparaît. A cette date, il s’agit d’un assemblage d’intailles antiques, qui servait de contre-sceau; mais la légende SECRETVM DUCIS atteste dès lors l’usage d’un « sceau du secret »18. Sous le principat d’Eudes IV, nous découvrons l’existence d’un clerc qui portrait ce sceau, et [p. 386] dont les malversations, vraies ou supposées, provoquèrent la disgrâce, en 134219. Les possibilités qu’offrait à son porteur la détention du sceau du secret, qui avaient alors entraîné la chute de maître Hélie Bourgeoise, devaient à nouveau susciter la méfiance des conseillers ducaux au temps de Philippe le Hardi20. Mais Hélie Bourgeoise fut simplement remplacé: au temps de Philippe de Rouvres, c’est un secrétaire du duc, maître Pierre Cuiret, que nous voyons investi de la même garde du sceau du secret21.
A cette pluralité des détenteurs des sceaux, il faudrait ajouter l’existence d’un personnage qui gardait le sceau de la duchesse22. Mais la mort d’Eudes IV, la disparition prématurée de son fils Philippe et l’accession au duché d’un jeune enfant pour lequel son proche parent, le duc de Normandie et futur roi de France, Jean le Bon, devait exercer le gouvernement au nom de sa mère, qu’il avait épousée, allaient donner une autre orientation à la chancellerie ducale.
Toutefois, si Jean le Bon intervint d’emblée dans le domaine des finances, en transférant à Dijon l’atelier monétaire ducal, en instituant un receveur général [p. 387] et un clerc des comptes, il n’éprouva pas le besoin d’intervenir dans le domaine de la chancellerie. Tout simplement, émettant pour le duché dont il avait le « bail » des actes intitulés en son nom, il les faisait établir par la chancellerie royale et sceller de son propre sceau. Il en était de même pour sa femme, la reine Jeanne de Boulogne, quand celle-ci exerçait le « bail » en son propre nom; c’est le sceau de la reine de France qui authentifiait les actes concernant le duché. Du gouverneur que celle-ci nomma en Bourgogne, Olivier de Laye, seigneur de Solorjon, nous possédons des mandements, scellés de son sceau personnel: rien ne permet de supposer qu’il ait disposé d’un sceau qui aurait été un symbole de l’autorité souveraine dans le duché …23. En 1356, la reine recouvre le bail du duché, son mari étant captif; elle continue à s’intituler « Jehanne, par la grace de Dieu royne de France, haient en l’absence de Mgr le bail du duchié de Bourgoigne ». Et son grand sceau reste celui d’une reine de France. Tandis que, dès 1357–1358, son fils Philippe commence à user du grand sceau d’un duc de Bourgogne24. On ne voit pas que pendant ce véritable hiatus il y ait eu lieu de modifier les habitudes en ce qui concerne le scellement des actes. Tout au plus faut-il noter l’apparition d’un « secrétaire » attaché à la personne de la reine, puis du jeune duc, ce Pierre Cuiret que nous avons déjà rencontré. Le titre de secrétaire, jusqu’alors inusité en Bourgogne, vient évidemment de la chancellerie royale, comme Pierre Cuiret lui-même.
Un changement s’annonce avec la prise de possession de la Bourgogne par Jean le Bon. Par ses lettres de 1361, celui-ci maintient les prérogatives de la Chapelle-le-Duc et celles du chambellan en ce qui concerne l’émolument du sceau apposé aux lettres de grâce perpétuelle, sans préciser à qui il appartiendrait d’ordonner l’apposition de ce sceau; mais il précise que les autres documents seront pourvus de celui du gouverneur du duché25. Et, un peu plus tard, « Jehan Fouet de Paris, orfèvre et tailleur de seaulx demourant à Dijon » est rétribué « pour l’argent et façon d’un scel d’argent, tout pareil au scel de Mgr le lieutenant, lequel il li a fait pour ycelli laissier à maistre Jehan Chalemart, conseiller du roy nostre sire, pour l’expédicion des besoignes du duchié »26. [p. 388] Nous savons d’autre part que les pouvoirs du « lieutenant », Jean de Melun, comte de Tancarville, l’autorisaient à donner des lettres d’état à ceux qu’il retiendrait à son service, à remettre et pardonner les excès, crimes, délits et amendes, à rappeler les bannis, anoblir, légitimer, amortir, confirmer des privilèges et en accorder, donner des lettres de sauvegarde (27 juin 1362). Ainsi y aurait-il eu auprès du lieutenant du roi, ou de son locum tenens, une ébauche de chancellerie propre au duché, avec un sceau propre, existant de surcroît en double exemplaire …
L’intermède royal s’achève en 1364, et Philippe le Hardi prend possession du duché. Il semble n’avoir innové en rien. L’office de chancelier de Bourgogne continue à n’être que celui du responsable de la juridiction gracieuse; nous ignorons qui conservait par devers lui le grand sceau du duc; quant au sceau du secret, était-ce le chambellan qui le gardait, ou bien un secrétaire? Nous ne saurions le dire27.
En 1384, la mort de Louis de Male mettait le duc Philippe en possession de l’héritage de sa femme: comtés d’Artois, de Bourgogne, de Flandre, de Nevers, de Rethel, terres de Champagne, seigneuries de Salins et de Malines. Avec cet héritage, il recueillait les bureaux dont disposait le comte de Flandre. Or celui-ci, en dehors de la chancellerie propre du comté flamand, qui avait été unie à l’office de prévôt de Saint-Donatien de Bruges (un peu comme cela s’était passé en Bourgogne), disposait d’un chancelier attaché à sa personne, le « chancelier du comte ». Et M. Cockshaw a proposé de voir dans la création d’un nouvel office de « chancelier du duc de Bourgogne » l’adaptation aux circonstances nouvelles de ce qui existait en Flandre28. De fait, c’est le 15 mars 1385 que le duc instituait un chancelier, en la personne d’un avocat parisien qui avait été à la fois son conseiller et celui du roi, Jean Canard. Le duc ne supprimait ni la chancellerie de Flandre, qui restait au prévôt de Bruges, ni celle de Bourgogne, que détenait depuis 1376 Nicolas de Toulon, depuis peu évêque de Coutances et bientôt d’Autun. Mais la première restait confinée [p. 389] dans la tenue des renenghes, la seconde dans la juridiction gracieuse et le scellement des sentences du Parlement ducal. Et, vers la fin de 1387, Nicolas de Toulon cessait d’être le chancelier de Bourgogne29. Ce titre passait à Jean Canard; et le serment qui fut demandé à celui-ci et à ses successeurs restait celui des anciens chanceliers bourguignons, lesquels juraient de garder fidèlement les sceaux de la cour, de faire enregistrer les actes des particuliers et de leur rendre bonne justice30. En fait, le nouveau « chancelier de Bourgogne » se déchargeait de cette partie de ses attributions sur un « gouverneur de la chancellerie » qu’il avait le privilège de désigner lui-même31.
