1820, 18 mai. Conseil des Bâtiments civils. [Débat sur la restauration.]
. Paris
Extrait du procès-verbal de la séance du 18 mai 1820 présidée par M. Hély d’Oissel. Église Saint-Germain-des-Prés.
- Arch. nat., F 13-882 nos 25 à 29
M. le Président consulte le Conseil sur les questions suivantes, qu’il met successivement en délibération.
PREMIÈRE QUESTION
Convient-il de reconstruire l’église paroissiale de Saint-Germain-des-Prés plutôt que de s’en tenir à la restaurer ?
M. Heurtier appréhendant que la reprise en sous-œuvre des piliers tombés en ruine et les opérations que cette reprise exigerait ne missent après leur achèvement dans la nécessité de restaurer, peut-être même de reconstruire les parties supérieures de l’édifice, est d’avis qu’il soit démoli et reconstruit.
M. Rondelet pense que le succès des reprises en sous-œuvre n’est pas douteux, et, dans des vues d’économie seulement, il propose la restauration de l’église d’autant plus qu’il ne partage pas l’opinion de M. Heurtier sur les effets que la restauration des parties inférieures pourrait produire sur les parties supérieures.
M. de Gisors pense que la restauration des piliers de la nef et des autres parties périclitantes de l’église de Saint-Germain-des-Prés est possible parce que l’art de construire offre des moyens mécaniques d’opérer généralement les constructions en sous-œuvre les plus extraordinaires, les plus difficiles et les plus périlleuses, mais il pense qu’on doit ajouter aux moyens d’étaiement proposés et déjà exécutés en partie par M. Godde, 1° des étrésillons transversaux à placer au-dessus des parties de piliers dégradées de manière à serrer et entretenir entre elles les constructions supérieures à ces piliers, c’est-à-dire les parties supérieures de la nef ; 2° de nouveaux chevalements susceptibles de soutenir immédiatement les constructions qui portent verticalement et directement sur le milieu des piliers à reconstruire ; 3° des contrefiches à l’extérieur des murs latéraux de l’édifice, afin de donner des points d’appui capables de résister à l’effort de pression que le serrement desdits étrésillons transversaux produira nécessairement.
Toutefois, considérant que quelque grands que fussent les soins que l’on pourrait apporter dans l’exécution des reprises en sous-œuvre dont il s’agit, et quelque parfaite que pût être cette exécution, il serait à redouter que les constructions supérieures dont les matériaux ne sont ni homogènes ni de première qualité et qui en outre sont d’une solidité équivoque puisqu’elles ont déjà subi des déchirements assez considérables, n’éprouvassent encore lors du décintrement et de la dépose des étais qui les porteraient pendant les reprises, des disjonctions et des dégradations nouvelles dont l’importance pourrait aussi exiger la reconstruction totale ou partielle des murailles et des voûtes de la nef et de ses bas-côtés ; que les murs d’enceinte de ces bas-côtés sont imprégnés de nitre autant et aux mêmes hauteur et profondeur que les piliers dont il a totalement décomposé la pierre, qu’en conséquence on peut admettre que tôt ou tard ce nitre produisant sur celle de ces murailles une décomposition semblable à celle de ces piliers, elles finissent comme eux par s’écrouler sous leur charge, la prudence commanderait que ces murailles fussent reconstruites en même temps qu’eux ; que les quatre piédroits ou piliers du centre de la croix sont plus ou moins pénétrés par le nitre et ont éprouvé par ses effets des altérations et des dégradations sensibles qui en rendent aussi la réparation indispensable ; que deux de ces quatre piliers corniers faisant partie des huit supports des deux tours, la reprise de ces deux piliers présente des difficultés qu’on ne pourrait vaincre qu’à très grands frais pour leur procurer des soutiens provisoires suffisants ; que si, pour réduire ces frais, on supprimait les tours, ainsi que cela a été proposé, on retirerait à l’extérieur de l’édifice une partie de ce caractère typique dont la conservation à l’intérieur est le principal ou plutôt l’unique motif des opinions émises en faveur de la restauration de la nef de cette église ; que, sous ce rapport, cet édifice commencé au VIe siècle, incendié et rebâti plusieurs fois en tout ou partie à diverses époques, notamment à la fin du IXe siècle après avoir été saccagé par les Normands, ne présente à l’extérieur comme à l’intérieur qu’une réunion disparate de différents genres d’architecture gothique dont la conservation serait à peine utile à l’histoire de l’art ; que la restauration de toutes les parties intérieures actuellement périclitantes ne pouvant être exécutée que partiellement et fort longuement, la durée de cette restauration, non compris le temps qu’exigerait celle des parties supérieures s’il arrivait (ainsi que cela est à redouter) qu’elle dût être opérée successivement, par suite des effets de la première, cette durée pourrait être plus longue que celle du temps nécessaire à la construction d’une nouvelle église ; qu’en conséquence la partie de celle à restaurer ne pourrait pas être rendue à l’exercice du culte plus tôt que celle que l’on bâtirait à la place ; qu’il pourrait suffire que l’étendue de celle-ci fut égale à celle de cette nef et à ses bas-côtés puisque le chœur de l’église actuelle pourrait être conservé comme église succursale de celle à construire à neuf ; que la construction d’une église ainsi proportionnée et composée d’une architecture modeste n’occasionnerait pas une dépense beaucoup plus grande que celle à laquelle donnerait lieu, 1° le rétablissement des piliers et autres parties actuellement périclitantes ; 2° la restauration, si ce n’était la reconstruction, de celles que ce premier rétablissement pourrait entraîner ; qu’enfin la valeur des matériaux à provenir de la démolition de la nef et des bas-côtés dont il s’agit peuvent entrer en compensation de cette dépense, M. de Gisors est d’avis, 1° Que cette nef et ces bas-côtés soient démolis au lieu d’être réparés ; 2° Que le chœur de l’église, les bas-côtés et les chapelles qui le pourtournent, soient conservés ainsi que les deux tours qui sont de chaque côté du chœur ; 3° Que l’on construise sur l’emplacement de cette partie de l’église de Saint-Germain une église neuve d’une superficie égale à celle de cette nef et de ses bas-côtés ; 4° Et enfin qu’il soit arrêté que cette partie de l’église Saint-Germain deviendra la succursale de l’église à construire pour la paroisse.
