[p. 817] Les débuts du notariat en Valais au XIIIe siècle*
Le cadre géographique de la présente étude se borne au Valais actuel1 qui correspond à la haute vallée du Rhône, laquelle est séparée de l’Italie par la chaîne des alpes dites valaisannes. A l’ouest elle s’ouvre sur le lac Léman. La communication s’effectue avec l’Italie notamment par les cols du Grand-Saint-Bernard et du Simplon. Au point de vue politique le Valais du XIIIe siècle ne forme pas une unité: l’évêque de Sion, comte du Valais, domine en amont de la Morge de Conthey et ne possède dans la partie inférieure, placée sous [p. 818] la domination savoyarde, que Martigny, Chamoson et Ardon2.
Le notariat public ne trouve pas en Valais un terrain favorable pour s’implanter car il se heurte à des institutions solidement organisées, les deux chancelleries de Sion et de Saint-Maurice d’Agaune qui assurent la rédaction des actes privés3.
Les Chancelleries de Sion et de Saint-Mauricie d’Agaune
Dans le Valais épiscopal les actes privés relèvent du monopole de la chancellerie qui est dirigée par un dignitaire du chapitre cathédral de Sion: par le sacristain jusqu’au début du XIIIe siècle, puis par le chantre jusqu’à la mort de Normand d’Aoste en 1285. A partir de cette date le chapitre dans son ensemble détient — en fief lige de l’évêque — le droit de chancellerie et les actes sont «levés» et écrits vice capituli Sedunensis cancellariam tenentis. La chancellerie délivre aux parties des chartes non scellées au formulaire bien établi, si bien qu’on a pu parler de charte sédunoise au même titre que de carta Augustana4.
L’originalité de la chancellerie de Sion, ne réside pas tant dans l’absence de sceau pour valider l’acte que dans l’existence de registres dits de chancellerie, tenus à partir d’une date indéterminée5. Le plus ancien fragment d’un tel registre, connu jusqu’à présent, consiste en une seule feuille de parchemin qui contient des actes des années [p. 819] 1255-12576. Les déclarations des parties contractantes étaient reçues ou «levées» sur place par des personnes habilitées qui avaient prêté serment — les jurati cancellarie Sedunensis7 — qui transmettaient leurs notes à Sion; quelques-unes seulement de ces notes appelées levationes nous sont parvenues8: elles étaient écrites sur papier par le levator et ensuite transcrites à la chancellerie de Sion par des scribes dans de grands cahiers de parchemin appelés quaternions9 dont la réunion formait le registre de chancellerie pour une région donnée10. Seule la substance de l’acte y était notée, les formules n’apparaissaient que sous une forme peu développée. Y figurait uniquement le nom du levator qui avait reçu le contrat: et N. qui hanc cartam levavit11. Cette inscription de l’acte dans le registre donnait validité au contrat. Les scribes de la chancellerie capitulaire délivraient ensuite des grosses aux parties qui le demandaient12. La grosse portait alors les noms du levator et du scribe: et N. qui juratus super hoc hanc cartam levavit vice N. cantoris et cancellarii Sedunensis [p. 820] (ou vice capituli Sedunensis cancellariam tenentis), vice cujus ego N. eam scripsi13. La date correspondait au jour où le contrat avait été passé14. Tous les actes perpétuels devaient d’abord être inscrits dans un registre de la chancellerie, puis pouvaient être grossoyés, immédiatement ou plus tard, une ou plusieurs fois. Cette organisation, telle qu’elle existait au XIIIe siècle, nécessitait un personnel nombreux à Sion et dans les diverses localités du Valais ainsi qu’une grande discipline de la part des levatores. Un laps de temps assez long devait s’écouler entre la conclusion du contrat par les parties et la délivrance de l’expédition. Si à Sion les scribes pouvaient vraisemblablement vivre de leur travail d’écriture, ailleurs les jurés, le plus souvent ecclésiastiques aidés de clercs, exerçaient d’autres activités à côté de celle de levatores.