Avec l’institution de Jean Canard, le chancelier accédait à la garde du grand sceau ducal et au contrôle de tous les actes intitulés au nom du duc qui recevraient ce sceau. Il était placé à la tête d’une chancellerie constituée par un certain nombre de secrétaires parmi lesquels se distingue, à partir de 1413, un audiencier32. Et, en 1388, Philippe le Hardi prescrivait à ses Chambres des comptes d’entériner toute lettre ducale passée à la relation du chancelier, désormais interprète autorisé des décisions du Conseil ducal et véritable chef du gouvernement – même si le titre de « chef du conseil » fut institué pour un des conseillers ducaux à partir de 1400 –. C’est un clerc au temps de Philippe le Hardi; par la suite, le plus souvent, un laïc.
Le sceau du secret est confié à un autre qu’au chancelier. Il semble qu’en principe, cette charge appartenait au premier chambellan: quand fut institué, en 1431, un « audiencer du scel secret », c’est le chambellan qui recevait son serment. Mais le sceau en question peut se trouver effectivement entre les mains d’un valet de chambre ou d’un secrétaire. Et l’apposition du sceau secret ne paraît pas caractériser des actes émanant d’un service distinct de celui de la chancellerie: eu égard aux fréquentes absences du chancelier, on appose souvent aux lettres qui sortent de la chancellerie et qui devraient porter le grand sceau le « petit sceau », en mentionnant que celui-ci tient la place du premier.
[p. 390] Ainsi n’y a-t-il qu’un seul bureau d’écritures, celui que constituent les secrétaires du duc, dont le nombre est très inférieur à celui des secrétaires du roi de France. Assistés de clercs et de chauffe-cire, c’est eux qui assurent l’exécution matérielle des actes ducaux33.
La validation de ceux-ci se fait donc normalement par l’apposition du sceau. Nous connaissons le sceau des ducs de Bourgogne depuis le XIème siècle, grâce à des dessins anciens étudiés par P. Gras34. Devenu équestre au temps d’Eudes Ier (1078–1102), il figurait le duc tenant une lance à bannière, type auquel se substitue durant le principat d’Hugues II (1102–1143) l’image d’un cavalier en armure brandissant une épée. C’est le type que nous rencontrons en 1150 dans la première empreinte conservée en original35.
L’écu armorié qui couvre le chevalier n’apparaît que sous Eudes III; la légende prend la forme + SIGILLVM HVGONIS (ou ROBERTI, ou ODONIS) DUCIS BURGUNDIE.
Un contresceau apparaît sous Hugues III. Mais, en réalité, il s’agit d’un deuxième grand sceau dont l’empreinte figure au revers du premier. Hugues avait épousé Béatrice, comtesse d’Albon; et, tandis qu’à l’avers figure le chevalier [p. 391] brandissant son épée avec la légende déjà citée, le revers, de mêmes dimensions, représente la ville de Vienne, dans son enceinte, l’écu au dauphin figurant dans le bas, et la légende conçue sous la forme SIGILLVM HVGONIS COMITIS ALBONII. La dissolution de l’union personnelle des deux principautés à la mort d’Hugues III mit fin à l’emploi de ce curieux sceau36. Un véritable contresceau fait son apparition avec le SECRETUM HVGONIS, de 1234, déjà cite37. Par contre, sous Robert II, le contresceau s’individualise et se distingue du sceau secret: il représente un écu de Bourgogne dans un cadre polylobé. Ce qui est un type très proche de celui du sceau secret. Aussi Eudes IV utilise-t-il en 1331 « le contre-seaul de nostre grant en l’absence du seaul de nostre secreit »38. La légende du contresceau, en 1302, porte SCDM CONTRAS … DVC. BURG; sous Eudes IV, CONTRAS. ODONIS DVCIS BVRGVNDIE39.
En 1330, les comtés d’Artois et de Bourgogne sont réunis au duché par la mort de Mahaut d’Artois qui les laisse à sa petite-fille Jeanne de France. Eudes IV ne modifie ni son sceau, ni son contresceau. Par contre Philippe de Rouvres, tout en maintenant dans le champ de l’écu les seules armes de Bourgogne, se donne dans la légende ses titres au complet: PHVS. DVX BVRGVNDIE. COMES ATTRABATENSIS ET BVRGVNDIE PALATINVS. BOLONIE ET ARVERNIE. AC DNS. DE SALINIS40.
Philippe le Hardi, à partir du moment où l’héritage de sa femme est venu grossir ses possessions, s’efforce de manifester dans le dessin du sceau la notion d’une union personnelle. Le chevalier, dans le champ, porte un écu aux armes de Valois-Bourgogne, qui ont remplacé celles de Bourgogne41; quatre autres écus sont implantés à côté de lui; ce sont ceux de l’Artois, de la Frandre, de la Comté et de Rethel. Et le contresceau associe cinq écus dans un quatrelobe42. En 1402, le duc donne à son fils Antoine le comté de Rethel; il faut briser le grand sceau et le contresceau, et refaire des exemplaires où ne figurent plus les armes de Rethel, tandis que le nom du comté disparaît de la légende [p. 392] qui, en 1384, était devenue: SIGILLVM PHILIPPI FILII FRANCORVM REGIS ET PARIS FRANCIE, DVCIS BVRGVNDIE, COMITIS FLANDRIE, ARTESII ET BVRGVNDIE PALATINI, DNI. DE SALINIS, COMITIS REGISTESTENSIS ET DOMINI DE MALINIS43.
Les duchesses ont aussi leurs sceaux. Et celui d’Alix de Vergy retient l’attention. La duchesse Alix, qui gouverna le duché pour son fils mineur de 1218 à 1229, et qui continua à jouir d’une autorité qu’atteste le nombre d’arbitrages et de confirmations où elle intervient, appose parfois son sceau à côté de celui de son fils (en 1227, celui-ci recourt au sceau de sa mère faute d’en avoir un qui lui soit propre). Elle est représentée à cheval, assise en amazone, représentation qui ne devait être reprise qu’après la mort de Charles le Téméraire, par sa fille Marie, et qui doit symboliser l’autorité dont l’une et l’autre furent investies. Les autres duchesses sont figurées debout dans un sceau en navette; Agnès et Jeanne de France rappellent leur filiation royale dans la légende44.
Le sceau du secret a adopté dès la fin du XIIIème siècle le type armorial. Les ducs portent un écu de Bourgogne dans un cadre polylobé; les duchesses, Béatrix de Champagne ou Agnès de France, utilisent une légende (SIGILLVM BEATRICIS [ou AGNETIS] DVCISSE BVRGVNDIE) alors que le petit sceau du duc est sans légende45. Philippe le Hardi, quand il était lieutenant du roi « ou duchié de Bourgoigne » en 1364, portait dans son sceau secret son écu de duc de Touraine; devenu duc, il lui substitue celui de Valois-Bourgogne. Après 1384, il adopte un nouveau type qu’on voit par exemple en 1396: un écu de Valois-Bourgogne au centre, d’autres écus l’entourant; l’écu central sommé d’un cimier fleurdelysé et accosté des lettres P et M46.
