Enquête sur la Great Bible
Relation de l'examen de la première version de la Great Bible anglaise de Henri VIII à Paris en 1538
La lettre écrite le 22 octobre 1538 par le nouveau président des Enquêtes au parlement de Paris, Louis Caillaud, au chancelier Antoine Du Bourg est un des rares témoignagessur les conditions de préparation de la première édition de la Great Bible (ainsi dénommée en raison de son format) de Henri VIII. Jamais édité intégralement, ce document est connu depuis les extraits qui en furent publiés dès 1871 dans le recueil du Musée des Archives nationales. Documents originaux de l'histoire de France exposés dans l'hôtel de Soubise. Sur la base de cette publication, Henry Martin Baird le mentionna dans son History of rise of the huguenots (2 vol., Londres, 1880). Il fut par la suite quelque peu oublié, ayant entre autres échappé à la collecte érudite menée par Alfred W. Pollard dans ses Records of the English Bible. The documents relating to the translation and publication of the Bible in English (Oxford, 1911).
L'impression d'une nouvelle traduction de la Bible avait été voulue par Henri VIII d'Angleterre pour en doter toutes les églises de son royaume. Elle fut préparée sous la direction de Myles Coverdale (ca 1488-1569) qui avait déjà publié une première traduction anglaise de la Bible en 1535. Il reprit pour l'essentiel sa traduction et y mêla également des éléments empruntés aux traductions de William Tyndale (1525-1530) et de John Rogers (sous le nom de Thomas Matthew, 1537). L'opération de fabrication matérielle, supervisée sur place par Coverdale, fut confiée à deux marchands-libraires londoniens, Richard Grafton (ca 1511-1572) et Edward Whitchurch (mort en 1561) qui se tournèrent vers l'imprimeur François Regnault, de longue date au service d'ecclésiastiques anglais.
La lettre de Caillaud, commis à l'examen de la Bible anglaise par le chancelier Antoine Du Bourg à la suite de plaintes et de dénonciations émanant, semble-t-il, de milieux professionnels du livre parisien, témoigne des conditions de réalisation de cette Bible à Paris (où le papier de qualité était jugé plus abondant). Elle illustre également la position d'un magistrat parisien, dont on ne sait par ailleurs rien des options religieuses mais qui marquait ici son peu d'empressement à condamner l'ouvrage et qui prenait à l'évidence le parti des réformés dans ces conclusions, où il s'en remettait au bon sens du croyant qui ne devrait pas tant attacher d'importance à la valeur des mots et s'appuyer au contraire sur la ferveur de sa foi.
Du Bourg avait-il choisi Caillaud en connaissance de cause ? Le premier acte d'importance que le deuxième chancelier de François Ier scella, le jour même de son accession à la charge de chancelier de France (16 juillet 1535), fut une déclaration royale qui suspendait les poursuites contre les hérétiques, à condition de retour et d'abjuration. Du Bourg manifesta par ailleurs, durant tout son bref cancellariat, une réelle volonté d'indépendance vis-à-vis de la Faculté de théologie, politique que relayait manifestement Caillaud qui se montrait peu enclin à criminaliser l'affaire. En l'état des recherches, il est impossible de savoir si la réception de la lettre de Caillaud provoqua la rédaction immédiate d'un privilège d'impression (peut-être une des raisons de la commission donnée par Du Bourg à Caillaud). Celui que l'on possède, en latin, non daté et sous forme de copie conservée à la British Library, ne permet pas de trancher. Il s'agit peut-être seulement d'un projet, d'autant que Du Bourg décéda accidentellement six jours plus tard, le 28 octobre 1538 à Laon. Si la lettre fut bien remise au chancelier, le temps lui manqua sans doute pour donner une suite favorable à cette enquête et placer l'impression sous la protection royale.
Son successeur Guillaume Poyet n'est pas spécialement connu pour sa tolérance envers les réformés et son inclination religieuse rencontra en outre les nouvelles orientations que le roi de France imprimait alors à sa politique étrangère. Soucieux de donner de la consistance à la Trêve de Nice signée avec Charles Quint le 18 juin 1538, François Ier marquait en effet de plus en plus son hostilité à l'égard d'un roi d'Angleterre qui lui était moins directement utile. Dans ces conditions, il laissa l'inquisiteur général arrêter le 17décembre 1538 l'imprimeur Regnault, et saisir les exemplaires déjà imprimés, au nombre de 2 500, ou peut-être seulement 2 000. Ils furent vendus pour partie au poids du papier à des merciers parisiens et le reste fut brûlé sur ordre du lieutenant criminel au Châtelet de Paris. Le matériel de Regnault put malgré tout être récupéré par les Anglais qui firent paraître la Great Bible en avril 1539 à Londres, première des six éditions anglaises que connut l'ouvrage jusqu'en 1541.