L’abbaye de Saint-Maurice, qui en 1221 est dispensée de la taxe du sceau pour les actes délivrés par le comte de Savoie, se fait confirmer son droit de chancellerie pour le Chablais, le Valais savoyard et l’Entremont par le comte de Savoie Amédée IV en 124515. Elle employait aussi des membres du clergé dans les paroisses pour «lever» les actes privés. Ces derniers étaient rédigés selon un formulaire qui diffère de celui de la charte sédunoise, notamment par la formule de notification, la souscription et la clause comminatoire; dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, en outre, les clauses de renonciation aux exceptions du droit romain sont couramment utilisées16. Mais se caractérise par cette chancellerie l’enregistrement de l’acte qui a reçu à la demande des parties la validation par le sceau du chapitre. Le Minutarium majus, qui malgré son nom n’est pas un registre de notaire — on parle d’ailleurs en 1301 d’un majus [p. 821] breviarium17 — constitue une source remarquable pour le XIIIe et le début du XIVe siècle par la variété et le nombre des actes qui y ont été enregistrés.
Le titre notarius
Le titre notarius se rencontre dans la première moitié du XIIIe siècle. En 1228 il est porté par le chanoine de Saint-Maurice Hugues18 et en 1239 par le chanoine Nicolas du même monastère19. Il s’agit peut-être de Nicolas de Commugny, chantre de 1232 à 1248. A Sion on trouve cette qualification de notarius toujours accolée au nom du scribe Willermus. Ce personnage est un clerc qui est mentionné à partir de 1237/1239 jusqu’en 125620. On possède de lui une soixantaine d’originaux, tous des actes rédigés selon le formulaire de la chancellerie de Sion et non des actes notariés. L’introduction du terme notarius n’implique pas nécessairement qu’il s’agit là d’un notaire public. Le titre notarius s’explique vraisemblablement par les fonctions de Willermus. Ce personnage semble détenir le quasi monopole de l’écriture des chartes sédunoises et fait figure de chef de [p. 822] la chancellerie derrière le chantre-chancelier21. Il arrive que dans les dernières années de sa carrière des actes soient écrits par des tiers en son nom: vice Willermi notarii ejusdem Normandi cantoris22. En mars 1256 un autre scribe du nom d’Henri porte ce même titre de notarius23.
Les premiers notaires publics
Les actes instrumentés en dehors du Valais
Les plus anciens actes notariés24 relatifs à notre région sont des actes instrumentés en dehors du Valais par des notaires étrangers. Ils concernent l’hospice du Grand-Saint-Bernard, ainsi la donation stipulée à Ivrée en 1165 par Wido notarius sacri palacii25. De même, un des plus anciens actes notariés de la Suisse romande est instrumenté à Villeneuve, en Chablais26. Il est relatif à une paix établie en 1229 entre le prévôt du Mont-Joux, d’un côté, et des gens de Sembrancher et de Bagnes, de l’autre, et il porte le sceau du comte Thomas [p. 823] de Savoie pour plus de sûreté. Le notaire qui a dessiné son seing manuel se nomme Petrus sacri palacii notarius; il est identique à Pierre de Mascoto, cité par P. Duparc; attesté à Aoste entre 1234 et 1237, il rédige quelques actes en Savoie en 1232 et 123327.
La présence savoyarde joue assurément un rôle essentiel dans la diffusion du notariat à partir du foyer italien. Le comte de Savoie, avoué de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune, détient le comté d’Aoste et d’autres possessions du côté de ce versant des Alpes (Val de Suse et terres en Piémont). Dans les années 1230 des notaires, dans la suite du comte de Savoie, qui s’intitulent par exemple notarius sacri palacii et comitis Sabaudie, instrumentent pour le Valais savoyard28.
Les actes instrumentés en Valais29
Le premier notaire public qui stipule à Sion est attesté en 126630. Il s’agit de Pierre de Thora, clericus, auctoritate imperii publicus notarius, qui reçoit le testament du doyen de Sion Aymon de Venthône [p. 824] et met son seing manuel au début et à la fin de l’acte: une étoile surmontée d’une croix flanquée de deux astérisques31. Pierre de Thora, qui tire son nom d’un village proche d’Aoste aujourd’hui disparu, accomplit une carrière importante à la fois dans le Valais et dans le Val d’Aoste. Avant de venir à Sion, il instrumente en tant que notaire impérial à Aoste en juillet 126432. Peut-être chanoine de Tarentaise en 127033, il est chanoine de la cathédrale d’Aoeste en 127534, curé de Morgex en 127635, et à partir de 1277 il est cité comme chanoine de Sion36. Le 5 février 1283 il devient doyen de Sion après la mort de Marc d’Aoste37. Il lui arrive de recevoir des actes de la chancellerie de Sion38. Son titre de magister indiquerait une solide formation. Il bénéficie en tout cas d’une grande autorité. On a souvent recours à son arbitrage et il figure à plusieurs reprises comme exécuteur testamentaire [p. 825] de personnages importants39. Il est attesté pour la dernière fois à Sion en 1297. Intervenant à Aoste comme à Sion40, il témoigne des relations qui existaient entre les deux diocèses, relations qui n’étaient pas uniquement commerciales.
