[p. 701] L’authentification des actes privés dans la France
médiévale
Notariat public et juridiction gracieuse
La France médiévale présente, sans aucun doute, l’échantillonnage le plus complet de tous les types d’institutions destinées à conférer une valeur authentique aux actes privés. Au Midi comme au Nord, on a tenté — comme désespérément — d’imaginer de façon pragmatique les moyens de permettre qu’un contrat fût exécuté et que des obligations fussent respectées en tout temps et en tout lieu : c’est-à-dire après la mort éventuelle d’une partie s’engageant pour elle-même et pour ses successeurs ou ses ayants droit, ou bien après le décès des témoins de l’acte, et cela en dehors du cadre étroit de la seigneurie, voire du royaume1.
[p. 702] Dans le Midi, on eut donc, d’abord, des scribes plus ou moins reconnus par une autorité, puis des notaires publics et enfin des notaires royaux. Les uns ou les autres conféraient à leurs actes une présomption d’authenticité, dans un premier temps par l’attestation qu’il étaient écrits de leur main, ensuite par l’apposition d’une marque personnelle reconnue par l’autorité de qui ils avaient reçu leur investiture, enfin par le fait qu’ils signaient les instruments en qualité de délégué ou de mandataire de la puissance publique. Par là, la France méridionale se rattache à la vaste zone méditerranéenne du notariat public. Celui-ci s’était forgé en Italie, à partir de racines complexes romaines, lombardes et carolingiennes, et il s’était renforcé aux temps ottoniens, avant de s’épanouir aux XIe et XIIe siècles sous la double forme du notariat impérial, issu du « Sacré Palais », et du notariat apostolique. En comparaison, le retard de la France dans l’élaboration de son notariat propre est net : car, s’il présente des traits particuliers, il est né, en fait, à l’exemple du notariat italien déjà élaboré, et éventuellement (en Provence notamment) mitigé de quelque influence du notariat catalan. C’est donc pour moi une gageure d’en traiter ici avant que n’aient été exposés la genèse et les caractères de l’un et de l’autre de ces systèmes notariaux.
Dans le Nord, au contraire, c’est à partir de racines germaniques et carolingiennes que se sont élaborés des systèmes très divers de déclarations des parties devant le tribunal public en vue de faire appel au témoignage (au « record ») de témoins privilégiés, et spécialement de juges professionnels, les échevins. Progressivement des témoignages écrits portés à l’avance se sont substitués aux témoignages oraux. D’autre part, les déclarations de volonté des parties, d’abord faites au tribunal, l’ont ensuite été devant des autorités publiques ou morales — municipales, seigneuriales ou ecclésiastiques —, ou devant leurs [p. 703] représentants ou officiers, et elles ont pris les formes matérielles les plus variées : « records » écrits, actes établis en exemplaires multiples ou bien en forme de chirographe, dépôt de l’acte dans un lieu tenu pour crédible, enregistrement dans les registres généraux d’une autorité ou bien transcription ou simple analyse dans des rouleaux ou dans des registres spécialement consacrés aux actes privés, délivrance d’actes sous le sceau : toutes formes que nous retrouvons dans les contrées de l’Europe du Nord ou du Centre. Peu à peu, la juridiction gracieuse sous le sceau des autorités ecclésiastiques ou féodales a supplanté les autres formes d’authentification des actes privés, au point de devenir un des traits caractéristiques de la diplomatique et des institutions de la France. Elle a ensuite été captée par l’autorité royale dans sa marche vers la centralisation monarchique : alors fut institué le tabellionage royal sous le sceau des bailliages, puis des prévôtés, qui, après bien des évolutions (différentes selon les régions et les lieux) devait progressivement éclipser toutes les autres formes d’authentification des actes, avant de confluer, au cours d’une lente évolution, avec le notariat public méridional pour donner naissance au notariat moderne.
A cette diversité des formes en usage dans la France médiévale, il a été jugé préférable de consacrer un rapport unique de synthèse plutôt que des communications ponctuelles. Il sera donc traité ici, d’abord, des systèmes en usage au Haut Moyen Âge, puis de la genèse de l’institution notariale méridionale ; ensuite seront passés en revue les divers types de la juridiction gracieuse sous le sceau.
Les origines
Dès l’époque où des peuples germaniques s’installèrent sur le sol de la Gaule romaine, deux conceptions s’affrontèrent quant aux moyens de donner aux actes juridiques une couleur d’authenticité. En effet, la loi wisigothique reconnaissait à une vente sa pleine firmitas si elle était facta per scripturam, et il en était de même selon la loi burgonde. Autrement dit, les formes générales de l’acte dispositif romain, la charta, constatant l’échange des consentements (cum stipulatione subnexa) se maintinrent dans toute l’Aquitaine demeurée [p. 704] si profondément romanisée, de même que dans la Viennoise, la Provence et la partie méridionale de la Lyonnaise. Et de même, les souscriptions autographes exigées par le droit romain tardif, ou bien les marques personnelles (les signa ou les croix apposées manu propria par qui ne savait écrire), ainsi que la completio (ou au moins la mention du nom et de la qualité) du rédacteur. De plus, l’usage romain de l’insinuation aux gesta municipalia y a persisté, pour autant qu’ont elles-mêmes subsisté des institutions urbaines : curies municipales et defensor civitatis. De cela on a des témoignages dans les Formulae wisigothicae et des indices aussi dans le recueil des formules d’Angers, de Tours, de Bourges et de Sens. On dispose surtout d’un magnifique exemple d’une telle insinuation en Aquitaine, à Poitiers, encore à la fin du VIIe siècle2.
En effet, dans cet acte de 676 relatif à la fondation du monastère de Heri dans l’île qui prit le nom de Noirmoutier, toutes les formes antiques sont encore respectées : demande adressée aux curiales par le mandataire de la partie intéressée, recitatio de l’acte et requête en vue de son alligatio aux codices publici, transcription faite sur l’ordre de l’évêque qui désormais représente dans la cité l’autorité publique, rédaction du procès-verbal par l’excerptor, le document rappelant en conséquence le déroulement de la procédure et recevant les souscriptions des témoins3.
La forme générale de la charta s’est également maintenue dans la région comprise entre Loire et Seine, où les Gallo-Romains continuaient de former l’essentiel de la population ; mais elle dégénéra beaucoup plus rapidement que dans le Midi — sans doute dès le début du VIIIe siècle — par suite de la décadence générale de l’instruction et notamment de la culture juridique, sous l’influence des pratiques germaniques désormais dominantes4. Certes la formalité de l’insinuation [p. 705] s’y était encore maintenue, au moins dans la région ligérienne, puisqu’en 651, en fondant le monastère de Fleury-sur-Loire, Leodebaudus prévoyait l’alligatio de sa charte5. Vers le même temps, les testaments de deux évêques du Mans en faisaient également mention6. Par la suite, la forme totalement insolite et même incompréhensible de mentions analogues nous prouve qu’il s’agissait désormais d’une formule vidée de son sens7. De même, le rappel de la stipulatio est exprimé en de nombreuses chartes, même très postérieures, de manière telle (par exemple, cum astiblatione nexa) qu’il est évident que toute signification en était perdue et qu’elle ne répondait plus qu’à un ronronnement du texte, maintenu par un formalisme obsolète.
C’est que la loi salique n’avait fait aucune allusion au rôle de l’écrit en matière de droit privé : elle se référait seulement, en cas de litige, à une procédure orale devant le mallum, le tribunal public : de ces pratiques, aussi bien les placita royaux mérovingiens que les notices de plaid ultérieures nous ont conservé le souvenir. Pour les Francs, le concours de rites de traditio, tant de la chose elle-même que de sa représentation matérielle (festuca, virgultum…) ou que de la symbolisation du pouvoir sur cette chose (gant, couteau, remise de la charte…), était tenu pour essentiel. Ces formalités, de même que la [p. 706] werpitio qui symbolisait l’abandon de tout droit sur la chose, s’accomplissaient en présence de témoins ou par devant le représentant de l’autorité ou à son tribunal. Avec l’abandon de la personnalité des lois, intervenu très tôt dans la France du Nord qui constituait le coeur du royaume franc, ces pratiques se généralisèrent et s’imposèrent à tous de façon contraignante. Tantôt se conservait le cadre formel de la charte de type romain avec l’addition d’une clause de werpitio ou de traditio, qui, après tout, n’étaient pas si éloignées l’une et l’autre de l’esprit juridique romain dont le caractère formaliste est manifeste. Tantôt on se bornait à établir une notice plus ou moins informelle, relatant l’accomplissement de la formalité (noticia werpitionis ou noticia traditionis) et mentionnant les noms des témoins au témoignage desquels on pourrait éventuellement faire appel. Tantôt encore, semble-t-il, l’acte était seulement oral, mais la formalité était prouvée par la remise et la conservation de l’objet qui avait servi à l’opérer : c’est ainsi qu’on possède à la Bibliothèque nationale de Paris8 un couteau du XIe siècle, provenant des archives de la cathédrale ; sur son manche d’ivoire est écrite la mention qu’il a été donné à l’archidiacre par l’auteur d’une donation de terrains situés devant l’église, faite en vue de célébrer un anniversaire. On a, de même, un morceau de bois (festuca), portant l’indication qu’il a été remis par des serfs de Notre-Dame en signe de l’abandon de biens auxquels ils avaient reconnu n’avoir point droit. Par l’historien Gaignières, on a encore le dessin d’un autre couteau que le maire d’un des domaines du chapitre de Chartres avait remis en témoignage de la renonciation à une grange.
Ces pratiques, et notamment le témoignage fourni par les assistants, sont à l’origine des systèmes de « records » de la France du Nord, que nous retrouverons plus loin quand nous en rappellerons la genèse.
Si la conservation de l’objet dans les archives comme preuve de l’acte juridique a certainement été exceptionnelle, c’est aux témoins [p. 707] que normalement, en cas de litige, les parties faisaient appel. Mais après la disparition de ces témoins, la probation devenait difficile, sinon impossible, à moins qu’on ne recourût à une enquête sur la fama, l’existence de l’acte antérieur étant alors prouvée par la possession manifeste de la chose.
Pour donner plus de poids au negotium, on eut parfois recours à la seule procédure qui pût lui donner un caractère indiscutable d’authenticité : la confirmation par l’autorité royale, puisque le sceau royal, symbole visible de la personne du roi et de son autorité, était seul indubitablement authentique. D’où les si nombreuses confirmations royales du Haut Moyen Âge. Mais on recourut aussi, du moins à l’époque mérovingienne, à des procès simulés devant le tribunal royal : le bénéficiaire d’un don ou d’une acquisition pouvait comparaître et faire citer l’autre partie pour la contraindre judiciairement à reconnaître son droit comme s’il avait été contesté, et on condamnait celle-ci à s’exécuter et à faire la tradition du bien, cette procédure donnant lieu à l’établissement d’un acte écrit sous le sceau royal, qui entérinait ainsi l’acte privé9.
Ce fut Charlemagne qui relança l’institution des scribes professionnels, de même qu’il avait substitué au jugement des « rachimbourgs » — hommes libres disant le droit — la sentence de juges professionnels, les échevins (scabini)10. Dans l’un et l’autre cas, il le fit à l’imitation de ce qu’il avait vu dans cette Italie qui l’avait ébloui. Il y avait réglé dès 781 l’institution de notaires par un capitulaire qui, semble-t-il, ne s’appliquait alors qu’à l’Italie11. Empereur, il étendit [p. 708] la mesure à l’ensemble de l’Empire par un capitulaire que nous ne connaissons qu’indirectement, par l’ordre donné aux missi en 803 de choisir en tous lieux échevins, avoués et notaires et de faire connaître leurs noms par écrit à leur retour au Palais12. Le capitulaire de Thionville de 80513 est plus net : « Que chaque évêque, abbé ou comte ait son notaire. » C’était là, en réalité, une mesure différente de celle qui avait été adoptée pour l’Italie. Là, en effet, il y avait un collège de notaires attaché à chaque comté et, comme le jeune empereur associé Lothaire Ier le précisa par son capitulaire de Pavie de 832, ces notaires ne pouvaient se « rendre d’un comté à un autre qu’avec l’autorisation du comte auprès de qui ils devaient résider »14 ; cela, avec les vicissitudes qui seront certainement retracées dans les exposés relatifs à l’Italie, devait donner naissance au notariat public. Au contraire, en Gaule, il s’agissait d’un notaire unique pour chaque comté, évêché ou abbaye, c’est-à-dire de l’institution d’un secrétariat ou chancellerie comtale, épiscopale ou abbatiale.
Notarius ou cancellarius rédigent dès lors les actes des comtes, ou, tout au moins, à l’imitation de la chancellerie royale, ils les font écrire par des subordonnés ou par des clercs occasionnels qui éventuellement les reconnaissent en leur nom, les actes se terminant par l’une des formules : « Data per manum N. cancellarii » ou bien « Talis ad vicem talis cancellarii recognovi et subscripsi » (ou « legi et relegi » ou une formule analogue). Le plus souvent il s’agit d’une notice judiciaire et, en ce cas, des échevins apparaissent nommément et souscrivent l’acte : Mais, comme en Italie, il y a aussi d’autres actes juridiques (notamment en matière d’échange ou de transaction immobilière), qui se présentent sous une forme analogue. Nous disposons de tels actes, établis ou reconnus par des notaires, en Lorraine où ils se maintiennent au moins jusqu’à la fin du Xe siècle, en Champagne, [p. 709] en Bourgogne et notamment à Mâcon où Fr.-L. Ganshof15, puis G. Duby16, ont montré qu’avec la transformation du pouvoir comtal, une chancellerie avec des notaires reconnaissant les actes ad vicem a fonctionné tant pour le mallum public que pour la cour vassalique. On en connaît aussi sur la Loire, à Tours, à Blois, à Nevers et dans divers comtés d’Aquitaine, à Poitiers, Limoges, Nîmes, Albi. L’institution semble donc avoir été générale en Gaule, mais, dans l’ensemble, elle s’est effacée à des dates variables, dès le cours du IXe siècle, à la fin de ce siècle, ou, au mieux, au Xe.
D’autre part, les notaires des évêques et des abbés, voulus par Charlemagne, ont donné naissance à des chancelleries épiscopales ou abbatiales, au reste fort mal connues, le chancelier épiscopal semblant prendre au XIe siècle, en certains cas, la direction de l’école capitulaire. A Vienne, c’est elle qui servit de chancellerie aux rois de Provence. Mais dans la plupart des diocèses, la fonction semble disparaître17 ; et ce ne fut qu’au XIIe siècle que réapparurent des chancelleries épiscopales organisées, qui servirent dès lors d’instrument à l’exercice de la juridiction gracieuse de l’évêque, en expédiant les notifications ou les confirmations que celui-ci faisait des actes dont les parties lui demandaient qu’il les expédiât sous son sceau.
