École des chartes » ELEC » Le formulaire d'Odart de Morchesne » Chappitre de diverses lettres diffuses » Lettre d'auctoriser une femme que son mary a delaissee
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Lettre d'auctoriser une femme que son mary a delaissee

Charles etc., a noz amez et feaulx gens de noz comptes, conseillers les gens tenans et qui tendront nostre parlement etc. et a tous seneschaulx, baillifz, prevostz et autres noz justiciers, officiers et subgetz ou a leurs lieuxtenans, salut et dilection. Nostre chiere et amee cousine Tele nous a fait exposer en complaingnant que, comme elle ait pieça esté mariee avecques feu nostre tres chier oncle le duc de Berry, durant lequel mariage et de sa viduitéa elle se soit bien et honnorablement gouvernee et portee et, apres le trespas de nostredit oncle, ait esté mariee a George, seigneur de La Tremoïlle1, avec lequel elle se soit aussi bien et honnorablement gouvernee, sanz aucune faulte ou blasme et sanz ce qu'elle ait fait chose par quoy ledit de La Tremoïlle, son mary, la doye avoir en male grace ou indignacion, neantmoins ledit de La Tremoïlle, depuis la consummacion dudit mariage, a mené tres dure vie a nostredicte cousine et, des deux ans a ou environ, l'a mise hors de sa compaignie et envoyee demourer ou païs d'Auvergne, dont elle est contesse de son heritage, et a prins et occuppé, prent et occuppe ses terres, chasteaulx et forteresses et d'icelleb levé et parceu les fruiz, prouffiz et emolumens et n'en a riens voulu ne veult bailler pour le vivre et estat de nostredicte cousine et de ceulx de sa compaignie, telement qu'il a convenu et convient a nostredicte cousine faire sa demourance en autruy hostel et vivre a l'aide et confort d'aucuns de ses parens et amis et a l'occasion dessusdicte est en voye de cheoir en neccessité, se par nous ne lui est sur ce pourveu de remede convenable, si comme elle dit, en nous humblement requerant que, attendu ce que dit est et que, tant de son propre heritage comme de son douaire, elle a pluseurs belles terres, chasteaulx et seigneuries a cause desquelles elle a pluseurs causes et procés, lesquelz elle a entencion de poursuir, et aussi de requerir et pourchassier ses droiz, revenues et devoirs que pour raison desdictes terres et autrement lui sont et peuent estre deuz, nous la vueillons auctorizer et lui pourveoir sur ce dudit remede. Pour quoy nous, ces choses considerees et pour certaines autres causes a ce nous mouvans, nostredicte cousine avons oudit cas auctorisee et auctorizons par ces presentes, de grace especial et auctorité royal, a gouverner ses [fol. 115v] terres, seigneuries, chasteaulx, forteresses, rentes, revenues, terres et possessions, a en faire requerir, cueillir et recevoir les fruiz, prouffiz, revenues et emolumens et disposer d'iceulx a sa voulenté, a creer et ordonner un ou pluseurs receveurs et autres officiers, a respondre et estre en jugement et dehors, intenter et demener toutes causes, actions et procés, requerir et demander ses debtes, biens et choses quelzconques, constituer et ordonner un ou pluseurs procureurs ou attournez qui ait ou aient semblable povoir, et generalment de faire et faire faire autant es choses dessusdictes et chascune d'icelles et leurs deppendences et appendences comme elle feroit et faire pourroit se elle n'estoit point liee en mariage. Si vous mandons et a chascun de vous, si comme a lui appartendra, que nostredicte cousine faites, souffrez et laissiez joïr et user plainement et paisiblementc de nostre presente graced, octroy et auctorisacion sanz lui faire ou donner ne souffrir estre fait ou donné aucun destourbier ou empeschement au contraire. Car ainsi nous plaist il estre fait. Non obstans quelzconques usaige, stile, rigueur de droit, coustumes, lettres et constitucions a ce contraires. Donné etc.


a Même leçon dans P ; comprendre et ou tems de sa viduité ou expression semblable.
b sic ms, corriger au moins d'icelles ; P donne, plus clairement : et d'icelles a receu et reçoit les fruis.
c plaisiblement ms.
d suivi de et, rayé.
1 Jeanne de Boulogne, comtesse d'Auvergne, veuve du duc Jean de Berry qu'elle avait épousé en 1389, se remaria le 16 novembre 1416 avec Georges de La Trémoïlle (La Trémoïlle, t. I, p. 159). Retirée au château de Saint-Sulpice sur le Tarn, elle mourut vers la fin de l'année 1422. La lettre est citée partiellement par Bouillé, Un conseiller de Charles VII, p. 72-73, d'après le ms fr. 5053, fol. 101v-103, autre version du formulaire de Morchesne, qui fournit certes quelques mots omis par le ms (l'adresse aux gens des comptes, la qualité de comtesse de Boulogne), mais absolument pas, comme l'écrit Bouillé, la date (Carcassonne, 16 mars 1420 : nous ne savons d'où il tire ce renseignement). Les prétentions de Georges de La Trémoïlle à jouir des terres et des revenus du comté de Boulogne sont attestées par quelques lettres de Philippe le Bon qui, dès le 21 janvier 1419, intervint en sa faveur auprès de la chambre des comptes de Lille et du gouverneur d'Arras (Pierre Héliot et Albert Benoît, Georges de La Trémoïlle et la mainmise du duc de Bourgogne sur le Boulonnais, dans Revue du Nord, t. 24, 1938, p. 29-45, spéc. p. 42-45). Dans une lettre de 7 mai 1431, par laquelle Charles VII accordait son pardon à Georges de La Trémoïlle, le conflit l'opposant à Jeanne, sa femme, est rappelé parmi d'autres torts imputés à celui-ci (La Trémoïlle, p. 192-195).