A partir seulement de la première moitié du XIIIe siècle, semble-t-il, la vallée d’Aoste connaît l’acte notarié à côté de la carta Augustana41. Après 1250 les actes stipulés par divers notaires publics de cette région ne sont pas rares42. Certains de ces notaires ont dû venir en Valais. On trouve des indices de ces contacts dans le registre du notaire sédunois maître Martin, où figurent deux seings manuels qui ont pu être attribués à des notaires valdôtains de ce temps: Jacobus Boneti de Porta Sancti Ursi43 et Johannes de Valquarter44. Une étude plus poussée des archives valdôtaines montrerait certainement des liens réciproques qui n’existaient pas seulement au niveau des évêques, des chanoines et des commerçants, mais aussi au niveau des spécialistes de l’écrit45. Le rôle de la vallée d’Aoste, où les Savoyards [p. 826] sont présents, dans la diffusion du notariat en Valais reste encore à étudier. Relations de voisinage, influences politiques, trafic commercial et liens personnels concourent à l’implantation du notariat en Valais.
Tandis que Pierre de Thora, notaire étranger, commence une brillante carrière à Sion, on dénote dans les mêmes années la présence ponctuelle de notaires italiens dans le Haut-Valais. Ainsi au château de Rarogne en mai 1268 le notaire public Garbazius de Froncher[o?] dresse l’acte par lequel le donzel Rodolphe de Rarogne, vidomne de Sion, donne à son épouse Nantelma, fille du chevalier Giroud de la Tour, ses droits et ses biens dans la paroisse de Saint-Nicolas46. L’évêque de Sion Henri de Rarogne, oncle du dit Rodolphe, et le donateur apposent à l’acte leur sceau. La même année à Ernen on trouve le notaire italien Pierre de Baceno que fait venir le comte de Biandrate Godefroid, major de Viège, et qui a emprunté probablement le col d’Albrun47. A Brigue en 127348, à Viège en 128249 sont attestés des notaires de l’Italie du nord. Divers traités de paix et de commerce sont instrumentés par des notaires italiens qui se sont parfois déplacés jusqu’à Sion50.
[p. 827] Le processus d’actes notariés d’abord instrumentés par des gens venus de l’extérieur — notaires de passage —, puis par des gens du pays s’observe en Valais, tout comme O.P. Clavadetscher l’a aussi montré pour le sud des Grisons51. Notaires italiens et valdôtains venus en Valais par les divers cols ne sont plus les seuls trouvés à partir de 1275, mais à côté d’eux figurent également des notaires locaux.
Les notaires du valais épiscopal
Maître Martin et son minutier
Le premier notaire public originaire de Sion donné par les sources s’appelle maître Martin; il porte le titre aule regie et sacri palatii publicus notarius52. C’est bien quelqu’un du pays puisqu’il est dit de Seduno53. Sa carrière peut être retracée brièvement54. D’abord curé de Saint-Martin d’Hérens55, chapelain de l’évêque, maître Martin devient chanoine de Sion en 1288 et curé de cette même ville. Il travaille [p. 828] à la chancellerie de Sion comme levator56 et exerce la fonction de scriptor sous le chantre Normand d’Aoste57. Gérant de la chancellerie après que le chapitre l’a retirée au chantre58, il prend à partir de 1290 le titre de chancelier du chapitre jusqu’à sa mort en décembre 130659. C’est un homme aisé que l’on connaît grâce à de nombreux achats et par son testament. Il lègue notamment au chapitre deux coffres destinés aux chartes de chancellerie (duas archas longas in quibus reponantur carte vel scripta cancellarie completa) ainsi que des chroniques des empereurs et des papes60.
Maître Martin nous a laissé son registre, le plus ancien minutier conservé en Suisse et au nord de l’Italie actuelle61. Si maître Martin dresse le vidimus d’un acte daté de 127562, la première mention datée de sa qualité de notaire public remonte à 127763. Par ailleurs on conserve un assez grand nombre de chartes sédunoises qu’il a levées et/ou écrites en tant que juré de la chancellerie de Sion, sans compter ses notes ou levationes pour les années 1296-129864. Sur l’ensemble des actes résultant de son activité les actes notariés représentent moins d’un quart.