Enfin, dans les grandes abbayes comme Saint-Martin de Tours, subsista un chancelier qui, dès la fin du Xe siècle, cumula cette fonction avec celle d’écolâtre (scholae primus), on se faisant aider pour la rédaction des actes par un sous-écolâtre18. On sait que ces chancelleries [p. 710] abbatiales ne manquèrent pas d’établir aussi des actes pour des particuliers ou pour d’autres établissements qui étaient dépourvus d’un tel service19.
Ainsi, dans l’ensemble, cette initiative carolingienne, avec la décadence générale des institutions en Francia occidentalis, s’y ensabla progressivement pour disparaître un peu partout et donner lieu soit à des chartes rédigées par des clercs ou des moines d’une église voisine, sans marque d’autographie (exception faite de la frange la plus méridionale où la permanence d’une certaine instruction permettait encore l’apparition sporadique de souscriptions), soit à des notices plus ou moins informes, établies le plus souvent par le destinataire à titre de mémento de l’affaire et en vue de noter les noms des témoins susceptibles de porter ultérieurement leur témoignage. Il en est ainsi dans une large partie du Xe siècle, au XIe et souvent encore au début du XIIe.
Toutefois, avec le progressif accroissement du rôle de l’écrit — qui se manifeste en même temps que le développement de la vie de relation — commence à se faire jour le besoin de disposer de moyens nouveaux pour conférer aux actes une plus grande crédibilité. Au cours du Xe siècle, en Rhénanie et en Lorraine, une pratique matérielle fait une timide apparition, transposée, semble-t-il, de l’Irlande où on le connaissait dès le VIIe siècle, et des pays anglo-saxons : le chirographe20. Sur une même feuille de parchemin, l’acte était établi en deux exemplaires identiques ; un coup de ciseaux les séparait, chacune des parties recevant ainsi un exemplaire de même teneur. Primitivement, [p. 711] la séparation intervenait en coupant en deux soit la formule de datation ou la ligne de recognition, soit la première ligne du texte en caractères allongés, comportant invocation ou suscription : le rapprochement des deux éléments donnait une preuve matérielle de l’authenticité du contenu. Un des premiers exemples connus sur le continent, en Lorraine, est un acte de l’évêque de Toul Gauzelin, de 931, provenant du chartrier de l’abbaye de Bouxières-aux-Dames21, et récemment Michel Parisse a recherché et décrit les plus anciens témoins conservés de ces chirographes primitifs. Les formes se fixèrent avec l’écriture d’une légende entre les deux exemplaires : c’est à travers elle que passait le trait de séparation, d’abord droit, puis ondulé, enfin dans l’Ouest et le Sud-Ouest (de même qu’en Angleterre) en dents de scie (« endenture ») ; c’était le système de la carta divisa ou carta partita (« charte partie »). Cet usage était appelé à prendre un développement considérable et nous le retrouverons comme une des formes les plus courantes de la juridiction gracieuse dans les échevinages du Nord, depuis la fin du XIIe siècle. La chancellerie royale elle-même y recourut au temps des premiers Capétiens22. Dans le Sud-Ouest, on n’hésita même pas à donner un surcroît de crédibilité aux actes notariés du XIIIe siècle et du début du XIVe en [p. 712] adoptant pour eux la forme du chirographe et, en outre, en scellant parfois celui-ci23.
Un autre moyen matériel d’attester la sincérité de l’acte et d’exprimer la volonté de son auteur ou de son garant, fut l’apposition d’un sceau personnel. Précédemment réservé au souverain seul comme marque de corroboration, le sceau fut d’abord utilisé en Germanie, dès le cours du Xe siècle, par les ducs, à commencer par celui de Bavière ; vers le milieu du XIe siècle, il avance vers l’Ouest et il est adopté par les grands de la Lotharingie, puis de la France du Nord, et peu à peu les évêques de cette région en suivent l’exemple. On le voit ensuite progresser lentement vers le Sud, gagnant les Pyrénées et les Alpes, l’Espagne et l’Italie ; mais en même temps, il descend l’échelle sociale, les barons du Nord en disposant quand il ne fait qu’atteindre les grands du Midi, et il se généralise dans toutes les couches sociales du Nord quand dans le Midi seuls les barons commencent à en user. Phénomène capital : le sceau va devenir le moyen essentiel de la juridiction gracieuse de toute la France septentrionale, provoquant une coupure nette de culture juridique avec la France notariale du Sud24.
On avait encore en France la faculté de solliciter du roi, quand on se rendait à sa Cour ou bien quand celle-ci, au cours de sa perpétuelle itinérance, passait à la proximité, la confirmation d’actes antérieurs importants. Souvent le souverain, au lieu de faire délivrer un nouvel acte, se contentait d’ordonner l’apposition de son sceau au bas de la charte, en l’accompagnant éventuellement de son monogramme ou de sa croix autographe, parfois avec une formule d’approbation ainsi que les signa de personnes de son entourage. Près d’un tiers des actes de Henri Ier (1031-1060) et un certain nombre de ceux de Philippe Ier sont ainsi une simple marque d’authenticité donnée par le roi à des actes privés, dont certains sont même parfois fort antérieurs25.
[p. 713] Des monastères, et surtout des abbayes cisterciennes, eurent encore recours à un autre expédient : faire confirmer par l’autorité pontificale toute une série de donations qu’ils avaient reçues et dont beaucoup — à en juger par la consistance des cartulaires et des chartriers — n’avaient sans soute jamais fait l’objet d’actes écrits. Ce sont les « pancartes » pontificales, dont certaines peuvent nous faire connaître jusqu’à une centaine de dons de terres ou de droits26.
Le notariat27
Dans le Midi, en dépit de la prolifération croissante de l’écrit, [p. 714] l’acte privé original qui ne portait plus guère de marque d’autographie et qui n’était pas scellé, se distingue fort mal, à nos yeux, d’une copie contemporaine soignée… sinon d’un faux contemporain, ce qui rend parfois bien délicate la critique proprement diplomatique.
C’est alors que, dans un contexte et en des temps que des recherches encore insuffisantes empêchent de trop préciser, apparaissent des clercs auxquels les particuliers recourent pour la mise par écrit de leurs actes. On trouve donc, ici et là, spécialement en Languedoc, depuis le début du XIIe siècle, des actes qui portent la souscription d’un scriptor, scriba, tabellio, notarius ou simplement capellanus, et parfois l’indication du lieu où ils exercent ; certains, au milieu du siècle, se disent scriptor ou notarius publicus ou communis. Nous ignorons la valeur précise qu’il faut attacher à ce mot de publicus : simples écrivains « publics » ou bien rédacteurs ayant mission de quelque autorité seigneuriale ?
Dans la seconde moitié du XIIe siècle, plus précisément dans les dernières années du siècle, ce sont essentiellement des villes, en plein essor de leur économie et de leurs institutions, qui créent des notaires, lesquels prennent le titre de notarius (ou scriptor) consulum ou de notarius publicus Massilie, Narbone, etc. Ces praticiens écrivent les actes des magistrats, mais ils rédigent aussi des actes pour les particuliers28. Toutefois leur main ne donne pas à l’acte la fides publica : [p. 715] pour donner valeur à leurs actes, ils les scellent du sceau ou de la bulle du consulat en ajoutant souvent qu’ils le font mandato ou auctoriate consulum29. Au tournant du XIIe et du XIIIe siècle, on les [p. 716] trouve à Arles, Avignon, Marseille, Toulon, Tarascon, Orange, Saint-Paul-Trois-Châteaux, etc., d’autre part, à Saint-Gilles, Nîmes, Moissac, Toulouse, Narbonne… En Avignon, la formule de completio est la suivante : « Et ego Stephanus notarius testis interfui et auctoritate consulum et mandato venditoris… presens instrumentum scribi feci et subscripsi et bulla consulum sigillavi » ; et à Arles : « N., consulum notarius, hanc cartam mandato consulum scripsi et eorum sigillo munivi. » Plus secrétaires de villes que véritables notaires publics, ces notaires n’en qualifiaient pas moins leurs actes d’instrumentum, effet évident de la renaissance du droit romain; la formule scribi feci — qui peut remplacer (comme ci-dessus en Avignon) le mot scripsi — nous montre qu’ils pouvaient avoir eux-mêmes des auxiliaires qui écrivaient sur leur ordre.
Notariat spontané et notariat urbain des villes de consulat vont, dans le Sud-Est, subir la lente contamination du notariat public italien. Certains ont cru voir cette pénétration s’effectuer par les cols alpins ou par un cheminement le long de la côté ligure par Ventimille et Nice30. Personnellement, je ne pense guère à une introduction du système du notariat public par ces voies : les notaires impériaux ou apostoliques qu’on a signalés en Briançonnais ou en Provence orientale, venus par les villages de la côté, n’ont joué qu’un rôle très marginal (et, comme une autre communication nous le montrera en ce même Congrès, il faudra attendre la fin du XIIIe siècle pour que les notaires du Val d’Aoste puissent pénétrer vraiment de l’autre côté des Alpes, le Valais). Au contraire, les relations maritimes et commerciales, entre Gênes et Marseille ou les foires de Saint-Gilles31 étaient courantes. Le notariat public, comme l’institution du consulat (ou plus tard celle des podestats) est un fait urbain. C’est bien plus par les villes (et non par les localités de la montagne) et par leur évident besoin de disposer d’actes faisant foi, que l’acte notarié s’est imposé.
[p. 717] Le fait essentiel à souligner dans la transformation qui s’opère alors est qu’au scellement de l’acte (ou à son bullement) par le sceau de la ville se substitue la validation par la simple souscription notariale, par laquelle le notaire indique, outre son nom et son lieu d’exercice, l’autorité dont il tient son investiture, atteste sa présence à la passation de l’acte juridique, la rogatio à lui adressée par l’auteur de negocium, affirme la mise par écrit de l’instrumentum en forma publica et y ajoute, pour lui donner la fides, le témoignage de son signum32. Ce seing manuel, par lequel s’achève l’acte écrit, dessiné d’une façon toujours identique pour un notaire donné, devient ainsi l’équivalent de la signature moderne33.
Le notariat public urbain se maintient et même il s’élargit notablement : la plupart des villes de consulat de Provence et de Languedoc et même bien des bourgs s’en pourvoient dans la première moitié du XIIIe siècle34. Les notaires de ces villes sont investis par les consuls [p. 718] et, un moment, par les podestats instaurés à l’imitation des cités d’Italie, tels à Apt et à Grasse. Le cas le plus intéressant est celui de Toulouse35, où les notaires souscrivent depuis 1266 les instruments en usant de la formule : « notarius publicus juratus noticia capituli Tolose ». En cette cité, on possède depuis 1266 les registres matricules où lors de leur investiture les notaires déposaient le dessin de leur seing manuel, ou bien éventuellement cassaient ce signum pour en adopter un nouveau ; neuf de ces registres ont été conservés aux Archives municipales avec plus de 11.300 noms de notaires de 1266 a 1536. En raison de leur formation juridique au sein de l’Université ces notaires toulousains eurent un large renom dans tout le Languedoc et les pays environnants : ils furent donc appelés à y exercer leur pratique dans d’autres villes auctoritate dominorum de Capitulo Tholose, et cela jusqu’au XVIe siècle en Toulousain, en Quercy, en Rouergue. La prétention de ces notaires des capitouls à instrumenter ubique terrarum comme les notaires pontificaux n’y fut pas étrangère ; non plus que la défiance à l’égard de ces agents du pape et la répulsion officielle à l’encontre de notaires investis par un pouvoir impérial rejeté par un roi de France qui se voulait « empereur en son royaume ». Les notaires toulousains adoptèrent, dans la datation de leurs actes, le style de premier janvier pour le changement de chiffre de l’année de l’Incarnation, solution intermédiaire entre le style de l’Annonciation (25 mars) et celui de Pâques, trop mobile36.
Contrairement à ce qu’on a parfois affirmé, l’investiture impériale a été relativement exceptionnelle en France ; même dans les terres [p. 719] d’Empire, elle a été relativement tardive — aux environs de 1225 —37 et ne s’est vraiment exercée que dans les pays bas-alpins, au voisinage de l’environnement italien, de même qu’à l’extrémité orientale de la Provence38. Elle s’est trouvée bloquée, en effet, par la volonté des autorités locales d’investir elles-mêmes leurs notaires. Sans doute l’empereur l’a-t-il lui-même très tôt compris, en conférant éventuellement à certains de ses fidèles le droit d’investir des notaires « impériaux » : tel Guillaume de Hollande autorisant en 1251 l’archevêque d’Arles à créer des notarii imperiali auctoritate avec pouvoir de passer des actes faisant foi dans tout l’Empire39.
Était-ce là une réponse à la prétention qu’avait affichée en 1249 l’évêque de Marseille en affirmant, dans l’exposé d’un acte par lequel il nommait un notaire pour son diocèse, qu’il tenait de Dieu même (a divina potencia nobis concessa) la jurisdictio creandi et nominandi publicos notarios40.
Les notaires apostoliques n’eurent pas beaucoup plus de succès, ou plutôt ceux qui se réclamaient de cette qualité l’utilisaient-ils bien rarement seule : ils la complétaient normalement par la mention de qui ils tenaient véritablement leur pouvoir d’instrumenter. Ils se disaient, par exemple, « notaires publics par l’autorité apostolique et par celle de l’évêque de N. » et cela dès le milieu du XIIIe siècle41. Les papes d’Avignon conférèrent d’ailleurs volontiers à des prélats le pouvoir de conférer à des candidats de leur choix cette investiture apostolique42.
[p. 720] Comme les villes, des seigneurs haut-justiciers entendirent eux aussi donner leur investiture à des notaires publics, chargés d’instrumenter dans le ressort de leurs propres domaines et d’y dresser les actes en forme d’instrument public43. Ce fut d’abord le cas des évêques du Languedoc oriental : dès la fin du XIIe siècle, l’évêque de Béziers, en accord avec le vicomte, concédait à vie à un particulier le tabellionatus et la potestas faciendi cartas in tota villa Biterrensi. L’exemple fut bientôt suivi par l’archevêque de Narbonne dont les notaires entraient ainsi en concurrence avec ceux créés par le consulat, puis par les évêques de Nîmes, Uzès, Mende, Viviers, Albi. Il le fut aussi par le comte de Toulouse et au cours du siècle par divers barons méridionaux44.
