Le Saint-Mont et Remiremont
Une communauté canoniale isolée pour mieux prier à l'image des fondateurs
Le Saint-Mont ou Rombech55 fait partie de ces nombreuses fondations mérovingiennes nées de la volonté d'un moine et d'un noble. Vers 620, Amé, moine de Luxeuil, et Romaric, dignitaire austrasien, jettent les bases d'une communauté colombanienne à 35 kilomètres de Luxeuil, au confluent de la Moselle et de la Moselotte, sur un surplomb granitique56, point fortifié de la montagne vosgienne. La tradition veut que cette communauté soit devenue rapidement double et assez nombreuse, s'organisant autour de deux églises dédiées à saint Pierre et à sainte Marie57. Dès le VIIe siècle, une abbesse était désignée pour diriger les moniales tandis que la communauté d'hommes s'effaçait. Au début du IXe siècle, les moniales descendirent dans la vallée, adoptèrent la règle de saint Benoît et organisèrent une nouvelle communauté autour des reliques des saints fondateurs Amé, Romaric et Adelphe. Le Saint-Mont ne fut probablement jamais complètement abandonné. Lieu de fondation d'une abbaye prestigieuse, son caractère sacré attira toujours des religieux, venant en particulier de Remiremont. Richard de Saint-Vanne s'y réfugia vers 1020-1025, Anténor58 puis Séhère59 au milieu et à la fin du siècle. Au XIIe siècle, une petite communauté d'une dizaine de chanoines, était constituée. Nous en savons peu de choses, sinon qu'elle avait adopté la règle de saint Augustin et se trouvait dans la dépendance étroite de l'abbaye voisine de Remiremont. A l'ouverture de l'obituaire en 1406, le Saint-Mont est un prieuré de chanoines réguliers de Saint-Augustin, tout entier au service des dames de Remiremont60.
Un prieuré de l'abbaye de Remiremont
Durant près de sept siècles, le prieuré du Saint-Mont est resté indissociablement lié à l'abbaye de Remiremont installée au pied de sa montagne. Les chanoines du Saint-Mont se déclaraient eux-mêmes dependans et dou pain de la dicte englise doudit Remiremont
61.
Que l'on s'intéresse à son gouvernement, à son recrutement, à sa situation économique, à sa liturgie62 ou à sa vie intellectuelle63, on évoque inévitablement les dames romarimontaines. Les dames donnaient l'investiture aux prieurs nouvellement élus. Elles réglaient de nombreux et inévitables conflits en matière de droits et de redevances, dans lesquels le prieuré était souvent partie, étant installé sur des terres de leur abbaye. Elles utilisaient les compétences en matière d'écriture ou de reliure de certains chanoines64. Elles montaient régulièrement en procession au Saint-Mont, y présidaient des cérémonies et célébraient probablement l'office des trépassés lors du décès d'un chanoine65.
Toute l'activité du Saint-Mont était sous le contrôle des dames de Remiremont et les chanoines du Saint-Mont comme les chanoines romarimontains étaient au service des dames. Mais en retour le prieuré a bénéficié d'une tradition et d'une émulation sans lesquelles il n'aurait pas ou peu d'histoire. La qualité et l'originalité de l'obituaire en particulier doit sans doute beaucoup à la forte tradition nécrologique romarimontaine.
Ajoutons enfin que les chanoines du Saint-Mont et ceux de Remiremont étaient très liés. Ils se rencontraient à Remiremont où le prieur possédait une maison. Mais surtout ils partageaient les mêmes tâches de célébration de l'office divin (tous sont chanonne preste), de ministère paroissial et de soutien journalier aux dames romarimontaines. Certains, après avoir servi les chanoinesses à Remiremont, rejoignaient le Saint-Mont, qui semble avoir fonctionné un peu comme une annexe, un lieu de retraite pour les chanoines romarimontains66.