M. Hély d’Oissel et M. Rohault partagent l’opinion de M. de Gisors et sont en conséquence d’avis que la reconstruction totale ou partielle de l’édifice soit proposée.
M. Mazois croit la restauration possible sans qu’on ait à en redouter pour la suite de fâcheux effets sur les parties de l’édifice restées intactes jusqu’à ce jour si toutes les précautions convenables sont prises avec soin et intelligence. Ainsi autant dans des vues d’économie que pour conserver à l’histoire de l’art cet ancien édifice, M. Mazois est d’avis qu’on se borne à en reconstruire en sous-œuvre les piliers et à réparer et consolider toutes les parties de l’église qui ont éprouvé des dégradations.
MM. Norry, Thibault, Baltard et Hurtault se rangent de l’avis de M. Mazois.
M. Gauché incline pour la restauration, mais pensant que les étaiements n’ont pas été combinés de manière à ne pas gêner l’opération périlleuse des reprises en sous- œuvre, M. Gauché a laissé apercevoir des inquiétudes sur les effets fâcheux qui pourraient résulter du vicieux système d’étaiement qui a été suivi. Néanmoins, M. Gauché se détermine à voter pour la restauration de l’édifice.
DEUXIÈME QUESTION
Les moyens d’étaiement et de restauration proposés par M. Godde sont-ils suffisants ?
M. Heurtier, doutant du succès d’une restauration, est persuadé que par suite, elle donnerait lieu successivement à beaucoup d’autres réparations considérables dont la dépense jointe à celle que les reprises à faire primordialement en sous-œuvre occasionneraient, convaincu en conséquence de la nécessité de reconstruire au lieu de réparer, demande à être dispensé de donner un avis sur les moyens d’exécution proposés par M. Godde.
M. Rondelet a dit que ces moyens étaient bons et suffisants, mais qu’il serait possible de les modifier et qu’il ne pourrait indiquer ces modifications qu’après un plus mûr examen des propositions de M. Godde et une étude approfondie des difficultés à surmonter.
M. de Gisors pense que les cintres et étaiements déjà employés au soutien de l’édifice, ainsi que les chevalements projetés pour parvenir à l’exécution des reprises en sous-œuvre sont insuffisants ; il pense même, comme M. Gauché, que plusieurs des contrefiches gêneront beaucoup, lors de l’exécution de ces reprises. M. de Gisors au surplus se réfère à ce qu’il a dit précédemment concernant les étaiements faits et à faire pour toute la restauration dont il s’agit.
MM. Hély d’Oissel, président, Rohault, Thibault et Hurtault partagent l’opinion de MM. Gauché et de Gisors concernant les étaiements exécutés.
M. Baltard propose, 1° comme un moyen de soutenir les constructions supérieures pendant la reprise en sous-œuvre des constructions inférieures, qu’il soit ajouté des murs en maçonnerie aux cintres de charpente sous les arcades dont les piliers sont à reconstruire. M. Baltard propose encore en addition aux moyens d’étaiement conçus par M. Godde, l’encaissement des sommiers et des retombées des mêmes arcades, immédiatement au-dessus des chevalements. Cet encaissement serait formé d’entretoises et de moises entaillées et boulonnées de manière à pouvoir comprimer à volonté les constructions à tenir en l’air pendant le rétablissement de leurs supports. En conséquence M. Baltard se range de l’avis de MM. Hély d’Oissel, Rohault, Thibault, Hurtault, Gauché et de Gisors relativement à l’insuffisance des moyens d’exécution proposés à présent par M. Godde.
M. Norry partage l’opinion de M. Rondelet sur ces moyens et pense comme lui qu’avec l’étude ils pourront atteindre toute la perfection désirable.
D’après ces avis divers qui ont été communiqués à M. Godde séance tenante, la majorité pensant qu’une restauration est préférable à une reconstruction, cet architecte est invité à perfectionner et compléter ses moyens d’exécution et à les soumettre au Conseil dans sa plus prochaine séance. En conséquence, il a ajourné à cette séance à donner un avis définitif après avoir pris connaissance de ces moyens perfectionnés.
Pour extrait conforme