[p. 393] A l’inverse du grand sceau, du contresceau et du sceau du secret, le sceau de la cour a gardé un type immuable, mis à part la substitution des mots SIGILLVM CVRIE DVCATVS BVRGVNDIE à CVRIE DVCIS au temps de la réunion du duché par Jean le Bon; à ce moment-là aussi apparaissent une tenture et un dais, la première semée de fleurs de lys. L’image représente un personnage assis sur un banc, appuyant une main sur l’écu de Bourgogne et posant l’autre sur un livre ouvert sur un pupitre. Les armes de Valois-Bourgogne remplacent celles des ducs capétiens en 1364. On peut seulement noter des modifications dans l’exécution: ainsi, en 1387, refait-on les trois sceaux en usage à la chancellerie aux contrats « pour ce que ils estoient tuit effeciez »; « et estoient reffaiz autres scelx touz nuefz à la samblance des dessus diz … et il y a en différence ou champ entre les deux piez de l’ymaige de Mgr dues petites flours de lis ferues au tast, ou contrescel une petit flour semblable dessoubz l’escu, et au petit scel une fleur de lis dessus l’escu »47. Toutefois il faut noter que ces sceaux existent en plusieurs exemplaires (le graveur Courselin reçut en 1396 56 francs 5 sous « pour sa payne de avoir gravé XV sceaux de cuyvre, et pour les signes de la chancellerie du duchié de Bourgoingne »), des gardes du scel existant dans chaque lieutenance de la chancellerie. Le sceau aux causes lui-même n’est pas unique48.
Il convient d’ajouter l’existence du signet, que le duc portait sans doute en bague, et dont de nombreux types sont connus, sur lesquels nous nous bornerons à renvoyer à l’étude que Mme Rey-Courtel a consacrée à La chancellerie d’Eudes IV, duc de Bourgogne.
Les plus anciennes empreintes conservées des sceaux ducaux sont sur cire blanche, ou sur cire vierge: tel celui d’Eudes II, en 1150. Mais déjà la charte de commune de Dijon, accordée à cette ville en 1187, est scellée en cire verte sur lacs de soie rouge et verte, tout comme le contrat de mariage passé entre Robert II et la jeune Agnès de France. C’est en cire verte, sur lacs de soie rouge, verte et jaune, qu’est scellée la donation de l’office de gruyer de Bourgogne à Renaud de Gerland, en 1347; un acte de Robert II, de 1283, porte encore des lacs de soie verte; le testament de Philippe de Rouvres était scellé de cire verte, tandis que la lettre d’Hugues IV à Agnès de France contenant engagement [p. 394] de mariage (1272), également scellée de cire verte, emploie une cordelette de soie rouge49. La couleur de la soie semble donc n’avoir qu’une importance relative; mais celle de la cire également: l’hommage que rend Robert II au roi de France pour la châtellenie de la Perrière est scellé sur lacs de soie verte d’un sceau de cire brune50. De fait, le duc reconnaissait au doyen de la Chapelle-le-Duc et au chambellan l’émolument des lettres scellées sur lacs de soie, sans mentionner la couleur de ceux-ci, ni celle de la cire.
Et la plupart des chartes ducales sont pourvues d’un sceau de cire blanche ou brune, appendu le plus souvent à une double queue de parchemin51. Ainsi se présentait celle que les religieux de Cîteaux exhibèrent devant le duc Robert II en 1288, et qui émanait d’Eudes III; le sceau attira l’attention du singe familier du duc, qui s’empressa de l’arracher, et il fallut établir un vidimus qui relatait cet accident52.
Le sceau du secret est ordinairement apposé sur cire rouge, même dans tel acte solennel où le petit sceau du duc Eudes IV est appendu à une cordelette de soie rouge, aussi bien que quand il est plaqué53. Sous Philippe le Hardi, il devient régulier de sceller en cire rouge les actes pourvus du grand sceau, lorsqu’il ne s’agit pas d’actes solennels pour lesquels on utilise la cire verte. La cire jaune, brune ou blanche est sortie de l’usage.
L’évolution de la titulature ducale correspond à celle des sceaux. Ici aussi, il s’agit de tenir compte du caractère composite d’un état princier issu de l’union [p. 395] personnelle de plusieurs grandes seigneuries. Jusqu’en 1330, la forme dux Burgundie (ou dux Burgondie) est seule en usage, en version latine ou française, exception faite pour la période pendant laquelle Hugues III, ayant réuni le Dauphiné à son duché, se titre dux Burgundie et Albonii comes (1183–1192) – et même une fois avec Dei gratia –. Toutefois, en 1327, traitant des conditions dans lesquelles se transfère à Auxonne l’atelier monétaire qui frappait jusque-là les deniers digenois, Eudes IV commence l’acte par « Nous Eudes, dux de Bourgoigne et cuens d’Auxonne », faisant revivre le titre des anciens comtes de Bourgogne, seigneurs d’Auxonne, à qui Hugues IV avait acheté cette place en 1237. Il s’agissait de préciser ses droits sur ce comté où il échappait à la nécessité d’observer les ordonnances royales54.
En 1330, Eudes IV adopte la titulature « duc de Bourgogne, comte d’Artois et de Bourgogne palatin, sire de Salins » – alors que, nous le savons, il garde celui de « duc de Bourgogne », seul, sur son sceau –. Philippe de Rouvres, héritier par sa mère des comtés de Boulogne et d’Auvergne, se titre « duc de Bourgogne, comte d’Artois et de Bourgogne palatin, de Boulogne et d’Auvergne, sire de Salins »55. L’état bourguignon se dissocie en 1361. Philippe le Hardi, précédemment appelé « Philippe, fils de roy de France, son lieutenant au duchié de Bourgoigne, duc de Touraine », se désigne à partir de 1364 comme « filz de roy de France, duc de Bourgoingne et lieutenant de Monseigneur le roy en la province de Lyon »56; cette dernière appellation disparaît en 1367, quand la lieutenance lui est retirée. Mais il modifie sa titulature en 1384, pour s’appeler « filz de roy de France, duc de Bourgogne, comte de Flandre, d’Artois et de Bourgogne palatin, sire de Salins, comte de Rethel et seigneur de Malines ». L’attribution de Rethel à son fils Antoine fait disparaître le nom de ce comté de la titulature ducale en 1402. Mais, à la mort du duc, son successeur, Jean, ne se dit plus que « duc de Bourgogne, comte de Nevers et sire de Donzy » (ces derniers titres étant ceux qu’il portait depuis 1385), en attendant [p. 396] que la mort de sa mère, en 1405, lui permette de reprendre la titulature des dernières années de son père – au « filz le roy de France » près57.