Le minutier de maître Martin et les actes notariés des divers notaires publics de la période considérée (jusqu’à la mort de maître Martin) permettent de saisir le champ laissé à l’activité des notaires [p. 829] dans le Valais épiscopal. Le minutier de notre notaire est un registre de papier non filigrané de 52 folios (dont trois ont été découpés). Les quelque 180 actes qu’il contient s’étendent principalement sur la période 1275-129565. Ces actes n’appartiennent pas aux mêmes catégories juridiques que les actes transcrits dans les registres de chancellerie de Sion. Ce ne sont pas des transactions immobilières, ventes perpétuelles, donations, échanges, inféodations, etc., actes perpétuels qui remplissent les registres de chancellerie. Quels sont-ils donc?
Les actes du minutier se partagent en égale proportion entre actes notariés66 et chartes sédunoises sans classement apparent et, de plus, un tiers de ces chartes sédunoises sont «levées» par douze levatores autres que maître Martin. Ce minutier pose donc un certain nombre de questions auxquelles il n’est pas toujours aisé de répondre. La description des cahiers ne donne guère d’éléments d’explication. Si le premier cahier est tenu selon un ordre chronologique assez rigoureux, on ne décèle pas d’ordre apparent qu’il soit chronologique, thématique ou diplomatique pour les cahiers suivants. Il semble que maître Martin ne remplissait pas les pages les unes à la suite des autres mais laissait des blancs que lui ou d’autres utilisaient éventuellement par la suite. Cependant, si on reclasse chronologiquement les actes, on s’aperçoit que le minutier ne comporte qu’un seul acte de maître Martin pour l’année 1281 du mois de janvier et aucun pour les années 1282, 1283 et 1284. Il est à noter que pour les années 1282-1283 on n’a par ailleurs aucune trace de son activité à la chancellerie. Simple coïncidence? Résultat de la tradition des actes ou absence de maître [p. 830] Martin de la ville de Sion67? La dernière page du premier cahier, à laquelle le notaire devait souvent se référer au cours de la rédaction des actes, est occupée par le calcul des indictions pour les années 1277 à 1288 (selon le style indictionnel du 24 septembre), par une formule d’acte notarié avec son seing manuel ainsi que par les signets de deux notaires valdôtains68.
Le registre est fragmentaire comme le prouve d’ailleurs l’expédition plus tardive de deux actes dont il ne subsiste aujourd’hui que les clauses de renonciation dans le registre69. Ces clauses précédées d’un signe de renvoi et écrites sur le premier folio d’un nouveau cahier prouvent qu’il manque au moins un folio, sinon un cahier.
On constate que pour les années 1275-1276 on a uniquement des chartes de chancellerie; pour les années 1277-1280 on a en majorité des actes notariés (64 actes contre 9 chartes sédunoises); pour les années 1285-1295 on trouve au contraire 34 chartes sédunoises contre 19 actes notariés de maître Martin. Y aurait-il de la part de maître Martin une limitation volontaire de l’emploi de l’acte notarié réservé en ces années aux actes relatifs à la décime, limitation qui répondrait aux décisions épiscopales et capitulaires? Quant aux actes du minutier [p. 831] levés par des tiers, ils se situent principalement dans la période 1286-1295 (21 actes contre 12 de 1275 à 1285).
Les chartes sédunoises du minutier sont relatives à des emprunts d’argent: reconnaissances de dettes, promesses de paiement, sûretés réelles et personnelles. Les levatores et maître Martin ont peut-être cru bon de transcrire ces actes dans le minutier pour plus de sûreté, puisque les actes de cette nature n’étaient pas enregistrés à la chancellerie. On compte parmi ces chartes sédunoises onze chirographes. Quant aux actes notariés, ce sont des procurations (33 %), des copies authentiques et des vidimus (18 %), des reconnaissances de dettes (9 %), des lettres de procédure (9 %), etc. L’acte notarié est utilisé de façon évidente pour les relations avec les personnes extérieures au Valais épiscopal. Parmi les actes conservés des autres notaires on trouve des accords, des arbitrages, des «clames», des vidimus, des reconnaissances et des quittances.
Les actes notariés sont parfois scellés. Un cinquième des actes validés par le seing manuel de maître Martin70 (dessiné à maintes reprises dans le registre) reçoivent en outre le sceau d’une ou de plusieurs personnalités (l’évêque, l’official, les dignitaires du chapitre ou des nobles). Les originaux existants passés par divers notaires confirment cette double validation pour plus de sûreté: seing manuel souvent dessiné deux fois, au début et à la fin de l’acte (avec parfois quelques variantes), et sceau. L’emploi conjoint de ces modes de validation montre une certaine méfiance à l’égard de l’acte notarié — le sceau donnant une garantie supplémentaire — et le contrôle de l’autorité sur le notaire.