En Provence, Raymond Bérenguer IV, comte de Barcelone, institua de même des notaires, mais en les rattachant un peu plus étroitement à l’autorité judiciaire — à l’exemple de la Catalogne — spécialement quand il s’agissait d’établir une copie authentique ou un vidimus : ils instrumentaient alors mandato judicis. Après avoir réduit par la force l’opposition des villes qui s’étaient soulevées contre son pouvoir, le comte s’appliqua à se réserver à lui-même le droit d’attribuer le jus conficiendorum instrumentorum et cela dans tout son comté45 ; c’est ainsi que lors de la soumission de Tarascon en 1226, la ville dut renoncer, en même temps qu’à son consulat, à la désignation des notaires de celui-ci46. En revanche, les notaires publics investis par le comte pouvaient instrumenter dans toute l’étendue de la Provence. Cette évolution se précisa après la prise en main du comté par Charles Ier d’Anjou et la fin de son conflit avec les consulats : les notarii publici Massilie s’intitulent dès lors publicus de Massilia auctoritate [p. 721] regia notarius constitutus. Dès lors, si certains de ces notaires comtaux paraissent limiter leur activité à une baylie donnée, c’est-à-dire à une des entités administratives du comté, nous possédons le texte d’actes par lesquels Charles d’Anjou institue un notarius publicus sive tabellio per totam terram nostram Privincie et Forcalquerii, l’investiture pouvant d’ailleurs être conférée à des personnages qui avaient déjà reçu une investiture impériale ou apostolique47.
Une situation analogue s’établit dans le Sud-Ouest après le traité de Paris de 1259, qui réglait les questions pendantes entre saint Louis et Henri III d’Angleterre à propos de la Guyenne : sans préjudicier aux droits acquis des seigneurs locaux ou des villes — Bayonne, par exemple — le roi-duc instituait des « notaires publics de par le roi pour tout son duché de Guyenne ». Ainsi se constituait, après le morcellement antérieur, une autre vaste zone notariale, dont tout le Sud adopta d’ailleurs, de préférence, le gascon ou l’occitan pour la rédaction des actes.
C’était là une réponse à une initiative analogue du roi de France. Quand au lendemain du traité de Paris de 1229, le roi avait pris possession du Languedoc oriental et constitué en conséquence les sénéchaussées de Nîmes et Beaucaire, de Carcassonne et Béziers, l’investiture des notaires publics passa immédiatement du comte de Toulouse au roi. Apparurent ainsi des notarii publici domini regis48. Ils allaient être à l’origine d’une lente évolution, parallèle aux efforts d’affirmation des droits régaliens et de la centralisation monarchique, qui amena le pouvoir royal à prétendre pour les notaires royaux au droit d’instrumenter, non seulement dans le domaine propre du roi, [p. 722] mais dans tout le royaume. Par là le roi entendait que ses notaires pussent instrumenter librement dans les domaines de tous ses sujets, les notaires investis par les barons, les prélats et les villes ne pouvant quant à eux intervenir valablement que dans le seul domaine de qui leur avait donné leur investiture. Par là aussi, en se donnant ce monopole d’instrumentation dans tout le royaume, il rejetait la prétention des notaires impériaux d’instrumenter en tous lieux.
En fait, les autorités du nord du royaume comprenaient mal ce type d’institution où une personne privée, dès lors qu’elle avait reçu une investiture officielle, devenait une persona publica et avait pouvoir de conférer l’authenticité à un acte par sa seule souscription que tout habile faussaire pouvait imiter, alors que la règle aurait voulu que cette authentification fût donnée par l’apposition d’un sceau par une autorité publique. Déjà sous saint Louis, dès 1233, des sceaux royaux avaient fait leur apparition à Béziers et à Nîmes49, à l’imitation de celui du Châtelet de Paris, qui — comme nous le verrons — scellait à la même date les lettres de juridiction gracieuse. On a aussi signalé plus haut l’apparition de bulles de plomb royales apposées vers le même temps à des actes notariés, le bullement étant un système qui s’était diffusé le long de la vallée du Rhône. Cette évolution se précisa après la dévolution des anciens domaines d’Alfonse de Poitiers à Philippe III en 127650 : on constate en Quercy, à Lauzerte, [p. 723] que des actes notariés, précédemment validés par le seul seing du notaire, le sont à partir de 1276 par un sceau aux armes royales. A. Giry a, de même, autrefois signalé qu’un acte de Marvejols, terre de pariage entre le roi et l’évêque de Mende comte de Gévaudan, instrumenté par un notaire royal de la sénéchaussée de Beaucaire et Nîmes, comportait l’annonce de la bulla regia51, laquelle est encore appendue à l’acte ; ses deux faces portent une fleur de lys et la légende se poursuit d’une face sur l’autre : « Sigillum Philippi / regis Francorum ». La concurrence entre le sceau et le seing était donc ouverte et le grignotage de l’usage méridional commencé.
Dès lors Philippe et son entourage se sentaient autorisés à poursuivre cette politique d’assimilation du Midi. Le 15 novembre 1291, le roi mandait aux sénéchaux du Midi une ordonnance qui eût pu être décisive pour l’avenir du système juridique français. Le roi entendait se réserver l’investiture de tous les notaires et, simultanément, il rendait obligatoire l’apposition d’un sceau authentique sur tous les actes notariés pour leur conférer l’authenticité52. Il va de soi que ces sceaux devaient être apposés par les juges royaux. Sans doute y eut-il des oppositions immédiates, car l’ordonnance ne fut enregistrée à Carcassonne que deux mois plus tard, le 16 janvier 1292 ; sans retard, le sénéchal fit fabriquer les grands et petits sceaux de toutes les juridictions de son ressort et dès le 8 février il les remettait aux viguiers ou au juges53. Le tollé dut être formidable, car il allait à l’encontre de tous les droits établis. Dès le 20 mars — juste le temps d’un aller-retour [p. 724] d’un courrier — le roi faisait marche arrière. Il déclarait reconnaître les droits acquis des autorités seigneuriales pour la nomination des notaires, renonçant ainsi à prétendre au monopole des investitures, et surtout, en raison des plaintes des populations qui protestaient contre le coût plus élevé des expéditions que provoquait le scellage des actes au siège de la judicature, cette dernière mesure était rapportée54. Cette fois le sénéchal faisait enregistrer l’ordonnance dès le 5 avril, soit deux semaines après son expédition de Paris — temps record pour l’époque — contre deux mois pour l’ordonnance précédente. Ainsi les notaires du Midi pourraient continuer à donner validité à leurs actes par leur simple seing : « Les actes des notaires — disait on maintenant — feront foi sans le sceau. »55 Cette ordonnance de 1304 allait être considérée comme le « statut du notariat méridional »56 et sa date est parfois donnée comme celle de la création du notariat royal français.
Les autorités royales tournèrent, en effet, la suppression officielle du scellage des actes privées en établissant en diverses cours des « sceaux rigoureux »57, c’est-à-dire des cours de juridiction volontaire devant qui les parties pouvaient se constituer en se soumettant à l’avance à sa procédure summarie et de plano et à sa sentence sans appel. C’est ainsi que Louis d’Alauzier58 a signalé, par exemple, des grosses notariales ainsi scellées à Lauzerte en Quercy, à partir de 1289 et durant le XIVe siècle, sous le sceau de la baylie royale. Le notaire se dit alors « notarius… ad recipiendum contractus sub dicto sigillo » ou bien « ad recipiendum quoscumque contractus a quibuscumque volentibus se supponere sub dicto sigillo », tandis que les [p. 725] parties déclaraient se soumettre « compulsioni et cohercioni sigillorum regiorum ubicumque in senescallia Petrogoricensi et Caturcensi statutorum et positorum ». De même à Bioule, des actes sont passés par le notaire royal et scellés « del sagel pauzat e establit en la vila e en la baylia de Realvila er la auctoritat real » (1327). Pour le seul Quercy, L. d’Alauzier, outre les sceaux de Lauzerte et de la bastide de Réalville, a établi un état de tels sceaux rigoureux : Domme (depuis 1295), Montfaucon (depuis 1291), Caylus (depuis 1308) Figeac (en 1345), ainsi que Bruniquel59.
La Cour de Riom, établie par Alphonse de Poitiers et qui commença à fonctionner en 1261, peut avoir servi de modèle à certaines de ces cours de sceau rigoureux. La plus célèbre est celle du Petit scel de Montpellier60, ou bien la Cour des conventions royaux de Nîmes créée en 1278 par Philippe III le Hardi spécialement pour donner validité aux actes passés par les marchands italiens trafiquant à partir de cette ville vers les foires de Champagne, ou encore le Grand scel royal de Béziers. Le système s’étendit même au-delà des limites du royaume ; ainsi la Chambre rigoureuse de Provence instituée en 134861 ; et j’ai moi-même signalé l’intérêt exceptionnel de la série des registres (d’ailleurs tardifs, depuis 1438) des amendes infligées par la Cour rigoureuse — devenue cour des conventions royaux — de Chabeuil en Dauphiné devant qui venaient les dettes et les affaires commerciales et notamment les contrats passés avec des Juifs62. Il ne faudrait pas oublier le cas particulier, mais essentiel, de la cour des foires de Champagne : tous les contrats passés en foires, généralement [p. 726] par des notaires (italiens et autres) devaient, pour bénéficier des privilèges attachés aux actes instrumentés « sur le corps des foires » être scellés du sigillum nundinarum Campanie et Brie et enregistrés dans les registres de la Cour63.
Il y eut bien d’autres « sceaux rigoureux » qui n’ont jamais vraiment attiré l’attention des historiens et des juristes, bien qu’il s’agisse d’une institution fondamentale en matière de droit privé et spécialement pour les activités commerciales et financières. Dès les début du XIVe siècle, les clauses finales des actes de ce type se développent : les deux parties (ou au moins l’une d’elles) déclarent vouloir être contraintes par la cour « comme de cause connue et confessée en jugement » par le recours à l’arrestation de sa personne, la saisie et la vente de ses biens, le paiement de dommages et intérêts, etc., et des sergents étaient affectés à l’exécution des jugements rendus en conséquence.
Il convient toutefois de revenir à l’ordonnance de 1304. Celle-ci — en dépit des exceptions que nous venons de signaler — s’est révélée d’une importance capitale, car elle devait consolider pour deux siècles le système notarial méridional et consacrer officiellement la coupure de la France en deux zones juridiques, une France du Nord où l’authentification des actes était donnée par le sceau de juridiction, et une France du Midi où régnait sans conteste l’acte notarié pleinement authentique. Cette séparation correspondait à peu près à ce qui devint par la suite le ressort du Parlement de Toulouse, et à celui des Parlements de Bordeaux, de Grenoble et d’Aix pour les régions réunies ultérieurement au domaine royal ou au royaume. Seuls les notaires royaux pouvaient instrumenter dans le domaine royal et dans les terres de pariage où il y avait partage des pouvoirs entre le roi et un prélat. L’ordonnance leur prescrivait une résidence fixe, prévoyait pour leur nomination un examen, fixait le montant des émoluments, prescrivait la tenue de registres et donnait pour condition de forme le seing notarial. Officiers royaux, les notaires recevaient pouvoir d’instrumenter [p. 727] per totum regnum, ce qui leur donnait une évidente supériorité sur les autres notaires dont le ressort — sans toucher aux droits acquis des évêques, des barons et des villes — était nécessairement limité. On voit dès lors des notaires cumuler les investitures pour intervenir dans des terres d’obédience diverse. C’est ainsi qu’on a le registre d’un notaire d’Auvergne qui en 1358, selon la qualité de ses clients, se qualifie de notaire royal, notaire impérial, notaire apostolique ou notaire de la cour séculière de l’évêque de Clermont et qui mentionne expressément s’il s’agit d’un instrument public ou bien d’une lettre sous le sceau de l’officialité, sous celui de l’évêque (pour son domaine propre) ou encore sous celui de la cour de Riom ou de la prévôté de Montferrand64. Dans les régions de confins, du côté de la Bourgogne, de la Marche ou du Limousin, de tels cumuls sont fréquents. Mais peu à peu le rôle des notaires seigneuriaux se restreint et le cumul des investitures se raréfie, les notaires locaux ayant de plus en plus tendance à jouer le rôle de praticiens, procureurs ou greffiers des juridictions seigneuriales avant de disparaître définitivement au XVIIe siècle.
Si on laisse de côté les notaires du Sud-Ouest — spécialement en Bordelais et en Gascogne — qui très tôt avaient pris l’habitude d’écrire leurs actes en langue vulgaire et qui ont parfois établi leurs instruments en forme de chirographes scellés par les parties, les notaires de tout le Midi de la France, notaires royaux comme ceux du Dauphiné, du Comtat et de la Provence, présentent une véritable unité juridique et diplomatique où seules des variantes minimes interviennent ; c’est ainsi que les notaires dauphinois eurent souvent l’habitude d’encadrer leur actes entre deux seings manuels, l’un au début, l’autre à la fin et, en outre, de faire souvent courir l’écriture parallèlement au petit côté.
[p. 728] En Provence, il semble que le roi-comte ait délégué au sénéchal le soin de donner en son nom l’investiture à ses notaires, à la suite d’un examen au sujet duquel nous n’avons guère d’information précise65. Dans le royaume, Philippe le Bel avait prévu qu’un des notaires de sa chancellerie royale, qui prit le titre de protonotaire, vérifierait la capacité des notaires66, il ne parait pas que cela ait effectivement fonctionné et, très vite, le titre de protonotaire fut attribué au notaire et secrétaire du roi qui exerçait la fonction de greffier civil du Parlement, ce qui lui donnait simplement préséance sur les autres notaires et secrétaires. Ce furent donc les sénéchaux, ou leurs lieutenants, qui procédaient aux nominations, très tôt transformées en offices, et l’hérédité y joua dès lors son rôle.