Pour les duchesses, il convient de noter qu’Alix de Vergy, veuve d’Eudes III et régente, est toujours qualifiée de ducissa Burgundie; après 1229, son fils étant majeur, on l’appelle d’ordinaire Alaidis ducissa mater ducis Burgundie. Yolande de Bourbon et Béatrix de Champagne sont appelées ducissa Burgundie; Agnès et Jeanne de France rappellent leur filiation royale en se disant « fille le roy de France, duchesse de Bourgoingne »; mais la première, par exemple dans un acte de 1318, se dit « Nous, Aignès, fille du saint roy Loys, duchesse de Bourgoingne »58. La seconde après la mort de sa mère, ajoute à sa titulature « comtesse d’Artois et de Bourgogne palatine, dame de Salins »59.
Quant à Marguerite de Flandre, ses titres s’énoncent ainsi: « duchesse de Bourgogne, comtesse de Flandre, d’Artois et de Bourgogne palatine, dame de Salins, comtesse de Rethel et dame de Malines » – de même que Jeanne de Boulogne, avant de se remarier avec Jean le Bon, énumérait les mêmes titres que ceux que reprit Philippe de Rouvres, son fils.
Lorsque l’auteur de l’acte exerce le gouvernement pour le duc absent, ou mineur, la chose est précisée à la suite de sa titulature, au moins au XIVème siècle. Car le futur Eudes III, remplaçant son père alors en Terre Sainte, se dit seulement filius ducis Burgundie, et Alix de Vergy, ducissa Burgundie60. La reine Jeanne, et même à l’occasion Jean le Bon61, rappellent qu’ils ont le « bail » du jeune Philippe de Rouvres. Marguerite de Flandre, remplaçant son mari dans le gouvernement du duché, ajoute à ses titres « ayant en l’absence de Monseigneur le gouvernement de ses dits duchié et conté de Bourgoigne ». On peut d’ailleurs remarquer que, dans les actes établis en cette qualité, la duchesse ne paraît guère se servir de son propre sceau, mais annonce l’emploi [p. 397] d’un sceau en l’absence, qui est souvent le petit sceau de la cour de chancellerie. Le dessin de celui-ci, en effet, représentant l’écu aux armes du duc dans un cadre polylobé, présentait une grande similitude avec celui du sceau du secret, et ceci a pu inciter à l’employer dans ce cas62.
Est-il possible de définir des catégories d’actes ducaux antérieurement au temps d’Eudes IV? Le type dominant, aux XIIème et XIIIème, siècles, est celui de la charte, c’est-à-dire de la lettre patente scellée soit sur double queue, en cire blanche ou brune, soit sur lacs de soie, en cire verte ou en cire blanche. Une tentative se révèle, sous Eudes III, pour adapter à la Bourgogne le formulaire des diplômes royaux, avec la phrase salutem in perpetuum et le signum des grands officiers précédé de astantibus in palatio. Elle a été sans lendemain63.
Certaines chartes prétendent à un effet perpétuel: Robert II scelle sur lacs de soie, en faveur de Fontenay, un acte dont le sceau sera apposé in cujus rei testimonium et munimen perpetuum64. Mais le formulaire de cet acte ne se distingue pas autrement.
La lettre commence presque toujours sans invocation65. Le nom et la titulature du duc sont précédés ordinairement de Ego, Nos, ou leur équivalent en français; ils sont suivis d’une formule de notification avec adresse générale66. L’annonce du sceau est de règle67. On relève encore les noms de témoins, [p. 398] dont nous avons déjà signalé la disparition progressive, dans un acte de la duchesse Alix, en décembre 122868. Lorsque, par la suite, on retrouvera une liste de témoins, c’est qu’il s’agit de documents exceptionnels, qu’on peut assimiler à des contrats ou à des testaments.
Il convient de faire une place à part aux chartes ducales qui notifient des donations ou des accords émanant de tiers. En ce cas, l’annonce du sceau comporte une formule telle que ad preces dictorum, ad preces et instantiam predictorum hominum, ad instantiam predicti comitis, ad petitionem dictorum, ou bien se transforme en sigillo nostro confirmo69. S’il s’agit d’un acte proprement ducal, cette annonce, qui n’est pas stéréotypée, peut être in cujus rei testimonium presentibus litteris sigilli nostri appositione munivi, ou in cujus rei testimonium presentem paginam sigillo meo confirmavi, ou encore quod ut ratum permeneat in futurum, litteras sigillo nostro tradimus roboratas70. En français, « En tesmoing de ce » ou « En tesmoignage de vérité » sont en usage. Cette annonce du sceau est suivie de la date71.
Du formulaire de la charte se dégage, vers la fin du XIIème siècle, celui du mandement. En 1195, lorsqu’Eudes III prescrit à son prévôt de Beaune de veiller à l’exécution d’une sentence rendue en faveur du prieuré de Saint-Étienne, l’acte commence à la façon d’une lettre patente (Odo dux Burgundie omnibus ad quos littere iste pervenerint, salutem. Sciatis nobis gratum esse), pour s’achever par un ordre: Districte precipimus ne quis super eadem possessione predictam ecclesiam audeat molestare, precipientes preposito Belnensi ut …72. Par la suite, c’est le nom du destinataire de l’ordre qui figure dans l’adresse, sous la forme Preposito nostro Belnensi salutem, ou Omnibus prepositis et balivis nostris salutem.
[p. 399] Les Capétiens du XIIIème siècle usent d’autres formes diplomatiques, telles que celle de la lettre missive, qu’a employée Hugues IV dans la lettre relative au mariage de Robert son fils (Illustrissime sue domine Agneti, sorori excellentissimi domini sui Philippi Dei gratia regi Francorum, salutem et se paratum ad ejus beneplacitum et mandatum). Mais cette lettre s’achève par Acta sunt hec in presentia predictorum testium rogatorum; sigillo etiam nostro sigillata sunt cum predictis in testimonio veritatis. En réalité, cette lettre a pour objet de constituer le douaire de la future duchesse, et les conseillers du duc mettent leur sceau à cet engagement73. Mais il existe d’autres actes où le sceau ducal s’associe à celui d’un prélat, ou à celui de la duchesse.
Quant à la datation, toujours exprimée dans le style de Pâques74, elle est habituellement introduite par Actum anno Domini, plus rarement, dans des actes qui se veulent solennels, par Datum et actum. Le nom du mois est donné, sans régularité, sans quantième. C’est seulement sous Robert II que s’introduit l’usage de fixer la date du jour par rapport au calendrier liturgique, peut-être à l’imitation des actes reçus par les notaires ducaux75. La datation par le quantième ne s’est imposée que dans les toutes dernières années du gouvernement d’Eudes IV.