Les notaires publics du Valais épiscopal
La connaissance qu’on peut avoir des notaires contemporains de maître Martin est soumise à la faible tradition de leurs actes. La remarquable série des minutes notariales ne débute véritablement [p. 832] qu’avec le minutier de Jaquetus de Aragnon pour les années 1311-132771. Pour la période antérieure il faut se satisfaire de quelques actes notariés (moins d’une centaine), vestiges de l’activité de près d’une vingtaine de notaires. Ce sont en majorité des notaires d’investiture impériale, sauf quelques-uns comme Guillaume Rodier de Saint-Maurice, clericus, auctoritate papali publicus notarius72. Certains de ces notaires sont connus comme levatores de la chancellerie de Sion73. Un petit nombre travaillent à la chancellerie même comme scribes, c’est-à-dire transcrivent les chartes sédunoises dans le registre et procèdent aux expéditions, à côté de la passation des contrats74. Par ailleurs plusieurs sont dits clercs de l’évêque75. Un acte daté de 1285 prouve que l’évêque de Sion a recours à des notaires publics — ici maître Giroud de Sala, notaire apostolique — pour rédiger des actes auxquels il appose son sceau en vertu de sa juridiction gracieuse76. De la même manière, l’official de Sion au début du [p. 833] XIVe siècle emploie des notaires publics comme jurés77. Le formulaire utilisé dans ces actes présente des similitudes frappantes avec celui des actes notifiés par le juge savoyard pour le Chablais et le Genevois78. Malheureusement on connaît mal l’étendue de la juridiction gracieuse de l’official — sans doute limitée en raison de la puissance politique du chapitre — faute de documents, à cause de l’incendie de 1788 qui a détruit les archives épiscopales79.
La forte organisation de la chancellerie capitulaire laisse peu de place à l’épanouissement d’un notariat libre et les notaires cumulent les fonctions. Ils officient encore au XIIIe siècle plutôt comme jurés de la chancellerie capitulaire que comme notaires publics. La présence de ces notaires n’influe pas beaucoup sur le formulaire des chartes sédunoises: les renonciations demeurent très peu employées dans celles-ci qui restent concises, et lorsque ces clauses s’y glissent, c’est parce que l’un des contractants est l’évêque, un chanoine ou le chapitre. Les parties en viennent à demander qu’un acte soit rédigé par le même «professionnel» en sa qualité de notaire public et en sa qualité de levator de la chancellerie80. Face à la concurrence des notaires, le chapitre réagit dès la fin du XIIIe siècle pour contrôler et limiter leur activité et réclame l’appui de l’évêque.
[p. 834] L’évêque et le chapitre de Sion face aux notaires publics
Pierre d’Oron, évêque de Sion de 1274 à 1287, a pris des mesures qui nous sont connues indirectement parce que le chapitre les invoque dans ses luttes au XIVe siècle contre les notaires81. Les notaires n’ont pas le droit d’instrumenter des contrats perpétuels dans le Valais épiscopal et cette interdiction est aggravée par l’évêque Boniface de Challant (1289-1308) qui excommunie les contrevenants et qui interdit en outre aux notaires d’exercer leur métier s’ils n’ont pas été auparavant examinés par la curie épiscopale et n’ont pas obtenu son agrément82. Ils doivent jurer de ne pas porter atteinte au droit de chancellerie du chapitre.
En 1292 le chapitre établit une transaction avec sept notaires impériaux, parmi lesquels on note des levatores de la chancellerie. Les notaires reconnaissent qu’ils nuisent aux intérêts du chapitre s’ils instrumentent sans son mandat des actes notariés. Toutefois, ils obtiennent la permission de stipuler divers types d’actes: transactions, prêts, gages n’excédant pas cinq ans, reconnaissances, procurations, lettres de procédure. Mais ils jurent de ne pas instrumenter de [p. 835] contrats perpétuels83, source de revenus pour le chapitre. Désormais tout nouveau juré de la chancellerie doit promettre de ne pas rédiger d’instrumenta tabellionatus super contractibus perpetuis et testamentis. En fait, une brèche était ouverte: les notaires obtiennent par la suite le droit de passer des contrats dont l’effet s’étend à sept ans, puis à huit et à neuf ans. Les évêques doivent réitérer leurs interdictions — ce qui montre leur peu d’efficacité — et le chapitre entame bon nombre de procès contre les notaires qui enfreignent ces dispositions84.