A la différence des notaires italiens, les notaires méridionaux ne paraissent pas avoir suivi, jusqu’à une date relativement tardive, des études juridiques particulières. Ils se sont formés essentiellement par [p. 729] la pratique. A Marseille et dans les villes les plus importantes, les notaires avaient un ou plusieurs clercs qui, en principe, devaient se borner à grossoyer les actes dont les minutes étaient prises par leur maître. En fait, il arrivait que celui-ci se reposât souvent sur eux pour prendre minute d’une partie de leurs actes. En effet, certains de ces clercs avaient déjà reçu une investiture de notaire public sans pouvoir encore exercer leur fonction pour leur propre compte, faute d’avoir pu se procurer un office. Ils agissaient donc comme « substituts » d’un notaire et certains pouvaient demeurer assez longtemps dans cette condition. Parfois, il y avait un registre unique pour le notaire et son substitut ; mais dans les plus grosses études il arrivait que le notaire et ses substituts tenaient chacun son propre registre67. A. de Boüard a signalé l’en-tête d’un registre notarié de Mende, où en 1362 le notaire indique expressément qu’il prend la responsabilité de tout le contenu, encore qu’on puisse voir dans ce registre des notes écrites de plusieurs mains parce que sur son ordre et sous sa dictée le texte en a été pris par ses substituts (« per aliam manum… quia de mandato et ad dictamen meum sunt registrata per diversos scriptores, substitutos meos »)68.
En outre, les grosses études urbaines de Provence formaient un ou plusieurs stagiaires, dont on distingue les mains dans les registres et qui se succédaient à un rythme généralement annuel. Ils recevaient ainsi une formation pratique avant d’accéder à la profession soit dans la ville, soit souvent dans quelque autre localité, où j’ai retrouvé leurs registres personnels.
Ces stages pratiques étaient d’autant plus indispensables que bien des notaires n’étaient pas originaires de la région et n’avaient qu’une connaissance apprise de ses coutumes. C’est ainsi qu’en Avignon — en dépit des statuts — beaucoup venaient de la Bourgogne, de la Savoie ou des lointains pays du Jura, et qu’en Bordelais nombreux [p. 730] étaient les immigrés du nord de la Guyenne, du Poitou, voire de la Touraine ou même de la Bretagne69, c’est-à-dire de pays coutumiers, qui devaient se former aux usages des pays de droit écrit. Par là on comprend d’ailleurs la tendance constatée à un certain brassage des usages et à une uniformisation du droit français, d’autant plus que la jurisprudence parisienne y contribuait largement. Cela explique aussi l’établissement de bien des recueils de formules que renferment les fonds d’archives d’études notariales70. En effet, il n’y a pas eu en France — sauf cas exceptionnels comme celui de Bertrand du Pont, notaire d’Avignon dont Gérard Giordanengo a signalé71 un petit formulaire d’une quinzaine de feuillets antérieurs à 1234 — de véritables sommes d’ars notariae, comme en Italie, tout enseignement théorique paraissant exclu. Tout au plus, une Somme rolandine peut exceptionnellement figurer dans leurs papiers. En revanche, beaucoup se sont appliqués à se constituer des recueils pratiques de modèles, en dépouillant les registres de leurs prédécesseurs et en recopiant les actes qui leur paraissaient de bonne venue et susceptibles de leur servir de guide dans les diverses circonstances de leur carrière et en y ajoutant éventuellement divers actes sortis de leur propre plume72.
[p. 731] N’oublions pas que les notaires sont avant tout des praticiens, que très vite ils se mettent à proliférer, qu’il s’établissent en grand nombre, non seulement dans les villes, mais dans les bourgs et même les villages. Pour vivre, certains sont obligés de servir d’auxiliaires aux justices locales, de secrétaires de seigneurs ou de villes, de collecteurs de taxes, de péages, de tailles. Parfois ils exercent aussi d’autres métiers : je connais des gagne-petits qui étaient hôtes ou courtiers, ce qui leur permettait de passer des contrats commerciaux entre leurs clients. Édouard Baratier a étudié le cas exemplaire d’un notaire de Riez du XIVe siècle qui s’était fait drapier73 : son registre de minutes comme marchand de draps est une source inappréciable pour la connaissance du marché du textile. Certains, qui disposaient d’un petit capital, prenaient à ferme des péages ou la perception de droits divers ou bien pratiquaient le prêt à intérêt. D’autres, au contraire, appartenaient, comme les juges avec qui ils étaient parfois liés par des relations familiales, au milieu dirigeant de la ville, et on les retrouve dans les rangs de l’administration royale ou parmi les consuls.
Si les gros notaires passaient plus volontiers leurs actes dans leur propre maison (« in domo habitationis meae »), à moins qu’ils ne se rendent chez des clients importants, dans leur château ou leur boutique pour prendre leurs actes, d’autres instrumentaient sur un banc en [p. 732] pleine rue (« in carreria ») ou sur la place du marché (« in foro »). Il arrivait aussi que certains suivissent dans leurs tournées l’évêque, le sénéchal, des enquêteurs, des commissaires du roi. D’autres encore passaient des actes de façon régulière dans plusieurs localités, parfois même assez éloignées l’une de l’autre; mais certains étaient véritablement itinérants : nous les connaissons mal, en raison d’une conservation médiocre de leurs registres, mais les épaves que nous en avons témoignent de cette itinérance qui les amène à circuler constamment d’un bout à l’autre de la Provence ou du Dauphiné, à la quête de contrats à instrumenter, de ferme en ferme, de village en village74.
On dispose de quelques indices que les notaires provençaux ont tenu registre de leurs minutes dès les dernières années du XIIe siècle. Ainsi A. de Boüard a signalé qu’en 1200 un notaire de Tarascon expédiait un acte qu’il tirait du cartularium de son père défunt, jadis notaire public de la ville75. Il en était de même à Grasse vers le même temps76, et un peu plus tard à Marseille77.
Mais les plus anciens registres aujourd’hui conservés ne datent [p. 733] que du milieu du XIIIe siècle. Le premier est formé des fameuses notules du notaire marseillais Giraud Amalric, de 1248, autrefois publié par L. Blancard, une des sources essentielles de l’histoire du commerce maritime méditerranéen78 ; il est suivi à Marseille d’une vingtaine de registres de 1277 à 1300. En Provence, Grasse a encore un registre de 125179, Manosque une série de six registres de 1256 à 1300 et Brignoles un de 1283. Très rares sont ailleurs les registres du XIIIe siècle : en Dauphiné, Goncelin a deux registres de 1285 à 1300 ; en Vivarais, Bourg-Saint-Andéol un de 1285, et en Quercy Puy-l’Évêque un de 1289. En Languedoc, la série des registres de Montpellier remonte à 1292 et il y en a quelques autres isolés à Mende, Rodez et Illes en Roussillon. Mais dès le début du XIVe siècle, les séries s’étoffent peu à peu jusqu’à constituer des masses écrasantes, sources de recherches historiques infinies : ainsi des villes comme Aix et Marseille possèdent l’une et l’autre plus de 1.800 registres antérieurs à 1500, et Avignon 1.350. Pour les seuls départements de la France du Sud-Est, entre le Rhône et les Alpes, j’ai pu dénombrer près de 15.000 registres antérieurs à 150080.
Il arrivait que les notaires prissent des notes très sommaires et très rapides, de simples notulae ou notae, soit sur des feuilles volantes, des « cèdes » ou schedae, ou bien dans des carnets, des « manuels » ; les premières étaient normalement écrites lorsque le notaire se déplaçait hors de sa résidence sans emporter avec lui son registre ; il devait ensuite les recopier dans celui-ci à son retour, mais parfois il négligeait de le faire et nous retrouvons ces papiers pliés dans les fils de la couture à la place qu’ils auraient dû occuper ou bien dans le repli de la reliure. En fait, le plus souvent, le notaire rédigeait directement, au fur et à mesure, des minutes relativement abrégées sur un premier registre, dit « registre des brèves » ou des « embrévures » [p. 734] (imbreviaturae) on encore des « notes ». Ensuite, quand on lui en demandait une expédition, par exemple lors d’un litige à propos de l’exécution, il reprenait cette minute et l’« étendait » ou l’« ordonnait » dans un second registre; l’« extensoire » (extentorium) ou « livre des étendues » ou des « ordonnées », où étaient développées les formules qui avaient été négligées ou simplement rappelées par un simple mot (« promettant etc., obligeant etc., renonçant etc. ») dans la première rédaction81. On ne trouve donc dans l’extensoire que les pièces dont l’expédition a été demandée ; celles-ci sont alors souvent cancellées dans le registre des brèves tandis qu’en marge une mention était portée indiquant que l’acte avait été extrait (« grossatum », « extractum », « ordinatum est ») ; dans cet extensoire, les pièces se suivent donc dans l’ordre chronologique où l’expédition a été dressée, autrement dit avec des chevauchements de mois, sinon d’années, les actes d’un prédécesseur du notaire pouvant donner lieu à une expédition très postérieure. Il va de soi pour la recherche historique qu’un tel registre — incomplet et sans ordre chronologique successif — ne présente pas le même intérêt que le registre des brèves. Toutefois certains notaires sachant que de toute nécessité on leur demanderait l’expédition de certaines pièces pouvaient les établir directement dans leur extensoire, d’où la nécessité de consulter simultanément les deux séries de registres, quand on les possède. Enfin, d’autres notaires estimaient commode d’affecter un registre distinct à certaines catégories d’actes : testaments, contrats de mariages, inventaires, reconnaissances en vue de dresser un terrier d’une seigneurie, etc. Malheureusement le recours fréquent des notaires à de tels registres et, dans le dernier cas, leur remise au seigneur pour qui les actes avaient été instrumentés, ont provoqué une perte, pour nous irréparable. il est inutile, je pense, d’insister sur ces aspects qui sont communs à toutes les pratiques notariales et dont on reparlera à propos d’autres exposés82.
[p. 735] Je voudrais cependant indiquer que certaines chancelleries princières — celle du Dauphin et du comte ou duc de Savoie notamment — ont recouru au service de notaires publics, delphinaux ou comtaux qui, à côté des actes scellés du prince, ont rédigé d’autres actes en forme d’instrument public, spécialement pour des hommages, des investitures féodales, des reconnaissances. Des séries de ces registres de notaires et secrétaires sont aujourd’hui conservés, et on constate qu’en certains cas, au cours de leurs déplacements, il leur arrivait de prendre également des actes pour des particuliers qui ont ainsi pris place au milieu des actes princiers83.
En quelques cas, le roi de France lui-même a recouru, au moins au XIVe siècle, à des notaires publics — bien que ceux-ci ne fussent guère de mise dans la France du Nord —, en vue d’établir certains procès-verbaux84. D’ailleurs certains des notaires de la chancellerie royale avaient commencé leur carrière comme clercs d’officialité ou comme notaire accompagnant dans leurs missions des officiers royaux.
Il est encore un cas qu’il convient de signaler, celui des foires de Champagne. Comme nous l’avons mentionné plus haut, pour bénéficier du privilège du « corps des foires » en matière de procédure (c’est-à-dire pour suivre les débiteurs défaillants et obtenir à leur endroit et éventuellement contre leurs compatriotes le mécanisme de l’« interdit des foires » et des représailles), les actes devaient être mis par écrit, puis scellés du sceau de la juridiction, enfin enregistrés dans des registres spéciaux. Mais des notaires italiens accompagnaient les [p. 736] marchands, leurs concitoyens, et c’est évidemment eux qui les plus souvent établissaient leurs contrats, même avec des régnicoles. Nous trouvons donc nombre de contrats notariés passés en foire de Champagne dans les archives italiennes, notamment à Plaisance, à Sienne, à Florence… J’ai même eu autrefois l’occasion de découvrir à Troyes même et de publier un fragment sur parchemin du registre d’un de ces notaires des foires, le Placentin Gerardo da Roncarolo, de 1296, qui constitue ainsi le plus ancien témoin d’un registre d’actes notariés passés dans la France du Nord85.
Mais dans l’ensemble — et il convient de le souligner — la France du Nord n’a pratiquement pas connu l’institution notariale, mais bien d’autres pratiques qui vont nous retenir. La situation devint d’ailleurs plus nette encore au début du XIVe siècle, lorsque, tirant la conséquence du statut du notariat méridional concédé par Philippe le Bel en 1304, le gouvernement de Louis X eut décidé en 1315 de révoquer tous les notaires publics que l’autorité du roi avait précédemment créés dans les pays coutumiers : « in terris aut locis que reguntur per consuetudinem »86. Dès lors la coupure du royaume en deux zones juridiques bien distinctes est consommée : France coutumière et France de droit écrit, France des tabellionages sous le sceau et France du notariat public sous le seing manuel du notaire.
Typologie des actes de juridiction volontaire dans la France du Nord
Si le midi de la France, avec certains retards dans l’évolution et certaines variantes régionales, offre, dans l’ensemble, au moins à partir du XIIIe siècle, un tableau relativement uniforme de l’institution notariale, seule à conférer l’authenticité aux actes privés, la situation de la France du Nord est infiniment plus complexe. Au nord d’une ligne Bordeaux-Genève se rencontrent, en effet, des systèmes très variés et complètement différents d’exercice de la juridiction gracieuse, [p. 737] celle-ci y jouant un rôle finalement comparable à celui du notariat méridional. On peut les ramener à cinq types principaux : les records de témoins et les actes des autorités urbaines ; les actes sous le sceau d’autorités féodales, laïques et ecclésiastiques ; les lettres des juridictions d’Église : doyens de chrétienté et officialités ; les lettres du Châtelet de Paris ; les actes des tabellionages sous le sceau des autorités publiques qui, à partir de la fin du XIIIe siècle, tendent à éclipser les systèmes antérieurs et qui, à l’époque moderne, finissent par confluer avec le notariat méridional au sein du notariat royal, mais avec des variantes considérables selon les régions, tant dans le fonctionnement que dans l’évolution.
1. Records de témoins, juridictions scabinales et juridiction gracieuse urbaine
Dans les zones où avaient définitivement triomphé les influences germaniques, avec la procédure orale et la preuve testimoniale, l’habitude s’était prise de contracter en public devant la judicature, in pleno mallo, in mallo publico ou plus simplement coram publico, publice, afin que les boni homines — des hommes libres et dignes de foi — et spécialement les échevins (scabini) pussent porter témoignage tant de l’engagement contracté que de l’exécution des solennités le concrétisant. Ce témoignage était appelé « record ».
Or dans l’extrême nord du royaume et en Lotharingie, le lien est évident entre les juridictions locales carolingiennes et celles de l’époque féodale. Des échevinages territoriaux et des cours allodiales ont pris la suite du mallum et ont continué à exercer la justice dans le ressort des anciens pagi ou de leurs subdivisions. C’est le cas de la Flandre, comme Fr. L. Ganshof l’a autrefois démontré87. A Lille le mallum ou tetmallum a persisté sous le nom de « thimaus » jusque sous l’Ancien Régime88. Ces échevinages virent cependant progressivement leur compétence se réduire aux alleux du plat pays.