Quant à la langue employée, c’est le latin qui est d’usage habituel jusqu’aux environs de 1260. Il cède alors la place au français, déjà utilisé dans les actes de la région à une époque antérieure. Tout en retenant des formes dialectales propres à la Bourgogne, ce français s’apparente au français littéraire dont il se rapprochera totalement au temps des Valois seulement. Quant au latin, il est encore fréquemment employé jusque sous Hugues V (1306–1315).
La diplomatique ducale paraît donc avoir dégagé certains types d’actes au temps d’Eudes III, d’Hugues IV et de Robert II. Peut-être même certaines réformes [p. 400] (comme l’introduction de la date du jour vers 1280) ont-elles été adoptées de façon autoritaire. Mais c’est sous Eudes IV que nous assistons à une plus grande diversification, et nous ne pouvons que renvoyer ici à l’étude de Mme Rey-Courtel76.
Les lettres patentes, ou « chartes », normalement scellées du grand sceau, offrent une grande variété. Il suffit pour s’en persuader de comparer l’acte constitutif de la gruerie de Bourgogne, charge dont fut investi Renaud de Gerland, acte scellé en cire verte sur lacs de soie, à la constitution de la rente accordée à la nourrice de Philippe de Rouvres, scellée de cire brune sur double queue77. Les éléments essentiels sont les mêmes: suscription, adresse générale incluse dans la notification, dispositif assorti de clauses où se trahit l’influence de la chancellerie royale (certaine science, grace especiaul), annonce du sceau et date; mais les variations peuvent être infinies. Dans les lettres scellées sur lacs de soie, on a relevé une fois la présence de l’invocation, parfois une adresse générale suivie d’un salut, rarement un préambule, plus souvent un exposé qui peut, dans des lettres moins solennelles, se réduire au rappel de services rendus, l’emploi de verbes redondants (« donnons et octroyons », précédé de « avons donné et octroyé »), des clauses de réserve, d’obligation, de promesse, plus ou moins développées, enfin une annonce du sceau évoquant le caractère perpétuel de la concession78. Certes, le duc établit, ne fût-ce que pour des raisons de taxation, une différence entre les lettres sur lacs de soie et les autres; cette différence n’est pas nettement tranchée.
Certaines lettres sont même scellées du grand sceau sur simple queue: Mme Rey-Courtel propose d’y voir la survivance d’une forme imitée de la chancellerie royale et introduite dans le cours du XIIIème siècle.
[p. 401] A ces chartes s’opposent, de façon plus nette, les mandements, que caractérisent la validation par le sceau du secret et son apposition sur simple queue. Très souvent d’ailleurs, la languette de parchemin découpée en bas du document est repliée sur elle-même et insérée dans une fente ménagée ad hoc pour lui donner plus de solidité.
Le mandement comporte une adresse particulière, précédant un salut. On constate toutefois que telle lettre de rémission accordée par Eudes IV à un meurtrier condamné par la mairie de Dijon, si elle est bien scellée « du sceaul du secret de Mgr le duc », est rédigée à la manière d’une lettre patente, à cela près qu’elle comporte la clause que voici: « Mandons et commandons pour la tenour de ces lettres à tous noz justiciers, officiers et subgiez, prians et requerans tous aultres qui ces lettres verront, que ledit Regnault pour ledit fait ne empeschent ne molestent en aucune manière », clause dont on retrouve l’équivalent dans telle lettre patente79. Mais d’ordinaire, le mandement est mieux défini: « Eudes, dux de Bourgoigne, contre d’Artois et de Bourgoigne palazins et sires de Salins, à nostre trésorier de Salins. Salut. Nous avons … Si vous mandons que … Et tant en faites que on n’en retourneit à nous pour vostre deffaut … Donné à …, le … » Parfois, après cette conclusion, le duc a fait ajouter un nouvel élément: « Et prenez lettres dudit … et les apportez à nosdiz comptes. Donné comme dessus »80.
Certains mandements sont des lettres de commission, où les mots « vous mandons » peuvent être remplacés par « vous commettons » ou complétés par eux81. Mais, ici aussi, nous trouvons une clause du genre de « Faites tant de ces chouses que l’on ne en vaigne plux à nous »82. Et Mme Rey-Courtel a mis en évidence le caractère particulier d’autres lettres expédiées selon la même forme diplomatique, notamment en matière financière: cédules contenant reconnaissance de dette, mandats de paiement, quittances, etc.
[p. 402] Mais, qu’il s’agisse de lettres patentes ou de mandements, on voit s’introduire sous Eudes IV une particularité nouvelle: l’emploi du signet. Non seulement le duc valide par son signet, en l’absence d’autre sceau, des documents administratifs (à partir d’août, septembre ou octobre 1338), ainsi sans doute que sa correspondance personnelle; mais on voit apparaître l’usage de plaquer un signet à la fin de la teneur des actes, lorsque ceux-ci sont validés par le sceau ducal pendant. L’emploi du signet ressort, par exemple, des « estaichemens » qui accompagnent l’arrêt du compte du dépensier de l’hôtel ducal, Jean Bourgeoise, en 1342, et où il est fait référence à des pièces justificatives: « de Mgr Regnaut de Baisse, par la lettre le duc soignée dou seaul Viardot, faite l’an XLI, 24 livres cire; – de li par la lettre le duc signée dou signot Guiot Pigne, vin 1 muy et demi, mesure de Beane, avoine 2 émines 1 bichot; – de li par la lettre le duc dou signot J. Bourgeoise, 16 livres; – de li par la lettre le duc, l’an XXXIX, soignée dou seaul chapelain de Lenthenay, 35 livres 1 quarteron cire … »83. Il est fait allusion à autant de mandements ou de cédules portant, en même temps que le sceau du duc, le signet du responsable de la dépense ainsi mentionnée. Ce signet est plaqué en bas de l’acte, à la fin de la teneur84.
On trouve le même signet en bas des lettres patentes du duc de Bourgogne, où il occupe la place où, dans les lettres royaux du même temps, on cherche le seing du secrétaire responsable de la mise en forme de l’acte, ou bien des mentions hors de la teneur qui font savoir de qui émane l’ordre de rédiger celui-ci85.
Cet usage du signet se différencie donc de celui qu’on a relevé à la chancellerie royale, où le signet du roi est utilisé pour valider certains actes. Ici, ce n’est pas la validation qui est en cause: mais cette empreinte est une véritable mention de service. Et nous avons déjà eu l’occasion de signaler que l’on rencontrait dès la fin du XIIIème siècle, chez les notaires en particulier, l’habitude [p. 403] de plaquer un signet en guise de signature du rédacteur, en même temps que pour interdire toute adjonction à la fin de l’acte. Il serait donc possible que nous ayons ici affaire à l’introduction d’un usage localement assez répandu, à la faveur de l’emploi des mêmes clercs, qui remplissaient les fonctions de notaires publics, pour la rédaction des actes ducaux86.