La chancellerie de Saint-Maurice et les notaires publics
La situation est différente à Saint-Maurice placé dans la zone d’influence savoyarde. Le droit de chancellerie de l’abbaye est vivement concurrencé par l’apparition des notaires jurés de la cour judiciaire du Chablais. Malgré le diplôme de 1245 en faveur de Saint-Maurice, le développement de la juridiction gracieuse de la cour savoyarde ainsi que le contrôle des notaires dans l’exercice de leur profession s’accommodent mal d’un éventuel monopole de l’abbaye pour donner authenticité aux actes privés.
Les notaires publics, nombreux dans le dernier quart du XIIIe siècle, sont en majorité des jurés du comte de Savoie. Un certain nombre de ces jurés pratiquent le cumul en instrumentant aussi comme levatores de l’abbaye de Saint-Maurice85. Quelques-uns «lèvent» également des actes pour la chancellerie de Sion86. Le [p. 836] notaire public peut ainsi élargir sa clientèle et son ressort en composant avec les institutions locales existantes. L’entrée de notaires publics à la chancellerie de Saint-Maurice a déjà été relevée et dépeinte par G. Partsch87. Elle semble plus importante qu’il ne le soupçonnait. Alors qu’une infime minorité d’actes notariés reçoivent le sceau du chapitre ad majorem premissorum certitudinem et firmitatem et sont pour cette raison enregistrés dans le Minutarium majus (une dizaine sur 1383 actes), un plus grand nombre reçoivent la validation par le sceau du juge savoyard. La présence de ces notaires-jurés du comte de Savoie à la chancellerie entraîne une grande ressemblance entre la charte de Saint-Maurice, l’acte notarié et l’acte scellé par le juge du Chablais, alors que la charte sédunoise concise se distingue nettement de l’acte notarié aux longues formules. A la fin du XIIIe siècle il existait par conséquent dans la zone d’influence savoyarde divers modes de validation — concurrents — de l’acte privé: acte validé par le sceau du chapitre de Saint-Maurice; charte sédunoise dépourvue de sceau; acte notarié avec la seule souscription du notaire public; acte notarié muni d’un sceau, celui du chapitre ou celui de la cour savoyarde; acte de juridiction gracieuse scellé et rédigé par un juré du comte de Savoie. Aussi les parties hésitent-elles88: recherchant la plus grande sécurité elles demandent parfois la rédaction de deux grosses ayant la même teneur mais validées différemment89. Mieux encore, un acte notarié datant de 1298 est enregistré [p. 837] dans le Minutarium majus: les clauses finales mentionnent le seing manuel du notaire impérial Pierre d’Orbe, le sceau du chapitre et le sceau de la cour savoyarde90. Il faut signaler que l’une des parties est le curé de Bagnes Pierre de Fossato, lui-même notaire public et levator des deux chancelleries du Valais.
Cette variété montre la rivalité des pouvoirs politiques. L’enregistrement des actes privés dans le Minutarium de Saint-Maurice connaît un recul certain, ainsi que l’a déjà relevé P. Rück, qui s’accentue dans les années 1312-134591. Les parties n’accordent plus la même confiance qu’auparavant au sceau du chapitre. N’est-ce pas un signe du triomphe du seing manuel sur le sceau si un notaire peut écrire en 1343 qu’il dessine son signum pour donner plus de validité à l’acte qu’il a écrit au nom du chantre et qui est scellé par l’abbé et le chapitre de Saint-Maurice92? L’abbaye ne disposait pas du même [p. 838] poids politique que le chapitre de Sion pour se défendre contre les notaires publics (ici jurés du comte de Savoie).
Ainsi, alors que les voies et les moyens utilisés par le notariat public pour s’implanter en Valais demeurent mal connus, on constate le succès de l’institution, succès plus ou moins grand selon les influences politiques. La vie économique offre aux notaires deux champs d’activité, celui des reconnaissances qui permettent un meilleur contrôle des revenus et une gestion plus rigoureuse et celui des «lettres de cahorsins» liées aux besoins en numéraire. Cette dernière source est assez mal représentée dans les archives93, tandis que les reconnaissances se multiplient et s’allongent démesurément. L’historien dispose en outre du matériau considérable encore inexploité que constituent les minutiers des archives du chapitre de Sion, qui devrait lui permettre de mieux saisir la personne des notaires, leurs activités respectives, leur clientèle et leur place dans la société.