[p. 738] Mais, par le jeu des privilèges d’immunité concédés largement par les souverains carolingiens aux établissements ecclésiastiques, ceux-ci en vinrent à organiser la justice sur leurs propres domaines à l’image de la justice publique dont ils étaient désormais exempts89. De même, lorsque les communautés d’habitants reçurent à leur tour des franchises, elles obtinrent d’être autonomes par rapport au plat pays sur le plan judiciaire et d’avoir pour exercer la justice des échevins propres ; ceux-ci, longtemps désignés par le comte lui-même ou par un seigneur, furent par la suite, plus ou moins précocement ou tardivement, nommés par les habitants eux-mêmes90.
En conséquence, les actes continuèrent à être passés par devant les échevins ou du moins devant certains d’entre eux, comme représentants de l’autorité judiciaire, ou bien par devant des échevins et certains jurés de la ville, ou encore en présence d’hommes spécialement désignés pour porter témoignage. Cela varia selon les villes91. C’est ainsi que la charte d’Amiens de 1091 mentionne la présence de tels témoins privilégiés, legitimi homines, correspondant aux boni homines d’autrefois92. A Douai, en 1125, le record devait être fourni [p. 739] par deux échevins et quatre témoins assermentés93, et de même à Saint-Omer en 1127. A Cambrai, en 1184, c’étaient six témoins assermentés accompagnant un échevin et a Tournai les « voirs jurés » (veri jurati)94. A Eu, en 1151, la charte, sans doute établie sur le modèle de celle de Saint-Quentin, précisait que tout ce qui aurait été fait par devant deux échevins serait tenu pour certain et d’une firma stabilitas, même s’ils portaient témoignage après leur sortie de charge95.
De là toute une série d’institutions, divergentes dans leur fonctionnement mais concourant à une même finalité : attester l’authenticité d’un acte juridique.
Très vite, dès la fin du XIIe siècle ou le début du XIIIe, on en vint à dresser à l’avance des notices mentionnant la teneur de l’acte, à moins que ce soit l’une des parties qui établisse elle-même un tel memorandum. Dans l’un et l’autre cas, il s’agissait de simples notices sans valeur authentique par elle-même, mais destinées à « soutenir le record », c’est-à-dire raviver le souvenir en cas de litige. De telles notices, on trouve des exemples en diverse villes, notamment à Saint-Omer. Ces notices étaient conservées dans les archives de la ville, dans des sacs ou bien dans des coffres ou des armoires. D’où leur nom d’« écrits d’arche » (arca) ou de « huche » : il s’agissait d’une « mise en ferme ». Ainsi les archives de la ville constituaient un locus credibilis, comme on a dit en d’autres régions de l’Europe. Le fait de les y conserver leur donnait une présomption de sincérité96.
Ces « écrits d’arche » ne sont pas sans rappeler ce qui s’est passé à [p. 740] Cologne dès 1135 avec les « Schreinsurkunden » (scrinii acta)97. C’est d’ailleurs le système même de Cologne qui fut transporté à Metz en 1197 par un évêque qui avait été précédemment juge à Cologne98 : pour des raisons politique et pour concurrencer la juridiction municipale, il institua dans chaque paroisse de la ville — en même temps qu’il supprimait le duel judiciaire comme moyen de preuve — une arche gérée par deux « amans », du germanique « Amtman » (avec une confusion sans doute volontaire avec l’amanuensis romain). Ces amans rédigeaient une notice de l’acte et la déposaient dans l’arche de la paroisse, mais sans leur donner aucun signe de validation, l’écrit ne produisant son effet que lorsqu’il était « tesmoigné » oralement par un aman ; mais ils délivraient aux parties un double de la notice avant son dépôt dans l’arche pour leur permettre la mise matérielle à exécution de l’acte juridique ; ce double portant la mention de l’« arche » où la notice originale était gardée. Ce système resta en quelque sorte figé dans son archaïsme, tandis qu’à Cologne il avait donné naissance à un enregistrement dans des rouleaux (« Schreinskarten ») puis au XIIIe siècle dans des registres (« Schreinsbücher »). A Metz, la pièce déposée dans l’arche acquit peu à peu une certaine valeur, d’autant plus qu’à la fin du XIVe siècle elle reçut une apostille d’un aman, par laquelle à l’avance il portait son record. Au XVe siècle, ce double fut remplacé par la minute de l’acte et les parties en reçurent une expédition. Malgré la concurrence des notaires, ce système dit de l’amandellerie devait subsister jusqu’à 172899.
[p. 741] Dans des bourgs secondaires, on se bornait à écrire la notice et éventuellement le record auquel l’affaire donnait lieu en cas de litige, dans le registre même où les autorités locales faisaient inscrire pêle-mêle leurs propres actes, des comptes et autres pièces. C’était encore au XIVe siècle le cas de Revin dans les Ardennes100.
Avec le développement des villes et l’essor de leurs activités économiques, on trouva plus expédient de faire rédiger de véritables actes, surtout lorsqu’il s’agissait de transactions immobilières. A Lille, un clerc de la ville en fut spécialement chargé. Au cours du XIVe siècle, dans les grandes villes de Flandre, les clercs chargés de leur rédaction devinrent plus nombreux ; ils formèrent des « secrétaireries » à la tête desquelles était un secretarius ou protonotarius dont certains avaient d’ailleurs reçu une investiture de notaire public impérial ou apostolique, tandis que d’autres, dans la seconde moitié du siècle, étaient recrutés parmi les juristes101.
Tantôt on dressait l’original même de l’acte. Tantôt on enregistrait les notices les unes à la suite des autres dans des rouleaux, telles les « prises de bans » de Metz102. Tantôt on les transcrivait dans des cahiers ou des registres (comme cela se fit dans les « Schöpfenbücher » allemands ou les « Amtmansbücher » de la Suisse alémanique). Ce fut généralement le cas dans les juridictions scabinales de l’actuelle Belgique. Souvent cela provoqua la création d’un véritable service de greffe dans le communautés urbaines. Ainsi à Saint-Omer fut établi, [p. 742] des le début du XIIIe siècle, un « greffe des werps » (werpitiones) pour la conservation des actes de mutations immobilière103.
Le cas le plus répandu fut celui de l’établissement de l’original même de l’acte, intitulé au nom du maire ou bien du maire et des échevins. Il pouvait recevoir le sceau personnel de tel ou tel d’entre eux dès lors qu’il en possédait un. A Ypres, ces actes reçurent à la fin du XIIIe siècle les seings manuels des scribes, qui ainsi se transformèrent en une sorte de notariat, sans que pourtant cette marque eût véritablement qualité pour donner à l’acte un incontestable caractère authentique104 : c’était simplement, vis à vis de l’autorité dont ils dépendaient, la marque de la responsabilité qu’ils avaient prise dans l’élaboration de l’acte — exactement comme à la même époque les notaires de la chancellerie royale française ou les clercs des officialités, vu l’accroissement du nombre des uns et des autres, apposaient leur signature au bas des actes par eux écrits pour signaler à qui de droit celui qui était responsable de leur établissement. C’était donc bien l’attestation donnée par l’échevinage qui constituait seule la présomption d’authenticité. En vertu de la juridiction contentieuse des cours échevinales, celles-ci jugeaient des litiges issus de l’exécution des actes, encore que cette compétence ne pût s’exercer que dans le ressort territorial propre de cette cour, la ville ou la seigneurie105.
Progressivement les actes échevinaux — qu’ils fussent émanés d’une cour échevinale urbaine, territoriale ou ecclésiastique, ou bien d’une cour rurale établie dans le cadre d’une seigneurie locale — furent tenus pour actes authentiques, mais avec des décalages chronologiques [p. 743] très nets selon les comtés. C’est ainsi qu’en Hainaut, comté demeuré très conservateur dans ses institutions, la juridiction gracieuse des échevins n’acquit valeur authentique que par suite d’une ordonnance comtale de 1357.
C’est que précisément en Hainaut subsista très tardivement une pratique archaïque directement issue du système des records. Il s’y produisit, en effet, un dédoublement de la juridiction gracieuse : tandis que les affaires immobilières donnaient lieu à l’établissement d’actes par les échevinages urbains ou ruraux, les obligations personnelles (testaments, contrats de mariage, quittances, opérations de crédit, baux à ferme, pensions viagères…) ressortissaient à la cour féodale106 Elles continuaient donc à être contractées devant la cour elle-même, puis par devant deux hommes de fief, au record desquels on recourait en cas de litige. Dès le début du XIVe siècle, on commença par faire écrire un acte par un écrivain public (« clerc lettriant » ou « eschopier ») et cet acte devait être présenté à deux hommes de fief qui le scellaient de leur sceau personnel. Au début du XVe siècle, faute d’hommes de fief d’ancienne extraction et disponibles, des clercs s’intitulèrent abusivement hommes de fief; cet abus fut condamné par le comte en 1410, et dès lors on créa fictivement des « hommes de fief sur plume », chargés de sceller les actes en matière d’obligations personnelles : ce furent très vite des praticiens qui en vinrent à rédiger eux-mêmes les actes, donnant ainsi naissance à une sorte de notariat sous le sceau, d’un caractère très original, qui subsista jusqu’à la Révolution française.
Mais dans une très large part de l’ancienne Lotharingie devait se généraliser la pratique de donner aux actes de juridiction gracieuse la forme du chirographe107 : celui-ci avait d’ailleurs fait en cette région sa première apparition sur le continent, et la « charte partie » y répondait parfaitement aux besoins. Le rédacteur pouvait, en effet, établir l’acte en autant d’exemplaires que de parties, plus un destiné au coffre de la ville ou de la justice seigneuriale. En cas de litige, le rapprochement [p. 744] d’un des exemplaires contestés avec celui du lieu de conservation devait emporter la conviction, la légende ou divisa qui les séparait les uns des autres étant coupée d’un trait de ciseaux, le plus souvent ondulé. Villes et échevinages ruraux adoptèrent à l’envie ce système qui devint à la fin du XIIIe siècle ou au XIVe comme le symbole de la juridiction gracieuse des villes de la France du Nord, et surtout de la Flandre et du Brabant, du Tournaisis et du comté de Namur. Si l’immense dépôt de chirographes d’Ypres a été détruit lors de la première guerre mondiale, si ceux de Tournai et de Mons le furent à la seconde, il subsiste encore des ensembles importants de chirographes urbains : près de 50.000 aux Archives de la ville de Douai depuis le milieu du XIIIe siècle et plusieurs milliers à Valenciennes et à Abbeville, de même que dans bien des villes de Belgique, notamment à Nivelles108. Les chirographes sont un peu, dans le Nord, le pendant de ce que sont les registres notariés du Midi, surtout si par la pensée on y joint les registres scabinaux.
Si, en principe, la forme chirographaire se suffisait à elle-même, le système fut très vite contaminé par l’usage du sceau, destiné à marquer davantage encore la responsabilité prise par les autorités dans la passation de l’acte et à renforcer encore l’authenticité de celui-ci. Dès 1203-4 ( ?), il y aurait eu à Tournai des chirographes scellés du sceau personnel des échevins, et peu après à Nivelles et à Maastricht. A Douai, on trouve concurremment, dans la seconde moitié du siècle, des chirographes scellés et d’autres qui ne le furent pas. A Bruxelles, [p. 745] depuis 1258 au moins, les actes furent régulièrement scellés des sceaux pendants de deux échevins109.
A partir d’un système commun, les évolutions ont été extrêmement différenciées. Parfois on remettait aux parties les exemplaires du chirographe qui leur étaient destinés et on en établissait un autre pour les archives de la juridiction ; plus souvent on se bornait à conserver dans les archives communales le double de l’acte ou bien sa minute ; par la suite, on trouva plus expédient de le transcrire dans un registre : de là les belles séries de « registre scabinaux » de Belgique dont certaines remontent au XIVe ou au XVe siècle.
Mais on put aussi faire l’économie de la forme chirographaire et, le sceau communal étant censé par définition authentique, l’acte, établi en forme de notification au nom des autorités municipales, reçut le sceau de la ville. C’est ainsi qu’à Saint-Omer l’acte communal scellé succéda, dès 1294, au chirographe. Il en avait déjà été de même dans des villes plus méridionales, dans la région de la Basse et de la Haute Seine, qui n’avaient jamais usé du chirographe et qui passèrent directement à l’acte de juridiction gracieuse scellé du sceau de la ville. Ainsi à Mantes dès 1203, à Troyes (où le sceau du maire fut apposé lors de l’établissement, d’ailleurs éphémère, de la commune en 1231)110. Il en fut de même dans quelques autres villes d’Île-de-France, [p. 746] de Normandie, de Champagne, ainsi qu’à Neufchâteau en Lorraine.
Toutefois, le sceau ayant été considéré vers la fin du XIIIe siècle comme un attribut propre de la ville de commune et un symbole de ses libertés, on en vint à contester la valeur authentique du sceau d’une ville qui aurait été dépourvue d’une véritable charte de commune : il en fut ainsi pour Reims, dont un jugement du Parlement, en 1322, établit que son sceau n’était contraignant que dans son propre ressort et entre ses propres habitants, et non point à l’extérieur (« non faciebat fidem ad plenum »)111.
Il était à la fois incommode et coûteux de recourir au grand sceau de la ville qui, de plus, était désormais accompagné de son contre-sceau. Dès la fin du XIIIe siècle, on voit donc des villes se servir d’un « petit sceau » (sigillum parvum ou plus rarement sigillum secretum) pour sceller des actes privés ; ainsi en Alsace, à Kaisersberg (1278), à Altkirch (1293), à Molsheim…112 Mais surtout apparaît un sigillum ad causas, tant pour le scellage des actes judiciaires de la ville que pour celui d’autres actes ressortissant au domaine de sa juridiction gracieuse. Une des premières mentions en est à Pontoise en 1258 (et un exemplaire de 1277 en est encore conservé) ; Laon en a un en 1271, Saint-Omer en 1280113, et de même les prévôtés de Périgueux en 1289 et de Caen en 1300. A. de Boüard a signalé qu’un acte de 1279 passé à Auray en Bretagne porte dans la formule de corroboration la mention « sigillo nostro quo utimur ad contractus de Ebrayo »114. Le fait parait donc assez général dès les dernières décennies du XIIIe siècle, même si peu de témoins matériels nous sont parvenus. [p. 747] Entre 1300 et 1312, des sceaux aux causes de douze villes du nord de la France sont conservés : villes de Flandre, d’Artois et de Picardie surtout (Arras, Bapaume, Béthune, Bulles, Calais, Lille, Montdidier, Saint-Quentin, Wailly), mais ailleurs aussi, à Poissy sur la Seine, à Vierzon en Berry, à Toul en Lorraine115. Dès lors, il se diffusa de façon extraordinaire. Mais à son tour, le sceau aux causes tendit à se dédoubler : réservé aux affaires judiciaires, il laissait la place pour la validation des actes privés au sigillum ad contractus, dit aussi ad recognitiones, « as connoissances ».