Une formule nouvelle fait son apparition, qui trahit sans doute une influence venue de la chancellerie royale, comme le suggère Mme Rey-Courtel: ce sont les mandements, également scellés en cire rouge sur simple queue, du sceau du secret ou d’un signet, qui portent en vedette De par le duc de Bourgoigne et commencent par une apostrophe (du type « Trésorier de Dole. Nous vous mandons », ou bien « Nous voulons et vous mandons ») en s’achevant par « Donné à », suivi de la date. On en rencontre dès 1328, et ce mode de rédaction s’emploie aussi bien pour des lettres de rémission qu’en matière financière87. Il existe des lettres closes, qui sont rédigées sur ce modèle, et on a même conservé en Artois des lettres de ce genre qui sont validées par un sceau plaqué, sans que l’on puisse dire avec certitude s’il s’agit d’un usage propre à ce comté88. Si l’on ajoute à ces catégories celle des lettres missives de rédaction variée, on a l’impression que l’époque du duc Eudes IV a vu s’effectuer, au sein du bureau d’écritures ducal, un travail qui tendait à donner à la diplomatique ducale des traits particuliers. Nous ignorons si, déjà, on avait dégagé le [p. 404] type propre aux ordonnances, dont nous trouvons le premier exemple sous Philippe de Rouvres, et qui se présentent comme une lettre patente annexée à un mémorandum89.
Un moment capital de l’évolution des institutions bourguignonnes se place à la fin du principat d’Eudes IV, avec la prise de possession du duché, en tant que « bail » de son petit-fils Philippe de Rouvres (1349–1356), puis comme héritier de ce dernier (1361–1364), par Jean le Bon90. Nous savons que ce dernier n’a pas fait confectionner de grand sceau particulier au duché; nous ignorons même dans quelle mesure, à partir de 1361, le lieutenant général, Tancarville, ou son alter ego Jean Chalemart ont usé du sceau confectionné à leur intention; leur successeur, le duc de Touraine, a usé de son sceau secret personnel pour valider ses actes en tant que gouverneur du duché. Subsiste-t-il alors une « chancellerie » bourguignonne attachée à la confection des actes intéressant la Bourgogne? On sait seulement que telle lettre patente de Jean, alors duc de Normandie, porte la mention « Par Monseigneur le duc. Fouvanz », sur le repli, ce qui atteste que Guillaume de Fouvent, qui écrivait les actes d’Eudes IV, a écrit au moins celui-là pour Jean le Bon91. Mais on perd ensuite toute trace du bureau d’écritures propre à la Bourgogne pour ne le retrouver qu’au moment où le roi Jean est captif des Anglais et où sa femme, totalement laissée en dehors du gouvernement du royaume qu’exerce l’aîné de ses beaux-fils, revient à Dijon avec ses enfants et y constitue une équipe gouvernementale, qui va se dissocier à la mort de Philippe de Rouvres91: le secrétaire Pierre Cuiret, venu de Paris avec la reine, y tient une place importante.
De l’incertitude qui règne en Bourgogne pendant ces années-là témoignent des formes hybrides. Telle cette concession à Marguerite de Perreux, intitulée [p. 405] au nom de la reine Jeanne et de son fils le duc Philippe (6 juillet 1358) qui, malgré l’emploi du grand sceau, évoque invinciblement le formulaire des actes reçus par-devant la chancellerie aux contrats92. Mais déjà se révèlent l’adoption d’usages nouveaux, dont le même Cuiret a pu encourager l’introduction.
Si l’on voit figurer dans les actes de la reine Jeanne, en mai 1359 par exemple, la mention hors de la teneur « Par la dicte royne à la relation du conseil, P. Cuiret », il est possible d’admettre que la reine de France aurait pu emprunter les services de la chancellerie royale. Mais plusieurs actes de Philippe de Rouvres contiennent des mentions analogues: « Par Mgr le duc, presens les dessus nommés. Philibert (?) »; « Par Mgr le duc, presens les dessus nommés et plusieurs autres. P. Cuiret »; « Par Mgr le duc en son conseil ou estoient … » avec la même signature93. Aussi apparaît-il que c’est bien le bureau d’écritures fonctionnant en Bourgogne, auprès de ce « conseil de Madame pour ses besognes du duché » dont nous connaissons l’existence d’autre part94, qui a rédigé ces actes. Et, dès lors, un usage « bourguignon » a disparu: celui de l’emploi du signet plaqué au bas de la teneur. Et ceci se maintient lorsque Philippe le Hardi prend la lieutenance du roi dans le duché: le secrétaire Jean Blanchet signe tel acte après y avoir écrit « Pour le roy, par Mgr le duc en son conseil »; en 1365, Philippe étant devenu duc de Bourgogne, il en fait autant après la mention « Par mandement de Mgr le duc a moi fait par ses lettres closes »95. On ne trouve la mention « Par Mgr le duc à votre relation » qu’à partir [p. 406] du moment où le chancelier porte le grand sceau96. Mais l’usage de la mention de celui qui a commandé l’acte et la signature du secrétaire sont désormais de règle97.
Un autre usage de la chancellerie bourguignonne au temps des Capétiens a également disparu: c’est l’emploi de la cire blanche ou brune pour le scellement des actes ducaux. Désormais tous sont scellés soit en cire rouge, soit en cire verte.
L’emploi du sceau de cire verte, sur lacs de soie rouge et verte, permet de reconnaître les lettres patentes à caractère solennel, auxquelles les ordonnances réservent le nom de « chartes ». Leur rédaction se conforme à un schéma que nous empruntons ici à une lettre de rémission98:
« Philippe, filz de roy de France, duc de Bourgogne. Savoir faisons à tous presens et advenir à nous de la partie de … avoir été exposé que … Nous, à icellui … vuilliens impartir nostre grace et à lui pardonner toute la coulpe qu’il peut avoir oudit fait. Pour quoy nous, considéré ce que dit est … avons quitté, remis et pardonné, quittons, remettons et pardonnons par ces presentes, de grace especial … Si donnons en mandement … Et que ce soit ferme chose et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces présentes, sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Ce fut fait à Arraz, le XXe jour d’aoust, l’an de grace 1383. – Par Mgr le duc. J. Le Mol ». Et le copiste précise que cette lettre était « sellée du seel de feu Mgr le duc, … en laz de soye et cire vert ». Ici, la date comporte un quantième; il manque dans les lettres par lesquelles le même duc concède à la ville de Dijon le port d’un chef à ses armes99.