Une forte tradition nécrologique
La tradition des nécrologes, continuée par la redécouverte du testament et de la pratique des legs pieux à la fin du Moyen Age, fut très forte à Remiremont. La série nécrologique romarimontaine conservée est particulièrement remarquable : huit documents67 dont trois obituaires réalisés entre la fin du XIIIe siècle et le XVe siècle :
- Le Liber Memorialis (IXe siècle-XIIe siècle ; Rome, Biblioteca Angelica, ms lat. 10),
- un nécrologe (vers 1200 ; Paris, BnF, ms n.a.l. 349, p. 207-216),
- un fragment d'obituaire (vers 1300 ; Rome, Biblioteca Alexandrina, ms 25b, fol. 1-8),
- un obituaire sur papier (vers 1300-1360 ; Paris, BnF, ms n.a.f. 1282),
- un obituaire (vers 1408-XVIIe siècle ; Paris, BnF, ms n.a.l. 349, p. 34-203),
- une liste de recommandations de prières (XVIe siècle ; Paris, BnF, ms n.a.l. 349, p. 349-365),
- une liste de recommandations de prières (XVIe siècle ; Nancy, BM, ms 357),
- et un nécrologe (1560-XVIIIe siècle ; Paris, BnF, ms n.a.f. 3686).
La volonté d'inscription des noms des vivants et des morts, des bienfaiteurs et amis, des habitants inaugurée par le Liber Memorialis est toujours la même dans l'obituaire du Saint-Mont. Un obituaire romarimontain est contemporain de cet obituaire comme si le prieuré du Saint-Mont avait voulu suivre l'exemple romarimontain, et donner aussi une réponse à la détresse de l'époque, en enregistrant des fondations. Pourtant le rapprochement des manuscrits nous apprend peu. Les notices sont du même type mais concernent rarement les mêmes personnages. Ne figurent cependant dans un obituaire que les défunts ayant fondé un anniversaire, soit ceux qui ont pu abandonner un bien ou une somme d'argent pour le salut de leur âme. Tous ne pouvaient le faire et rares étaient ceux qui avaient les moyens de multiplier les fondations dans plusieurs lieux.
Le Saint-Mont était, à côté de l'église paroissiale Notre-Dame et de la collégiale Saint-Pierre de Remiremont68, un bénéficiaire important des dons pieux. En principe, chaque fidèle avait le choix de sa sépulture et pouvait donc demander à être enseveli au Saint-Mont, parce qu'il avait pris l'habitude d'y prier ou plus simplement parce qu'il était déjà en contact avec le Saint-Mont par le biais de redevances diverses. Les documents romarimontains conservés laissent penser cependant qu'on optait pour la solution simple de l'ensevelissement dans le cimetière paroissial, où l'espace était rarement organisé, où les corps étaient très vite relevés et rassemblés. La population rurale des environs de Remiremont se faisant inhumer dans les cimetières paroissiaux des villages voisins, les bourgeois romarimontains comme Nicolas d'Ormes ou Marguerite de Hadonviller élisant sépulture en cimetiere de l'eglise parrochiale de Remiremont
.
Le véritable problème était celui des dons et legs qui l'accompagnaient. Ces droits étaient probablement très recherchés69 par les différentes institutions. A la fin du Moyen Age, les fidèles s'ingénièrent à départir ces revenus afin de multiplier les prières et les chances de salut. Le Saint-Mont était certes une petite communauté, mais une communauté d'hommes, soit autant de prêtres pouvant assurer la célébration d'anniversaires. Il profita probablement de cette possibilité et de ces dons pieux. A la suite de Guillaume de La Perche, les ecclésiastiques ont sans doute montré l'exemple70 et les fidèles ont suivi, distribuant et partageant leurs aumones mortuaires71. Les nombreuses rentes modestes que constituaient ces aumônes et qui pesaient parfois sur un même bien furent autant d'occasions de contact voire de débat entre le prieuré et l'abbaye.
La proximité aidant, le prieuré fonctionnait à l'image de la paroisse Notre-Dame, un peu comme une "paroisse supplémentaire" de Remiremont72, avec le prestige inestimable et remarquable des fondateurs. La vie quotidienne s'y organisait avec des acteurs, des biens, une liturgie, des préoccupations et dans un périmètre proprement romarimontains. Le prieur du Saint-Mont par exemple percevait certains cens annuels dans sa résidence romarimontaine73. Aussi, quand il décida d'ouvrir un nouvel obituaire en 1406, Guillaume de La Perche fit réaliser un beau livre à la "mode romarimontaine", à l'image de certains livres romarimontains qu'il connaissait, complétant ainsi la longue tradition nécrologique romarimontaine.