Il convient de souligner que, en opposition avec l’immense majorité des actes notariés du Midi, restés fidèles au latin (sauf dans le Sud-Ouest), la langue vulgaire a fait très tôt son apparition dans ces documents maniés par les laïques des corps de ville. Dès les premières années du XIIIe siècle, on trouve des actes en français à Douai (1204), à Tournai (1206), à Arras, Saint-Omer et Saint-Quentin (1213), et à Metz (1215)…116 Le flamand, à son tour, se montre dès le milieu de siècle dans les échevinages ruraux de la Flandre, puis à la fin du siècle dans ceux du Brabant.
[p. 748] 2. Actes sous le sceau des autorités féodales et ecclésiastiques
A mesure que l’usage en progressait en France, du Nord au Sud et de l’Est vers l’Ouest, l’importance du sceau seigneurial prit une place croissante dans l’authentification des actes privés. D’abord, toute personne disposant d’un sceau marqua son engagement personnel par l’apposition de son sceau, conférant par là à l’acte ainsi scellé l’attestation de sa volonté propre et, pour peu que ce sceau soit tenu pour famosus et bene cognitus, une présomption d’authenticité. Beaumanoir, à la fin du XIIIe siècle, finira par élaborer toute une théorie juridique du sceau, pratiquement identique à celle qui aujourd’hui s’est imposée pour la signature117.
[p. 749] Mais dès le XIIe siècle, on constate que le simple particulier avait faculté de s’adresser à son seigneur féodal pour faire notifier par lui et sous son sceau les actes le concernant. De là se dégagea un système d’authentification de l’acte privé, qui progressivement se répandit dans la plus grande partie de la France médiévale.
Chaque fois qu’il s’agissait d’une mutation de fief ou autre dans la mouvance du seigneur féodal ou censuel et qu’il y avait lieu d’obtenir de lui sa laudatio, son consensus ut dominus, on s’adressait à lui pour qu’il délivrât sous son sceau la notification de l’acte, rédigée par un officier seigneurial. Ainsi la juridiction gracieuse devint un élément indissociable de l’exercice de la justice seigneuriale. Les actes mentionnaient la comparution des parties par devant le seigneur, son mandataire ou sa cour, les intéressés étant dits in jure personnaliter constituti ; là ils confessaient ou reconnaissaient (confessi sunt, recognoverunt) avoir donné, vendu, baillé, telle chose. En vertu du principe de droit romain que confessi pro judicatis habentur, la confessio in jure donnait au contrat les mêmes effets juridiques qu’une sentence de justice118. On rencontre donc des formules de ce type : « Nous seigneur de X faisons assavoir que pardevant nous vindrent N. et N. … en nostre presence personnellement establis ils ont reconnu en droit pardevant nous que ils avoient vendu… » ou bien « in nostra curia in jure constitutus N. vendidit… ». L’acte se termine par une formule telle que « et fu fait ceste vente en court par jugement ». De là la désignation usuelle de ces actes privés du mot de « reconnaissances ».
Mais souvent aussi au XIIe siècle, on recourait, au sceau de l’évêque afin de bénéficier éventuellement des sanctions spirituelles frappant qui manquerait à ses engagements ou qui mettrait entraves à l’exécution de l’acte. De plus, les litiges qui viendraient à naître à la suite de l’acte ressortissaient à la compétence d’une cour d’Église, avec sa procédure plus rationnelle, fondée sur le droit écrit et sur des [p. 750] moyens de preuve moins aléatoires que ceux dont on usait en cour laïque119.
L’abondance des affaires auxquelles l’évêque devait vaquer l’empêchait de s’occuper personnellement de la tâche absorbante et relativement mineure d’entendre les actes de ses fidèles. Cela l’amena à s’en décharger et à décentraliser l’exercice de cette juridiction gracieuse. D’une part, on passa des actes sous le sceau de l’archidiacre, dont l’autorité s’exerçait sur un ressort territorial à l’intérieur de diocèse ; et, de l’autre, surtout dans les grands diocèses du Nord, comme ceux de Cambrai, de Reims et de Liège, on s’adressa aux doyens de chrétienté ou doyens ruraux, dont la compétence s’étendait sur un certain nombre de paroisses120. Les uns et les autres furent ainsi amenés à recevoir et à notifier sous leur sceau de nombreux actes.
3. Lettres d’officialité
Le nombre croissant des actes sollicités de l’autorité épiscopale provoqua, dans l’entourage immédiat de l’évêque, l’instauration d’un service spécialisé en matière judiciaire, l’officialité, démembrement de la curie épiscopale. A la différence de l’archidiacre, dignitaire autonome par rapport à l’évêque, l’official était un officier épiscopal, nommé par l’évêque et révocable par lui ad nutum. Représentant et mandataire de l’évêque, ses sentences étaient prononcées au nom de celui-ci : il exerçait en son nom la juridiction contentieuse au for spirituel et au temporel, la justice pénale dans les affaires ecclésiastiques, la justice disciplinaire à l’égard des clercs, mais aussi la juridiction gracieuse, l’évêque pouvant d’ailleurs retenir, à sa volonté, certains [p. 751] cas de justice ou certaines reconnaissances in jure. L’official instruit donc les causes, entend les contrats, les rédige ou les fait écrire et il les scelle121.
Les officiaux apparaissent d’abord à Reims, l’un des diocèses les plus lourds de la chrétienté, entre 1168 et 1175 ; ils agissent alors par deux et dès lors ils sont fort actifs. A l’origine, ils scellent les actes du sceau de l’archevêque, puis parfois de leur sceau propre ; de même, dans la suscription des actes, ils commencent par nommer et à mentionner le nom du prélat qui les a désignés ; puis ils se donnent comme officiaux de l’évêque de tel siège ; ensuite leur nom même disparaît et ils ne laissent subsister que leur qualité d’official de tel diocèse. La Cour d’officialité était née, cour juridictionnelle et bureau d’écritures, dont les actes sont dès lors scellés du sceau de la curie. L’institution est imitée dans tous les diocèses de la province de Reims et dans les curies métropolitaires; elle se répand ensuite dans la province de Sens, enfin, avec un certain retard, dans les diocèses des provinces de Bourges et de Tours.
Le sceau de l’officialité apparaît, en effet, presque simultanément vers 1210-1212 à Bourges, Reims, Cambrai et Laon, vers 1216 à Beauvais, en 1221 à Sens, 1222 à Paris et Tournai, 1225 à Troyes, vers 1230 dans les diocèses des provinces de Bourges et de Tours. Vers 1235 toutes les curies diocésaines et même archidiaconales de la France du Nord possèdent un sceau122.
[p. 752] L’officialité devint vite l’instrument principal de la juridiction gracieuse, surtout au sud de la ligne joignant l’embouchure de la Somme au cours de la Meuse, puisqu’au nord de celle-ci triomphait le système des juridictions gracieuses urbaines et la forme du chirographe. Dans la région considérée, son activité répond à ce qu’était le notariat dans le Midi.
Mais l’official fut vite débordé par la multitude des actes privés qu’on le sollicitait d’expédier : aussi dès la deuxième décennie du XIIIe siècle commença-t-il à recourir au service d’auxiliaires123. Ce furent d’abord des clercs anonymes (receptor actorum), puis, vers 1240 environ ce sont des clercs qu’il désigne comme clerici fideles curie, mandati curie, clerici jurati, parfois aussi tabelliones ou notarii : l’official dès lors se contente de notifier l’acte passé in presentia clerici nostri jurati a nobis specialiter destinati, cui fidem plenariam adhibemus. Ce sont ces auxiliaires de la curie qui entendent les parties par commission, qui préparent les actes et qui les soumettent à l’official pour qu’il y appose ou fasse apposer le sceau de la curie ad relationem jurati. Le juré attestait la sincérité de l’acte par une formule telle que ita est qu’il fit bientôt suivre de sa signature, et celle-ci devint même de règle, a moins qu’il n’y substituât son seing manuel ; nous savons en effet qu’un certain nombre d’entre eux étaient notaires apostoliques, quelques uns aussi notaires impériaux surtout dans les terre d’Empire.
A Paris, toutefois, si les parties se rendaient fréquemment devant l’official lui-même, il pouvait aussi déléguer deux « clercs jurés » pour recueillir sur place les volontés des parties ; l’habitude se prit vite de faire comparaître les parties devant deux clercs de l’officialité, et ce système influença peut-être celui qui fut pratiqué au Châtelet de Paris ; en fait, il est difficile de se prononcer sur ce point, car les deux [p. 753] juridictions adoptèrent vers le même moment cette comparution devant deux clercs.
Ainsi était né un autre type de notariat sous le sceau, notariat d’Église en pays coutumier, notariat cependant où l’authentification venait non pas de la manus publica du notaire, mais du sceau qu’y apposait le responsable de la juridiction. A la fin du XIIIe siècle on constate dans une notable partie du royaume que des clercs de l’officialité s’établissent dans des bourgs du diocèse, amenant ainsi une décentralisation de la juridiction. Ailleurs, surtout dans le Nord — diocèses de Cambrai et de Reims — ce sont les doyens de chrétienté qui souvent servent d’auxiliaires à la curie, en perdant leur autonomie : ou bien ils prennent eux-mêmes des « reconnaissances » et les envoient à sceller à l’official, ou bien c’est celui-ci qui leur envoie une commission pour prendre un acte dans leur ressort. En somme, c’est tout un réseau de justice gracieuse ecclésiastique qui s’est mis en place, et dont la conséquence est que tout litige né de ces contrats vient — avec les profits qui en découlent — à l’évêché. D’ailleurs, très vite, à la clause menaçant d’excommunication la partie manquant à son engagement, s’est adjointe, puis substituée, une autre clause par laquelle les parties se soumettaient à l’avance, en cas de litige, à la juridiction de la cour.
Vers le milieu du XIIIe siècle, l’activité des officialités était devenue considérable : la très grande majorité des actes privés de la France du Nord, tout au moins au sud de la Somme, avait pris la forme de lettres d’officialité, et il en était de même dans les diocèses francophones de l’ouest de l’Empire, dans les diocèses de Toul, de Verdun, de Besançon, de Cambrai. Dans cette région d’Empire, à la différence des officialités du royaume, les curies adoptèrent très tôt l’emploi du français à l’exemple des juridictions seigneuriales et municipales : à Verdun dès 1231, et peu après dans les autres cours.
L’une des raisons du succès des lettres d’officialité pourrait tenir au fait que les notaires étaient plus habiles que les praticiens des autres juridictions au maniement des subtilités juridiques. C’est dans leurs actes que se rencontrent d’abord, et avec un développement toujours plus important, les clauses de promesse, d’obligation, de soumission [p. 754] à la juridiction, de sanctions éventuelles en cas de non exécution, de paiement de dommages et intérêts et surtout de renonciation, toutes empruntées plus ou moins directement au droit romain. Ces clauses finissent d’ailleurs par tenir une place considérable dans le texte des actes, plus encore que dans les instruments des notaires méridionaux et en anticipant même, semble-t-il, sur ceux-ci.
Si nous avons quelques rares indices que des registres étaient tenus (on en possède, en tout cas, pour les causes judiciaires), aucun malheureusement ne semble s’être conservé. C’est que la minute n’était nullement une matrice : dès lors que l’acte était scellé, elle perdait toute valeur. Il en sera de même jusqu’à la seconde moitié du XIVe siècle et même au XVe pour le tabellionage dont nous exposerons plus loin la genèse.
Cette juridiction d’Église a été brisée brusquement par la volonté du roi et de son entourage et par la constitution de juridictions laïques qui s’assimilèrent les méthodes éprouvées par les officialités. Beaumanoir en est le parfait témoin lorsque, dans ses « Coutumes de Beauvaisis », il affirme que la lettre d’officialité n’a valeur d’authenticité que dans les seules cours d’Église : en cour laie, dit-il, elle ne vaut que comme un témoin124. Or chacun connaît l’adage, « Testis unus, testis nullus ». Cela explique peut-être pourquoi, en Champagne notamment, on s’est prémuni, tout au long du XIIIe siècle, en faisant notifier les actes conjointement par deux autorités, l’une laïque, l’autre ecclésiastique, par exemple doyen de chapitre ou curé, d’une part, maire ou prévôt, de l’autre, chacun y apposant son sceau125.
[p. 755] Ce qui mit fin brutalement, dans le royaume tout au moins, à la vogue du notariat d’officialité, sauf dans des villes gouvernées par des évêques comme Reims ou Langres, ce fut l’instauration du tabellionage dont nous allons retracer maintenant la genèse et le fonctionnement.
4. Lettres du châtelet royal de Paris
De même que les autres princes territoriaux et que nombre de barons, le roi confirmait ou notifiait des actes passés entre ses dépendants ou le faisait faire par ses agents. Une innovation vint sous Philippe Auguste, en 1204, lorsqu’il institua dans chaque prévôté d’Île-de-France et de Normandie un sceau particulier pour sceller les actes passés entre Juifs et chrétiens afin de leur donner publicité et empêcher ainsi la pratique grandissante de l’usure. Ce sceau fut en usage jusqu’en 1229 et l’on a conservé quelques actes ainsi scellés de ce sigillum Judeorum, au type de l’aigle essorant, notamment à Paris et à Pontoise126.
Mais le fait essentiel fut que la prévôté royale de Paris, le Châtelet, qui était la plus grande institution judiciaire locale, vit sa juridiction s’étendre au domaine des actes volontaires et, d’autre part, il fut [p. 756] pourvu d’un sceau propre, comme celui dont disposaient nombre de villes du nord du royaume. Cela se produisit au début du règne personnel de saint Louis127. Dès 1234, il est question d’une « lettre de Châtelet »128 et un sceau de la prévôté est encore appendu à un acte de 1238129. Très vite, le Châtelet, grâce à son personnel et en raison des besoins d’écritures d’une ville comme Paris, devint le coeur d’une institution fondamentale dans la vie juridique de la France et un modèle.