Les lettres moins solennelles sont scellées de cire rouge, sur double queue. On y retrouve, soit l’adresse générale suivie du salut, soit la forme « savoir faisons à tous ceux qui les lettres verront ». Le dispositif est d’ordinaire complété par « Si donnons en mandement à tous noz officiers » et par « Nonobstant toutes ordonnances, mandements, deffenses et restrinctions à ce contraires ». La formule « Car ainsi nous plait il estre fait » n’apparaît que sous Philippe le Bon100.
[p. 407] Le sceau est annoncé par « En tesmoing de ce, nous avons fait mettre notre seel en ces presentes », et, lorsqu’il y a lieu, on lit « en tesmoing de ce, nous avons fait mettre à ces lettres le petit scel de nostre cour », ou tout autre, « en absence du nostre ». La date affecte la forme: « Donné à Argilly, le vingtiesme jour de septembre, l’an de grace 1375 »101.
Les « lettres en simple queue » sont essentiellement les mandements. Ils comportent une adresse particulière, une formule de salut (souvent « salut et dilection »). La notification peut être immédiatement suivie des mots « nous vous mandons », ou ceux-ci suivre un bref exposé (ainsi Philippe le Hardi écrit le 15 septembre 1382 à ses grenetiers et contrôleurs de greniers à sel: « Nous envoions presentement nos veneurs … Si vous mandons … »102. Le dispositif s’achève d’ordinaire par « nonobstant quelconques ordonnances, mandements ou deffenses à ce contraires ». Et la date suit, sans être précédée de l’annonce du sceau, si celui-ci est bien celui qu’on s’attend à y trouver, c’est-à-dire s’il n’a pas fallu le sceller d’un « sceau en l’absence ».
Il nous semble que sous Philippe le Hardi, c’est le sceau du secret qui validait les mandements. Ainsi trouve-t-on dans le texte des instructions données sur la levée de la gabelle, en 1393: « Donné en nostre chastel de Talent soubz le petit scel de nostre court en l’absence de nostre secret »103. Mais, au début du principat de Jean sans Peur, peut-être en raisons d’abus dont le secrétaire Jean de la Vaul aurait été responsable104, les chambres des comptes ont refusé de faire exécuter les mandements ayant des conséquences financières s’ils ne portaient pas le grand sceau et n’avaient pas été passés devant le chancelier. [p. 408] En 1414, en 1417105, on précise que des mandements sont scellés « du scel du secret en l’absence du grant » et, désormais, c’est celui-ci qui leur est apposé.
C’est à la forme des mandements que se rapporte celle des ordonnances, qui sont ainsi conçues: « C’est l’ordonnance faite par nous, duc de Bourgoigne, sur les capitaines de nos chasteaux et forteresses … le VIIe jour d’aoust l’an 1374, donné à Villers le Duc soubz notre seel l’an et le jour dessus diz. – Par Mgr le duc. J. Blanchet », ou « C’est l’ordonnance faite par Mgr le duc … sur le fait et gouvernement de sa vénerie … Ceste presente ordonnance faite à Lens en Artois par Mgr, en la presence de … et de …, son maistre veneur, lequel l’a eue aggréable et promis de la tenir sans enfreindre en aucune manière, le 23e jour de juing 1405. – Fortier ». Dans les deux cas, elles sont validées par le sceau du secret, sur simple queue106.
Les lettres de sceau plaqué – ces « placards » que l’administration des Habsbourg employa avec prédilection – sont largement utilisées, et cela dès avant l’accession de Philippe le Hardi au duché107. Elles commencent par la formule « De par le duc de Bourgoigne » (la titulature ducale est souvent abrégée, mais sans régularité), placée en vedette à la partie supérieure. Une apostrophe précède le texte, qui présente souvent beaucoup de parenté avec celui des lettres en simple queue, exception faite pour le libellé souvent abrupt de l’ordre qui fait l’objet de l’acte108. C’est par le sceau du secret, plaqué en bas et à droite, que sont validés ces documents. Il n’est pas exclu que le succès de ces placards ait entraîne un certain recul de l’emploi des lettres en simple queue, lorsqu’il s’agissait de la mise en forme de décisions d’ordre administratif, et que ceci ait favorisé l’emploi exclusif du grand sceau pour les lettres en simple queue.
[p. 409] Les lettres closes ont, elle aussi, la formule « De par le duc de Bourgogne […] » en vedette. Mais, ici l’apostrophe prend la forme « Très cher et bien amé »: il n’est pas inutile de rappeler que le nom du destinataire figure au dos du document. La lettre s’achève sur un souhait (« Nostre Sire soit garde de vous »). La date s’exprime ainsi: « Escript à …, le … », sans que le millésime soit généralement précisé. Ces lettres sont ordinairement signées par un secrétaire; l’usage, pour le duc, d’y apposer également sa signature s’introduit sous Jean sans Peur109.
On aura constaté qu’aucun de ces types d’actes n’affecte une forme véritablement originale. Lettres patentes, de toute sorte, lettres de sceau plaqué, lettres closes apparaissent très semblables à celles que rédige, au temps de Charles V et de Charles VI, la chancellerie des rois de France. Lorsque Philippe le Hardi prend possession du duché, en 1364, et même quand il y était seulement lieutenant du roi, les diverses formules sont déjà en place. On ne constate pas que l’incorporation d’un nouveau personnel venu de l’entourage de Louis de Male, qui a cependant considérablement étoffé l’effectif de ce qui va devenir la chancellerie du duc, se soit accompagnée de l’introduction de formes diplomatiques qui auraient pu être empruntées à la chancellerie du comte de Flandre. C’est vraiment la rédaction des actes, telle qu’elle était pratiquée à la chancellerie royale au temps de Jean le Bon, qui s’est imposée aux secrétaires travaillant pour le nouveau duc de Bourgogne, et probablement déjà pour son prédécesseur, Philippe de Rouvres. Par contre, une évolution se dessine, qui donnera son originalité à la chancellerie bourguignonne; en partant des mêmes modèles, chancellerie royale et chancellerie ducale suivront des voies différentes.
[p. 410] Il faut, très brièvement, évoquer les actes qui, sans être rédigés au nom du duc, n’en émanent pas moins de ses administrations et qui invoquent son autorité.
En premier lieu, il s’agit de la « cour du duc », c’est-à-dire de l’institution qui donne valeur exécutoire aux actes reçus sous son sceau. Dès les environs de 1230, le duc intervient dans ce domaine, lorsque les actes en question concernent Dijon, de façon indirecte, puisque c’est par le double sceau du doyen de la Chapelle-le-Duc et du doyen de chrétienté que sont authentifiés les contrats passés entre particuliers. Mais, dès 1271, les contractants s’obligent à respecter les conventions passées entre eux comme s’il s’agissait de sentences rendues par la cour ducale, et demandent le sceau de cette cour. En 1275, le notariat est en place, et le notaire met son nom sur l’acte. Celui-ci s’ouvre par une invocation et par la date du jour où les parties se sont présentées devant le notaire. A la fin de l’acte, celles-ci se soumettent à la juridiction de la cour du duc dont elles demandent le sceau. L’acte est alors reconnu comme passé en présence du notaire et de deux témoins, « l’an et le jour susdits ».