Le prévôt de Paris avait un certain nombre d’auxiliaires, ses propres clercs. Ceux-ci écrivaient notamment ses sentences et ses actes administratifs ; ils pouvaient éventuellement rédiger des actes intitulés au nom du prévôt, par lesquels étaient notifiés sous le sceau de la prévôté des actes de particuliers : leur exécution était dès lors, comme dans d’autres juridictions, placée sous la garantie de la prévôté et c’était donc à elle que ressortissaient tous les procès qui pouvaient naître à propos de cette exécution. Certains de ces clercs — dont rien ne limitait le nombre — pouvaient d’ailleurs faire carrière dans l’administration locale ou passer dans celle du roi : Louis Carolus-Barré a ainsi montré que plusieurs de ceux que nous connaissons à la fin du règne de saint Louis devinrent auditeurs ou examinateurs au Châtelet, lieutenants du prévôt, commissaires du roi chargés par lui d’enquêtes, voire baillis. En 1271, une dizaine d’entre eux, dont le greffier de la juridiction et le scelleur, formèrent une confrérie sous le vocable [p. 757] de Notre-Dame130 ; à leur tête était un doyen : en octobre 1300, ses statuts furent entérinés par le prévôt et confirmés par le roi131 : à cette date, les « clercs jurés » étaient devenue « notaires ». Ce titre de « notaires » leur était donné dès le début du règne Philippe le Bel par le prévôt lui-même auquel ils étaient assermentés132.
Exactement comme dans le cas des officialités, ces « clercs jurés » furent d’abord anonymes : leur nom apparaît au bas des actes seulement en 1274133, et cette signature ne devient régulière qu’au cours des années suivantes, chaque fois que le prévôt leur avait donné mandat de prendre un acte auprès des parties. En effet, tout acte fut, d’abord, passé par devant le prévôt lui-même (ou du moins il était censé tel) et les clercs devaient écrire les actes dans une salle à eux réservée dans le Châtelet même. Mais pour prendre les volontés des parties qui pour diverses raisons (maladie, éloignement, occupations) ne pouvaient se déplacer, le prévôt délivrait une commission à deux de ses clercs pour aller entendre l’intéressé et en faire ensuite relation « ensemble et de vive voix »134. Dès la fin du XIIIe siècle, les « notaires » commencèrent à acquérir une certaine autonomie à l’égard de la juridiction du prévôt pour la passation des actes : dès lors, on constate qu’ils instrumentaient le plus souvent au domicile des parties (voire à [p. 758] leur propre domicile), et c’était normalement « à leur relation » que le prévôt se contentait de faire sceller l’instrument. Une simplification juridique fit que, dans la pratique, un seul notaire passait l’acte (on le reconnaît par l’examen des écritures des actes), mais le nom d’un de ses collègues n’en était pas moins mentionné, et celui-ci apposait au même titre sa signature au pied de la pièce. Cette signature tendit à devenir une formalité, à laquelle on ne renonça d’ailleurs pas, car elle assurait un certain contrôle mutuel sur la régularité des opérations, mais la forme même des actes n’en fut pas modifiée : tous les actes n’en continuèrent pas moins à être intitulés — jusqu’à l’époque moderne — au nom du prévôt (ou du garde de la prévôté) de Paris et, en cas de vacance de cet office, au nom du procureur général en la Cour de Parlement; en outre, ils devaient être scellés (jusqu’en 1697) du sceau et du contre-sceau du Châtelet.
Jusque là agents du prévôt, les notaires furent en 1300 « nationalisés » : Philippe le Bel fit d’eux des officiers royaux assermentés envers le roi et à sa nomination : leur titre officiel devenait « clerc, notaire établi de par le roi notre sire en son Châtelet de Paris » ou, plus simplement, au cours du XIVe siècle, « notaire du roi en son Châtelet de Paris ». En même temps, pour limiter leur nombre « effréné », le gouvernement royal entendit les limiter à soixante135. Il se heurta à la résistance du prévôt qui, pendant quelques années, entendit continuer à nommer des notaires en sus des notaires royaux ; il fallut que le roi multipliât les mandements pour interdire toute commission de cette nature et exiger que tout écrit de la prévôté fut rédigée par les seuls notaires royaux136. Simultanément, on affectait à la juridiction un [p. 759] grand nombre de sergents pour assurer l’exécution de toute sentence rendue par le prévôt ou par ses lieutenants137.
En principe, les notaires devaient instrumenter en personne et écrire leurs lettres eux-mêmes ; mais dès cette époque, certains d’entre eux avaient des clercs ou valets pour grossoyer leurs expéditions, car le travail ne manquait pas. En effet, la chancellerie royale, elle-même souvent débordée par la masse des actes que parfois elle devait expédier en nombre — telles des instructions mandées à tous les baillis ou sénéchaux ou à toute une catégorie d’officiers — n’hésitait pas à établir quelques modèles et à faire dresser tous les autres exemplaires par les notaires royaux du Châtelet sous la forme de vidimus intitulés au nom du garde de la prévôté de Paris et scellés du sceau du Châtelet.
Dès le deuxième quart du XIVe siècle, des notaires du Châtelet commencèrent à s’émanciper davantage de la tutelle de la prévôté : dans certains cas, au lieu de dresser des expéditions en forme ils se contentèrent d’établir la minute des actes, de la faire simplement sceller du contre-sceau du Châtelet après l’avoir signée et de la remettre ainsi à la partie concernée : cela permettait de gagner du temps (on ne tenait pas tous les jours des séances de scellage en présence du prévôt et de plusieurs officiers) et surtout cela évitait des frais supplémentaires : s’il y avait ultérieurement litige, l’intéressé rapportait la minute et on dressait l’expédition en forme. Ces « brevets »138, scellés sur une simple queue repassée dans une fente du support pour en éviter la déchirure (selon le système que j’ai appelée « queue parisienne »), constituaient évidemment un abus que l’on s’efforça de réprimer. [p. 760] Mais plus tard, au XVe siècle, les notaires parisiens en vinrent à expédier des « brevets », non plus même scellés du contre-sceau mais simplement signés par eux : c’étaient la plus souvent des certificats de toute nature, des actes de notoriété, des quittances, des actes de caractère personnel n’engageant que les parties et non destinés, en principe, à faire preuve, donc des actes non exécutoires ; mais parfois on continuait aussi à délivrer des actes d’un contenu analogue aux autres, à charge pour les parties de leur faire donner forme d’expédition exécutoire en cas de besoin139.
Comme seule la pièce scellée était tenue pour pleinement authentique et qu’on ne pouvait procéder qu’à une seule expédition d’un acte donné, on tenait pour inutile la conservation des minutes — exception faite pour celles qui avaient pris la forme d’un brevet remis aux parties —. Il fallut attendre le retour de Charles VII à Paris pour qu’en 1437 le roi commençât à inciter ses notaires à tenir registre de leurs minutes. En fait, ce n’est que vers la fin du siècle, vers 1470 que certains notaires parisiens se mirent à garder leur minutier, et encore cela ne devint-il régulier qu’au début du XVIe siècle, rapprochant ainsi les notaires royaux du Châtelet de leurs confrères méridionaux.
Ainsi s’était établi un notariat d’un type nouveau où, comme dans le cas des officialités, la validation ne tenait pas à la main du notaire — ni même de deux notaires, sortes de témoins assermentés — mais à l’apposition du sceau, aux armes royales, de la prévôté.
Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, pratiquement tout acte privé en était donc venu à Paris à être expédié sous cette forme. Mais ce modèle avait été copié dans les autres villes de prévôté de l’Île-de-France. Nous connaissons ainsi des actes sous le sceau de la prévôté de Pontoise en 1258, de Senlis en 1260, de Beaumont-sur-Oise en 1261, de Melun en 1270, de Corbeil en 1271, et des prévôtés seigneuriales — telle celle de la ville abbatiale de Saint-Denis — avaient suivi cet exemple140. Quant à l’usage d’un sceau royal pour sceller [p. 761] sentences et actes administratifs, tous les bailliages du nord du royaume l’avaient adopté entre 1265 et 1280.
5. Les actes privés sous le sceau des juridictions princières et le tabellionage royal
Ce n’est toutefois pas du Nord, mais du Languedoc que se déclancha une nouvelle étape décisive dans l’histoire du notariat français. Nous avons déjà dit que, dès que le roi eut pris possession du Languedoc oriental, il avait récupéré pour son compte les notaires précédemment investis par le comte de Toulouse et qu’il en avait fait des notaires royaux. Mais, d’autre part, comme dès 1234, au moins, le roi avait créé — de même qu’en son Châtelet de Paris — un sceau de juridiction dans ses nouvelles sénéchaussées méridionales141, Alphonse de Poitiers, de son côté, avait repris à son compte cette initiative dans ses états toulousains en ordonnant que tous les bayles disposassent d’un sceau. Il s’était agi, d’abord, d’un sceau personnel ; mais dès 1255 s’instaura un sceau d’office quand Alphonse eut décidé que le sceau du viguier de Toulouse serait nullo nomine expresso ; dès l’année suivante des recettes étaient comptabilisées au titre de ce sigillum curiae vicarii Tolose142. En 1265, à la demande des habitants de l’Auvergne, avait été institué un « sceau rigoureux » pour sceller les actes de juridiction volontaire, origine de la Cour de Riom. Les années suivantes, un garde du scel était établi dans chacune des sénéchaussées (custos sigilli in senescallia) et, avant même le départ d’Alphonse pour la croisade de 1270, il y avait des gardes du sceau comtal à Poitiers, Fontenay-le-Comte, Saint-Maixent, etc. En 1270 fut prise une mesure de très grande importance pour l’avenir : Alphonse [p. 762] décidait que dans toute châtellenie où sont tenues des assises, deux notaires publics seraient ordonnés au nom du comte, pris parmi les notaires déjà créés, pour y résider continuellement et rédiger par écrit les procès devant les juges. Leur rôle dépassait singulièrement l’aspect judiciaire, car ils devaient mettre par écrit tout acte de mutation immobilière dont les droits de lods et ventes viendraient au comte. C’était organiser, tout au moins pour les affaires immobilières, dans le cadre des châtellenies (c’est-à-dire des prévôtés), des notaires publics sous le sceau comtal, celui-ci étant tenu par le custos sigilli de chaque sénéchaussée143.
Entre temps, l’usage du sceau de juridiction avait progressé dans tout l’espace méridional144. En 1259, la Cour du comté de Forez à Montbrison disposait d’un sceau, en 1266 la Cour commune de Macon, en 1269 la châtellenie royale de Châteauneuf en Auvergne… Vers 1270, le sceau a atteint la Loire et l’a même dépassée ; on le trouve en Nivernais à Clamecy, mais aussi vers l’Ouest en Anjou (à Angers et à Saumur) et de là il gagne la Bretagne (où l’on a un acte de l’alloué de Hennebont)145, ainsi que les domaines du comte de Blois. En 1274, le roi instaure des sceaux dans le bailliage de Saint-Pierre-le-Moutier, aux confins du Bourbonnais et de l’Auvergne, ainsi que dans la prévôté de Bourges et bientôt dans tout le Berry ; en 1275, un sceau royal est instauré dans le bailliage royal d’Auvergne et la même année le seigneur de Beaujeu installe à son tour une « chancellerie » analogue pour le Beaujolais146. A ce moment tout l’espace compris entre la limite septentrionale du domaine du notariat public du Midi et la Loire possède des sceaux de juridiction, tant dans les domaines [p. 763] du roi que dans ceux de ses principaux vassaux, au niveau des sénéchaussées, des bailliages et des châtellenies.
En 1271 s’était produite une autre extension du sceau de juridiction. Le duc de Bourgogne, à cette date, transforma complètement sa chancellerie ducale en une cour de juridiction gracieuse, compétente pour tout le duché147. Désormais le chancelier ducal, placé à sa tête, allait sceller du sceau de la cour les actes privés, les parties se soumettant à sa juridiction en cas de litige148. Puis, adoptant pour l’ensemble de ses domaines des mesures analogues à celles d’Alphonse de Poitiers, le duc, en 1275, décentralisait cette cour en détachant, dans diverses villes du duché des « clercs notaires jurés » — titre identique à celui du Châtelet de Paris —, mais qui se qualifiaient eux-mêmes parfois aussi notaires ou tabellions. Ces notaires prenaient les actes des particuliers et les envoyaient à la chancellerie à Dijon; le chancelier les y vérifiait et scellait les expéditions. En 1286, l’institution se complétait : des sergents étaient institués, comme au Châtelet de Paris et aux foires de Champagne, pour faire exécuter les obligations passées sous le sceau de la Cour, et celle-ci s’organisait dès lors en grande juridiction ayant connaissance de tous procès relatifs aux contrats reçus par les notaires ducaux. Un « sceau aux causes » fut alors institué pour valider les actes judiciaires (de même que des actes assimilés a ceux-ci, comme les publications de testaments) : distinct du grand sceau de la Cour, il était utilisé pour la validation des actes privés. Dès 1302, et définitivement en 1329, le chancelier délégua ses pouvoirs à des lieutenants établis en diverses villes et chargés de [p. 764] sceller sur place les actes, avec juridiction sur les causes se rapportant à l’exécution de ces contrats149. Dès lors un enregistrement était prescrit, et l’on a conservé des séries de registres, notamment à Dijon où ils remontent à 1311. Mais les notaires ou tabellions ducaux ne pouvaient eux-mêmes suffire pour lever tous les contrats : à leur tour ils déléguèrent ce soin à divers clercs, leurs « coadjuteurs » ou « lieutenants de tabellion » pour prendre les actes même dans des villages. Ainsi en Bourgogne, tout un réseau s’était mis en place depuis 1271, avec cette complication que sur les confins de cette région de transition, certains de ces clercs étaient en même temps notaires publics et qu’ils pouvaient alors intervenir éventuellement en dressant des instruments sous leur propre seing ; d’autres aussi, clercs de l’officialité, pouvaient prendre des actes qu’ils faisaient, le cas échéant, expédier sous le sceau de l’officialité de Langres.
Du duché de Bourgogne, le système passa au début du XIVe siècle dans la Comté, en se heurtant à Besançon à la résistance de l’officialité archiépiscopale.
Vers le Nord, ce type d’institution notariale sous le sceau du duc, pénétra dès 1276 dans la Lorraine voisine, où à partir de 1295 se produisit une décentralisation analogue à celle qu’avait connue la Bourgogne — et, comme nous allons le voir, la France aussi — avec l’établissement d’un sceau ducal établi dans les diverses prévôtés sous forme d’une délégation de la cour ducale, donnant finalement naissance, vers 1315, dans chacune d’elles a l’institution d’un « sceau du tabellionage »150.
Les comtés voisins du duché suivirent rapidement son exemple : [p. 765] dès 1295, on connaît un sceau de la cour du comté de Vaudémont151 ; vers la même date, celui de la Cour de Bar, et en 1297, celui de la Cour du comte de Montbéliard152.
6. « Lettres de baillie » et « lettres de prévôté » : le tabellionage royal
C’est dans la France royale qu’une mesure d’une exceptionnelle importance avait été adoptée vers le début de l’année 1280. Elle fut décidée par Philippe III le Hardi par une ordonnance dont le texte même est perdu, mais que nous connaissons par une analyse qu’en donna Beaumanoir dans ses « Coutumes de Beauvaisis » dès 1282 ou 1283.153 Reprenant l’initiative de son oncle Alfonse, le roi décida qu’en chaque ville où le bailli tenait ses assises — c’est-à-dire pratiquement dans toute ville de prévôté — il y aurait deux prudhommes choisis spécialement pour entendre tout contrat dont on voudrait avoir lettre scellée du sceau du bailliage ; à son passage dans le lieu, sur témoignage de ces deux prudhommes, le bailli ferait délivrer les lettres scellées moyennant paiement d’une taxe d’une maille par livre, soit un peu plus de 2‰. Cette mesure fut mise à exécution immédiatement dans tous les bailliages royaux154, c’est-à-dire dans tous les ressorts administratifs autres que l’Île-de-France dont le Châtelet et les autres prévôtés conservèrent leurs institutions propres antérieures, [p. 766] et exception faite naturellement des sénéchaussées méridionales. Mais elle fut mise à exécution sans retard dans le comté de Champagne, pas encore royal, mais déjà soumis à l’influence du roi155.
C’est le système dit de la « lettre de baillie » qui rencontra un succès immédiat, le scellement par un sceau royal assurant aux actes une authenticité incontestée. Dès 1282-1283, Beaumanoir exaltait les mérites de cette ordonnance « prise de novel ». Un tel acte devenait exécutoire dans tout le royaume, faisant foi contre quiconque. Elle éclipsait donc les lettres d’officialité qui n’étaient plus tenues pour valables à elles seules en cour laïque. En quelques années, les officialités se vidèrent, provoquant des recours de plusieurs évêques en Parlement contre cette violation de leurs droits acquis, la concurrence du sceau royal ayant pour conséquence l’assèchement de leurs finances largement alimentées par les droits de sceau et de justice. Les plaintes de l’abbé de Saint-Maixent156 et de l’archevêque de Bourges157 furent [p. 767] rejetées ou tournées, tout comme celles des évêques de Limoges158, de Périgueux159 et de Meaux160. La lettre de baillie allait être à l’origine de l’organisation de tout le système ultérieur du notariat royal français : dès 1281, on voit un seigneur champenois préférer y recourir plutôt que de sceller un acte de son propre sceau161. En revanche, la résistance du système de la juridiction gracieuse traditionnelle des hommes de fief fut très forte dans le Nord : dans le comté de Rethel, il ne céda qu’entre 1312 et 1316 et nous avons vu qu’en Hainaut — extérieur au royaume certes, mais la Lorraine ou la Comté de Bourgogne avaient adopté le nouveau système — il devait subsister, de même qu’en Flandre, d’ailleurs, le système du chirographe.
Le succès de la « lettre de baillie » fut tel que le bailli ne pouvait longtemps continuer à entendre les rapports des prudhommes et à examiner les actes pris par eux162. On ne pouvait, d’autre part, attendre [p. 768] un passage du bailli pour faire sceller les actes. Il en vint donc, plus ou moins vite, à se décharger sur un magistrat de la juridiction gracieuse, le « garde du scel », établi dans chaque ville d’assise : châtellenie, prévôté ou (en Normandie) vicomté, à la façon du custos sigilli précédemment établi par Alphonse de Poitiers dans ses domaines. Tantôt ce sceau ainsi décentralisé était tenu pour un démembrement du sceau du bailliage (« scel de la baillie de N. establi en la prevosté de N ») ; tantôt cette fiction fut dépassée et l’on disait carrément « scel de la prevosté de N. ». Le premier cas fut plutôt celui des villes où le roi ne disposait pas de la totale justice, comme dans les cités de Reims ou de Laon où le prélat exerçait le pouvoir temporel.
Cette décentralisation s’opéra à des dates variables selon les bailliages et même, dans un bailliage donné, selon les prévôtés, à proportion de l’activité locale en matière d’écritures. Elle intervint très vite dans les bailliages de Senlis (1288) et de Vermandois (1291), ainsi qu’en Champagne (1295), mais seulement en 1331 dans celui d’Amiens où l’on se heurtait à la résistance des juridictions gracieuses municipales et locales, et en 1345 dans celui de Rouen, sans doute en raison des traditions de centralisation enracinées depuis le temps des ducs.
Dès lors on parle de « lettres de prévôté » ou de « tabellionage ». Les actes étaient notifiées par le garde-scel de la prévôté seul, ou bien conjointement par le prévôt et par le garde du scel, ce qui fut le cas surtout en Île-de-France où déjà depuis une ou deux générations avaient été institués des sceaux de prévôté, les actes y étant notifiés par le prévôt. Le tabellionage, en quelques années, s’étendit vers le Sud jusqu’à la limite du notariat public méridional, les deux systèmes ayant même coexisté dans toutes les régions de confins (ou d’ailleurs le fait n’a encore suscité aucune étude), en Angoumois, Limousin, Marche, Auvergne, Velay. Il s’étendit même, par une ordonnance royale éphémère, en 1367, au Tournaisis, en pleine zone chirographaire ; [p. 769] mais au XVe siècle, en dépit de la volonté exprimée par Louis XI, alors dauphin de Viennois, l’introduction du tabellionage sous le sceau échoua en Dauphiné.
Le système du tabellionage supposait trois catégories de personnes :
- 1. Le garde du scel, officier royal, souvent un bourgeois, parfois un clerc marié, dont les fonctions pouvaient être éventuellement un échelon dans le cursus honorum des offices royaux.
- 2. Les « jurés » ou « auditeurs », héritiers des prudhommes, témoins privilégiés chargés d’entendre les contrats et de les « rapporter » selon la tradition obsolète du « record » ; ce sont, à l’origine, des bourgeois ou bien un bourgeois et un clerc, qui ne demeurent que quelque année en fonctions; mais ils ont tendance à se professionnaliser et ils deviennent vite des praticiens experts en matière juridique. Si deux d’entre eux doivent intervenir pour rapporter tout contrat, le nombre des jurés en fonction dans une prévôté donnée va se renforcer en proportion des besoins.
- 3. Le tabellion, agent qui reçoit le monopole et le profit des écritures de la prévôté, après les avoir généralement pris à ferme. Il grossoie (ou fait grossoyer par ses scribes) les actes pris par les jurés ; lui-même peut d’ailleurs en rédiger et, notamment, il peut établir des constats en forme de procès-verbal s’il en est requis, à l’occasion d’une assemblée par exemple. Il peut remplacer un des jurés pour entendre le contrat et c’est même là une situation normale dans certains prévôtés. L’importance du prix de la ferme fait que parfois deux personnes se sont associées pour y faire face et exercent donc en commun le tabellionat. La ferme est normalement d’une durée limitée ; parfois même elle est annuelle, mais il est arrivé fréquemment sous Philippe le Bel que le roi ait récompensé un de ses serviteurs de l’Hôtel, un ancien notaire de sa chancellerie ou une autre personne, en lui concédant à vie comme une pension, gratuitement, la ferme des écritures d’une prévôté. Mais le système de la ferme prend généralement fin au cours du XIVe siècle et le tabellion devient un officier royal. Dans certaines prévôtés, il notifie les actes conjointement avec le garde du scel. Dans certaines régions, en Normandie notamment et [p. 770] en Dunois, il doit enregistrer les actes pris par les jurés, au moins les actes en matière immobilière, et l’on a conservé à Rouen les registres du tabellionage depuis 1360, à Châteaudun depuis 1369, à Caen depuis 1395, etc.
A partir de ce schéma initial, toutes les évolutions sont possibles, et nous ne pouvons entrer ici dans le détail de ces variantes locales, d’autant plus que nous ne disposons pratiquement pas d’études diplomatiques suffisantes à ce sujet. Dans certaines prévôtés ou certains bailliages, le tabellionat se développe aux dépens des jurés ; la plupart des actes sont alors dits passés par-devant le tabellion ; au cours du XIVe siècle, il se donne un « substitut » ou « coadjuteur », puis plusieurs, dits aussi « lieutenants du tabellion » ; enfin des « sous-tabellions », qui se territorialisent dans les bourgs ou villages du ressort. Ainsi dans le bailliage de Meaux et surtout dans celui de Rouen où dès la seconde moitié du XIVe siècle, il y a 8 sous-tabellions, qui un siècle plus tard ont donné naissance à 16 « notaires royaux ». Les registres du tabellionage ne sont plus alors une simple analyse d’actes reçus par d’autres, mais la minute même des actes qui sont pourvus de la signature des parties.
Ailleurs, au contraire, ce sont les jurés qui se développent aux dépens du tabellion et qui se territorialisent. A Troyes, par exemple, il y a dans la prévôté 3 jurés vers 1300, 4 en 1350, 5 vers 1375, 8 en 1390, 10 vers 1405, 12 vers 1475, 15 vers 1500, et le tabellion a disparu dès la fin du XIVe siècle, sans doute parce que les jurés en ont racheté collectivement l’office au roi. Dès 1431, tous prennent le titre de notaire.
De toute façon, les jurés ne sont plus de simples « passeurs d’actes » ; ils rédigent eux-mêmes, d’abord, la minute, puis — et souvent très tôt — ils préparent l’expédition en forme pour être scellée et leur attestation, leur « relation », prend la forme de l’apposition de leurs propres signets, des subsigilla, sur l’extrémité de la double queue destinée à recevoir le sceau et contre-sceau de la prévôté ; le tabellion alors n’est plus qu’un simple receveur des droits. Au cours de cette progressive émancipation de ceux qui se disent dès lors « notaires », à l’égard du tabellion, le système s’est lentement rapproché du système [p. 771] du notariat du Châtelet de Paris qui n’avait, rappelons-le, jamais connu de tabellion, cela s’étant sans doute produit sous l’influence de la coutume de Paris qui tend alors à devenir le droit commun du royaume.
Dans la pratique, quelle que soit la situation locale, on constate que notaires jurés, substituts du tabellion, sous-tabellions, clercs du tabellion, tous tendent à se rapprocher quant à l’exercice même de la profession, en dépit de diverses décisions royales qui visaient à en revenir à la situation traditionnelle. Il faut cependant attendre le XVIe siècle pour que la royauté, en 1542, reconnaisse expressément le « notaire royal » en érigeant sa fonction en titre d’office, et la fin du siècle, en 1597 pour que la royauté homologue l’état de fait de la fusion des tabellions et des notaires. Désormais tous sont notaires royaux, comme dans le Midi. Mais une différence fondamentale entre eux. Dans le Midi, le notaire prend et garde minute de ses actes et en délivre à la demande du client des expéditions, qu’il authentifie de son seing, puis de sa signature. Dans le Nord, au contraire, l’authentification ne tient pas à la rédaction par le notaire, mais au sceau de la prévôté apposé à l’expédition qu’il a préparée. En conséquence la minute n’a pas de valeur par elle-même, puisque le notaire ne peut tirer d’elle qu’une grosse unique qui seule aura valeur authentique ; on ne peut faire une réexpédition d’après une minute : il faut prendre un nouvel acte. Aussi le notaire ne tient pas registre de ses minutes, exception faite du tabellion normand ou bien des notaires de la chancellerie de Bourgogne, qui répondent à des institutions d’origine et de fonctionnement différents. Toutefois Charles VII tenta, mais en vain, de prescrire la conservation des minutes notariales. Ce n’est qu’à la fin du règne de Louis XI que par une évolution normale des choses des notaires commencèrent à tenir registre de leurs minutes et à les conserver ; ce fut à Paris vers 1470 pour certains notaires royaux du Châtelet ; mais ce n’est vraiment qu’à partir du XVIe siècle et surtout après l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 que cette conservation fut vraiment assurée. Le scellement de l’acte notarié, toujours intitulé fictivement au nom du garde du scel et à Paris au nom du garde de la prévôté royale, continua jusqu’en 1697 quand on conféra aux notaires [p. 772] parisiens l’office de garde du scel et le pouvoir de sceller eux-mêmes leurs actes d’un sceau aux armes royales, mesure qui fut étendue à la province en 1706.
Désormais les actes des notaires du Nord et du Midi se rapprochèrent de plus en plus, mais il fallut attendre la Révolution française pour qu’en 1791 et définitivement par la loi du 25 ventôse an X (1803) tous les notaires fussent fondus dans un même corps et définis comme délégués de l’autorité souveraine, pour attacher à leurs actes la valeur d’authenticité des actes de l’autorité publique.
Ainsi la France, au long de son histoire, depuis le jour où l’on avait senti de nouveau le besoin de disposer d’actes faisant foi, avait connu une extraordinaire complexité d’institutions avant de parvenir à la situation unifiée de l’époque contemporaine.
Dès les XIIe-XIIIe siècles, le Midi avait adopté le notariat public tel qu’il avait commencé de fonctionner en Italie et dans d’autres régions de l’Occident méditerranéen. Le Nord, selon les régions et les époques, avait connu : les déclarations publiques devant les tribunaux ; les records de témoins privilégiés ; le dépôt des actes dans des lieux crédibles — archives communales et coffres paroissiaux — ; le système des chirographes municipaux, simples puis scellés ; les registres e’échevinage; les lettres sous le sceau des autorités seigneuriales ; l’établissement d’un réseau de juridictions d’Église sous le sceau des doyens de chrétienté, puis des officialités ; les lettres du Châtelet ; les actes sous le sceau de « chancellerie » (Forez, Bourgogne, Lorraine, etc.) ; enfin le tabellionage royal avec des lettres de baillie puis de prévôté ; le tout finissant par confluer vers la fin du Moyen Âge, sinon à l’époque moderne — parallèlement à l’unification des institutions, à la progressive centralisation monarchique et au triomphe d’une coutume influencée par le droit romain — dans le notariat royal.