En fait, de bonne heure, le « sceau de la cour » a été décentralisé. Avant 1329, sans doute, le chancelier a des lieutenants dans un certain nombre de villes du duché, et chacun de ceux-ci a le pouvoir de faire exécuter les contrats et d’en délivrer des extraits: c’est à eux qu’il appartient de procéder à l’ouverture des testaments et de donner à chaque légataire la clausula qui le concerne; c’est eux, ou le garde du scel qui leur est adjoint, qui mettent le « sceau de la cour du duc » (dont, nous le savons, il existe quinze exemplaires en 1396) aux actes des particuliers. La « cour de chancellerie », cependant, n’est pas totalement distincte des grands jours du duché dont les actes reçoivent aussi le « sceau de la cour », et il semble que le sceau aux causes de celle-ci ne soit pas différent du sceau aux causes des cours de chancellerie. Le chancelier lui-même, haut personnage déjà investi de fonctions multiples sous les ducs capétiens, cède la place en 1387 à un gouverneur de la chancellerie; mais l’institution de la « chancellerie aux contrats » n’en est pas affectée110. Et le Parlement ducal, qu’on appelle aussi les grands jours, n’a pas d’autre sceau que celui de cette chancellerie.
Le conseil ducal, en principe, n’a pas d’existence propre, puisque les décisions prises « en son conseil » par le duc sont notifiées sous le sceau de ce dernier. Et nous ne connaissons pas, au temps des ducs capétiens, d’actes émis au [p. 411] nom du conseil. Par contre, la commission chargée de l’examen des comptes des gestionnaires des revenus du duc a été amenée, sous Eudes IV, à se doter d’un sceau, le sceau « des compes », dont nous avions retrouvé la mention et dont Mme Rey-Courtel est parvenue à identifier un exemplaire au bas d’un mandement du 12 mai 1345: ce sceau associe plusieurs écus (sans doute ceux du duché et des comtés recueillis par Eudes IV dans l’héritage de sa belle-mère); la légende paraît avoir comporté les mots CAMERA COMPOTORVM DVCIS111. Mais ce sceau n’a pas survécu au principat d’Eudes IV. Sous les ducs Valois, au moins à partir de l’institution de deux chambres du conseil, doublées de chambres des comptes, à Dijon et Lille (1386), c’est le conseil qui dispose d’un sceau tandis que les maîtres des comptes se bornent à apposer leurs signets individuels sur les actes qui émanent d’eux (et nous avons vu qu’il leur arrive d’intituler ceux-ci « De par les gens des comptes de Monseigneur le duc de Bourgogne »)112. Et ce sont les mêmes signets qui figurent sur les nombreuses « attaches » jointes aux lettres ducales notifiant des donations, que les gens des comptes devaient vérifier. La Chambre des comptes n’a donc pas obtenu, à l’inverse du conseil, une véritable autonomie diplomatique, alors que les ducs capétiens avaient adopté une attitude contraire.
Les institutions locales disposent de sceaux aux armes ducales: la gruerie du duc de Bourgogne à Autun a imaginé de suspendre l’écu ducal aux arbres d’une forêt113. Ceci témoigne en faveur de la prise de conscience d’une certaine spécificité de l’administration ducale, alors que la plupart des gestionnaires usent de leur sceau personnel.
Reste la question des bailliages. Les baillis, délégués du conseil ducal pour recevoir les appels des juges locaux, ont été institués en 1262. Ces personnages usent de sceaux à leur nom, et un Pierre d’Autun, bailli d’Auxois, fait renouveler le sien quand il est élevé à la chevalerie, en 1280 ou 1281. Le sceau de Girard de Sautrone, bailli de Charolais, porte pour légende S. GIRARDI D[E SA]UT [RONA BA]ILLIVI DE CHAROLAIS. Mais, pour contresceau, ce personnage use d’un sceau ad causas, et le sceau aux causes du bailliage d’Auxois, en 1356, porte les armes ducales – tout comme le sceau de la vierie d’Autun en 1326114. Un Eudes le Fort d’Autun, en 1331, lorsqu’il est amené [p. 412] à sceller un acte du sceau du bailliage dont il est titulaire, prend soin de préciser: « On tesmoignage des quelx choses, nous Eudes dessus diz, baillifz d’Ostun et de Moncenis, le seaul de nostre bailliaige, combien que ce ne soit des choses tuichanz et appartenans à nostre dit bailliaige, havons mis en tesmoignaige de veritey en ces presentes lettres »115. On ne saurait mieux dire que, malgré son caractère personnel116, le sceau du bailli apparaît comme un sceau de fonction, complété qu’il est par le « sceaul de la court de la baillie » – autrement dit le sceau aux causes – que la présence des armes ducales classe sans conteste parmi les sceaux de juridiction ducaux. De ce fait, les sentences du bailli, au formulaire si particulier117, n’entrent-elles pas dans le champ de la diplomatique ducale?
Au début de l’époque que nous envisagions, les ducs de Bourgogne émettaient des actes qui ne se distinguaient guère de ceux des principaux seigneurs de leur duché. Au terme des quelque deux siècles considérés, les progrès réalisés par le pouvoir ducal et par la conception que s’en font les hommes se traduisent par la mise en place d’une diplomatique élaborée, qui fait place à celle d’institutions qui ne se bornent pas à faire expédier des actes sous le sceau du duc, et d’une chancellerie qui se rapproche de celle des princes les plus puissants, voire de celle des souverains eux-mêmes. Et encore les ducs de Bourgogne, entre 1364 et 1405, n’ont-ils aucune prétention à la souveraineté dans leurs états.
Les Capétiens avaient lentement dégagé des formules quelque peu originales, bien qu’ils n’aient jamais cessé de regarder du côté de la chancellerie royale. L’espèce d’interrègne qui correspond au bail de Jean le Bon, puis à sa prise de possession du duché, marque une rupture très nette avec ce passé « capétien ». La nouvelle diplomatique, celle des ducs valois, plonge ses racines dans une chancellerie royale qui lui a sans doute fourni plusieurs de ses hommes.
Une des particularités de cette histoire, c’est que le titre de chancelier n’a été repris, dans le sens qui est le sien dans la plupart des principautés, qu’en [p. 413] 1386. Et, en se dotant d’un chancelier, Philippe le Hardi a laissé subsister tant un chancelier de Flandre limité à la rédaction des actes concernant le domaine comtal, qu’un gouverneur de la chancellerie de Bourgogne qui gère la juridiction gracieuse. L’état de choses antérieur à 1364, ou à 1384, a donc laissé des traces dans une organisation qui, dans l’ensemble, s’est modelée sur celle de la chancellerie royale plus que sur celle des anciens ducs capétiens.